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Date : 20231205


Dossier : T-725-22

Référence : 2023 CF 1628

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2023

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

BENOÎT LACHAPELLE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision Benoît Lachapelle c Service Correctionnel du Canada, 2022 TSSTC 2 [Décision contestée] rendue le 8 mars 2022 par un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail [le Tribunal]. Le demandeur, Benoît Lachapelle, conteste le choix de l’agent d’appel d’émettre, en vertu de l’alinéa 146.1(1)(b) du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [Code], une instruction correctrice de nature générale pour résoudre une situation de danger dans son milieu de travail. Le demandeur soutient que le défaut de fournir une instruction de nature spécifique rend la décision déraisonnable. Il allègue également que l’agent d’appel a manqué à son obligation d’équité procédurale en ce que des attentes légitimes ont été créées par la décideur administratif, attentes qui n’ont pas été réalisées dans la décision sous étude.

[2] La décision contestée est l’aboutissement d’un long processus administratif qui a débuté en 2018. Afin de comprendre les enjeux de l’affaire, il est nécessaire de donner un aperçu des faits qui ont mené à cette décision.

II. Faits

[3] M. Lachapelle est un agent correctionnel du Service correctionnel du Canada [SCC] qui travaille à l’Unité spéciale de détention [USD] au Centre régional de réception à l’établissement de Sainte-Anne-des-Plaines du Québec. L’USD est le seul établissement carcéral à sécurité plus que maximale (communément appelé « supermax ») au Canada. C’est l’établissement qui accueille les détenus considérés comme les plus dangereux, ceux qui ne peuvent être gérés de manière sécuritaire dans d’autres institutions à sécurité maximale.

[4] En mai 2015, le SCC remplace les armes à feu utilisées par les agents correctionnels à l’USD. La carabine Colt 9mm, utilisée à l’intérieur de l’édifice, et la carabine AR 15 de calibre .223, utilisée à l’extérieur de l’établissement, sont remplacées par la carabine Colt .556, communément appelée carabine C-8. Contrairement à la carabine 9mm, la carabine C-8 a une puissance de longue portée.

[5] Le 16 juillet 2018, M. Lachapelle envoie une lettre au SCC dans laquelle il annonce qu’il exerce son droit de refuser de travailler en cas de danger, en vertu du paragraphe 128(1) du Code. Le refus de travailler est motivé par le remplacement de la carabine 9mm par la carabine C-8 comme arme utilisée à l’intérieur de l’USD. Le demandeur affirme que ce changement, en l’absence de mesures de sécurité supplémentaires, expose les agents correctionnels qui travaillent sur le plancher à l’USD à un danger mortel. M. Lachapelle occupe ce genre d’emploi. Les murs vitrés qui entourent les salles communes de l’USD ne sont pas résistants à la puissance des munitions de la carabine C-8. Ainsi, le demandeur soutient que si un agent correctionnel en poste sur la passerelle qui surplombe devait déployer son arme lors d’un incident, cela mettrait le demandeur dans une situation de danger mortel.

[6] Le 23 juillet 2018, une déléguée officielle du ministre du Travail [la déléguée ministérielle] effectue une enquête portant sur le refus de travailler du demandeur. Le 27 juillet 2018, la déléguée ministérielle rend une décision dans laquelle elle conclut qu’il y a une absence de danger dans le milieu de travail.

[7] Le 2 août 2018, M. Lachapelle interjette appel de la décision de la déléguée ministérielle au Tribunal, en vertu du paragraphe 129(7) du Code.

[8] Le 5 août 2021, l’agent d’appel rend une décision dans laquelle il conclut que « lors du refus de travail, il existait un danger ne représentant pas une condition normale d’emploi pour l’appelant » et modifie donc la décision de la déléguée ministérielle (Benoît Lachapelle c Service Correctionnel du Canada, 2021 TSSTC 2, au para 105). Cependant, il décide à ce stade de ne pas émettre une instruction à l’employeur en vertu de l’alinéa 146.1(1)(b) du Code.

