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Date : 20231207


Dossier : T‐1249‐21

Référence : 2023 CF 1650

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2023

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

REBEL NEWS NETWORK LTD.

demanderesse

et

CANADA (COMMISSAIRE AUX ÉLECTIONS FÉDÉRALES) et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

Nature de l’instance

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision [décision] du commissaire aux élections fédérales [commissaire], datée du 12 juillet 2021. Le commissaire avait confirmé la décision du sous-commissaire aux élections fédérales, datée du 11 janvier 2021, selon laquelle la demanderesse, Rebel News Network Ltd. [Rebel News], avait contrevenu à l’article 352 et au paragraphe 353(1) de la Loi électorale du Canada, LC 2000, c 9 [Loi]. Le 12 janvier 2021, il avait dressé deux procès‐verbaux (procès‐verbaux nos A‐190752‐1 et A‐19075 2‐2) et imposé une sanction administrative pécuniaire (SAP) pour chaque contravention.

[2] Rebel News a également déposé un avis de question constitutionnelle contestant [traduction] « la validité constitutionnelle, l’applicabilité ou l’effet de l’al. b) de la définition de “publicité électorale” au paragraphe 2(1) de la Loi électorale du Canada ».

Les parties

[3] Rebel News est une société constituée sous le régime d’une loi fédérale. Son administrateur unique est M. Ezra Levant, qui se décrit comme le directeur et fondateur. Selon M. Levant, Rebel News ne craint pas de faire connaître ses positions éditoriales sur des questions importantes qui touchent les Canadiens, par l’intermédiaire de divers médias, y compris les sites Web, les balados, les livres de poche et les livres électroniques. De plus, il se décrit lui‐même et Rebel News comme des critiques de longue date du premier ministre Justin Trudeau, de [traduction] « ses associés » et du Parti libéral du Canada. M. Levant a déposé un affidavit souscrit le 10 septembre 2021 [affidavit Levant], à l’appui de la demande de contrôle judiciaire de Rebel News.

[4] Le défendeur est le commissaire aux élections fédérales [CEF], nommé par le directeur général des élections. Toutefois, le commissaire prend des décisions et des mesures indépendamment de ce dernier. Le commissaire est chargé d’assurer l’application de la Loi, ce qui comprend mener des enquêtes, intenter des poursuites en cas d’infractions à la Loi et dresser des procès‐verbaux fixant des sanctions administratives pécuniaires (para 509(1) et art. 509.21 et 509.2 de la Loi). Aux termes de la Loi, « [l]orsqu’une demande en contrôle judiciaire d’une décision du commissaire est présentée, celui‐ci agit à titre d’intimé » (Loi, para 555(2)). Dans les présents motifs, le terme « commissaire » renvoie au décideur ayant pris la décision visée par le contrôle, et « CEF » renvoie au défendeur dans l’instance.

[5] Dans la présente instance, le CEF a déposé, en réponse à la thèse de Rebel News qui prétend que la décision du commissaire est déraisonnable, l’affidavit de Me Avril Ford Aubrey, conseillère juridique au sein du CEF et l’une des enquêtrices dans l’affaire concernant Rebel News, souscrit le 11 février 2022 [affidavit Ford Aubrey]. L’affidavit Ford Aubrey fournit des renseignements généraux sur le rôle du commissaire, le processus de plaintes, la confidentialité, les SAP, le processus de révision par le commissaire, ainsi que les mesures procédurales prises en l’espèce en réponse aux plaintes reçues.

[6] Le procureur général du Canada [PGC], dans le rôle de gardien de l’intérêt public et de protecteur de la primauté du droit qui lui est conféré, a présenté des observations en réponse à la contestation constitutionnelle de Rebel News. À cet égard, le PGC a déposé l’affidavit de Mme Andrea Lawlor, professeure agrégée au Département de sciences politiques au sein du King’s University College de l’Université Western, titulaire d’un doctorat en sciences politiques, souscrit le 9 février 2022 [affidavit Lawlor]. Cette preuve d’expert porte sur quatre questions soulevées par le PGC. Plus particulièrement : déterminer les principes qui sous‐tendent le modèle égalitaire des élections et la source de celui‐ci; déterminer les objectifs de la réglementation de la publicité électorale par des tiers et leur lien, s’il en est, avec l’atteinte des principes qui sous‐tendent le modèle égalitaire; déterminer le rôle des dispositions anti-esquive dans un régime réglementaire fondé sur le modèle égalitaire des élections; expliquer la façon dont l’approche canadienne en matière de réglementation de la publicité électorale par des tiers se compare aux approches adoptées dans d’autres pays, par exemple le Royaume‐Uni.

Les faits

[7] Les faits à l’origine de l’instance sont simples et ne sont pas contestés.

[8] La 43e élection générale fédérale a été déclenchée le 11 septembre 2019 et s’est tenue le 21 octobre 2019. Il s’agissait d’une élection à date fixe. La « période électorale », au sens de la Loi, désigne la période commençant à la délivrance du bref et se terminant le jour du scrutin (para 2(1) de la Loi). Dans l’affaire qui nous intéresse, la période électorale correspondait à la période du 11 septembre 2019 au 21 octobre 2019.

[9] Le 4 septembre 2019, Rebel News, en tant qu’éditeur, a publié un ouvrage rédigé par M. Levant intitulé The Libranos : What the Media Won’t Tell You about Justin Trudeau’s Corruption. La couverture de l’ouvrage est une représentation artistique du premier ministre et de certains de ses ministres et de son personnel, représentation qui, selon Rebel News, est évocatrice du drame télévisé Les Soprano.

[10] Pendant la période électorale, Rebel News a distribué des placards à installer sur la pelouse faisant la promotion de l’ouvrage. Ils comprenaient les termes « Librano$.com », [traduction] « Achetez le livre! » et « Rebel News raconte l’autre côté de la médaille » et affichaient la même image que la couverture de l’ouvrage.

[11] Le commissaire a reçu six plaintes au sujet des placards et a reçu une autre plainte qui lui a été renvoyée par le commissaire aux élections de l’Alberta.

[12] Le 5 décembre 2019, le commissaire a approuvé la [traduction] « Recommandation d’enquête », visant le lancement d’une enquête administrative au motif que, pendant la période électorale, Rebel News s’était livrée à une publicité électorale au sens du paragraphe 2(1) de la Loi en produisant et distribuant des placards « Librano$ » qui ne comportaient pas les renseignements requis par l’article 352 de la Loi. De plus, les dépenses de publicité électorale engagées à l’égard des placards (dont le message constituait de la publicité électorale) correspondaient au seuil de 500 $ ou y étaient supérieures. Dans un tel cas, l’article 353 de la Loi oblige un tiers à s’enregistrer à ce titre auprès d’Élections Canada. La recommandation indiquait que les documents et les renseignements recueillis à l’aide de documents publics et de sources ouvertes donnaient a priori aux enquêteurs des motifs raisonnables de soupçonner que des infractions à la Loi avaient été commises.

[13] Par voie de lettre datée du 9 décembre 2019, le directeur des enquêtes du CEF a donné à Rebel News (par l’entremise de M. Levant) un avis, conformément au paragraphe 510(2) de la Loi, indiquant que le commissaire avait ouvert une enquête administrative au sujet des allégations selon lesquelles Rebel News avait contrevenu aux articles 352 et 353 de la Loi lorsqu’elle a omis d’inclure les renseignements sur la publicité électorale par des tiers qu’exige l’article 352 – l’obligation d’attribution à un tiers –et engagé des dépenses de publicité électorales supérieures à 500 $ sans s’enregistrer à titre de tiers à l’élection fédérale de 2019 en application de l’article 353. L’avis reproduisait les articles 352 et 353 et précisait que la définition de « publicité électorale » énumère des exemples de communications favorisant ou contrecarrant un parti enregistré ou un candidat qui ne constituent pas de la « publicité électorale », y compris « la promotion [...] d’un ouvrage dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection ».

[14] Aux termes de l’avis, la décision du commissaire de procéder par voie d’enquête administrative révélait qu’un tel recours était préférable à une poursuite pénale. De plus, même si la collaboration avec les enquêteurs est facultative, le paragraphe 508.6(1) de la Loi précise que l’assistance que l’auteur a apportée au commissaire joue lorsqu’il s’agit de déterminer le montant d’une SAP, au besoin, à la fin de l’enquête. L’avis offrait la possibilité aux représentants de Rebel News, s’ils le souhaitaient, de fixer une entrevue avec les enquêteurs ou, subsidiairement, de soumettre tous les faits et renseignements pertinents, ainsi que toute observation écrite concernant la publicité électorale reprochée et la qualité de Rebel News en tant que tiers.

[15] Le 23 janvier 2020, M. Levant a participé à une entrevue avec deux enquêteurs du CEF.

[16] Un enquêteur du CEF a rédigé un rapport de recommandation sur l’observation et le contrôle d’application de la Loi daté du 30 mars 2020. Ce rapport exposait en détail les faits et les renseignements recueillis dans le cadre de l’enquête administrative et recommandait le renvoi du dossier à l’Unité de l’observation du CEF pour qu’elle évalue la mesure qui s’imposait.

[17] L’Unité de l’observation a rédigé un rapport de recommandation daté du 11 janvier 2021 [rapport de recommandation]. Suivant son analyse, entre autres, l’ouvrage en soi ne constituait pas une « publicité électorale ». Toutefois, les placards en constituaient parce qu’ils affichaient un message publicitaire contrecarrant un parti enregistré diffusé pendant la période électorale. De plus, la description des communications qui ne constituent pas de la publicité électorale en rapport avec la promotion et la distribution d’ouvrages (alinéa b) de la définition de « publicité électorale » énoncée au paragraphe 2(1)) ne s’applique pas parce que le [traduction] « projet intégral » avait été planifié et exécuté de manière à coïncider avec l’élection. L’analyse a exposé les facteurs sous-tendant la conclusion selon laquelle la mise en vente de l’ouvrage était prévue pour ce moment‐là parce qu’il devait y avoir une élection générale et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Rebel News avait contrevenu à l’article 352 et au paragraphe 353(1) de la Loi. Les SAP de 1 500 $ pour chaque infraction étaient donc justifiées.

[18] Le 25 janvier 2021, le gestionnaire de l’Unité de l’observation a signifié à Rebel News les deux procès‐verbaux dressés par le sous‐commissaire du CEF pour infraction aux articles 352 et 353 de la Loi, imposant à cette dernière les SAP recommandées dans le rapport de recommandation.

[19] Par voie de lettre datée du 4 février 2021 et conformément à l’article 521.14 de la Loi, l’avocat de Rebel News a présenté une demande de révision par le commissaire des infractions reprochées et des SAP. Le 1er avril 2021, l’avocat de Rebel News a présenté des observations écrites et des éléments de preuve à l’appui de la demande de révision. Rebel News était d’avis que le processus du CEF et la verbalisation qui en avait découlé étaient inconstitutionnels, que Rebel News avait été inéquitablement visée et que l’ouvrage et sa promotion ne constituaient pas de la publicité électorale parce qu’ils relevaient de la catégorie prévue à l’alinéa 2(1)b) de la définition de « publicité électorale ». Rebel News a affirmé que des renseignements publics appuyaient cette thèse.

[20] Dans une lettre datée du 12 juillet 2021, le commissaire a répondu à la demande de révision et a confirmé les infractions à la Loi et les SAP. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

Décision du commissaire

[21] Dans sa lettre de décision, le commissaire a d’abord donné un aperçu des faits et du processus ayant précédé sa révision de novo de la décision du sous‐commissaire quant à la verbalisation. Le commissaire a déclaré que sa décision était fondée sur les observations de Rebel News et tous les documents contenus dans le dossier communiqué à Rebel News par suite de sa demande de révision. Plus particulièrement, il a examiné la recommandation d’enquête (5 décembre 2019), l’avis (9 décembre 2019), le rapport de recommandation de l’enquêteur et ses pièces 1 à 29 (30 mars 2020) et le rapport de recommandation de l’Unité de l’observation (11 janvier 2021).

[22] Le commissaire a ensuite présenté un résumé de ses conclusions, fondées sur les observations et les éléments de preuve, selon la prépondérance des probabilités :

  1. les placards distribués et exposés par Rebel News pendant la période électorale de la 43e élection générale fédérale constituaient une publicité électorale;

  2. les placards ne présentaient pas les renseignements requis par l’article 352 de la Loi;

  3. Rebel News a engagé des dépenses d’au moins 500 $ pour la diffusion de son message publicitaire électoral pendant la période électorale, mais a omis de s’enregistrer à titre de tiers, comme l’exige le paragraphe 353(1) de la Loi;

  4. la décision du sous‐commissaire d’imposer des SAP à Rebel News pour infraction à l’article 352 et au paragraphe 353(1) de la Loi était raisonnable et n’était pas contraire à la Charte.

[23] Avant d’expliquer la façon dont il est parvenu à ces conclusions, le commissaire a abordé, à titre de question préliminaire, l’argument de Rebel News selon lequel elle avait été injustement visée. Le commissaire a fait remarquer que Rebel News avait adopté cette thèse parce que deux autres ouvrages qui faisaient la promotion du premier ministre, à son avis, avaient été publiés pendant la période électorale et n’avaient pas fait l’objet d’une enquête par le bureau du commissaire. Le commissaire a conclu qu’en application de l’article 510 de la Loi, il ne pouvait être empêché d’enquêter sur une affaire au motif que d’autres pourraient ou devraient faire l’objet d’une enquête. Selon lui, la jurisprudence étayait cet avis (renvoi à Première Nation d’Ochapowace c Canada (Procureur général), 2007 CF 920 [Ochapowace] et R c Bears, [1988] 2 RCS 387, aux p 410‐411). Rebel News n’avait pas non plus produit de preuve indiquant que la décision du sous‐commissaire était fondée sur une considération ou un parti pris indus. Au contraire, l’enquête a été amorcée après la réception de sept plaintes, qui ont été communiquées à Rebel News.

[24] Le commissaire a ensuite expliqué le raisonnement qui l’avait mené à conclure que les placards de Rebel News constituaient de la publicité électorale au sens du paragraphe 2(1) de la Loi. Il a fait remarquer que, pour qu’une communication constitue de la publicité électorale, elle doit : 1) être un message publicitaire; 2) être diffusée au public; 3) être diffusée pendant une période électorale; 4) favoriser ou contrecarrer un parti ou un candidat à l’élection enregistré. Selon la thèse de Rebel News, les placards ne constituaient pas de la publicité électorale parce qu’ils visaient non pas à contrecarrer le Parti libéral du Canada, son chef ou ses candidats, mais à promouvoir la vente de l’ouvrage. Toutefois, au vu des éléments de preuve dont il disposait et des motifs résumés dans le rapport de recommandation, le commissaire n’était pas du même avis.

[25] Le commissaire a fait remarquer que Rebel News s’appuyait sur la définition de « publicité électorale » qui figure au paragraphe 2(1) de la Loi, plus particulièrement l’alinéa b) de cette définition, que je vais reproduire ici pour en faciliter la consultation :

Définitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[...]

publicité électorale Diffusion, sur un support quelconque et pendant une période électorale, d’un message publicitaire qui favorise ou contrecarre un parti enregistré ou l’élection d’un candidat, notamment par une prise de position sur une question à laquelle est associé un parti enregistré ou un candidat. Il est entendu que ne sont pas considérés comme de la publicité électorale :

[...]

b) la promotion ou la distribution, pour une valeur non inférieure à sa valeur commerciale, d’un ouvrage dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection;

[...]

[26] Le commissaire a fait remarquer que, dans ses observations accompagnant sa demande de révision, Rebel News a interprété l’alinéa b) de la définition de « publicité électorale » qui figure au paragraphe 2(1) comme une [traduction] « exemption relative aux ouvrages ». Selon le commissaire, cette disposition sert à préciser que la publicité électorale ne comprend pas « la promotion ou la distribution, pour une valeur non inférieure à sa valeur commerciale, d’un ouvrage dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection ». Il a déclaré qu’il ressort clairement du passage souligné que l’alinéa b) de la définition de « publicité électorale » prévue au paragraphe 2(1) (par souci de commodité, paragraphe 2(1)b)) ne s’applique manifestement qu’à un ouvrage qui aurait été publié, que l’élection ait été déclenchée ou non.

[27] Le commissaire a conclu que la précision apportée par le paragraphe 2(1)b) ne s’appliquait pas dans l’affaire dont il était saisi parce que Rebel News avait planifié le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection.

[28] À cet égard, le commissaire a affirmé que les éléments de preuve recueillis par les enquêteurs de sources facilement accessibles dans Internet permettaient d’établir que Rebel News avait l’intention de lancer l’ouvrage et de distribuer les placards précisément à la date de délivrance du bref et pendant la période électorale qui a suivi. Le commissaire a énuméré certaines des communications publiées par Rebel News sur son site Web et son compte Twitter, dont une vidéo publiée sur le site Web de Rebel News, et a fait référence à un aveu de M. Levant lors de son entrevue au cours de laquelle il a admis qu’il avait planifié le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection.

[29] Le commissaire a conclu qu’au lieu de promouvoir l’ouvrage, les placards et la campagne de placards visaient très probablement à contrecarrer le Parti libéral et l’élection de son chef et de certains de ses candidats. Le commissaire a également pris en compte les publications Twitter et les mots-clics de Rebel News sur les placards qui, selon lui, avaient rapport à l’élection plutôt qu’à la promotion de l’ouvrage. De plus, Rebel News avait commandé des milliers de placards et demandé que les gens contribuent au financement de ses placards – des activités généralement menées par des entités politiques réglementées (comme les candidats et les partis politiques) et des tiers. Le commissaire a également souscrit aux motifs factuels sous-tendant la conclusion du sous‐commissaire selon laquelle les placards constituaient une publicité électorale, motifs que le commissaire a résumés et énumérés.

[30] Compte tenu de tout ce qui précède, le commissaire a conclu que les placards distribués et exposés par Rebel News pendant la période électorale constituaient de la publicité électorale par un tiers.

[31] En ce qui concerne l’article 352, le commissaire a fait remarquer que cette disposition exige qu’un tiers qui diffuse de la publicité électorale pendant la période électorale inclue dans le message publicitaire, de façon qui soit clairement visible ou autrement accessible, son nom, son numéro de téléphone, son adresse municipale ou Internet et qu’il indique que le message publicitaire a été autorisé par le tiers. Le commissaire a déclaré que cette exigence a pour objet important d’assurer la transparence à l’égard des personnes à l’origine de la publicité électorale et qui la paient. En ce qui a trait à la 43e élection générale fédérale, le commissaire a conclu que Rebel News était un tiers au sens de la Loi. Par conséquent, ses messages publicitaires électoraux devaient être conformes à l’article 352. Étant donné que ses placards ne présentaient pas les renseignements requis, ils contrevenaient à l’article 352 de la Loi.

