Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20231129


Dossiers : IMM-9599-22

IMM-9600-22

IMM-9639-22

Référence : 2023 CF 1595

Ottawa, Ontario, le 29 novembre 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

TSAGUE LEKEUKA BENI-AROLD

TSAGUE ZANGUIM MURIELLE GRÂCE

TSAGUE DONGMO LYNN-JOYCE

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, des frères et sœurs mineurs, sont citoyens du Cameroun où ils résident actuellement. Leur père (le répondant), M. Lekeuka, est résident du Canada depuis 2020. À l’époque où il a présenté sa demande de résidence permanente au Canada dans le programme de travailleur qualifié, M. Lekeuka n’a pas déclaré les trois demandeurs.

[2] Le 10 septembre 2021, M. Lekeuka introduit une demande de parrainage des demandeurs au titre de la catégorie du regroupement familial (DRP-regroupement familial). À l’appui de sa demande, M. Lekeuka soumet une lettre d’explication (la Lettre explicative) dans laquelle il indique que les demandeurs sont nés d’une relation extraconjugale. La mère camerounaise des demandeurs s’est d’abord opposée à l’inclusion de ses enfants dans le projet d’immigration de M. Lekeuka. Cependant, elle ne s’oppose pas actuellement au parrainage parce qu’elle éprouve des difficultés à éduquer et à répondre aux besoins des demandeurs. M. Lekeuka affirme dans la Lettre explicative que les demandeurs « sont délaissés à eux mêmes et vivent dans les conditions très difficiles ».

[3] Le 25 août 2022, une agente d’immigration de l’Ambassade du Canada à Dakar (l’Agente) rejette les demandes de visa de résidence permanente (DRP-regroupement familial) des demandeurs aux termes de l’alinéa 117(9)(d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR). L’Agente détermine aussi que les considérations d’ordre humanitaire ne justifient pas une exemption des exigences de l’alinéa 117(9)(d), selon le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[4] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire des trois décisions de l’Agente (les Décisions). Ils prétendent que l’Agente aurait manqué à son obligation d’agir équitablement en refusant leurs demandes de visa et que les Décisions sont déraisonnables.

[5] En 2022, la Cour a ordonné que les demandes de contrôle judiciaire des demandeurs (IMM-9599-22, IMM-9600-22 et IMM‐9639-22) soient instruites ensemble et l’audience des demandes m’a été confiée. Les présents motifs et jugement traitent l’ensemble des demandes.

[6] Pour les motifs qui suivent, les demandes de contrôle judiciaire des demandeurs seront accueillies. Après avoir examiné les motifs de l’Agente, la preuve aux dossiers et le droit applicable, je suis d’avis que, dans les circonstances, les Décisions ne respectent pas les règles d’équité procédurale. Compte tenu de cette conclusion, je n’ai pas à examiner les autres arguments qu’invoquent les demandeurs pour contester le caractère raisonnable des Décisions.

II. Analyse

[7] Les demandeurs soutiennent que la Lettre explicative de M. Lekeuka n’avait pas pour objectif de présenter une demande en vertu de l’article 25 de la LIPR fondée sur des considérations humanitaires. Ils reconnaissent que la Lettre explicative aborde quelques aspects de leurs vies. Toutefois, en raison de leurs droits à la réunification familiale, les demandeurs prétendent que l’Agente aurait dû leur accorder, par moyen de lettre d’équité procédurale, l’occasion de déposer les arguments et les éléments de preuve détaillés décrivant leurs conditions de vie au Cameroun.

[8] Les questions d’équité procédurale ne sont pas véritablement tranchées en fonction d’une norme de contrôle particulière. Le rôle d’une cour de révision est plutôt de déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 (CCP)). La Cour d’appel fédérale a souligné que « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (CCP au para 56).

[9] Le défendeur soutient que, pour l’Agente, la Lettre explicative équivaut à une demande de dispense de l’application de l’exclusion prévue à l’alinéa 117(9)(d) du RIPR pour les motifs humanitaires. Je suis d’accord. Je suis néanmoins convaincue que M. Lekeuka ne proposait pas une demande de dispense discrétionnaire fondée sur les considérations humanitaires lors du dépôt de la Lettre explicative.

[10] Dans la Lettre explicative, M. Lekeuka décrit les circonstances de la naissance des demandeurs et le refus initial de leur mère à l’inscription des demandeurs dans la demande de résidence permanente de leur père. Il précise que la mère a maintenant retiré son opposition et qu’elle se plaint de la charge des enfants au point qu’elle a abandonné la garde de deux des demandeurs à la grande sœur de M. Lekeuka au Cameroun.

[11] M. Lekeuka déclare que la Lettre explicative « vise à expliquer le pourquoi de l’absence de mention » des demandeurs dans son propre dossier d’immigration. Assurément, il décrit certaines conditions de vie difficiles auxquelles les demandeurs font face au Cameroun, mais son objectif principal en déposant la Lettre explicative consiste à expliquer le motif pour lequel il a omis de déclarer les demandeurs dans sa demande de résidence permanente au Canada.

[12] Ayant considéré soigneusement le contenu et l’objectif de la Lettre explicative, les Décisions, et les conséquences sérieuses qui en découlent, je conclus que les droits à l’équité procédurale des demandeurs ont été violés lors du processus décisionnel de l’Agente. Confrontée d’une lettre manifestement ambiguë, elle avait l’obligation de faire preuve de plus de transparence dans son processus d’évaluation. Pour ce faire, l’Agente aurait dû envoyer une lettre d’équité procédurale à M. Lekeuka avant d’entamer une évaluation des considérations humanitaires. Ce manquement à l’équité procédurale a nui considérablement au droit des demandeurs de présenter leurs arguments.

[13] Les demandes de contrôle judiciaire sont donc accueillies et les Décisions sont annulées. Il est essentiel que les demandeurs, et M. Lekeuka, soient accordés l’occasion de présenter pleinement leur cas à un nouvel agent d’immigration.

[14] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et je conviens qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT aux dossiers IMM-9599-22, IMM-9600-22 et IMM-9639-22

LA COUR STATUE que :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies.

  2. Les demandes de visa de résidence permanente des demandeurs sont renvoyées à un agent d’immigration différent pour un nouvel examen.

  3. Une copie du présent jugement et des motifs sera placée dans chacun des dossiers suivants de la Cour : IMM-9599-22, IMM-9600-22 et IMM‐9639-22.

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-9599-22, IMM-9600-22, IMM-9639-22

 

INTITULÉ :

TSAGUE LEKEUKA BENI-AROLD, TSAGUE ZANGUIM MURIELLE GRÂCE, TSAGUE DONGMO LYNN-JOYCE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, QUÉBEC

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 OCTOBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 NOVEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Alain-Guy Sipowo

 

Pour les DEMANDEURS

 

Me Simone Truong

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AGS Avocat Inc.

Avocat

Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.