[9] Le 3 septembre 2021, le Procureur général présente une demande de contrôle judiciaire de la décision du 5 août 2021. Le 23 décembre 2022, la Cour fédérale rejette cette demande de contrôle judiciaire dans un jugement rendu par madame la juge Martine St-Louis (Canada (Procureur général) c Lachapelle, 2022 CF 1785). Restait donc la question l’émission possible d’une instruction.

[10] Le 27 octobre 2021, après l’échec de leurs négociations sur des mesures correctives, les parties envoyaient une lettre conjointe au Tribunal pour demander que l’agent d’appel demeure saisi de l’affaire.

[11] Le 8 novembre 2021, une conférence téléphonique a lieu entre les avocats des parties et l’agent d’appel afin de fixer les délais pour la soumission de leurs observations écrites. Lors de la conférence, l’agent d’appel explique que le but de ce processus était de permettre « de déterminer si l’une et l’autre partie s’était prêtée sérieusement à l’exercice [de négociation,] et non de jauger le potentiel de résolution/correction de chaque proposition de solution » (décision contestée, au para 4). L’agent d’appel indique que cela est la seule raison qu’il acceptait les soumissions, et il demande aux parties de ne pas commenter les solutions proposées par la partie adverse.

[12] Le 15 novembre 2021, le syndicat du demandeur soumet ses observations écrites dans lesquelles il fait valoir trois solutions possibles au danger au travail. Premièrement, il propose de changer l’arme utilisée à l’intérieur de l’USD. Deuxièmement, à titre d’alternative, il propose d’augmenter la capacité balistique des murs et des fenêtres de l’USD. Finalement, comme deuxième alternative, il propose de changer la munition utilisée par les agents correctionnels à une munition frangible qui ne peut pas pénétrer les murs vitrés de l’USD, tout en gardant la carabine C-8 comme arme.

[13] Le 22 novembre 2021, le SCC soumet ses observations écrites, dans lesquelles il propose une solution à court terme et une solution à moyen-long terme. Premièrement, la solution à court terme consiste à mettre à jour les marquages de la zone de sécurité autour des murs vitrés et d’aviser les employés de l’USD d’éviter cette zone lorsque l’alarme d’incident est déclenchée. Cette mesure inclut une procédure pour fermer les grilles d’accès à cette zone lors d’un incident. Deuxièmement, la solution à moyen-long terme est de ranger les carabines C-8 dans un coffret sur la passerelle qui déclenche une alarme sonore si une arme est sortie du coffret. L’alarme déclencherait la procédure pour évacuer le personnel de la zone de sécurité. De plus, il y aurait des séances de formation offertes afin d’expliquer cette nouvelle procédure au personnel de l’USD. Finalement, malgré les instructions au contraire données par l’agent d’appel, le SCC commente la viabilité des solutions proposées par le demandeur et soutient qu’elles ne seraient pas pratiques pour des raisons budgétaires et de logistiques.

[14] Le 29 novembre 2021, en réponse aux critiques mises de l’avant par l’employeur, le syndicat du demandeur soumet des observations écrites additionnelles qui commentent les mesures proposées par le SCC. La lettre fait valoir que les solutions proposées par l’employeur ne reflètent pas la réalité du danger auquel M. Lachapelle fait face au travail et ne réussirait pas à répondre de manière adéquate à la situation de danger.

[15] Le 8 mars 2022, l’agent d’appel rend la décision contestée, dans laquelle il choisit de ne pas émettre une instruction spécifique à l’employeur. Plutôt, il suit la pratique habituelle du Tribunal et décide d’émettre une instruction générale. C’est de cette dernière décision dont contrôle judiciaire est devant cette Cour.