[32] Quant au paragraphe 353(1), le commissaire a déclaré qu’il exige qu’une personne, une société ou un groupe s’enregistre auprès d’Élections Canada, à titre de tiers, immédiatement après avoir engagé des dépenses totalisant 500 $ ou plus pour des activités partisanes, de la publicité électorale et des sondages électoraux qui sont effectués, diffusés ou menés respectivement au cours d’une période électorale. Rebel News avait refusé de fournir aux enquêteurs du CEF tout renseignement concernant les frais qu’elle avait engagés pour la production et la distribution de ses placards, au‐delà d’une caricature fournie par M. Levant. Cependant, les renseignements recueillis à partir du site Web de Rebel News, que le commissaire a décrits, laissent entendre que Rebel News avait très probablement engagé des dépenses dépassant de beaucoup le seuil minimal de 500 $ requis pour l’enregistrement d’un tiers. Le commissaire était convaincu que, même si elle avait engagé des dépenses supérieures à 500 $ pour ses messages publicitaires électoraux diffusés pendant la période électorale, Rebel News ne s’était pas enregistrée en tant que tiers et, par conséquent, a contrevenu au paragraphe 353(1) de la Loi.

[33] Le commissaire a également conclu que les SAP imposées étaient conformes à sa Politique pour le régime de sanctions administratives pécuniaires.

[34] En ce qui concerne les arguments de Rebel News relatifs à la Charte, le commissaire a rejeté l’argument selon lequel le sous‐commissaire avait porté atteinte à ses droits garantis par la Charte parce que M. Levant n’avait pas été mis en garde avant d’être interrogé. Le commissaire a souligné qu’il s’agissait d’une enquête administrative, et non pénale, et que M. Levant avait participé volontairement à l’entrevue. Dans le cadre d’une enquête administrative, une personne peut être interrogée sans être mise en garde (Canada (Agence des services frontaliers) c Tao, 2014 CAF 52 aux para 26-28). De plus, il s’agissait de la conduite de Rebel News qui était en litige, et Rebel News faisait l’objet de l’enquête, et non M. Levant. Les procès‐verbaux ont été dressés contre Rebel News, une entité constituée en société, qui n’est pas protégée par la garantie prévue à l’alinéa 11c) de la Charte contre l’auto‐incrimination, qui protège uniquement les personnes (R c Amway, [1989] 1 RCS 21).

[35] Le commissaire a ensuite fait remarquer que Rebel News ne contestait pas la constitutionnalité de l’article 352 et du paragraphe 353(1) de la Loi. Elle a plutôt soutenu que les décisions du sous‐commissaire étaient inconstitutionnelles parce qu’elles violaient le droit de Rebel News à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, protégées par l’alinéa 2b) de la Charte. Toutefois, Rebel News n’a présenté aucun argument ni aucun élément de preuve pour étayer cette allégation.

[36] Citant l’arrêt Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 [Doré], le commissaire a défini le critère à appliquer lorsqu’il est appelé à déterminer si l’interprétation d’une loi habilitante par un décideur porte atteinte à un droit garanti par la Charte. Selon lui, il s’agit d’un critère servant à évaluer le caractère raisonnable, muni des « réflexes justificateurs » de l’analyse au regard de l’article premier de la Charte, soit la mise en balance proportionnée. Le commissaire a déclaré que l’arrêt Doré exige du décideur administratif qui prend des décisions discrétionnaires qu’il concilie les valeurs consacrées par la Charte en jeu et les objets de sa loi habilitante.

[37] De plus, le commissaire a fait remarquer que, dans l’arrêt Harper c Canada (Procureur général), 2004 CSC 33 [Harper], la Cour suprême du Canada a affirmé que les articles 352 et 353 de la Loi prévoient deux objectifs convaincants et réels : 1) promouvoir la mise en œuvre et l’application du régime de financement des tiers, et 2) assurer la transparence en fournissant aux électeurs l’information pertinente concernant les tiers qui participent à des activités réglementées, comme la publicité électorale. De plus, même si les exigences prévues aux articles 352 et 353 restreignent la liberté d’expression des tiers, la Cour suprême, dans l’arrêt Harper, a conclu que les restrictions sont minimales, raisonnables et manifestement justifiées au regard de l’article premier de la Charte.

[38] Le commissaire a conclu, compte tenu des objectifs impérieux du régime applicable aux tiers prévu par la Loi, que les prescriptions imposées à l’article 352 et au paragraphe 353(1) de la Loi portaient une atteinte minimale aux droits à la liberté d’expression de Rebel News garantis par la Charte. Par conséquent, la décision du sous‐commissaire, qui a dressé le procès-verbal, était raisonnable et ne contrevenait pas à la Charte.

Dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes

Loi électorale du Canada, LC 2000, ch 9

Définitions

2(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[...]

publicité électorale Diffusion, sur un support quelconque et pendant une période électorale, d’un message publicitaire qui favorise ou contrecarre un parti enregistré ou l’élection d’un candidat, notamment par une prise de position sur une question à laquelle est associé un parti enregistré ou un candidat. Il est entendu que ne sont pas considérés comme de la publicité électorale :

a) la diffusion d’éditoriaux, de débats, de discours, de nouvelles, d’entrevues, de chroniques, de commentaires ou de lettres;

b) la promotion ou la distribution, pour une valeur non inférieure à sa valeur commerciale, d’un ouvrage dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection;

c) l’envoi d’un document par une personne ou un groupe directement à ses membres, actionnaires ou employés;

d) la diffusion par un individu, sur une base non commerciale, de ses opinions politiques sur Internet;

e) les appels téléphoniques destinés uniquement à inciter les électeurs à voter.

SECTION 2

Activités partisanes, publicité électorale et sondages électoraux pendant la période électorale

[...]

Interdiction : esquiver les plafonds

351 Il est interdit au tiers d’esquiver ou de tenter d’esquiver les plafonds prévus à l’article 350, notamment en se divisant lui‐même en plusieurs tiers ou en agissant de concert avec un autre tiers de sorte que la valeur totale de leurs dépenses d’activité partisane, de leurs dépenses de publicité électorale et de leurs dépenses de sondage électoral dépasse ces plafonds.

[...]

Information à fournir dans la publicité

352 Les tiers doivent mentionner leur nom dans tout message de publicité électorale, ainsi que leur numéro de téléphone et leur adresse municipale ou leur adresse Internet d’une façon qui soit clairement visible ou autrement accessible, et y indiquer que sa diffusion a été autorisée par eux.

Obligation de s’enregistrer

353 (1) Le tiers doit s’enregistrer dès qu’il a engagé des dépenses de 500 $, au total, au titre des dépenses suivantes :

a) des dépenses d’activité partisane qui se rapportent à des activités partisanes tenues pendant la période électorale;

b) des dépenses de publicité électorale qui se rapportent à des messages de publicité électorale diffusés pendant cette période;

c) des dépenses de sondage électoral qui se rapportent à des sondages électoraux effectués pendant cette période.

Contrôle judiciaire

555(1)

Intimé – commissaire

(2) Lorsqu’une demande en contrôle judiciaire d’une décision du commissaire est présentée, celui‐ci agit à titre d’intimé.

Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‐U.) 1982, ch 11

Droits et libertés au Canada

1 La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Libertés fondamentales

2 Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[...]

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

[...]

Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‐U.) 1982, ch 11

Primauté de la Constitution du Canada

52 (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Questions en litige et norme de contrôle

[39] Les questions soulevées par les parties en l’espèce peuvent être formulées ainsi :

  1. La décision du commissaire était‐elle raisonnable?

    1. Le commissaire a‐t‐il appliqué le mauvais critère juridique ou effectué la mauvaise analyse?

    2. Le commissaire a‐t‐il écarté des éléments de preuve ou des observations?

    3. Le commissaire a‐t‐il bien tenu compte des valeurs consacrées par la Charte?

  2. La disposition contestée, soit l’alinéa 2(1)b), porte‐t‐elle atteinte aux droits garantis à Rebel News par l’alinéa 2b) de la Charte?

  3. Dans l’affirmative, l’atteinte est‐elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte?

[40] Lorsqu’une cour examine une décision administrative au fond, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 23, 25 [Vavilov]). Rebel News et le commissaire soutiennent que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la décision du commissaire. Je suis d’accord.

[41] « La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci [...] » (Vavilov, au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’établir qu’elle est déraisonnable, et la Cour doit être convaincue que la lacune ou la déficience soulevée par cette partie est suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100.)

La décision du commissaire était‐elle raisonnable?

Thèse de Rebel News

[42] Rebel News soutient d’abord que la décision du commissaire n’était pas raisonnable parce que son raisonnement comportait des lacunes et parce qu’il a fait fi d’éléments de preuve ou ne les a pas véritablement analysés.

[43] Rebel News fait valoir que, même si le commissaire a déterminé la question pertinente pour l’application de l’alinéa 2(1)b), soit celle de savoir si l’ouvrage aurait été publié sans égard au déclenchement de l’élection, il a évalué une autre question, à savoir si Rebel News avait planifié le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection. Le commissaire a donc confondu deux questions distinctes et s’est préoccupé de manière déraisonnable de la question de savoir si, au moment où Rebel News a publié et promu l’ouvrage, elle avait l’intention de le faire pendant la période électorale de 2019. Il y a donc lieu de se demander si le commissaire a appliqué le bon critère juridique ou n’a pas procédé à la bonne analyse.

[44] En ce qui concerne ses éléments de preuve, Rebel News soutient que ses observations démontrent qu’elle aurait publié l’ouvrage sans égard à la tenue de l’élection, et que rien ne prouvait qu’elle n’aurait pas publié l’ouvrage après l’élection. Le commissaire n’a pas mentionné les éléments de preuve présentés par Rebel News et ne semble pas les avoir examinés. Plus particulièrement, selon les éléments de preuve présentés, le concept original de l’ouvrage était dérivé d’une couverture publiée en 2005, fondée sur une série télévisée des années 2000; l’URL (thelibranos.com) a été enregistrée en février 2016, plus de trois ans avant l’élection; Rebel News et M. Levant ont publié d’autres ouvrages critiques du premier ministre et du Parti libéral du Canada hors des périodes électorales.

[45] Rebel News fait également valoir que le commissaire n’a pas tenu compte de l’intention du législateur à l’égard de l’alinéa 2(1)b) et n’a pas [traduction] « tenu compte de la sagesse du législateur lorsqu’il a adopté » cette disposition.

[46] De plus, le commissaire a injustement visé Rebel News au motif que cette dernière est très critique envers le premier ministre et le Parti libéral du Canada et il n’a pas tenu compte des éléments de preuve selon lesquels au moins 20 autres ouvrages relatifs aux élections ont été publiés à la fin de l’été ou au début de l’automne 2019.

[47] En deuxième lieu, Rebel News soutient que la décision du commissaire enfreint la Charte. Même si le commissaire a tenu compte des objectifs de l’article 352 et du paragraphe 353(1) de la Loi, en les mettant en balance avec la liberté d’expression de Rebel News et en concluant que l’atteinte aux droits de Rebel News était minimale, l’analyse ne tient pas compte des valeurs fondamentales qui ressortent de la définition légale de la « publicité électorale », qui constitue un élément essentiel des articles 352 et 353. Rebel News fait valoir que l’alinéa 2(1)b) a pour objet de [traduction] « soustraire au contrôle du commissaire les expressions protégées dans le discours démocratique qui ne devraient pas être entravées pendant une période électorale, y compris les ouvrages et leur promotion, et décourager l’ingérence du gouvernement dans le discours politique ». Rebel News soutient que les valeurs fondamentales qui ressortent de la définition prévue à l’alinéa 2(1)b) auraient dû éclairer l’analyse du commissaire.

[48] De plus, même si le commissaire a invoqué l’arrêt Harper de la Cour suprême du Canada, Rebel News fait valoir que l’on peut distinguer cet arrêt de la présente affaire et qu’il ne s’applique pas en l’espèce. Dans l’arrêt Harper, la Cour a confirmé les limites à la publicité électorale par des tiers prévues dans la Loi, mais l’espèce porte sur une exception expresse prévue dans la Loi qui n’a pas été examinée à fond dans l’arrêt Harper.

Thèse du CEF

[49] Le CEF soutient que Rebel News demande à la Cour de procéder à un examen de novo des éléments de preuve et des observations, ce qui n’est pas l’objet du contrôle judiciaire.

[50] De plus, le commissaire a raisonnablement conclu, en se fondant sur les éléments de preuve et les observations dont il disposait, que les placards constituaient de la « publicité électorale » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi et que la précision apportée à l’alinéa 2(1)b) ne s’appliquait pas. Le commissaire a pleinement examiné et rejeté l’argument de Rebel News selon lequel les placards ne constituaient pas de la « publicité électorale » parce qu’ils faisaient la promotion d’un ouvrage qui devait être mis en vente sans égard à la tenue de l’élection. Le commissaire a donné à l’alinéa 2(1)b) une interprétation raisonnable suivant laquelle un tiers ne saurait invoquer cette disposition lorsqu’il planifiait le lancement d’un ouvrage partisan de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection. Cette interprétation comporte une logique interne claire, puisqu’un plan de publication et de commercialisation d’un ouvrage pendant une période électorale ne peut être considéré comme un plan visant à mettre en vente l’ouvrage « sans égard à la tenue de l’élection ». De plus, de nombreux éléments de preuve indiquaient que Rebel News avait prévu le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection, et le commissaire les a examinés.

[51] Le CEF fait également valoir que le commissaire n’a pas appliqué le mauvais critère juridique ou qu’il n’a pas effectué la mauvaise analyse pour déterminer si l’alinéa 2(1)b) s’appliquait, comme l’a laissé entendre Rebel News. Au contraire, le commissaire a raisonnablement interprété la disposition compte tenu du texte, du contexte et de l’objet de la disposition. Il n’est pas du ressort de la Cour de procéder à un examen de novo ou de déterminer l’interprétation « correcte » d’une disposition contestée. Même si Rebel News ne souscrit pas à l’interprétation du commissaire, cette interprétation était raisonnable.

[52] Le commissaire n’a pas non plus fait fi des éléments de preuve de Rebel News. Rebel News n’a présenté aucun élément de preuve établissant que le commissaire l’avait visée ou avait un parti pris dans le cadre de son processus décisionnel. De plus, le commissaire a explicitement affirmé dans ses motifs qu’il avait tenu compte des observations de Rebel News. Il ressort également des motifs que le commissaire a examiné les éléments de preuve et les arguments de Rebel News. Le commissaire n’était pas tenu de répondre à chaque élément de preuve ou à chaque argument. Fait important, compte tenu de l’interprétation donnée à l’alinéa 2(1)b) par le commissaire, les éléments de preuve de Rebel News concernant les travaux antérieurs liés à l’ouvrage comportaient peu de valeur probante. En d’autres termes, vu cette interprétation l’alinéa 2(1)b), les éléments de preuve n’étaient pas pertinents, compte tenu de l’importance qu’il a accordée à l’intention expresse de Rebel News de lancer l’ouvrage pendant la période électorale et aux moyens particuliers de publicité utilisés (placards).

[53] Quoi qu’il en soit, la conclusion du commissaire, selon laquelle les placards constituaient de la publicité électorale, était fondée notamment sur le moment du lancement de l’ouvrage, mais aussi sur les éléments de preuve indiquant la façon dont Rebel News et M. Levant associaient l’ouvrage et les placards à l’élection.

[54] Le CEF fait également valoir que la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte et constitue une issue raisonnable. À la première étape de l’analyse énoncée dans l’arrêt Doré, le commissaire a tenu compte des objectifs légaux en jeu. Le commissaire a fait référence à l’arrêt Harper, dans lequel la Cour suprême a conclu que les articles 352 et 353 de la Loi visent à promouvoir la mise en œuvre et l’application du régime de financement par des tiers et à assurer la transparence en permettant aux électeurs de pouvoir obtenir l’information pertinente concernant les tiers qui participent à des activités réglementées, comme la publicité électorale. À la deuxième étape, le commissaire était conscient de la valeur de la liberté d’expression protégée par la Charte et a conclu que toute atteinte était minimale – même si Rebel News n’a fourni aucun élément démontrant une atteinte à ses droits protégés par l’alinéa 2b).

[55] En réponse à l’argument de Rebel News, selon lequel le commissaire n’a pas tenu compte des [traduction] « principes et valeurs fondamentaux » qui ressortent de la définition de « publicité électorale » et de l’alinéa 2(1)b), le CEF fait valoir que ces principes et valeurs sont inhérents aux articles 352 et 353 de la Loi. Le commissaire a donc implicitement tenu compte de la définition dans la mise en balance des valeurs consacrées par la Charte en jeu et des objectifs des articles 352 et 353 de la Loi. En outre, le commissaire a raisonnablement conclu que Rebel News invoquait la liberté d’expression et la liberté de la presse. Rebel News n’a pas énoncé les autres [traduction] « principes et valeurs fondamentaux » qui sont en jeu.

[56] Rebel News affirme que l’interprétation par le commissaire de l’alinéa 2(1)b) est trop large et assujettit à un contrôle tous les ouvrages exprimant une opinion politique, et la promotion de ces derniers, s’ils sont publiés pendant une élection fédérale. En réponse, le CEF souligne que cet élément n’est pas de ceux qui doivent être examinés dans l’analyse énoncée dans les arrêts Doré et Loyola et ne rend pas la décision déraisonnable. La question relative à la portée de l’alinéa 2(1)b) ne concerne que la contestation constitutionnelle intentée par Rebel News. De plus, le critère consiste à savoir non pas s’il y a une atteinte grave à une garantie prévue dans la Charte, comme Rebel News semble le laisser entendre, mais si l’atteinte est raisonnable et se justifie dans le cadre du régime légal.

[57] Enfin, le CEF soutient que le commissaire était placé devant une alternative, à savoir faire appliquer ou ne pas faire appliquer l’article 352 et le paragraphe 353(1) de la Loi. Seul le premier permettait la réalisation des objets légaux pertinents. Par conséquent, aucune solution de rechange n’aurait mieux donné effet aux protections conférées par la Charte compte tenu des objets légaux applicables. L’analyse à laquelle le commissaire a procédée suivant l’arrêt Doré commande la retenue, car le commissaire était le mieux placé pour mettre en balance les protections conférées par la Charte et son mandat légal au vu des faits particuliers de l’affaire.

Analyse

[58] Selon les observations des parties, la question de savoir si la décision était raisonnable peut être divisée en trois questions distinctes. J’aborde chacune à tour de rôle.

a. Le commissaire a‐t‐il appliqué le mauvais critère juridique ou a‐t‐il effectué la mauvaise analyse?

[59] Rebel News et le CEF abordent cette question de points de vue quelque peu différents. Rebel News allègue un changement de norme et la possibilité d’un critère ou d’une analyse juridique erronés. Pour sa part, le CEF affirme que le commissaire a correctement interprété l’alinéa 2(1)b) et, compte tenu des éléments de preuve, a conclu que cette disposition ne s’appliquait pas en l’espèce.

[60] Plus particulièrement, Rebel News fait valoir que le commissaire dans cette affaire n’a pas appliqué le bon critère juridique ou n’a pas effectué la bonne analyse parce qu’il a confondu deux questions : celle de savoir si l’ouvrage aurait été publié sans égard à la tenue de l’élection et celle de savoir si Rebel News a prévu la publication et la promotion de l’ouvrage de manière à ce qu’elles coïncident avec l’élection.

[61] À l’audience devant moi, Rebel News a souligné que, à son avis, le raisonnement du commissaire démontrait une norme changeante. Même si, au paragraphe 23 de ses motifs, le commissaire indique le critère ou la question qui convient, à savoir si [traduction] « la mise en vente [de l’ouvrage] avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection », il ajoute au paragraphe suivant que l’alinéa 2(1)b) ne joue pas parce que [traduction] « Rebel News prévoyait le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection ». Le commissaire a donc répondu à une autre question. Lorsque la Cour lui a demandé si le problème provenait de l’interprétation de l’alinéa 2(1)b) par le commissaire, Rebel News a déclaré qu’elle ne contestait pas l’interprétation, mais que le problème concernait le « critère changeant » et l’omission par le commissaire de déterminer si l’ouvrage aurait été publié sans égard à la tenue de l’élection. En réponse, Rebel News a fait valoir qu’elle avait exposé son interprétation de l’alinéa 2(1)b) dans sa demande de révision et que, même si le commissaire n’était pas tenu d’accepter cette interprétation, il devait clairement indiquer le « critère » applicable et prendre sa décision en fonction de ce critère.

[62] Le CEF soutient que le commissaire a donné une interprétation raisonnable de la Loi, suivant laquelle il n’est pas possible à un tiers d’invoquer l’alinéa 2(1)b) s’il avait planifié le lancement et la promotion d’un ouvrage partisan de sorte qu’ils coïncident avec une élection. Même si le commissaire n’a pas procédé à une analyse législative en bonne et due forme de l’alinéa 2(1)b), il a clairement réfléchi à la définition et à ce qu’elle vise pour décider si les placards tombaient sous le coup de la définition. Au paragraphe 21 de ses motifs, il énonce la définition générale de « publicité électorale ». Au paragraphe 22, il énumère chacun des quatre éléments requis par la définition. Au vu de la preuve, il n’a pas accepté la thèse de Rebel News selon laquelle les placards ne constituaient pas de la publicité électorale parce qu’ils visaient à promouvoir l’ouvrage et non à contrecarrer le Parti libéral du Canada, son chef ou ses candidats. Fait important, le commissaire n’a pas ajouté foi à l’argument de Rebel News selon lequel l’alinéa 2(1)b) prévoit une exception relative aux ouvrages et, à la lumière de la Note d’interprétation d’Élections Canada : 2020‐05 (novembre 2020) – Publicité partisane et électorale sur Internet [Note d’interprétation], il a conclu que cette disposition apportait simplement une précision. Le CEF soutient que le commissaire a circonscrit la bonne question, à savoir si « la mise en vente [de l’ouvrage] avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection ». De plus, au paragraphe 24, en concluant que l’alinéa 2(1)b) ne s’appliquait pas en l’espèce, le commissaire ne posait pas de question nouvelle ou différente.

[63] Lorsqu’il a comparu devant moi, le CEF a soutenu que, au paragraphe 24, le commissaire formulait une conclusion de fait fondée sur les éléments de preuve. Plus particulièrement, il a conclu que Rebel News avait planifié le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection. Le CEF soutient que l’alinéa 2(1)b) oblige le commissaire à tenir compte du moment (la planification et la date de lancement de l’ouvrage) et de l’intention (sera-t-il publié sans égard à la tenue de l’élection?). Par conséquent, la conclusion du commissaire selon laquelle Rebel News avait planifié le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection ne répondait pas à une question différente.

i. Principes généraux applicables

[64] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême conclut qu’une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur elle. Ce contexte comprend le régime légal applicable, les règles de common law applicables, les principes d’interprétation législative, les éléments de preuve présentés au décideur et les observations des parties (Vavilov, aux para 105-107). Étant donné que les décideurs administratifs tiennent leurs pouvoirs de la loi, le régime légal applicable est habituellement l’aspect le plus important du contexte juridique d’une décision donnée. L’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être conforme à l’objet pour lequel il a été donné, et les décisions administratives doivent également se conformer à toutes les restrictions particulières imposées par le régime légal applicable, comme les définitions prévues par la loi (Vavilov, au para 108).

[65] Quant aux questions d’interprétation de la loi, elles doivent être évaluées au regard de la norme de la décision raisonnable, et la cour de révision doit examiner la décision administrative dans son ensemble, y compris les motifs fournis par le décideur et le résultat obtenu (Vavilov, aux para 115 et 116). La cour de révision doit appliquer le « principe moderne » en matière d’interprétation des lois, c’est‐à‐dire, les termes d’une loi doivent être lus « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Vavilov, au para 117, citant les arrêts Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21, et Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42 au para 26, citant tous deux E. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983 à la p. 87). Cette approche est nécessaire parce que c’est uniquement à partir du texte de loi, de l’objet de la disposition législative et du contexte dans son ensemble qu’il est possible de saisir l’intention du législateur. Une méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit tenir pour acquis que les instances chargées d’interpréter la loi effectueront cet exercice conformément à ce principe (Vavilov, au para 118). Les décideurs administratifs ne sont pas tenus dans tous les cas de procéder à une interprétation formaliste de la loi, et leur expertise spécialisée peut parfois les amener à s’en remettre à des considérations qu’une cour de justice n’aurait pas songé à évoquer, mais qui enrichissent et rehaussent bel et bien l’interprétation (Vavilov, au para 119). Néanmoins, l’interprétation doit être conforme au texte, au contexte et à l’objet de la disposition. Lorsque le sens est contesté, le décideur doit démontrer dans ses motifs qu’il était conscient de ces éléments essentiels (Vavilov, au para 120). Il se peut que le décideur administratif n’examine pas expressément dans ses motifs le sens d’une disposition pertinente, mais que la cour de révision soit en mesure de discerner l’interprétation adoptée à la lumière du dossier et de se prononcer sur le caractère raisonnable de cette interprétation (Vavilov, au para 123).

ii. Objet du régime de publicité électorale applicable à des tiers

[66] En guise de contexte, il est peut‐être utile de traiter brièvement de l’arrêt Harper prononcé par la Cour suprême du Canada à ce stade-ci de l’analyse, car il porte sur l’objectif des plafonds de dépenses électorales, y compris celles engagées par des tiers. Dans l’arrêt Harper, la Cour renvoie à un arrêt antérieur, Libman c Québec (Procureur général), [1997] 3 RCS 569 [Libman]. Dans cette affaire, elle était appelée à déterminer la constitutionnalité du plafonnement des dépenses des indépendants prévu dans la Loi sur la consultation populaire, LRQ ch C‐64.1. La Cour suprême reconnaît que le plafonnement des dépenses des indépendants prévu par la Loi sur la consultation populaire n’était pas justifié. Toutefois, elle reconnaît que la restriction des dépenses est un moyen essentiel de favoriser l’équité à l’occasion des référendums et des élections (Harper, au para 61). Dans l’arrêt Harper, la Cour fait remarquer que, dans l’arrêt Libman, à la lumière du Rapport Lortie (Canada, Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, Pour une démocratie électorale renouvelée : Rapport de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, Ottawa, Commission royale (Pierre Lortie)) elle fait siens plusieurs principes applicables à la réglementation des dépenses électorales en général et des dépenses des indépendants ou de tiers en particulier, qu’elle énonce. Elle tire ensuite la conclusion suivante :

62 Comme en témoignent ces principes, la conception qu’a la Cour de l’équité électorale est compatible avec le modèle électoral égalitaire adopté par le Parlement comme composante essentielle de notre société démocratique. Ce modèle repose sur l’idée que chacun doit avoir une chance égale de participer au processus électoral. Suivant ce modèle, la richesse constitue le principal obstacle à l’égalité de participation : c Feasby, « Libman v. Quebec (A.G.) and the Administration of the Process of Democracy under the Charter : The Emerging Egalitarian Model » (1999), 44 R.D. McGill 5. En conséquence, le modèle égalitaire préconise un processus électoral où il faut empêcher les nantis de dominer le processus au détriment des personnes possédant des ressources financières moins grandes. Il existe deux façons pour l’État d’instaurer l’égalité de participation dans le processus électoral : O. M. Fiss, The Irony of Free Speech (1996), p. 4. Premièrement, l’État peut donner une voix à ceux qui ne pourraient autrement se faire entendre. C’est ce que fait la Loi en prévoyant le remboursement des dépenses des candidats et des partis politiques et en attribuant du temps d’antenne aux partis politiques. Deuxièmement, l’État peut atténuer les voix qui dominent le discours politique pour que d’autres voix puissent elles aussi se faire entendre. Au Canada, le législateur a choisi de régir le processus électoral principalement au moyen de la deuxième solution, soit en réglementant les dépenses électorales par des dispositions exhaustives sur le financement des élections. Ces dispositions visent à permettre à ceux qui souhaitent participer au débat électoral de le faire à armes égales. Leur participation permet aux électeurs d’être mieux informés; aucune voix n’est étouffée par une autre. À l’opposé, le modèle électoral libertaire préconise un processus électoral comportant le plus petit nombre possible de restrictions.

63 L’actuel régime de publicité électorale des tiers a été instauré par le Parlement à la suite de l’arrêt Libman de notre Cour. La structure du régime s’inspire clairement du modèle égalitaire. L’objectif primordial du régime consiste à favoriser l’équité électorale en créant une situation d’égalité dans le débat politique. Il appuie la diffusion égale des points de vue en limitant la publicité électorale des tiers qui, comme l’a reconnu notre Cour, sont des participants importants et influents dans le processus électoral. En définitive, l’avancement de l’égalité et de l’équité en matière électorale stimule la confiance du public dans le système électoral. Ainsi, de façon générale, le régime de publicité électorale applicable aux tiers est conforme à la conception égalitaire des élections et aux principes avalisés par notre Cour dans Libman.

[Non souligné dans l’original.]

[67] La Cour suprême, dans l’arrêt Harper, conclut que, même si les dispositions contestées de la Loi, y compris les articles 352 et 353, enfreignent l’alinéa 2b) de la Charte, cette restriction est raisonnable au regard de l’article premier de la Charte.

iii. Analyse

[68] Comme il est indiqué plus haut, dans ses observations à la Cour, Rebel News n’affirme pas que le commissaire a commis une erreur dans son interprétation de l’alinéa 2(1)b). Elle affirme plutôt que, même si le commissaire a déterminé la bonne question pour l’analyse qu’appelle l’alinéa 2(1)b), soit celle de savoir si l’ouvrage aurait été publié sans égard au déclenchement de l’élection, il a évalué une autre question, à savoir si Rebel News avait planifié le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncider avec l’élection. Selon Rebel News, il faut se demander si le commissaire a appliqué le mauvais critère juridique ou procédé à une analyse erronée.

[69] Dans ses observations écrites, le CEF affirme que le commissaire a raisonnablement interprété l’alinéa 2(1)b) à la lumière du texte, du contexte et de l’objet de cette disposition et qu’il a rendu une conclusion fondée sur les faits et les éléments de preuve dont il disposait. Il affirme en outre que l’interprétation et le raisonnement du commissaire étaient transparents, justifiés et intelligibles. Le commissaire a donné une interprétation de l’alinéa 2(1)b) qui empêche un tiers d’invoquer cette disposition s’il planifiait délibérément le lancement d’un ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection. Selon le CEF, cette interprétation [traduction] « comporte une logique interne claire, puisqu’un plan exprès de publication et de commercialisation d’un ouvrage pendant une période électorale ne saurait être considéré comme un plan visant à mettre en vente l’ouvrage “sans égard à la tenue de l’élection” ».

[70] La décision du commissaire ne comporte pas d’analyse en bonne et due forme relative à l’interprétation de l’alinéa 2(1)b). Toutefois, le commissaire a conclu que cette disposition ne s’appliquait pas dans les cas où les éléments de preuve permettent d’établir qu’un tiers planifiait délibérément le lancement d’un ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection.

[71] La conclusion du commissaire est fondée sur les quatre éléments nécessaires de la définition de « publicité électorale ». Il a rejeté la thèse de Rebel News, selon laquelle les placards ne constituaient pas de la publicité électorale parce qu’ils ne visaient pas à contrecarrer le Parti libéral du Canada, son chef ou ses candidats, mais qu’ils visaient plutôt à promouvoir la vente de l’ouvrage. Selon les éléments de preuve dont le commissaire disposait et les raisons résumées dans le rapport de recommandation, le commissaire ne souscrivait pas à la thèse de Rebel News.

[72] En ce qui concerne l’alinéa 2(1)b) en soi, le commissaire déclare ce qui suit

[traduction]

23. Rebel News invoque ce qu’elle appelle « l’exemption de publication ou de promotion »14 qui est énoncée dans la définition de publicité électorale au paragraphe 2(1) de la Loi. La partie pertinente de l’alinéa b) de la définition de « publicité électorale » précise ce qui suit : il est entendu que ne sont pas considérées comme de la publicité électorale « la promotion ou la distribution, pour une valeur non inférieure à sa valeur commerciale, d’un ouvrage dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection » [non souligné dans l’original]. Il ressort clairement du passage souligné que cette « exemption relative aux ouvrages » s’applique uniquement à l’égard d’un ouvrage qui aurait été publié sans égard au déclenchement de l’élection.

24. Je suis d’avis que la précision qui figure à l’alinéa 2(1)b) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce parce que Rebel News avait planifié le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection.

[73] La note de bas de page 14 renvoie à la Note d’interprétation d’Élections Canada, et un hyperlien vers ce document sur le site Web d’Élections Canada figure à la note de bas de page 12. À la note de bas de page 14, le commissaire indique que, dans la Note d’interprétation, Élections Canada fait remarquer que les communications décrites aux alinéas a) à e) du paragraphe 2(1) de la Loi, relativement à la définition de « publicité électorale », ne constituent pas des exceptions. Il s’agit plutôt de précisions des types de communications ou d’activités qui ne constituent pas de la publicité électorale en vertu de la Loi.

[74] La Note d’interprétation porte sur le sens de « publicité électorale » :

Analyse et interprétation proposée

Définitions de « publicité partisane » et de « publicité électorale »

La LEC tient compte du fait que certaines communications électorales servent à exprimer un avis, une opinion ou des renseignements qui ne sont pas considérés comme de la publicité. Au sens de l’article 2, la publicité partisane ou électorale est essentiellement un message publicitaire favorisant ou contrecarrant, directement ou indirectement, une entité politique déterminée. Elle fournit ensuite des exemples de ce qui ne constitue pas de la publicité. Deux éléments présentent un intérêt particulier.

Premièrement, les communications faisant partie de la liste de ce qui ne constitue pas une publicité sont présentées comme des exemples « déjà exclus » de chaque définition, plutôt que comme des exceptions qui seraient autrement visées. Ces exemples servent donc à clarifier la définition. Cela signifie également que la liste n’est pas exhaustive; une communication qui ne correspond pas exactement à l’un des alinéas peut tout de même être exclue de la définition. Par exemple, si un alinéa donne l’exemple d’un ouvrage, un documentaire pourrait aussi échapper à la définition. De même, si un autre alinéa fait état des opinions politiques qu’un particulier diffuse sur Internet, les opinions diffusées par un groupe pourraient aussi échapper à la définition.

Deuxièmement, bien que le contenu soit un critère déterminant de ce qui constitue de la publicité selon la définition, il n’est pas pertinent pour la plupart des exemples de ce qui n’en constitue pas. La seule exception se trouve dans un alinéa concernant les appels téléphoniques destinés uniquement à inciter les électeurs à voter, lequel est issu du projet de loi C‐23 (L.C. 2014, ch. 12). Ce point est primordial, car il confirme que le contenu ne permet pas à lui seul de déterminer ce qui constitue de la publicité. Une publicité partisane ou électorale doit comprendre un message publicitaire d’une part, et favoriser ou contrecarrer une entité politique déterminée d’autre part. Le fait que le message serve à favoriser ou à contrecarrer une entité politique n’est pas suffisant, car ce pourrait aussi être le cas d’éditoriaux, de débats ou de livres, qui ne constituent absolument pas de la publicité.

En examinant de plus près les définitions de « publicité partisane » et de « publicité électorale », on constate qu’elles comprennent quatre éléments essentiels :

1. il doit s’agir d’un message publicitaire;

2. le message doit favoriser ou contrecarrer une entité politique déterminée; pendant une période électorale, cela comprend le fait de favoriser ou de contrecarrer une entité politique en prenant position sur une question à laquelle l’entité est associée;

3. le message doit être diffusé au public;

4. le message doit être diffusé pendant la période préélectorale (publicité partisane) ou la période électorale (publicité électorale).

Deux de ces éléments ne nous éclairent en rien sur le sens global de « publicité ». Pour déterminer si un message est favorable ou défavorable à une entité politique déterminée, ce qui comprend la prise de position en période électorale sur une question à laquelle l’entité est associée, il faut surtout examiner les faits au cas par cas. En revanche, la « période préélectorale » et la « période électorale » sont clairement définies à l’article 2 de la LEC, et leur signification ne prête pas à débat. L’analyse qui suit met donc l’accent sur les premier et troisième éléments de la liste afin de répondre à deux questions : qu’entend‐on par diffuser un message « to the public » (expression figurant dans la définition anglaise), et qu’est‐ce qu’une publicité exactement?

[75] Même si les guides d’interprétation, comme les lignes directrices officieuses, ne lient pas les décideurs administratifs, ils sont utiles pour indiquer ce qui constitue une interprétation raisonnable d’une disposition législative donnée. Les décideurs administratifs peuvent examiner ces documents dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, mais ils doivent aussi se pencher sur les circonstances particulières de l’affaire dont ils sont saisis et ne pas entraver leur pouvoir discrétionnaire en traitant ces lignes directrices comme si elles constituaient des exigences obligatoires (voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 32).