III. Décision contestée

[16] La décision commence avec un survol des faits de l’affaire. En particulier, l’agent d’appel souligne la conférence téléphonique qui a eu lui le 8 novembre 2021. Il indique qu’il a expliqué aux parties que la seule raison pour laquelle il acceptait leurs observations écrites sur les mesures correctrices qu’ils ont proposées lors de leurs négociations était de voir si elles ont pris le processus au sérieux. Ainsi, il réitère que le but de ce processus n’était pas d’évaluer l’efficacité potentielle des mesures correctives proposées.

[17] L’agent d’appel fait ensuite un survol des observations écrites soumises par les parties. Il décrit les solutions proposées. Il fait un résumé des commentaires faits des mesures proposées par la partie adverse. Cependant, il préface cette deuxième section en expliquant les limites de sa compétence sur ce sujet. Il explique que l’article 146.1 du Code l’habilite à enquêter sur une situation de refus de travailler et, s’il conclut à l’existence d’un danger au sens du Code, d’émettre les instructions jugées indiquées. Cependant, rien dans le Code ne l’habilite à commenter « sur l’efficacité ou l’efficience à venir d’une instruction/mesure à mettre en vigueur » (Décision contestée, au para 13). D’autres mécanismes en vertu du Code existent pour évaluer les mesures correctrices mises en place par un employeur, tels qu’une inspection du lieu de travail par un délégué ministériel à la demande d’une partie, ou le recours périodique par l’employé au droit de refus de travailler, ce qui déclencherait une nouvelle enquête sur l’efficacité des mesures prises.

[18] Par la suite, l’agent d’appel précise les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu du paragraphe 146.1(1) du Code. Il affirme qu’un agent d’appel a une autorité complètement discrétionnaire d’émettre une instruction de nature générale ou spécifique dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1) du Code.

[19] L’agent explique que « l’émission d’une instruction ne peut se faire dans un vacuum et doit tenir compte de certaines dispositions et obligations particulières du Code » (décision contestée, au para 25). Il souligne l’importance d’assurer la conformité avec l’article 122.1 du Code, qui énonce que l’objet de la loi est de « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions ». Il souligne également que cet objet est plus qu’un principe. En pratique, il reflète l’objectif du Code de réduire les risques dans les milieux de travail à la condition normale pour chaque emploi. Ainsi, l’agent explique qu’il faut aussi prendre en compte la hiérarchie des mesures de contrôles tel qu’énoncé à l’article 122.2 du Code. Il faut donc prioriser l’élimination des risques, ensuite leur réduction et enfin la fourniture d’équipement protecteur pour les mitiger.

[20] En raison de la complexité et de la diversité des milieux de travail régis par le Code, une pratique s’est développée au Tribunal de se limiter à l’émission d’instructions de nature générale. Ainsi, le Tribunal donne en règle générale une grande marge de manœuvre aux employeurs pour choisir « les moyens [...] pour parer au danger » (Employeurs Maritimes c Harvey et al, [1991] ACF no 325, à la page 3, 134 NR 392 (CAF) [Harvey], citée dans la Décision contestée, au para 28).

[21] L’agent conclut qu’il ne dérogera pas de la pratique du Tribunal. Ainsi, il émet une ordonnance avec une instruction générale qui oblige le SCC « de prendre des mesures pour protéger l’agent correctionnel Lachapelle et toute autre personne relativement au danger identifié » (Décision contestée, à la p 11). Il ordonne également le SCC de faire rapport des mesures prises à un délégué ministériel dans les 30 jours après l’émission de la décision.

IV. Questions

A. Question préliminaire

[22] Le défendeur soulève une question préliminaire sur la modification de l’intitulé de la cause. Il soumet que le demandeur a incorrectement nommé le SCC comme défendeur, malgré le fait que les ministères n’ont pas de personnalité juridique distincte de la Couronne. Ainsi, le Procureur général du Canada [PGC] aurait dû être nommé comme défendeur (mémoire du défendeur, aux para 18-19, citant Canada (Procureur général) c Zalys, 2020 CAF 81, [2020] ACF no 536 au para 25 [Zalys]; Gravel c Canada (Procureur général), 2011 CF 832, [2011] ACF no 1114 au para 6).