[76] En l’espèce, la définition prévue au paragraphe 2(1) énonce les quatre éléments qui constituent une publicité électorale – que le commissaire a pris en considération dans sa décision. Il précise ensuite les éléments qui ne sont pas considérés comme de la publicité électorale.

[77] Je suis d’accord avec le CEF pour dire que les alinéas a) à e) du paragraphe 2(1) ne sont pas des exceptions à la définition de publicité électorale, mais constituent des exemples visant à préciser ce qui n’est pas visé par cette définition. À cet égard, je fais remarquer que, lorsque le législateur a l’intention de créer une exception, il indique clairement qu’il s’agit d’une exception, notamment en précisant que la disposition ne s’applique pas dans certains cas (p. ex., para 43.1(2), 45(3), 48(3) et 57(4)). La Loi comprend également des dispositions désignées comme des précisions. Par exemple, le paragraphe 71.1(4), sous la rubrique « Précision », commence par l’énoncé suivant « Il est entendu que », tout comme le paragraphe 164(2). De même, le paragraphe 91(2) dispose : « Le paragraphe (1) s’applique quel que soit [...] » Je reconnais que ces exemples sont des dispositions substantielles plutôt que des définitions. Néanmoins, le passage de la définition de publicité électorale prévue au paragraphe 2(1) de la Loi qui est ainsi rédigé « Il est entendu que ne sont pas considérés comme de la publicité électorale » les alinéas a) à e), ressemble plus étroitement à d’autres précisions apportées par la Loi qu’à des exceptions.

[78] Il ressort des alinéas a) à e), si on les examine ensemble à la lumière de la partie liminaire de la définition, qu’ils énumèrent des exemples des types d’activités qui ne sont pas visées par la définition. La plupart comportent des termes visant à en mitiger la portée : alinéa b) – promotion ou distribution d’un ouvrage dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection; alinéa c) – l’envoi d’un document par une personne ou un groupe directement à ses membres [...]; alinéa d) – la diffusion par un individu, sur une base non commerciale, sur Internet; et alinéa e) – les appels téléphoniques destinés uniquement à inciter les électeurs à voter.

[79] Par conséquent, un ouvrage partisan ne constitue pas de la publicité électorale. De plus, la distribution d’un tel ouvrage et sa promotion aux fins de la vente ne tombent pas sous le coup de la définition de publicité électorale si sa « mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection. » La question de savoir si cette mitigation ayant trait à la « planification » joue est tranchée en fonction des faits.

[80] Par conséquent, je suis d’accord avec le CEF pour dire que, pour déterminer si les placards constituaient de la « publicité électorale », le commissaire a nécessairement mené une enquête factuelle sur ce qui était prévu pour la promotion de l’ouvrage et a cherché à savoir si ce programme dépendait ou non de la tenue de l’élection – autrement dit, si le calendrier prévu pour la promotion était directement lié à l’élection. Étant donné ce qui précède, je ne suis pas d’accord avec Rebel News pour dire que le commissaire a appliqué le mauvais critère ou effectué la mauvaise analyse. Selon le rapport de recommandation, l’alinéa 2(1)b) ne s’applique pas, car il aurait fallu, pour qu’il joue, que « la mise en vente [de l’ouvrage] a[it] été planifiée sans égard à la tenue de l’élection ». Toutefois, [traduction] « [i]l semble clair ici que l’ensemble du projet avait été planifié et exécuté de manière à coïncider avec la 43e élection générale, comme l’a indiqué M. Levant au cours de son entrevue. » Le commissaire a souscrit au raisonnement indiqué dans ce rapport de recommandation et, au vu de la preuve, il n’était pas d’accord avec Rebel News pour dire que les placards ne visaient pas à contrecarrer le Parti libéral du Canada, son chef ou ses candidats, mais visaient plutôt à promouvoir la vente de l’ouvrage. Le commissaire a conclu que Rebel News avait planifié (intention) le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection (calendrier) et a énoncé les éléments de preuve étayant cette conclusion.

[81] Les motifs du commissaire démontrent qu’il s’intéressait à ce que Rebel News avait planifié quant au calendrier du lancement et de la promotion de l’ouvrage et sur ce qu’il avait l’intention d’accomplir à cet égard :

[traduction]

25 Les éléments de preuve recueillis par les enquêteurs sur Internet permettent d’établir manifestement, selon la prépondérance des probabilités, que Rebel News avait l’intention de lancer l’ouvrage et de distribuer les placards précisément au moment de la délivrance du bref pour l’élection et pendant la période électorale qui a suivi.

Rebel News a lancé l’ouvrage le 9 septembre 2019 ou vers cette date, et elle a commencé l’ouvrage à peu près au même moment, le poursuivant pendant la période électorale. Plus particulièrement, le 9 septembre 2019, Rebel News a publié sur son site Web un article intitulé : « how Rebel News will cover the Canadian election PLUS New book: The Libranos! » [non souligné dans l’original]. Ezra Levant déclare ce qui suit dans l’article : « [...] Et, je suis heureux de vous annoncer mes amis, mon nouveau livre, intitulé : The Libranos[...] »

Dans un gazouillis publié sur le compte Twitter de Rebel News le 9 septembre 2020, sous la rubrique « ANNONCE D’UN NOUVEAU LIVRE »; ce qui suit est indiqué @EzraLevant explique la façon dont Rebel News couvrira l’élection canadienne et présente The Libranos, [...] » [non souligné dans l’original];

Dans « Notre plan pour l’élection canadienne! » publié sur le site Web de Rebel News, ce qui suit a été trouvé sous la rubrique « Mon nouveau livre, “The Libranos” » : « Je souhaite évaluer notre premier ministre et toute son équipe. J’ai donc le plaisir d’annoncer une autre partie de notre plan de campagne : mon nouveau livre intitulé The Libranos : What the media will not say about Justin Trudeau’s corruption. », et sous « Placards » : « [...] Et je souhaite faire passer le mot à propos de l’ouvrage à l’aide de beaux placards, comme nous l’avons fait pour l’ouvrage de Sheila Gunn Reid sur l’élection en Alberta, intitulé Stop Notley. »;

Divers gazouillis figurant sur le compte Twitter de Rebel News portent le mot‐clic « #elxn43 ». Par exemple, un gazouillis publié sur le compte Twitter de Rebel News le 18 septembre 2019, indiquait « Sam et Sarah sont maintenant à #Windsor, donnant gratuitement des placards thelibranos.com! Parfait pour #elxn43 »;

Certains des gazouillis indiquaient que les placards ont été donnés juste à temps pour l’élection [non souligné dans l’original];

Un gazouillis publié sur le compte Twitter de Rebels [sic] News le 3 octobre 2019 indiquait « Pourquoi ne pas obtenir votre placard Thelibranos.com, juste à temps pour #elxn43 » [non souligné dans l’original];

Le 20 octobre 2019, Ezra Levant a partagé un gazouillis sur le compte Twitter de Rebel News pour exprimer sa satisfaction d’avoir vu les placards de Rebel News lors d’une manifestation contre M. Trudeau à Calgary : « Super de voir certains de nos placards TheLibranos.com à la manifestation Trudeau hier soir à Calgary. » Sur la photo accompagnant le gazouillis, on peut voir des gens tenant les placards de Rebel News tandis que d’autres portaient des panneaux de candidats;

Une vidéo figurant sur le site Web de Rebel News montre une personne (s’identifiant comme David TheMenzoid Menzies) conduisant un véhicule qui, selon lui, portait des placards à l’auditoire de Rebel News à Eastview (Red Deer, en Alberta) et que les partisans de Rebel pouvaient venir chercher leurs placards « The Libranos » et faire passer le mot le [xx] octobre 2021 (jour du scrutin) était une date de changement de régime;

Un gazouillis figurant sur le compte Twitter de Rebel News indique que « @TheMenzoid et d’autres membres de l’équipe de Rebel News traversent le Canada, donnant GRATUITEMENT des placards TheLibranos.com, juste à temps pour #elxn43 »;

Du texte précédant une vidéo figurant sur le site Web de Rebel News indique que les placards ont été inspirés par l’ouvrage d’Ezra Levant. Il convient de noter qu’il n’était pas indiqué que les panneaux visaient à promouvoir l’ouvrage;

Pendant une entrevue avec les enquêteurs, Ezra Levant a admis qu’il avait planifié le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection.

M. EZRA LEVANT : Pas mot pour mot, mais je connais le sentiment, c’est‐à‐dire que je rédige un livre sur le premier ministre et les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être élu. Bien sûr, je souhaite le publier pendant l’élection. La même raison pour laquelle Aaron Wherry, John Ivison et d’autres ont rédigé leurs lettres d’amour à Justin Trudeau. Il faudrait être stupide pour le publier un mois après l’élection; je le souhaitais pendant l’élection. Et j’espère que je prononce maintenant des mots qui vous amènent à poursuivre parce que nous allons enfreindre cette loi, les gars. Nous allons enfreindre cette loi. Si vous estimez que c’est contraire à la loi, l’un de nous a profondément, profondément tort et ce n’est pas moi.

[...]

Mettons à l’épreuve cette loi ou, en fait, mettons à l’épreuve votre interprétation de celle‐ci parce que la loi est très claire pour moi. Si vous estimez que de planifier la publication d’un livre portant sur l’élection pendant une élection est contraire à la loi, enfreignons la loi, mon pote. Si vous estimez qu’un tribunal va confirmer votre interprétation bizarre de la loi, je veux être la cause type.

Nous pouvons donc conclure les choses dès maintenant, et vous pouvez dire à maman, « nous l’avons, il a avoué » parce que je veux que vous me poursuiviez pour la planification de la publication de mon livre non pas parce que je veux être poursuivi, mais parce que vous avez besoin d’un ajustement sérieux de l’attitude et d’un rappel de la Charte des droits.

[82] À mon avis, dans ces circonstances, l’exercice qui consiste à examiner la preuve pour déterminer la date planifiée du lancement de l’ouvrage – et déterminer si le lancement devait coïncider avec la tenue de l’élection – procède d’une conclusion quant à l’applicabilité de la mitigation (« dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection ») prévue à l’alinéa 2(1)b). Par conséquent, le commissaire n’a pas appliqué le mauvais critère ou effectué la mauvaise analyse. Le commissaire a, raisonnablement et implicitement, vu en l’alinéa 2(1)b) une précision de ce qui n’était pas visé par la définition de « publicité électorale » figurant au paragraphe 2(1) et, en fonction des faits et des éléments de preuve dont il disposait, il est parvenu à la conclusion factuelle raisonnable selon laquelle les placards ne tombaient pas sous le coup de l’alinéa 2(1)b).

[83] Il convient également de noter que Rebel News ne conteste aucun des éléments de preuve ayant fondé la conclusion du commissaire.

[84] Avant de conclure à cet égard, je fais remarquer que, dans sa demande de révision, Rebel News affirme que l’ouvrage et sa promotion tombent sous le coup de l’alinéa 2(1)b) et sont conformes à « l’esprit clair » de cette disposition, à savoir :

[traduction]

soustraire à l’examen une sphère critique de discours démocratique – débat public ou documentation pendant une période électorale. En faisant fi de cet objectif légal, le CEF n’a pas tenu compte de la sagesse du législateur qui a mis en place des mesures de protection contre ce genre de processus troublant.

[85] Rebel News n’a offert aucune analyse juridique de son interprétation de l’intention du législateur en ce qui concerne l’alinéa 2(1)b) et a formulé la même observation quant à l’inconstitutionnalité du processus suivi par le CEF.

[86] Le commissaire a fait fi de cette observation, qui semble porter indirectement sur l’interprétation téléologique de l’alinéa 2(1)b). Toutefois, dans le cadre du contrôle judiciaire, Rebel News ne conteste pas l’interprétation par le commissaire de l’alinéa 2(1)b) et, lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat l’a confirmé. Comme Rebel News n’affirme pas que l’interprétation du commissaire était déraisonnable ou n’avance pas sa propre interprétation de l’alinéa 2(1)b), point n’est besoin pour la Cour de se pencher davantage sur cette question.

[87] De plus, comme je l’indique plus haut, le commissaire n’a pas appliqué le mauvais critère ni commis d’erreur dans son interprétation et application de cette disposition. Le commissaire a examiné et rejeté l’observation de Rebel News selon laquelle l’alinéa 2(1)b) constituait une « exception » à la définition de publicité électorale et que l’ouvrage relevait de cette exception. Le commissaire a convenu que l’alinéa 2(1)b) ne s’appliquait qu’à un ouvrage qui aurait été publié sans égard au déclenchement de l’élection. Au vu de la preuve dont il disposait, le commissaire a conclu que ce n’était pas le cas en l’espèce, car Rebel News avait planifié le lancement de l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection.

[88] Compte tenu de ce qui précède et à défaut de toute autre observation – au‐delà de l’affirmation simple et sans fondement de Rebel News selon laquelle l’objet de l’alinéa 2(1)b) était de protéger le [traduction] « débat public et la documentation pendant une période électorale » –, les motifs et le dossier du commissaire suffisent à la Cour pour comprendre l’interprétation et l’application de l’alinéa 2(1)b) par ce dernier et conclure qu’elles étaient raisonnables.

b. Le commissaire a‐t‐il écarté des éléments de preuve ou des observations?

Preuve

[89] Rebel News soutient qu’elle a présenté des observations démontrant qu’elle aurait publié l’ouvrage sans égard à la tenue de l’élection, mais que le commissaire n’a pas mentionné cette preuve et ne semble pas l’avoir examinée.

[90] Le dossier démontre que, dans sa demande de révision, Rebel News affirme que l’expression « dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection » est au cœur de la disposition et que la question semble être : [traduction] « y avait‐il intention de publier l’ouvrage en question sans égard à la tenue de l’élection »? Selon Rebel News, dans ce cas, il fallait examiner l’élaboration initiale de l’ouvrage en question et la stratégie de promotion et de vente, et non seulement l’intention et la stratégie de l’éditeur et de l’auteur au moment de la publication. Si le CEF avait examiné la bonne question, il aurait pu alors procéder à des recherches rudimentaires et obtenir des renseignements publics et facilement accessibles démontrant que l’ouvrage avait été planifié bien avant qu’une date d’élection soit fixée et qu’il serait publié sans égard à la tenue de l’élection.

[91] Selon Rebel News, ces renseignements accessibles et publics comprenaient trois éléments particuliers :

  1. Le concept original de l’ouvrage était dérivé d’une couverture du Western Standard datant de 2005, inspirée d’une série télévisée des années 2000;
  2. Rebel News a enregistré l’URL (thelibranos.com) en février 2016 – plus de trois ans avant la date fixée pour l’élection de 2019;
  3. Rebel News et M. Levant sont d’ardents détracteurs du premier ministre, de ses associés et du Parti libéral et ils ont publié d’autres ouvrages à succès critiques de ces derniers hors des périodes électorales (Trumping Trudeau (2017), China Virus (2020)).

[92] Rebel News fait valoir que le commissaire n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve.

[93] Je fais remarquer que le commissaire a énuméré, en détail, les renseignements obtenus de diverses sources en ligne qui étayent sa constatation selon laquelle les placards constituaient de la « publicité électorale ». Toutefois, comme l’affirme Rebel News, la décision ne mentionne pas ces trois éléments.

[94] Certes, le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur n’a pas tenu compte de la preuve qui lui a été soumise (Vavilov, aux para 126 et 305). Dans ses motifs, le commissaire (aux para 15 et 17) a déclaré qu’il avait examiné les observations de Rebel News. Par conséquent, la question consiste à savoir si les trois éléments indiqués par Rebel News étaient d’une telle importance qu’en ne les mentionnant pas expressément, le commissaire a rendu une décision déraisonnable. Comme il est indiqué dans la décision Khir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 160 [Khir], « [l]e moindre fait passé sous silence, la moindre erreur ou incompréhension de la preuve ne justifiera pas l’intervention d’une cour de révision. Normalement, la preuve accessoire ou sans importance n’aura pas d’influence sur le décideur, tandis que les éléments capitaux ou essentiels pourraient représenter une contrainte entraînant une certaine issue ou devant être traités dans les motifs du décideur » (au para 42; voir également les para 40 à 50). De plus, selon la décision Cepeda‐Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 FC 53, la Cour conclut que le « défaut de considérer certains éléments de preuve peut plutôt entraîner l’annulation de la décision seulement lorsque les éléments passés sous silence sont essentiels, que la preuve contredit la décision du tribunal et que la cour de révision détermine par inférence que son omission atteste qu’il n’a pas tenu compte des éléments dont il disposait » (Khir, au para 48).

[95] Je fais remarquer que les trois observations de Rebel News portant sur les éléments de preuve ont été formulées dans la demande de révision, mais aucun document n’a été fourni pour les étayer ni aucune explication de leur importance n’a été fournie.

[96] À cet égard, je ne vois pas comment la preuve que le concept de l’ouvrage est inspiré d’une couverture publiée en 2005, fondée sur une série télévisée des années 2000, pourrait établir que l’ouvrage avait été planifié bien avant que la date d’élection ne soit fixée. L’ouvrage porte sur l’opinion de M. Levant au sujet du premier ministre Trudeau et d’autres membres du Parti libéral du Canada. Le premier ministre Trudeau ne s’est porté candidat et n’a été élu qu’en 2015. Je ne comprends pas comment l’ouvrage aurait pu être planifié dix ans avant l’entrée en fonction du premier ministre. Ces éléments de preuve ne permettent pas non plus d’établir que l’ouvrage aurait été publié sans égard à la tenue de l’élection. La demande de révision ne dit pas comment cette preuve étaye la thèse de la demanderesse.

[97] En ce qui concerne l’URL, un imprimé de ce qui est vraisemblablement le lien fourni avec la demande de révision est joint à titre de pièce à l’affidavit Levant. Il indique que thelibranos.com a été créé en février 2016 (et mis à jour en 2021), le bureau d’enregistrement étant GoDaddy.com LLC. Toutefois, Rebel News ne mentionne rien sur cet imprimé ou sur le site Web qui précise la date de rédaction de l’ouvrage ou si sa publication était prévue sans égard à la tenue de l’élection.

[98] De plus, le fait que Rebel News a publié d’autres ouvrages critiques du premier ministre et d’autres hors des périodes électorales ne permet pas d’établir que le sujet de l’ouvrage avait été planifié avant l’élection ou que l’ouvrage serait publié sans égard à la tenue de l’élection. Devant moi, l’avocat de Rebel News a laissé entendre que l’ouvrage faisait partie d’une série de trois ouvrages. Toutefois, comme les avocates du CEF l’ont souligné, rien dans le dossier n’étaye cette proposition. Rebel News n’a pas non plus invoqué cet argument dans sa demande de révision ni ne l’a étayé de renseignements démontrant l’existence d’un calendrier de publication et de promotion de l’ouvrage dans le cadre d’une série.

[99] De plus, et en tout état de cause, le commissaire a fondé sur l’alinéa 2(1)b) sa conclusion selon laquelle cette disposition ne s’appliquait pas parce que Rebel News avait l’intention de lancer l’ouvrage de manière à ce qu’il coïncide avec l’élection (et que par conséquent, la mise en vente de l’ouvrage n’avait pas été planifiée « sans égard à la tenue de l’élection », ce qui a fait que les placards tombent sous le coup de la définition de « publicité électorale ». Ainsi, les éléments de preuve quant à l’intention précédente de Rebel News ne sont pas pertinents et ont peu de valeur probante.

[100] En résumé, même s’il eut été préférable que le commissaire mentionne ces trois observations, vu les renseignements limités qu’elles fournissent et leur manque de valeur probante, cette omission ne constitue pas une erreur fatale. La décision du commissaire porte sur la principale question soulevée par Rebel News, à savoir que les placards ne constituent pas de la publicité électorale, puisqu’ils tombent sous le coup de la précision apportée à la définition de ce terme prévue à l’alinéa 2(1)b).

[101] Il convient également de noter que, dans l’avis envoyé à Rebel News, à l’attention de M. Levant, le CEF indique que Rebel News aurait censément fait de la publicité électorale dans sa production et distribution des placards pendant la période électorale. M. Levant a eu l’occasion d’assister à une entrevue tenue par des enquêteurs ou de fournir à ces derniers tout document en réponse à cette préoccupation. À l’entrevue, M. Levant a été informé à maintes reprises que l’objet de l’enquête n’était pas l’ouvrage et son contenu. Les enquêteurs ont plutôt indiqué qu’ils tentaient de déterminer si les placards constituaient une promotion de l’ouvrage ou une publicité politique, et ils ont demandé à M. Levant de faire part de ses commentaires sur cette question.

[102] À la question de savoir s’il existait un plan de communication ou un plan de commercialisation en vue de la publicité de l’ouvrage, M. Levant a répondu qu’il existait un vaste plan de commercialisation qui incluait [traduction] « tout ce qui est imaginable ». Lorsqu’on lui a demandé de fournir un exemple, il a répondu « tout ce que vous n’aimez pas. Nous n’aimons pas Justin Trudeau. Nous n’aimons pas les bureaucrates arrogants qui nous censurent. C’est tout ce que vous détestez. » Lorsqu’il a été interrogé de nouveau au sujet de son plan de commercialisation, M. Levant a répondu : « Je viens de vous le dire : irriter les Libéraux. Irriter les bureaucrates fouineurs, les énerver. » Plus tard, il a affirmé qu’il rédigeait un ouvrage sur le premier ministre et les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être élu. Il a ensuite dit : « bien sûr, je veux publier l’ouvrage pendant l’élection [...] Il faudrait être stupide pour le publier un mois après l’élection, je le voulais pendant l’élection ».

[103] En bref, M. Levant n’a donné aucune indication au cours de l’entrevue quant à la planification de l’ouvrage ou de son plan promotionnel, sauf en ce qui a trait à la planification de sa publication pendant l’élection. Il convient également de noter que, suivant le rapport de recommandation sur l’observation et le contrôle d’application de la loi, le CEF a écrit à l’avocat de Rebel News le 10 février 2020, offrant à cette dernière l’occasion de transmettre des copies de tous les documents qu’elle jugeait pertinents dans le cadre de l’enquête, y compris les documents relatifs au coût de production et de distribution des placards. Cette lettre et les communications subséquentes décrites ci-après figurent dans le dossier certifié du tribunal. Entre autres, la lettre expliquait que l’enquête administrative avait pour objet de déterminer si l’utilisation de placards pour promouvoir l’ouvrage pendant la période électorale de 2019 tombait sous le coup de la définition de « publicité électorale » qui figure à la Loi. À défaut d’une réponse, le CEF a effectué un suivi par courriel. Le 2 mars 2020, l’avocat de Rebel News a répondu qu’il avait cru comprendre que Rebel News soumettrait prochainement des documents au CEF. Le 3 mars 2020, M. Levant a indiqué qu’il joignait une copie du document de planification de Rebel News pour l’ouvrage The Libranos. Le dessin suivant était joint :

[104] Même si M. Levant a exprimé son désir d’envoyer des T‐shirts arborant ce dessin aux membres du CEF, il n’a fourni aucun autre document.

[105] Par conséquent, le dossier établit que Rebel News a eu la possibilité de fournir des documents pour démontrer que les placards visaient à promouvoir l’ouvrage et que l’ouvrage devait être mis en vente sans égard à la tenue de l’élection. En d’autres termes, Rebel News a eu l’occasion de fournir des éléments de preuve démontrant que la publication et la promotion de l’ouvrage tombaient par hasard pendant la période électorale. Je suis d’accord avec le CEF pour dire que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la rédaction, la publication et la promotion d’un ouvrage engendrent des éléments de preuve objective quant à une stratégie de publication et de promotion. Rebel News n’a fourni aucun élément de preuve de la sorte. Par conséquent, le commissaire a raisonnablement fondé sur les renseignements recueillis par les enquêteurs sa conclusion selon laquelle les placards constituaient de la publicité électorale.

[106] Je reconnais que, suivant l’affidavit Levant, déposé au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire, Rebel News, dans le cadre de la promotion de la vente de l’ouvrage, a élaboré et mis en œuvre [traduction] « une campagne de guérilla de marketing comportant des éléments traditionnellement associés aux campagnes politiques. L’un de ces éléments a été la création et la distribution de placards de style électoral faisant la promotion de l’ouvrage et encourageant les passants à “acheter le livre” ». Toutefois, ces renseignements n’ont pas été présentés au commissaire au moment de la décision.

[107] En résumé, dans ces circonstances, le fait que le commissaire n’a pas mentionné expressément les trois éléments de preuve présentés par Rebel News n’a pas rendu la décision déraisonnable pour autant.

Parti pris

[108] Rebel News fait également valoir que le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a écarté son observation alléguant un parti pris.

[109] Dans sa demande de révision, Rebel News affirme que le CEF avait été sélectif et injuste à son égard. Rebel News a soutenu que plus de 24 ouvrages relatifs aux élections avaient été publiés à la fin de l’été et au début de l’automne 2019, mais que seul l’ouvrage en question a été sélectionné pour examen, enquête et sanction par le CEF, suivant la transcription de l’entrevue de M. Levant. En outre, selon le CEF, cette sélectivité découlait de plaintes du public; or, selon Rebel News il était loisible au CEF d’enquêter, de sa propre initiative, sur des questions. Dans la demande de révision, Rebel News souligne deux ouvrages [traduction] « en faveur de Trudeau » qui auraient été publiés au cours de la même période que l’ouvrage en question, mais qui ont échappé à un examen par le CEF, de même que leur importante promotion.

[110] Dans le cadre du contrôle judiciaire, Rebel News affirme que cette question n’a pas véritablement été traitée par le commissaire. Je ne suis pas de cet avis.

[111] En premier lieu, la proposition selon laquelle le commissaire a écarté cette observation ou n’en a pas tenu compte n’est pas fondée. La décision traite expressément de l’affirmation :

[traduction]

18. Dans ses observations, Rebel News soutient qu’elle a été traitée de manière inéquitable et de manière sélective dans cette affaire, parce que deux autres ouvrages indiqués par Rebel News comme faisant la promotion du premier ministre et qui avaient été publiés pendant la période électorale n’avaient pas fait l’objet d’une enquête par mon bureau. Cet argument ne peut être retenu.

19. En tant que commissaire, en vertu de l’article 510 de la Loi, je ne peux être empêché d’enquêter sur une affaire au motif qu’il y avait d’autres cas qui pourraient ou devraient également faire l’objet d’une enquête. La jurisprudence étaye cette thèse11.

20. Rebel News n’a pas non plus présenté des éléments de preuve indiquant que la décision du sous‐commissaire qui a dressé les procès‐verbaux en question était fondée sur des considérations ou un parti pris indus. Au contraire, et comme je le mentionne plus haut, l’enquête a été amorcée après la réception de sept plaintes qui ont été communiquées à Rebel News.

[112] L’article 510 de la Loi dispose que le commissaire peut, de sa propre initiative ou en réponse à une plainte, mener une enquête. La note de bas de page 11 du commissaire mentionnée au paragraphe 19 des présents motifs renvoie à l’affaire Ochapowace qui, dans le contexte du droit pénal, enseigne que la jurisprudence « écart[e] l’idée selon laquelle le pouvoir discrétionnaire de poursuite devrait être soumis à contrôle judiciaire comme toute autre décision administrative » (para 44), même si ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu. Les tribunaux interviendront dans les cas d’irrégularité flagrante ou de poursuites abusives, mais le seuil de la preuve exigée pour démontrer l’existence d’un tel comportement répréhensible sera très élevé (para 47). Les tribunaux consentiront avec une extrême circonspection à revoir l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la police ou du ministère public d’intenter des poursuites, et qu’ils n’y consentiront que dans les cas les plus évidents, lorsque peut être démontrée une irrégularité flagrante (au para 54). Je ne vois pas en quoi cette jurisprudence appuie la déclaration du commissaire selon lequel il ne peut être empêché d’enquêter sur une affaire au motif que d’autres cas pourraient ou devraient également faire l’objet d’une enquête. Toutefois, elle illustre le pouvoir qui lui a été conféré et qui l’habilite à décider s’il y a lieu de poursuivre.

[113] À cet égard, l’article 510 dispose que le commissaire « peut [...] mener une enquête. » La Loi ne précise pas les facteurs qu’il doit prendre en considération pour déterminer si une enquête est justifiée. Par conséquent, le commissaire dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider des questions qui justifient la tenue d’une enquête prévue à l’article 510 (voir, par analogie, Endicott v Office of the Independent Police Review Director, 2013 ONSC 2046 au para 43; Dolan v Ontario (Civilian Commission on Police Services), 2011 ONSC 1376 au para 42). En l’espèce, Rebel News n’affirme pas que la décision du commissaire de ne pas poursuivre d’autres éditeurs ou auteurs était déraisonnable; il allègue plutôt un parti pris.

[114] Le critère applicable à une crainte raisonnable de partialité est bien établi. Il consiste à poser la question suivante : « [...] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique[?] Croirait‐elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369, qui a été repris dans une grande partie de la jurisprudence subséquente). Il existe une présomption d’impartialité, et le seuil pour réfuter cette présomption et pour conclure à la partialité, réelle ou apparente, est élevé. Il incombe à la personne qui allègue son existence d’établir le parti pris et des éléments de preuve convaincants sont nécessaires (voir, par exemple, R c S(RD), [1997] 3 RCS 484 aux para 113, 114, 117; Cojocaru c British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30 au para 22).

[115] En l’espèce, Rebel News semble soutenir qu’elle a fait l’objet d’une partialité réelle sélective. Toutefois, il importe peu que l’allégation soit fondée sur une crainte raisonnable de partialité ou une partialité réelle, étant donné que le commissaire a correctement conclu que Rebel News n’a invoqué aucun élément de preuve permettant d’établir qu’elle avait été injustement « visée ». Elle n’en invoque aucun au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire non plus.

[116] En revanche, le dossier comprend les sept plaintes concernant les placards de Rebel News qui ont donné lieu à l’enquête. Rebel News ne laisse pas entendre que des plaintes concernant la promotion d’autres ouvrages relatifs aux élections avaient été reçues et écartées par le commissaire. Je tiens également à signaler que, lorsque M. Levant a affirmé au cours de son entrevue que [traduction] « aucun autre ouvrage favorisant Trudeau ne fait l’objet d’une enquête », il a été informé qu’il pouvait présenter une plainte s’il croyait qu’il y avait matière à plainte. Il a répondu de la manière suivante :

[traduction]

M. EZRA LEVANT : Non, parce que je ne suis pas un censeur comme vous. Je ne suis pas un tyran et un censeur. Je ne suis pas un bureaucrate qui cherche à justifier son budget comme vous. Je sors et je gagne ma vie chaque jour, mon pote. Vous appelez les auteurs en vue de les interroger au sujet d’un ouvrage critiquant votre patron. Songez à qui vous êtes.

[117] Rien ne démontre que Rebel News – ou d’autres – a présenté une plainte selon laquelle la distribution ou la promotion d’un autre ouvrage donné tombait sous le coup de la définition de « publicité électorale ». Je tiens également à souligner que le CEF avait maille à partir, non pas avec la teneur de l’ouvrage de M. Levant, mais avec sa publication et sa promotion au moyen de placards pendant la période électorale.

[118] En bref, le commissaire a examiné l’observation de Rebel News et a expliqué la raison pour laquelle il n’était pas convaincu que Rebel News avait été « visée ». Certes, Rebel News peut ne pas être du même avis que le commissaire, mais ce fait ne rend pas la conclusion déraisonnable pour autant.

c. Le commissaire a‐t‐il bien tenu compte des valeurs consacrées par la Charte?

[119] Rebel News reconnaît que le commissaire a tenu compte, d’une part, de l’objet de l’article 352 et du paragraphe 353(1) de la Loi et, d’autre part, de la liberté d’expression de Rebel News et a conclu à une atteinte minimale aux droits de Rebel News. Toutefois, elle fait valoir que l’analyse a fait fi des valeurs fondamentales qui ressortent de la définition légale de « publicité électorale », qui constitue un élément essentiel des articles 352 et 353.

[120] À l’inverse, le CEF fait valoir que ces principes et valeurs sont inhérents aux articles 352 et 353 de la Loi. Le commissaire a donc implicitement tenu compte de la définition dans la mise en balance des valeurs en jeu consacrées par la Charte et des objectifs des articles 352 et 353 de la Loi. De plus, le CEF soutient que Rebel News n’a pas énoncé les autres [traduction] « principes et valeurs fondamentaux » qui interviennent.

[121] Je fais remarquer que la demande de révision, intitulée [traduction] « Processus inconstitutionnel : contraindre la liberté d’expression et faire fi de l’intention législative », indique que Rebel News est d’avis que le processus du CEF, les conclusions et les procès‐verbaux sont inconstitutionnels et enfreignent les droits fondamentaux que constituent la liberté d’expression et la liberté de la presse. Rebel News exprime son point de vue selon lequel le processus sert à étouffer le discours public et à contraindre la liberté de la presse et la liberté d’expression d’une manière qui sape la démocratie. De plus, Rebel News affirme à nouveau que [traduction] « l’esprit clair » de l’alinéa 2(1)b) est de « soustraire à l’examen une sphère critique de discours démocratique – documentation politique qui coïncide avec une période électorale. En faisant fi de cet objectif législatif, le CEF n’a pas tenu compte de la sagesse du législateur qui a mis en place des mesures de protection contre ce genre de processus troublant ».

[122] Rebel News a ainsi soulevé des questions de liberté d’expression et de liberté de la presse relatives à l’alinéa 2(1)b). Le commissaire l’a reconnu lorsqu’il a affirmé que RebelNews contestait non pas la constitutionnalité de l’article 352 et du paragraphe 353(1), mais les décisions du sous‐ministre, qui, selon Rebel News, étaient inconstitutionnelles parce qu’elles portaient atteinte à sa liberté d’expression et à la liberté de la presse garanties par l’alinéa 2b) de la Charte. Le commissaire a également fait remarquer à bon droit que Rebel News n’avait présenté aucun argument ni aucun élément de preuve pour étayer cette allégation.

[123] Dans l’arrêt Doré, la Cour suprême conclut que, lorsqu’un décideur administratif tient compte des valeurs consacrées par la Charte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire prévu par la loi, il doit procéder au moyen d’une démarche en deux étapes. Il doit d’abord se pencher sur les objectifs des dispositions en question. Il doit ensuite se demander comment protéger au mieux la valeur en jeu consacrée par la Charte compte tenu des objectifs visés par la loi (Doré, aux para 55 et 56). Essentiellement, il s’agit d’une analyse de la proportionnalité : « [d]ans le contexte d’une révision judiciaire, il s’agit donc de déterminer si – en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel – la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte » (Doré, au para 57). Si, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, le décideur a mis en balance comme il se doit la valeur pertinente consacrée par la Charte et les objectifs visés par la loi, sa décision sera jugée raisonnable (Doré, au para 58; voir également le para 6).

[124] L’arrêt Doré exige que les protections conférées par la Charte soient restreintes aussi peu que cela est possible eu égard aux objectifs particuliers de l’État. L’analyse de la proportionnalité préconisée par l’arrêt Doré constitue donc une solide analyse qui « fait intervenir les mêmes réflexes justificateurs » que le test énoncé dans l’arrêt Oakes (École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12 au para 40 [Loyola], citant Doré au para 5; R c Oakes, [1986] 1 RCS 103, [1986] ACS no 7 aux para 69 et 70 [Oakes]). La mise en balance proportionnée en est une qui « donne effet autant que possible aux protections en cause conférées par la Charte compte tenu du mandat législatif particulier en cause » (Groia c Barreau du Haut‐Canada, 2018 CSC 27 au para 111, citant Loyola, au para 39).

[125] La Cour suprême, dans l’arrêt Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32 [TWU] (avant Vavilov), reformule ce principe en ces termes :

[79] Dans les arrêts Doré et Loyola, la Cour a statué que, lorsqu’une décision administrative fait intervenir une protection conférée par la Charte, la cour de révision doit procéder à « une analyse robuste de la proportionnalité compatible avec les principes de droit administratif » au lieu d’adopter une « approche fondée sur l’art. 1 prise littéralement » (Loyola, par. 3). Selon le cadre d’analyse établi dans Doré, la décision administrative sera raisonnable si elle est le fruit d’une mise en balance proportionnée de la protection conférée par la Charte et du mandat confié par la loi (voir Doré, par. 7; Loyola, par. 32). La démarche que la Cour a appliquée dans Doré reconnaît que le décideur administratif qui exerce un pouvoir discrétionnaire en vertu de sa loi constitutive apporte généralement une expertise au processus de mise en balance de la protection conférée par la Charte et des objectifs en cause prévus par la loi (Loyola, par. 42; Doré, par. 54). En conséquence, le décideur est généralement le mieux placé pour mettre en balance les protections conférées par la Charte et le mandat que lui confie la loi au regard des faits précis de l’affaire (Doré, par. 54). Il s’ensuit que la déférence est justifiée lorsqu’une cour de révision est appelée à décider si la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée. De plus, l’arrêt Doré reconnaît qu’il peut y avoir plus d’une issue qui représente une mise en balance proportionnée des protections conférées par la Charte et des objectifs visés par la loi (Loyola, par. 41). Tant que la décision « [appartient] aux issues possibles acceptables », elle est raisonnable (Doré, par. 56). Comme l’a souligné la Cour dans Doré, « il existe [...] une harmonie conceptuelle entre l’examen du caractère raisonnable et le cadre d’analyse préconisé dans Oakes puisque les deux démarches supposent de donner une “marge d’appréciation” aux organes administratifs ou législatifs ou de faire preuve de déférence à leur égard lors de la mise en balance des valeurs consacrées par la Charte, d’une part, et les objectifs plus larges, d’autre part » (par. 57).