[23] Cette question préliminaire n’a pas été contestée par le demandeur et on devrait en disposer dès maintenant. Le défendeur a raison que l’intitulé de la cause devrait être changé. Le SCC est un ministère au sens du paragraphe 2a.1) et de la colonne I de l’annexe I.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11. Il n’a pas une personnalité juridique distincte et ne peut pas être désigné nommé comme défendeur dans une demande de contrôle judiciaire.

[24] Selon le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, « [d]ans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n’est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procureur général du Canada à ce titre ». Ainsi, le PGC devrait être nommé comme partie défenderesse et l’intitulé devrait être modifié en conséquence.

B. Questions en litige

[25] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions en litige, reformulées ci-dessous :

  1. La décision du Tribunal d’émettre une instruction de nature générale est-elle raisonnable?

  2. Y-a-t-il eu un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur?

V. Le cadre législatif

[26] La Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, LC 2017, c 20, a fait des changements importants à la Partie II du Code, tel que le transfert des pouvoirs des agents d’appel du Tribunal au Conseil canadien des relations industrielles. Ces changements sont entrés en vigueur le 29 juillet 2019. Cependant, ces changements ne sont pas pertinents pour la présente demande de contrôle judiciaire. Selon l’article 382 de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, « le Code canadien du travail, dans sa version antérieure à la date d’entrée en vigueur du présent article, s’applique à l’égard des appels interjetés avant cette date au titre du paragraphe 146(1) de cette loi ». Ainsi, puisque le demandeur a interjeté appel de la décision de la déléguée ministérielle le 2 août 2018, sa demande de contrôle judiciaire tombe sous l’ancien régime du Code.

[27] La Partie II du Code porte sur la santé et la sécurité au travail pour les lieux de travail qui relèvent de la compétence fédérale. L’article 122.1 décrit l’objet de la Partie II et l’article 122.2 décrit l’ordre de priorité des mesures de prévention de situations dangereuses dans un lieu de travail :

Prévention des accidents et des maladies

Purpose of Part

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

122.1 The purpose of this Part is to prevent accidents and injury to health arising out of, linked with or occurring in the course of employment to which this Part applies.

Ordre de priorité

Preventive measures

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

122.2 Preventive measures should consist first of the elimination of hazards, then the reduction of hazards and finally, the provision of personal protective equipment, clothing, devices or materials, all with the goal of ensuring the health and safety of employees.

[28] Le paragraphe 128(1) du Code crée un droit pour les employés dans les lieux de travail régis par le Code d’exercer un refus de travailler face à une situation dangereuse :

Refus de travailler en cas de danger

Refusal to work if danger

128 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

128 (1) Subject to this section, an employee may refuse to use or operate a machine or thing, to work in a place or to perform an activity, if the employee while at work has reasonable cause to believe that

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

(a) the use or operation of the machine or thing constitutes a danger to the employee or to another employee;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

(b) a condition exists in the place that constitutes a danger to the employee; or

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(c) the performance of the activity constitutes a danger to the employee or to another employee.

 

[29] Le paragraphe 145(2)(a) du Code requiert du ministre, ou son délégué, d’émettre une instruction écrite à un employeur s’il constate qu’il existe un danger pour un employé dans un milieu de travail. Une instruction doit demander à l’employeur d’écarter le risque, de corriger la situation, de modifier la tâche, ou de protéger ses employés contre le danger.

[30] Le paragraphe 129(7) du Code permet d’interjeter appel d’une décision si le ministre, ou son délégué, conclut qu’il y a une absence de danger, qu’il existe un danger mais le que le refus de travailler met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’autrui, ou qu’il existe un danger qui représente une condition normale de l’emploi. L’appel est interjeté à un agent d’appel du Tribunal :

129

129

[...]

...