[126] En l’espèce, le commissaire a correctement déterminé les exigences énoncées dans les arrêts Doré et Loyola.

[127] Le commissaire fait également remarquer à bon droit que, dans l’arrêt Harper, la Cour suprême est d’avis que les objectifs visés par les articles 352 et 353 de la Loi sont urgents et réels et que les prescriptions que prévoient ces dispositions ont des objets impérieux et réels : 1) favoriser la mise en œuvre et l’application du régime de financement par des tiers et 2) assurer la transparence en mettant à la disposition des électeurs l’information pertinente concernant les tiers qui participent à des activités réglementées, par exemple, la publicité électorale en l’espèce. Même si elle reconnaît que les prescriptions prévues aux articles 352 et 353 de la Loi portent atteinte à la liberté d’expression des tiers, la Cour conclut que l‘atteinte est minimale, raisonnable et manifestement justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[128] En fait, dans l’arrêt Harper, la Cour suprême examine parmi les dispositions portant sur les dépenses des tiers, les articles 350 à 357, 359, 360 et 362 de la Loi, qui portent sur l’attribution, l’enregistrement et la divulgation. Dans cette affaire, l’intimé a contesté ces dispositions sur l’attribution, l’enregistrement et la divulgation sur le fondement des alinéas 2b) et 2d) et de l’article 3 de la Charte.

[129] La Cour suprême est d’avis que les dispositions de la Loi sur l’attribution, l’enregistrement et la divulgation sont interdépendantes. Par conséquent, leur constitutionnalité doit être déterminée globalement. La Cour suprême conclut que les dispositions sur l’attribution, l’enregistrement et la divulgation enfreignent l’alinéa 2b) de la Charte, car elles ont pour effet de limiter la liberté d’expression (Harper, au para 138). Toutefois, l’atteinte était justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Je reproduis le raisonnement de la Cour dans son intégralité ci‐après, car il fournit le contexte :

La justification de l’atteinte à la liberté d’expression en vertu de l’article premier

142 Les dispositions relatives à l’attribution, à l’enregistrement et à la divulgation poursuivent deux objectifs : premièrement, assurer la mise en œuvre et le respect des plafonds de dépenses de publicité électorale des tiers; deuxièmement, mettre à la disposition des électeurs l’information électorale pertinente. Comme on l’a vu plus tôt, le premier objectif est urgent et réel. En effet, il serait illogique d’établir des plafonds de dépenses de publicité électorale sans créer un mécanisme propre à assurer leur mise en œuvre et leur respect. Négliger de le faire mettrait en danger la confiance du public dans le système électoral. Le second objectif appuie une valeur reconnue par la Charte, l’exercice d’un droit de vote éclairé, et il constitue lui aussi un objectif urgent et réel.

143 Les obligations d’enregistrement et de divulgation sont rationnellement liées à l’application du régime de publicité électorale. L’obligation d’enregistrement renseigne le directeur général des élections sur l’identité des individus et des groupes qui possèdent le statut du tiers et qui sont assujettis au plafonnement des dépenses publicitaires. L’obligation de rendre compte aide à déterminer l’étendue de la publicité faite par les tiers durant la période électorale. Ces mesures permettent au directeur général des élections de contrôler plus facilement les dépenses publicitaires. Certaines dispositions facilitent la surveillance des tiers. La nomination par un tiers d’un agent financier ou d’un vérificateur chargé de l’administration des contributions versées pour les dépenses publicitaires des tiers facilite le processus de divulgation et permet au directeur général des élections de disposer d’une personne‐ressource responsable des dépenses de publicité engagées par ce tiers. Le directeur général des élections a en outre le pouvoir d’exiger la production de l’original de toute facture ou de tout reçu concernant une dépense de publicité électorale supérieure à 50 $.

144 Les obligations de divulgation renforcent la transparence du processus électoral et sont donc rationnellement liées à la communication de l’information à l’électorat. Les tiers doivent révéler les nom et adresse des donateurs, ainsi que la somme versée par chacun d’eux. Le directeur général des élections doit à son tour dévoiler cette information au public. Conjuguée aux renseignements découlant des obligations d’attribution, cette information permet aux électeurs de savoir qui est responsable de certaines annonces. Ces mesures sont particulièrement importantes lorsqu’il n’est pas facile de dire qui appuie un tiers donné. Ainsi, les électeurs peuvent aisément découvrir qui verse des contributions et qui effectue des dépenses.

145 Les dispositions relatives à l’attribution, à l’enregistrement et à la divulgation n’entraînent qu’une atteinte minimale au droit à la liberté d’association. Les obligations de divulgation varient selon la somme dépensée au titre de la publicité électorale. Les renseignements personnels exigés des donateurs – nom et adresse – sont minimaux. Lorsque le donateur est une personne morale, le nom de son directeur général ou de son président doit être fourni. Les renseignements financiers qui doivent être divulgués – les contributions et les dépenses de publicité engagées – n’ont trait qu’à la publicité électorale. La nomination d’un agent financier ou d’un vérificateur n’est pas une obligation excessivement lourde. Au contraire, il est possible d’affirmer qu’elle facilite le respect des exigences de divulgation.

146 Les effets bénéfiques des mesures contestées l’emportent sur leurs effets préjudiciables. Les obligations d’attribution, d’enregistrement et de divulgation facilitent la mise en œuvre et le respect du régime applicable à la publicité électorale faite par les tiers. En renforçant la transparence du processus électoral et en accroissant l’imputabilité des tiers, ces obligations découragent l’évitement des plafonds, en plus de rehausser la confiance des Canadiens dans leur système électoral. À l’opposé, les effets préjudiciables sont minimaux. Il ne s’agit certes pas d’obligations aussi lourdes que le prétend l’intimé. Rien n’indique qu’un donateur a été découragé de verser une contribution à un tiers ou qu’un tiers a été découragé de faire de la publicité électorale en raison des obligations de divulgation.

[130] Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que la question en litige consiste à savoir si la décision du commissaire, qui a confirmé la verbalisation effectuée en application de l’article 352 et du paragraphe 353(1), était raisonnable. Par conséquent, la question que je dois trancher consiste à savoir si le commissaire, lorsqu’il a pris cette décision, a dûment tenu compte des considérations relatives à la Charte qui intervenaient.

[131] Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec Rebel News pour dire que l’arrêt Harper ne s’applique pas. Le commissaire était tenu de mettre en balance, d’une part, les objectifs de la loi que favoriserait l’application de l’article 352 et du paragraphe 353(1) de la Loi et, d’autre part, la liberté d’expression de Rebel News. Ces objectifs ont été énoncés dans l’arrêt Harper et ils ont été jugés constitutionnels. De plus, comme je l’examine ci-après, les objectifs de l’alinéa 2(1)b) ne sont pertinents que dans l’évaluation de la constitutionnalité de cette disposition. Dans le cadre de son analyse suivant l’arrêt Doré, le commissaire devait évaluer la portée des articles 352 et 353 de la Loi et décider si l’application de ces dispositions limiterait plus que nécessaire le droit à la liberté d’expression de Rebel News. C’est ce que le commissaire a fait.

[132] La conclusion du commissaire, qui reprend essentiellement l’arrêt Harper, selon laquelle vu les objectifs impérieux et réels visés par le régime légal applicable aux tiers, les restrictions imposées à Rebel News ne limitent pas plus que nécessaire les droits garantis par la Charte qu’elle a invoqués, ne comporte aucune erreur. Le commissaire a examiné les objectifs visés par la loi en jeu, était conscient de la valeur de la liberté d’expression consacrée par la Charte et a conclu que les restrictions imposées par les articles 352 et 353 étaient minimales. Le commissaire a effectué l’analyse que commande l’arrêt Doré et est parvenu à une conclusion raisonnable.

[133] Toutefois, Rebel News fait valoir que le commissaire n’a pas tenu compte des [traduction] « principes et valeurs fondamentaux » qui ressortent de la définition de « publicité électorale » figurant à l’alinéa 2(1)b), qui fait « partie intégrante des articles 352 et 353 ». Rebel News affirme, suivant son interprétation de cette définition, que le commissaire a simplement évalué l’importance des exigences d’attribution et d’enregistrement des tiers – à laquelle Rebel News ne s’oppose pas – à la lumière des questions relatives à la Charte, sans tenir compte de la « valeur fondamentale, de l’importance et de l’application du sens et de l’économie de la définition de “publicité électorale” qui aurait dû éclairer cette analyse. » De plus, l’interprétation que fait le commissaire de la définition qui figure à l’alinéa 2(1)b) indique une « ingérence profonde dans la liberté d’expression et la garantie de la presse conférées par la Charte, dont la portée soumet tous les ouvrages expressifs sur le plan politique et la promotion de ceux‐ci publiés pendant une élection fédérale à un examen politique, à une enquête et à des sanctions ».

[134] Comme le souligne le CEF, Rebel News ne précise pas quels autres principes et valeurs fondamentaux ressortent de la définition de « publicité électorale » prévue à l’alinéa 2(1)b). Le commissaire a manifestement examiné les valeurs que constituent la liberté d’expression et la liberté de la presse. Je conviens également que la définition de publicité électorale se rattache directement aux articles 352 et 353. En fait, dans l’arrêt Harper, la Cour suprême conclut que le régime de publicité par des tiers appelle un examen global. Étant donné que la définition prévue à l’alinéa 2(1)b) fait partie de ce régime, on voit difficilement comment elle pourrait être évaluée à part dans l’analyse que commande l’arrêt Doré.

[135] De plus, l’observation de Rebel News est fondée sur son avis selon lequel l’alinéa 2(1)b) soustrait les ouvrages de la définition de publicité électorale. Cependant, pour les motifs que j’expose plus haut, ce n’est pas l’interprétation que le commissaire a donnée à l’alinéa 2(1)b).

[136] Rebel News semble affirmer que l’esprit de l’alinéa 2(1)b) consiste à préserver une sphère d’expression politique et qu’il s’agit là d’un objectif législatif distinct. Or, je conçois mal qu’une définition exprime à elle seule les objectifs du régime de publicité par des tiers auquel elle s’applique. Rebel News n’invoque aucune jurisprudence à l’appui de cette thèse. La définition fait partie du mandat légal global. Elle a pour objet de décrire ce qui constitue de la « publicité électorale » et de préciser que la distribution ou la promotion d’ouvrages (en l’espèce, la promotion de l’ouvrage en question au moyen des placards) qui devaient être mis en vente sans égard à la tenue de l’élection ne tombe pas sous le coup de cette définition. Certes, l’alinéa 2(1)b) a notamment pour effet de soustraire une sphère d’activité expressive à l’application de la Loi en précisant que les activités promotionnelles d’ouvrages qui tombent par pur hasard pendant une période électorale ne constituent pas de la publicité électorale visée par le régime légal. Or, un tel effet est secondaire par rapport aux objectifs des articles 352 et 353 et du régime global applicable aux tiers.

[137] De plus, je suis d’accord avec le CEF pour dire que le commissaire n’avait que deux options : à savoir, de faire appliquer ou non l’article 352 et le paragraphe 353(1) de la Loi. Compte tenu des objectifs de ces dispositions, qui relèvent du régime légal de publicité par des tiers, le commissaire, s’il avait choisi de ne pas poursuivre Rebel News, n’aurait pas favorisé la réalisation de ces objectifs. Par conséquent, aucune solution de rechange raisonnable n’aurait donné davantage effet aux protections conférées par la Charte (voir TWU, au para 104).

[138] Quant aux affirmations de Rebel News concernant la portée de l’alinéa 2(1)b) et sa préoccupation quant aux répercussions plus générales de cette disposition sur d’autres ouvrages exprimant une opinion sur le plan politique et les documents promotionnels accessoires, un tel élément est étranger à l’analyse énoncée dans l’arrêt Doré que le commissaire devait effectuer. En revanche, ces préoccupations seraient pertinentes dans la contestation constitutionnelle intentée par Rebel News, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, à l’encontre de cette disposition. Le commissaire n’était pas saisi de cette question.

[139] En résumé, en l’espèce, le commissaire a déclaré qu’il avait mis en balance les objectifs importants visés par les articles 352 et 353 et les protections conférées par la Charte invoquées par Rebel News et il a conclu que les prescriptions en matière d’information et d’enregistrement prévues à l’article 352 et au paragraphe 353(1) portaient une atteinte minimale à la liberté d’expression de Rebel News. À mon avis, le commissaire a procédé à une mise en balance raisonnable des valeurs consacrées par la Charte, d’une part, et des objectifs prévus par la loi, d’autre part. Sa décision, à savoir confirmer les décisions du sous‐commissaire qui a dressé les deux procès‐verbaux ayant trait à des infractions aux articles 352 et 353, était raisonnable.

[140] Enfin, Rebel News semble soutenir que le processus d’enquête était inéquitable; or, je souligne que son avis de demande n’indique aucun manquement à l’obligation d’équité procédurale et ne conteste pas non plus les pouvoirs d’enquête ou les dispositions de la Loi.

L’alinéa 2(1)b) porte‐t‐il atteinte aux droits garantis à Rebel News par l’alinéa 2b) de la Charte?

Thèse de Rebel News

[141] Rebel News soutient que l’alinéa 2(1)b) enfreint de manière injustifiée l’alinéa 2b) de la Charte. Elle fait valoir qu’il ne fait aucun doute que les articles 352 et 353 restreignent la liberté d’expression (soulignons qu’il s’agit de la conclusion dans l’arrêt Harper) et, par conséquent, que l’analyse doit être axée sur la justification au regard de l’article premier de la Charte. Selon l’arrêt Oakes, l’article premier de la Charte exige que les dispositions législatives qui portent atteinte aux droits visent un objectif urgent et réel et que les moyens choisis soient proportionnels à cet objectif.

[142] À cet égard, Rebel News fait d’abord valoir que l’alinéa 2(1)b) est inopérant pour cause d’imprécision. L’article premier de la Charte exige que la restriction à un droit ou une liberté conférés par la Charte soit apportée « par une règle de droit », ce qui signifie que la loi doit être suffisamment précise et accessible. Par conséquent, les lois ne doivent pas être d’une imprécision inacceptable (renvoi à 3510395 Canada Inc. c Canada (Procureur général), 2020 CAF 103 au para 132 et 136 [351 Inc]). Même si, dans l’arrêt Harper, la Cour suprême examine la définition de « publicité électorale » (article 319 à l’époque) à la lumière de l’économie de la Loi et juge qu’elle n’est pas imprécise au point d’être inconstitutionnelle, elle n’examine pas précisément l’alinéa 2(1)b). Plus particulièrement, Rebel News soutient que, suivant le cadre d’analyse adopté par le commissaire, une infraction aux articles 352 à 353 de la Loi découlerait forcément de la décision du commissaire d’intenter une poursuite à l’égard de la promotion d’un ouvrage expressif sur le plan politique qui a été publié au cours d’une élection. De plus, la question de savoir si un ouvrage expressif sur le plan politique publié pendant une période électorale [traduction] « aurait été publié sans égard au déclenchement de l’élection » est impossible à trancher et ressortit à la conjecture.

[143] Rebel News affirme, à titre d’exemple du caractère indéfini qu’il attribue à l’alinéa 2(1)b), que le commissaire a fondé sa décision sur une conclusion selon laquelle Rebel News avait planifié de publier et de promouvoir l’ouvrage pendant l’élection, plutôt que d’examiner la bonne question, à savoir si elle aurait publié l’ouvrage sans égard à la tenue de l’élection. Selon Rebel News, le commissaire lui-même n’avait donc pas une idée claire de la bonne interprétation, comme le démontre son analyse changeante.

[144] Rebel News est d’avis que cette disposition ne donne pas de directives claires aux auteurs et aux éditeurs et peut mener à une application arbitraire ([traduction] « Enquête orwellienne en coulisse sur l’auteur et l’éditeur »). Cette ambiguïté peut mener les auteurs et les éditeurs à préférer ne pas publier ou promouvoir un ouvrage pendant un cycle électoral et de restreindre ainsi leur expression (ou la portée de leur expression) par crainte de contrevenir à la loi.

[145] En ce qui concerne le critère de proportionnalité en trois étapes énoncé dans l’arrêt Oakes, Rebel News convient, comme il ressort de l’arrêt Harper, que le régime légal applicable aux tiers, dans son ensemble, et la définition de ce qui constitue de la « publicité électorale », en particulier, comportent un objectif urgent et réel. Elle convient également que la définition prévue à l’alinéa 2(1)b) a un lien rationnel avec les objectifs du régime de publicité électorale des tiers prévu par la Loi.

[146] Toutefois, Rebel News soutient que l’alinéa 2(1)b) ne porte pas une atteinte minimale. L’imprécision de la définition, ainsi que la condition de mitigation qui y est prévue (qui représente, selon Rebel News, un effort visant à restreindre le type d’ouvrages et de promotion d’ouvrages visés par la définition), ont pour effet d’inclure ce que le législateur a cherché à soustraire à l’examen et d’inviter un vaste contrôle administratif de tous les ouvrages exprimant une opinion sur le plan politique publiés et promus pendant une élection.

[147] Rebel News fait valoir que soumettre les auteurs et les éditeurs aux exigences d’enregistrement du gouvernement, ou subsidiairement, à l’enquête et à la sanction, n’est pas justifié dans une société libre et démocratique. Selon Rebel News, la Loi [traduction] « confère au commissaire de vastes pouvoirs d’enquête pour déterminer si l’exemption relative aux ouvrages s’applique. Ce mandat exige forcément un examen préoccupant des écrits d’un auteur ou d’un éditeur et des plans de commercialisation, entre autres. En outre, dans certains cas, comme en l’espèce, des organismes gouvernementaux pourraient être amenés à examiner et à sanctionner les auteurs politiques ». Rebel News fait également valoir que « [e]n supprimant et en décourageant l’expression légitime, l’exemption relative aux ouvrages sape le processus électoral démocratique sous le couvert d’une prétendue protection » et que l’effet préjudiciable de l’alinéa 2(1)b) sur les libertés garanties par l’alinéa 2b) de la Charte l’emporte sur ses avantages.

[148] À titre de réparation, Rebel News demande à la Cour de dissocier rétroactivement la mitigation qui figure à l’alinéa b) de la définition prévue au paragraphe 2(1) du terme « publicité électorale », à savoir « dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection ».

Thèse du PGC

[149] Le PGC expose d’abord le contexte du modèle d’élections égalitaire, en faisant référence à l’affidavit Lawlor. Le PGC fait remarquer que ce modèle a inspiré la partie 17 de la Loi, qui comprend l’article 352 et le paragraphe 353(1). Le régime prévoit expressément le plafonnement des dépenses et des exigences d’enregistrement et de divulgation pour les tiers qui engagent des dépenses relatives à la période électorale. Afin de protéger l’intégrité des plafonds des dépenses des tiers – et, par extension, du cadre égalitaire dans son ensemble – la Loi contient des dispositions interdisant l’esquive. Il s’agit des définitions exhaustives des termes « publicité électorale » et « publicité partisane », qui ont pour objet de faire en sorte que les plafonds de dépenses des tiers s’appliquent, peu importe le média, et l’article 351, qui interdit à un tiers d’esquiver ou de tenter d’esquiver les plafonds de dépenses. Le PGC fait également valoir qu’il existe un soutien empirique au modèle égalitaire, qu’il décrit.

[150] Le PGC soutient que la première étape de toute contestation fondée sur la Charte – en particulier lorsqu’elle fait intervenir des allégations d’imprécision inconstitutionnelle – est un exercice d’interprétation des dispositions en question. L’alinéa 2(1)b), suivant une interprétation qui tient compte du contexte global et s’harmonise avec l’esprit du régime légal, a une portée beaucoup plus étroite que ne le laisse entendre Rebel News. Ni la Loi ni la disposition contestée ne limitent le contenu, la création ou la vente d’ouvrages exprimant une opinion sur le plan politique – en fait, de tout ouvrage. Dans le contexte de la production d’ouvrages commerciaux, la portée de la Loi se limite plutôt à [traduction] « la publicité commerciale d’un ouvrage contenant un message publicitaire qui tombe sous le coup de la définition de publicité électorale parce qu’elle favorise un parti enregistré ou l’élection d’un candidat ou s’y oppose, et qui coïncide intentionnellement avec une période électorale ». Même dans ce cas, cette publicité n’est pas interdite, mais doit respecter les plafonds de dépenses des tiers et les exigences d’enregistrement et de divulgation.

[151] Le PGC fait valoir que Rebel News se méprend fondamentalement sur la nature et les effets de l’alinéa 2(1)b).

[152] Contrairement à ce que prétend Rebel News, l’alinéa 2(1)b) ne constitue pas une [traduction] « exemption relative aux ouvrages ». Cette disposition vise, non pas les ouvrages mêmes, mais la distribution ou la promotion d’ouvrages mis en vente dans des circonstances particulières. Elle n’a pas non plus pour effet d’« exempter » quelque chose de la partie liminaire de la définition. Le libellé témoigne de l’intention de préciser que, dans les circonstances particulières décrites, la définition de « publicité électorale » ne s’applique pas. Les activités promotionnelles décrites ne sont pas censées tomber sous le coup de la définition de « publicité électorale ».

[153] Le PGC soutient que la mitigation prévue à l’alinéa 2(1)b) (« [...] dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection ») circonscrit la portée de la publicité électorale qui revêt la forme de la promotion d’ouvrages en fonction de l’objectif ou de l’intention de l’annonceur. Il précise que, lorsque la promotion d’un ouvrage partisan a lieu pendant une élection, elle ne constitue pas de la « publicité électorale » et n’est pas assujettie aux prescriptions si sa mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection.

[154] Le PGC fait valoir que le verbe « planifier » fait référence à la notion de dispositions prises au préalable, tandis que l’expression « sans égard à » indique une intention d’aller de l’avant peu importe s’il y aura ou non une élection (et renvoie pour ce faire au dictionnaire The Oxford English Dictionary). Aux termes de la disposition contestée, il faut se demander si l’objet primordial de l’ouvrage mis en vente est tellement lié à la tenue d’une élection que les règles normales régissant la publicité électorale devraient s’appliquer, afin qu’elles atteignent leur objectif dans le cadre du modèle égalitaire.

[155] De plus, le PGC soutient que, selon la principale préoccupation du modèle égalitaire, s’ils ne sont pas assujettis aux règles, les nantis domineront le discours électoral. Les restrictions imposées aux dépenses publicitaires constituent le principal moyen par lequel la Loi répond à cette préoccupation. Conformément à cet objectif, la définition de « publicité électorale » prévue à la Loi ne joue que lorsqu’un ouvrage fait l’objet d’une promotion ou d’une distribution pendant une période électorale et : a) l’ouvrage favorise ou contrecarre un parti enregistré ou l’élection d’un candidat et b) la mise en vente de l’ouvrage a été intentionnellement prévue de manière à coïncider avec une période électorale.

[156] Le PGC fait valoir que la mitigation prévue à l’alinéa 2(1)b) préserve la liberté d’expression tout en servant les objectifs généraux du régime de publicité par des tiers en empêchant l’abus de l’espace non réglementé réservé à la promotion d’ouvrages commerciaux qui favorisent ou contrecarrent un parti enregistré ou l’élection d’un candidat. Sans l’exigence selon laquelle le chevauchement de la promotion de l’ouvrage et de la publicité électorale soit le fruit d’une pure coïncidence, les tiers pourraient esquiver les plafonds de dépenses et les exigences de divulgation en organisant la publicité pendant la période électorale sous prétexte de la promotion d’un ouvrage. L’alinéa 2(1)b) vise à prévenir exactement un tel méfait.

[157] Le PGC soutient également que l’alinéa 2b) de la Charte ne s’applique pas. Il fait tout d’abord remarquer que l’argument de Rebel News fluctue quant à savoir quelle disposition, de l’alinéa 2(1)b) ou des articles 352 et 353, porte atteinte à ses droits garantis par l’article 2b) de la Charte. Toutefois, seul l’alinéa 2(1)b) figure dans l’avis de demande, et la Cour doit donc refuser d’examiner la [traduction] « demande révisée fondée sur la Charte ».

[158] Le PGC fait ensuite valoir que l’alinéa 2(1)b) ne limite pas une activité expressive quant à son but ni à son effet et, par conséquent, ne contrevient pas à l’alinéa 2b) de la Charte. Rebel News ne s’est pas acquittée de son fardeau, car il n’est pas satisfait au troisième volet du critère visant à décider si une loi contestée contrevient à l’alinéa 2b) de la Charte. Plus précisément, suivant l’interprétation législative, la disposition contestée n’a aucune incidence qui limite les droits d’expression. Son objet et son effet consistent plutôt à préserver une sphère d’activité expressive de l’application de la Loi en confirmant que la publicité électorale sous forme d’activités promotionnelles d’ouvrages n’est pas visée par le régime légal si elle coïncide par hasard avec une période électorale. Par conséquent, la disposition contestée a pour objet de confirmer et de protéger une foule d’activités expressives non réglementées qui seraient autrement susceptibles d’être visées par la partie liminaire de la définition. Toute restriction des droits d’expression de Rebel News découle non pas de la disposition contestée, mais du régime légal régissant la publicité électorale par des tiers, qui a été jugé constitutionnel dans l’arrêt Harper.

[159] En réponse à l’argument de Rebel News selon lequel l’alinéa 2(1)b) manque de précision et peut décourager les publications, le PGC formule deux remarques. En premier lieu, l’alinéa 2(1)b), s’il est bien interprété, n’est pas ambigu ni susceptible d’une application discrétionnaire indue. La disposition porte plutôt sur la question de savoir si la mise en vente d’un ouvrage est intentionnellement prévue pour coïncider avec une période électorale, de sorte que toute activité promotionnelle partisane associée tombe sous le coup des règles régissant la publicité par des tiers. En deuxième lieu, Rebel News ne fournit aucun élément de preuve concernant l’effet dissuasif allégué, qui, selon la Cour suprême du Canada, doit être établi à l’aide d’éléments de preuve et ne peut être déduit que dans les cas les plus évidents (citant R. c Média Vice Canada Inc., 2018 CSC 53 aux para 25-32 [Média Vice]; R. c Khawaja, 2012 CSC 69 aux para 78-84).

[160] Subsidiairement, si la Cour conclut à une atteinte à la liberté d’expression de Rebel News, une telle atteinte est justifiée. L’alinéa 2(1)b) soustrait une sphère d’activité expressive (promotion partisane de l’ouvrage qui tombe par hasard pendant une période électorale) au régime de publicité par des tiers, tout en servant simultanément une fonction anti‐esquive (empêcher les tiers qui participent à la publicité électorale de contourner les exigences d’enregistrement et de divulgation en qualifiant leurs activités de promotion d’un ouvrage). L’effet de la disposition a un lien rationnel à son objet, porte une atteinte minimale aux libertés d’expression et n’a aucun des effets préjudiciables allégués par Rebel News. Il est satisfait au cadre de proportionnalité décrit dans l’arrêt Oakes.

[161] Le PGC soutient que l’alinéa 2(1)b) est une « règle de droit » pour l’application de l’article premier de la Charte et n’est pas imprécis au point d’être inconstitutionnel. À la lumière de la partie liminaire de la définition, l’accent dans la disposition sur la planification préalable indique que la norme juridique pertinente a trait à l’intention du tiers. En demandant si un ouvrage devait être mis en vente sans égard à la tenue de l’élection, la disposition vise à permettre de déterminer si l’intersection des activités promotionnelles d’un ouvrage et de la publicité électorale était intentionnelle ou non. Le PGC fait valoir qu’il s’agit d’une norme juridique claire et déterminable. Les questions particulières concernant les types d’éléments de preuve qui peuvent être nécessaires pour établir l’application de l’alinéa b) sont des questions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire du commissaire. L’existence d’un tel pouvoir discrétionnaire ne rend pas la loi imprécise au point d’être inconstitutionnelle.

[162] Le PGC soutient que l’alinéa 2(1)b) a un lien rationnel avec son objectif, qui consiste à protéger une sphère de liberté d’expression tout en préservant l’intégrité du régime. Le double objectif de la disposition est facilement déduit de son texte et de son contexte. Plus particulièrement, ses objectifs consistent à améliorer et à préserver l’activité expressive liée à la promotion ou à la distribution d’ouvrages et de préserver l’intégrité du régime légal de publicité électorale par des tiers tout en empêchant que l’on prétexte la promotion d’un ouvrage pour contourner les restrictions à la publicité par des tiers qui favorisent le modèle égalitaire global prévu par la Loi.

[163] Le PGC fait valoir que, puisque l’alinéa 2(1)b) est conçu pour réaliser son objectif de la manière la moins restrictive possible, il porte une atteinte minimale. Le PGC souligne plusieurs limites intrinsèques, à savoir :

[traduction]

  1. Aucun type d’éléments de preuve en particulier n’est nécessaire pour faire jouer la disposition, ce qui permet une approche réglementaire souple et adaptée au contexte.

  2. La rédaction, la vente ou la publication d’un ouvrage ne constituent pas un message publicitaire et ne sont pas visées par les prescriptions sur la publicité électorale par des tiers de la Loi.

  3. L’activité promotionnelle doit être à la fois partisane et intentionnellement prévue pour coïncider avec une période électorale.

  4. La disposition n’impose aucune restriction à l’extérieur des périodes électorales. Par conséquent, elle ne s’applique que pendant quelques semaines certaines années.

  5. L’importance de la planification préalable dans l’analyse permet de déterminer l’existence ou l’absence d’intention de faire de la publicité électorale sans égard à la teneur de l’ouvrage, et des éléments de preuve objectifs devraient être faciles à produire, car ils relèvent entièrement du tiers.

[164] Le PGC souligne encore une fois que l’expression visée par la définition de « publicité électorale » n’est pas interdite par le régime légal. Le tiers doit simplement se conformer aux prescriptions en matière de dépenses, d’enregistrement et de divulgation, qui portent une atteinte minimale à la liberté d’expression suivant l’arrêt Harper.

[165] En ce qui concerne la proportionnalité, le PGC fait valoir que l’alinéa 2(1)b) n’a aucun effet préjudiciable. Or, si ce n’était pas le cas, les effets bénéfiques pour la liberté d’expression (protection de la promotion partisane d’un ouvrage qui coïncide avec une élection par pur hasard) et efforts anti-esquive du régime de publicité électorale par des tiers l’emporteraient sur tout effet préjudiciable.

[166] À titre de réparation, le PGC soutient que la dissociation de la condition de mitigation prévue à l’alinéa b) de la définition de « publicité électorale » ne constituerait pas une réparation convenable. Une telle mesure aurait pour effet d’exempter toutes les activités promotionnelles d’ouvrages, même si elles visent manifestement à esquiver les règles relatives à la publicité électorale par des tiers. Un tel résultat serait manifestement contraire à l’objectif du législateur. Au contraire, si la Cour conclut à une atteinte injustifiable au droit d’expression de Rebel News, la réparation qu’elle peut ordonner doit être adaptée à la portée précise de l’inconstitutionnalité. Elle peut alors adopter une interprétation large ou une interprétation restreinte, selon le cas. Par ailleurs, la Cour pourrait déclarer inopérante l’intégralité de l’alinéa b).

Analyse

[167] À titre préliminaire, le PGC soutient que Rebel News tente de soulever une nouvelle question constitutionnelle dans ses observations écrites. Cette affirmation découle de l’assertion de Rebel News au paragraphe 51 de ses observations écrites selon laquelle il ne fait aucun doute que les articles 352 et 353 restreignent la liberté d’expression. Partant, l’argument relatif à cette atteinte doit être axé sur l’article premier de la Charte. Toutefois, dans l’ensemble, force est de constater que Rebel News avait l’intention de faire valoir – et a effectivement fait valoir, que l’alinéa 2(1)b) contrevient à la Charte. L’avis de demande, l’avis de question constitutionnelle et l’analyse à la lumière de l’article premier figurant au mémoire de Rebel News indiquent tous cet élément. Par conséquent, je ne suis pas d’accord pour dire que Rebel News a soulevé un nouvel argument fondé sur la Charte. La question de savoir si l’alinéa 2(1)b) est constitutionnel est distincte de celle de savoir si les articles 352 et 353 (en fait, le régime de publicité par des tiers dans son ensemble tel qu’il est établi dans la Loi) le sont.

[168] L’alinéa 2b) de la Charte protège la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. Comme il est dit dans l’arrêt Harper, « [l]a publicité faite par les tiers est une forme d’expression politique. Qu’elle soit partisane ou qu’elle s’attache à un enjeu donné, la publicité électorale des tiers enrichit le débat politique (Rapport Lortie, précité, p. 352). En tant que telle, elle constitue un aspect fondamental de la liberté d’expression garantie par la Charte et commande un haut degré de protection constitutionnelle » (para 84). Toutefois, la Cour suprême reconnaît certes que la liberté d’expression est un aspect essentiel du processus démocratique et estime que les dispositions de la Loi relatives à l’attribution, à l’enregistrement et à la divulgation contreviennent à l’alinéa 2b) de la Charte, puisqu’elles ont pour effet de limiter la liberté d’expression, mais elle arrive à la conclusion que ces dispositions visent deux objectifs importants et ne portent qu’une atteinte minimale.

[169] Comme l’affirme le PGC, afin de déterminer si une loi contrevient à l’alinéa 2b), la Cour doit poser trois questions : 1) l’activité en question a‐t‐elle le contenu expressif nécessaire pour entrer dans le champ d’application de la protection offerte par l’alinéa 2b); 2) dans l’affirmative, le lieu ou le mode d’expression ont‐ils pour effet d’écarter cette protection?; 3) si l’activité d’expression est protégée par l’alinéa 2b), la loi contestée, de par son objet ou son effet, restreint‐elle cette activité expressive (citant Montréal (Ville) c 2952‐1366 Québec Inc, 2005 CSC 62 aux para 56-57; Irwin Toy Ltd c Québec (Procureur général), [1989] 1 RCS 927, aux p. 967 à 973).

[170] Seule la troisième question est en litige en l’espèce. Le PGC fait valoir que Rebel News ne s’est pas acquittée de son fardeau relatif au troisième volet du critère, à savoir, elle n’a pas établi que l’alinéa 2(1)b), de par son objet ou son effet, restreint l’activité expressive.

[171] À cet égard, comme il est expliqué plus haut, Rebel News et le PGC interprètent de manière différente l’alinéa 2(1)b). Selon Rebel News, l’alinéa 2(1)b) constitue une « exemption relative aux ouvrages » qui soustrait l’activité expressive au régime de publicité par des tiers. La mitigation prévue à l’alinéa 2(1)b) (« dont la mise en vente [de l’ouvrage] avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection ») impose des restrictions à l’activité expressive qui en serait par ailleurs exemptée. À l’inverse, le PGC interprète l’objet et l’effet de l’alinéa 2(1)b) comme la préservation d’une sphère d’activité expressive en ce sens que la publicité électorale par le truchement d’activités promotionnelles d’ouvrages, si elle coïncide avec une élection par pur hasard, n’est pas visée par le régime légal. Autrement dit, l’alinéa 2(1)b) sert à protéger une foule d’activités expressives non réglementées susceptibles par ailleurs de tomber sous le coup de la partie liminaire de la définition.

[172] Dans ce contexte, la question consiste à savoir si, d’une part, l’alinéa 2(1)b) est une exemption du régime global de sorte que la mitigation qu’il prévoit présente de nouvelles restrictions à une activité expressive par ailleurs non réglementée ou, d’autre part, s’il s’agit plutôt d’une précision qui énonce simplement une activité expressive qui ne devait jamais tomber sous le coup de la définition de « publicité électorale ». Comme je l’indique plus haut, je suis d’accord avec le CEF et le PGC pour dire que l’alinéa 2(1)b) est une précision. Les éléments énumérés aux alinéas a) à e) précisent que les types d’activités expressives qui y sont décrites ne sont pas censées être visées par la définition de la « publicité électorale » prévue au paragraphe 2(1).

[173] Par conséquent, je suis également d’accord avec le PGC pour dire que toute restriction des droits d’expression de Rebel News découle non pas de l’alinéa 2(1)b), mais de la réglementation générale de la publicité électorale par des tiers, qui a été jugé constitutionnelle dans l’arrêt Harper.

[174] J’ajouterais que qualifier l’alinéa 2(1)b) d’« exemption » ne tiendrait pas compte de l’esprit de la loi. Une « exemption » laisse entendre que certaines activités expressives sont exclues même si elles menacent le modèle égalitaire. Par conséquent, la création de telles exemptions affaiblirait la capacité du régime à réaliser son objet.