Appel

Appeal

(7) Si le ministre prend la décision visée aux alinéas 128(13)b) ou c), l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois — personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin — appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.

(7) If the Minister makes a decision referred to in paragraph 128(13) (b) or (c), the employee is not entitled under section 128 or this section to continue to refuse to use or operate the machine or thing, work in that place or perform that activity, but the employee, or a person designated by the employee for the purpose, may appeal the decision, in writing, to an appeals officer within 10 days after receiving notice of the decision.

[31] Le paragraphe 146.1(1) du Code habilite l’agent d’appel à enquêter sur une situation de refus de travailler et, s’il constate qu’il existe une situation de danger, de donner des instructions en vertu des paragraphes 145(2) et (2.1) qu’il juge indiquées (appropriate”).

VI. Arguments et analyse

[32] Le problème posé à la Cour par M. Lachapelle en est un à deux volets. La seule décision qui soit à examiner est la décision du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada [Tribunal] du 8 mars 2022. Les autres décisions n’ont plus de pertinence, si ce n’est que pour situer la décision sous étude dans son contexte.

[33] Ainsi, la décision du 27 juillet 2018 de la déléguée officielle du ministre du Travail ayant conclu à une absence de risque a fait l’objet d’un appel entendu par le Tribunal. La décision, en date du 5 août 2021 et répertoriée à 2021 TSSTC 2, aura modifié la décision d’absence de danger. Ce Tribunal a plutôt conclu à l’existence d’un danger qui n’est pas une condition normale d’emploi. Cette conclusion a été contestée sur contrôle judiciaire devant notre Cour (2022 CF 1785); la demande de contrôle judiciaire a été rejetée le 23 décembre 2022. Aucun appel de cette décision n’est intervenu.

[34] Il en résulte que la question du danger que constitue une arme à feu plus puissante que celle qui était disponible avant les changements de 2015, pour un agent de plancher à l’Unité spéciale de détention de l’établissement de Sainte-Marie-des-Plaines, au Québec, est réglée. Il n’y pas lieu d’y revenir.

[35] C’est ce qui a suivi la décision sur l’existence du danger qui fait l’objet de la présente contestation sur contrôle judiciaire. En effet, le Tribunal est resté saisi de la question de savoir s’il devait donner des instructions quant à des mesures à être prises pour remédier à la situation. Voici comment le Tribunal présentait la situation à l’avant-dernier paragraphe de la décision du 5 août 2022 :

[106] Ayant conclu à l’existence d’un danger ne représentant pas une condition normale d’emploi, l’alinéa 146.1(1)b) du Code m’habilite à donner les instructions que je juge indiquées dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1) de la législation. J’estime toutefois, étant donnée la période considérable de temps écoulée depuis la formulation du refus par M. Lachapelle et la décision de la déléguée ministérielle, qu’il serait plus avisé de permettre aux parties d’arriver conjointement à une solution de la question. J’opte conséquemment de ne pas émettre d’instruction pour le moment, mais demeure saisi en l’instance et demeure compétent pour émettre toute instruction jugée indiquée si les parties n’en arrive [sic] pas à résoudre la question dans un délai de 90 jours de la date des présentes et qu’une telle demande m’en est faite. Dans un tel cas, je pourrai considérer les soumissions écrites des parties de manière expéditive.

[Je souligne.]

[36] Restant saisi de la question de savoir s’il était indiqué d’émettre une « instruction », c’est de cette dernière décision dont il est question sur contrôle judiciaire. Elle a été rendue le 8 mars 2022 (2022 TSSTC 2).