[175] En résumé, à mon avis, l’alinéa 2(1)b), en soi, s’il est bien interprété, ne restreint pas l’activité expressive, de par son objet ou son effet. Interprétée de façon globale et à la lumière de son contexte, la définition fait partie du régime de publicité des tiers. Elle éclaire l’application des articles 352 et 353 de la Loi, auxquels elle se rattache, et que la Cour suprême a jugés constitutionnels dans l’arrêt Harper.

Si l’alinéa 2(1)b) porte atteinte aux droits conférés par l’alinéa 2b) de la Charte, l’atteinte est‐elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte?

[176] Vu ma conclusion précédente, il n’est pas nécessaire que j’examine cette question. Or, je procède à l’analyse quand même, au cas où j’aurais commis une erreur.

[177] L’article premier de la Charte garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Selon l’arrêt Oakes, l’atteinte à une garantie constitutionnelle sera validée à deux conditions. Dans un premier temps, l’objectif de la loi doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles. En deuxième lieu, dès qu’il est reconnu qu’un objectif est suffisamment important, la partie qui invoque l’article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Il faut pour cela appliquer « une sorte de critère de proportionnalité ». Plus particulièrement, il doit être satisfait à trois critères : 1) il doit y avoir un lien rationnel entre la restriction et l’objectif de la loi; 2) la disposition contestée doit porter une atteinte minimale au droit ou à la liberté conférés par la Charte; et 3) il doit y avoir une proportionnalité entre l’effet de la mesure qui a restreint le droit ou la liberté conférés par la Charte et l’objectif de la loi.

Imprécision

[178] Rebel News fait valoir que l’imprécision peut être soulevée a priori dans l’analyse qu’appelle l’article premier de la Charte et qu’elle est également pertinente à l’étape de l’atteinte minimale du critère énoncé dans l’arrêt Oakes. Rebel News soutient qu’une loi ne doit pas être si dépourvue de précision dans son contenu qu’une condamnation découlerait automatiquement de la décision de poursuivre (citant R c Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 RCS 606, à la p. 636 [NS Pharma]). De plus, une condamnation découlerait automatiquement de la décision du commissaire de poursuivre, en vertu des articles 352 et 353, la promotion d’un ouvrage publié pendant une élection. En outre, la question de savoir si un ouvrage expressif sur le plan politique publié pendant une élection aurait été « mi[s] en vente [. . .] sans égard à la tenue de l’élection » est impossible à trancher et ressortit à la conjecture.

[179] Comme l’affirme le PGC, une loi imprécise au point d’être inconstitutionnelle ne prévoit aucune norme intelligible permettant un discernement judiciaire qui pourrait guider le comportement des citoyens ou contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire (renvoyant à NS Pharma aux p. 621 à 643).

[180] Dans l’arrêt Harper, la Cour suprême traite de l’imprécision en ces termes :

90 Une disposition est considérée d’une imprécision inacceptable s’il n’existe aucun fondement suffisant pour un débat judiciaire ou s’il est impossible de délimiter une sphère de risque; voir R. c Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 639‐640. L’interprétation des termes litigieux en l’espèce doit être contextuelle. Il va de soi qu’un régime réglementaire ne peut évidemment pas décrire par le menu détail toutes les éventualités et qu’il doit conférer un certain pouvoir discrétionnaire — une marge d’appréciation. L’essentiel, c’est que les principes directeurs soient suffisamment clairs pour éviter l’arbitraire. Bien qu’aucun critère précis n’existe, il est possible de dire si une question est associée à un candidat ou à un parti politique et, partant, de délimiter une sphère de risque. Par exemple, il est possible de déterminer si une question est associée à un candidat ou à un parti politique en consultant leur programme électoral. Lorsqu’une question se soulève durant la campagne électorale, la réponse du candidat ou du parti politique peut être fournie par voie de communiqué de presse (Rapport Lortie, op. cit., p. 353). La question de savoir si la définition est d’une imprécision inacceptable est susceptible de débat judiciaire et il convient de l’examiner à l’étape de l’atteinte minimale dans l’analyse de la justification.

[181] Dans l’arrêt Harper, l’intimé soutenait que l’ensemble du régime applicable aux dépenses de publicité par des tiers était trop imprécis pour constituer une restriction apportée par une règle de droit, étant donné que la Loi ne précisait pas suffisamment ce qu’il faut entendre par une question « associée » à un candidat ou à un parti. Par conséquent, il était difficile de déterminer si la publicité constituait de la publicité électorale et était assujettie aux dispositions du régime. La Cour suprême a rejeté cet argument, concluant qu’il n’était pas fondé. De plus, elle affirme : « [b]ien qu’ayant une large portée, la définition de “publicité électorale” à l’art. 319 n’est pas imprécise au point d’être inconstitutionnelle » (Harper, au para 89). C’est important, puisque le libellé de l’ancien article 319 se trouve dorénavant dans la définition de la publicité électorale prévue au paragraphe 2(1).

[182] Par conséquent, la Cour suprême a déjà décidé que la définition de la publicité électorale – qui comprend l’alinéa b) – n’est pas imprécise au point d’être inconstitutionnelle.

[183] De plus, s’il est bien interprété, l’alinéa 2(1)b) n’est pas imprécis. Il est évident que la promotion aux fins de la vente d’un ouvrage ne constituerait pas de la publicité électorale si sa « mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection ». Cette question n’est ni impossible à trancher ni ne ressortit à la conjecture. On peut raisonnablement s’attendre à ce que les auteurs et les éditeurs d’ouvrages planifient le calendrier de la promotion de leurs ouvrages. Si, comme en l’espèce, ils choisissent intentionnellement de promouvoir un ouvrage partisan pendant une période électorale, cette promotion constituera alors de la « publicité électorale ». Si la promotion de l’ouvrage avait été planifiée pour coïncider avec une élection par pur hasard, la promotion ne constituera donc pas de la « publicité électorale ». Le calendrier de cette promotion et l’intention qui la sous-tend sont manifestement connus et on peut raisonnablement s’attendre à ce que les auteurs et les éditeurs en fassent la preuve au moyen d’éléments de preuve objective. L’alinéa 2(1)b) est une norme juridique claire et déterminable. Il n’est pas si imprécis que la restriction n’est pas apportée par une règle de droit.

[184] En ce qui concerne l’observation de Rebel News selon laquelle une condamnation découlerait automatiquement de la décision du commissaire de poursuivre la promotion de l’ouvrage en vertu des articles 352 et 353 si l’ouvrage était publié pendant une élection, je ne suis pas du même avis.

[185] Une conclusion de manquement à ces dispositions dépendra de la réponse à la question de savoir si la mise en vente de l’ouvrage avait été planifiée sans égard à la tenue de l’élection. Comme je le dis plus haut, lorsque, au vu de la preuve, le CEF conclut qu’un auteur ou un éditeur avait l’intention de distribuer ou de promouvoir un ouvrage partisan pendant une période électorale (et de faire ainsi de la publicité électorale), le commissaire peut intervenir (en imposant une SAP ou en portant des accusations criminelles). Une condamnation n’est pas assurée; l’issue dépend des faits et des éléments de preuve, comme en l’espèce.

Critère énoncé dans l’arrêt Oakes

[186] Rebel News admet que, comme il ressort de l’arrêt Harper, le régime global de publicité électorale par des tiers prévu par la Loi comporte un objectif urgent et réel, et ce régime comporte la définition de « publicité électorale » pour l’application de ses dispositions, y compris les articles 352 et 353. Rebel News admet également que l’alinéa 2(1)b) a un lien rationnel avec les objectifs du régime de publicité électorale par des tiers prévu par la Loi. La question suivante consiste à savoir si l’alinéa 2(1)b) ne porte qu’une atteinte minimale. Comme la Cour suprême du Canada l’affirme dans l’arrêt Alberta c Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37 [Hutterian Brethren] :

La question qui se pose à ce stade de l’analyse de la proportionnalité requise par l’article premier est celle de savoir si la restriction au droit est raisonnablement bien adaptée à l’objectif urgent et réel invoqué pour la justifier. Autrement dit, existe‐t‐il des moyens moins préjudiciables de réaliser l’objectif législatif? Dans cette évaluation, les tribunaux font preuve d’une certaine déférence à l’égard de la législature, surtout en ce qui concerne les questions sociales complexes où la législature est peut‐être mieux placée que les tribunaux pour choisir parmi une gamme de mesures. [au para 53; voir également le para 54, citant RJR MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1995] 3 RCS 199, au para 160].

[187] De plus, « [l]e critère de l’atteinte minimale consiste à se demander s’il existe un autre moyen moins attentatoire d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle » (Hutterian Brethren, au para 55).

[188] Rebel News affirme que l’alinéa 2(1)b) ne porte pas qu’une atteinte minimale à ses droits ou à ses libertés conférés par l’alinéa 2b) de la Charte parce que l’imprécision de la disposition, conjuguée à la mitigation, ont pour effet de viser ce que le législateur a cherché à soustraire au contrôle et, partant, d’inviter un vaste examen administratif de tous les ouvrages expressifs sur le plan politique dont la publication tombe pendant la période électorale et la promotion de ceux‐ci.

[189] Tout d’abord, je conclus plus haut que l’alinéa 2(1)b) n’est pas imprécis au point d’être inconstitutionnel. En deuxième lieu, cet argument s’appuie sur l’opinion de Rebel News selon laquelle l’alinéa 2(1)b) prévoit une exception au paragraphe 2(1). Or, je suis d’accord avec le commissaire et souscris à l’interprétation proposée par le PGC selon laquelle l’alinéa 2(1)b) apporte une précision.

[190] Je fais également noter que, en réponse aux arguments de Rebel News, le PGC présente essentiellement deux arguments. En premier lieu, l’alinéa 2(1)b) est soigneusement conçu pour réaliser son objectif de la manière la moins restrictive possible, car il contient des limites inhérentes qui favorisent la liberté d’expression autant que possible tout en assurant l’intégrité du système de publicité par des tiers de la Loi. Par exemple, la rédaction, la publication et la vente d’un ouvrage ne constituent pas un message publicitaire et ne tombent donc pas sous le coup du régime légal de publicité par des tiers. Cette limite est notable parce que, suivant l’interprétation de Rebel News, l’alinéa 2(1)b) s’applique aux ouvrages eux‐mêmes, plutôt qu’à leur promotion. L’alinéa 2(1)b) porte beaucoup moins atteinte à la liberté conférée par l’alinéa 2b) de la Charte que ne l’affirme Rebel News si la limite ne s’applique qu’à la promotion de l’ouvrage. En deuxième lieu, même si la promotion d’un ouvrage donné constitue de la « publicité électorale », cette promotion n’est pas interdite. Le tiers doit simplement se conformer aux prescriptions de la Loi qui s’appliquent à tous les annonceurs électoraux tiers. Ces observations sont convaincantes.

[191] L’alinéa 2(1)b) ne porte qu’une atteinte minimale, s’il en est, aux droits à la liberté d’expression pour réaliser les objectifs du régime de publicité électorale des tiers. À mon avis, pour les motifs exposés plus haut, j’estime que l’alinéa 2(1)b) ne porte qu’une atteinte minimale.

Proportionnalité

[192] La dernière étape du critère énoncé dans l’arrêt Oakes consiste à savoir si les « effets bénéfiques de la mesure législative contestée en justifient le coût que représente la restriction au droit » (Hutterian Brethren, au para 77; voir également 351 Inc, au para 188).

[193] En ce qui concerne la proportionnalité, Rebel News fait valoir de manière générale que la publication et la promotion d’un ouvrage pendant une élection ne devraient pas être interdites, et que le fait de soumettre les auteurs et les éditeurs à des exigences gouvernementales d’enregistrement, ou, subsidiairement, à des enquêtes et à des sanctions, ne constituent pas une restriction dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique. Rebel News conteste les [traduction] « vastes pouvoirs d’enquête » que la Loi confère au commissaire pour déterminer si l’alinéa 2(1)b) s’applique. Selon Rebel News, afin de déterminer l’applicabilité de cette disposition, il faut examiner les plans de rédaction et de commercialisation d’un auteur ou d’un éditeur, ce qui risque de mener à un contrôle et à la sanction des rédacteurs politiques. Rebel News invoque à nouveau l’éventuel effet dissuasif pour les éditeurs d’ouvrages expressifs sur le plan politique.

[194] Je fais remarquer d’abord que, contrairement à ce que prétend Rebel News, la promotion d’un ouvrage pendant une élection n’est pas interdite par l’alinéa 2(1)b) ou toute autre disposition de la Loi. Au contraire, la promotion des ouvrages qui tombe sous le coup de la définition de « publicité électorale » exige que les auteurs ou les éditeurs se conforment aux prescriptions de la Loi en matière de dépenses, d’enregistrement et de divulgation qui s’appliquent à tous les annonceurs électoraux tiers.

[195] En deuxième lieu, Rebel News n’a pas contesté les dispositions de la Loi qui traitent du pouvoir conféré au commissaire d’enquêter sur les violations possibles. Et, conformément à l’examen plus haut, il ne devrait pas être trop onéreux pour un auteur ou un éditeur de démontrer ce qui était envisagé quant au calendrier de promotion.

[196] En troisième lieu, Rebel News n’a présenté aucun élément de preuve des effets dissuasifs qu’elle allègue (voir Média Vice au para 28), et je suis d’accord avec le PGC pour dire que le spectre soulevé par Rebel News quant à la censure, aux interdictions de publication d’ouvrages et au contrôle gouvernemental de l’expression politique n’est pas étayé par le libellé de la disposition en question.

[197] Comme je le dis plus haut, je suis également d’accord avec le PGC pour dire que l’alinéa 2(1)b) en soi ne restreint aucunement la liberté d’expression parce que, de par son objet et son effet, il sert à confirmer et à protéger la promotion partisane d’un ouvrage dont la publication tombe par hasard au moment d’une élection.

[198] Toutefois, en cas d’atteinte, la question consiste à savoir si les effets bénéfiques de la disposition l’emportent sur ses effets préjudiciables. À mon avis, Rebel News exagère les effets préjudiciables de l’alinéa 2(1)b). Comme je l’affirme plus haut, l’effet de cette disposition se limite à exiger que ceux qui choisissent de promouvoir des ouvrages partisans pendant une période électorale se conforment aux prescriptions en matière d’attribution, d’enregistrement et de divulgation du régime légal de publicité électorale par des tiers.

[199] Je fais également remarquer que la définition de publicité électorale qui figure au paragraphe 2(1) de la Loi fait partie intégrante du régime légal de publicité par des tiers, tout particulièrement en l’espèce les articles 352 et 353. On a conclu que ces dispositions contreviennent à l’alinéa 2b), car elles ont pour effet de restreindre la liberté d’expression (Harper, au para 138). Toutefois, on a conclu qu’elles ne portent qu’une atteinte minimale et que leurs effets bénéfiques l’emportent sur leurs effets préjudiciables (Harper, aux para 145 et 146) :

146 Les effets bénéfiques des mesures contestées l’emportent sur leurs effets préjudiciables. Les obligations d’attribution, d’enregistrement et de divulgation facilitent la mise en œuvre et le respect du régime applicable à la publicité électorale faite par les tiers. En renforçant la transparence du processus électoral et en accroissant l’imputabilité des tiers, ces obligations découragent l’évitement des plafonds, en plus de rehausser la confiance des Canadiens dans leur système électoral. À l’opposé, les effets préjudiciables sont minimaux. Il ne s’agit certes pas d’obligations aussi lourdes que le prétend l’intimé. Rien n’indique qu’un donateur a été découragé de verser une contribution à un tiers ou qu’un tiers a été découragé de faire de la publicité électorale en raison des obligations de divulgation.

[200] Comme l’affirme le PGC, les effets bénéfiques de l’alinéa 2(1)b) consistent à favoriser la liberté d’expression en protégeant expressément une sphère d’activités promotionnelles d’ouvrages partisans dont la publication tombe par hasard pendant une période électorale. De plus, en confirmant que la promotion partisane de l’ouvrage prévue intentionnellement pour coïncider avec une période électorale est visée par le régime de réglementation, l’alinéa 2(1)b) constitue une disposition anti-esquive et, partant, fait partie intégrante du régime de publicité électorale par des tiers dans son ensemble.

[201] À mon avis, l’effet bénéfique de l’alinéa 2(1)b) à titre de disposition anti-esquive l’emporte sur les effets préjudiciables que représente l’obligation éventuelle pour un tiers de se conformer aux prescriptions en matière de dépenses, d’enregistrement et de divulgation.

[202] Par conséquent, je conclus que si l’alinéa 2(1)b) limite les droits conférés par l’alinéa 2b) de la Charte, il s’agit alors d’une limite raisonnable au regard de l’article premier de la Charte.

Conclusion

[203] La décision du commissaire n’était certainement pas parfaite. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’elle le soit. À la lumière de la décision et du dossier dans son ensemble, je suis convaincue que la décision était raisonnable pour les motifs exposés ci‐dessus. Je conclus également que l’alinéa 2(1)b), s’il fait jouer l’alinéa 2b) de la Charte, ne porte qu’une atteinte minimale au droit à la liberté d’expression de Rebel News (l’atteinte minimale étant le seul aspect du critère de proportionnalité énoncé dans l’arrêt Oakes que Rebel News a soulevé). Par conséquent, la disposition prévoit une limite raisonnable au regard de l’article premier de la Charte.

Les dépens

[204] Les parties ont convenu que, si Rebel News obtient gain de cause relativement à sa demande de contrôle judiciaire, le CEF et le PGC paieront chacun la somme globale de 5 000 $ en dépens à Rebel News (10 000 $ au total). Si Rebel News n’obtient pas gain de cause, elle paiera alors une somme globale de 5 000 $ au CEF et au PGC respectivement (10 000 $ au total).

 


JUGEMENT DANS T‐1249‐21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Rebel News doit payer la somme globale de 5 000 $ en dépens au commissaire aux élections fédérales et au procureur général du Canada, respectivement (10 000 $ au total).

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐1249‐21

 

INTITULÉ :

REBEL NEWS NETWORK LTD. c CANADA (COMMISSAIRE AUX ÉLECTIONS FÉDÉRALES) ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 septembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

le 7 décembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Aaron Rosenberg

 

Pour la demanderesse

 

Me Andrew Law

Me Adrian Zita‐Bennett

 

POUR le défendeur (LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

 

Me Nadia Effendi

Me Veronica Sjolin

 

POUR le défendeur (COMMISSAIRE AUX ÉLECTIONS FÉDÉRALES)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Re‐Law LLP

Avocats

Vaughan (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR le défendeur (LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.R.L., S.R.L.

Toronto (Ontario)

 

POUR le défendeur (COMMISSAIRE AUX ÉLECTIONS FÉDÉRALES)

 

 

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