[37] La question à deux volets concerne la décision du Tribunal de n’émettre qu’une « instruction générale » qui se lit ainsi :

[29] Dans le cas qui nous occupe, informé des mesures correctrices mises de l’avant par les parties dans le cadre de leurs échanges, mesures que lesdites parties reconnaissent, évidemment à des degrés variables, susceptibles de corriger le danger auquel a conclu le Tribunal, le soussigné fait sienne la logique du Tribunal énoncée ci-dessus et n’a aucunement l’intention de déroger à la pratique établie. Conséquemment, l’instruction suivante est émise :

Eu égard à la conclusion de danger à laquelle est arrivé le Tribunal le 5 août 2021, j’ordonne à l’employeur de prendre des mesures pour protéger l’employé ayant exercé son droit de refuser de travailler, M. Benoît Lachapelle, et toute autre personne contre le danger identifié aux termes de l’instruction jointe à la présente décision.

[38] Le demandeur devant cette Cour, M. Benoît Lachapelle, soumet que la décision du Tribunal est déraisonnable, au sens de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653, et il invoque la doctrine des attentes légitimes qui ferait en sorte qu’il était en droit de s’attendre à autre chose qu’une instruction générale. Plus précisément, l’avis de demande, qui crée le cadre dans lequel la demande de contrôle judiciaire se situe, indique spécifiquement :

2) Le Tribunal n’a pas observé des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale, notamment, sans limiter la portée de ce qui précède, en :

(a) refusant de rendre une décision motivée sur les mesures correctrices soumises par les parties, alors que ces derniers avaient une attente légitime que ce litige serait arbitré par le Tribunal, ayant lui-même clairement énoncé qu’il se pencherait sur cette question.

(b) contrevenant à la saine administration de la justice, notamment en rendant ainsi inutile le processus suivi par les parties;

[39] Afin de disposer de cette demande de contrôle judiciaire, je crois qu’il faut d’abord circonscrire clairement en quoi consiste la décision qui est devant la Cour. On l’a vu au paragraphe 37 des présents motifs, l’ordonnance émise, l’instruction selon le terme utilisé au Code est en termes généraux : l’employeur doit prendre des mesures pour protéger l’employé contre le danger identifié dans la décision du 5 août 2021.

A. La décision dont le contrôle judiciaire est demandé

[40] À la suite du paragraphe 106 de la décision du 5 août 2021, les parties ont offert chacune des solutions différentes que posait le danger des armes puissantes entre les mains des agents correctionnels affectés à l’Unité spéciale de détention. Les parties ont déclaré être incapables de s’entendre sur une solution et elles faisaient rapport selon ce qui était prévu au paragraphe 106 de la décision du 5 août 2021 (reproduit au paragraphe 35). Le paragraphe 106 notait que le Tribunal pouvait donner des instructions jugées indiquées, mais il était préférable de permettre aux parties de déterminer des instructions appropriées. Demeurant saisi de l’instance, le Tribunal disait pouvoir émettre toute instruction jugée indiquée dans la mesure où les parties ne s’entendraient pas dans un délai de 90 jours. Le Tribunal disait spécifiquement qu’il pourrait « considérer les soumissions écrites des parties de manière expéditive ». Or, le demandeur aura vu dans ce paragraphe une indication suffisante qui justifierait une attente légitime que non seulement une instruction générale serait émise, mais que celle-ci adjugerait sur une instruction spécifique, départageant la proposition syndicale de celle de l’employeur.

[41] Pourtant, la décision dont le contrôle judiciaire est demandé indique clairement, à son paragraphe 4, que n’ayant pu s’entendre, une conférence téléphonique a suivi en novembre 2021. Cette conférence téléphonique était à la demande des parties (lettre signée par l’avocate du demandeur le 27 octobre 2021, pièce C de l’affidavit de Charlie Jacques Arseneault, vol. 1 du dossier du demandeur). Cette lettre parlait d’un échéancier quant à des étapes à suivre et recherchait, semble-t-il, des indications sur la preuve à administrer ou « si les prétentions se faisaient exclusivement sur dossier ».

[42] Si des indications ont pu être perçues par le demandeur sur un débat à venir, présumément sur des « instructions » à être obtenues, cette ambition n’aura pas été encouragée puisque le décideur administratif insiste dans sa décision du 8 mars 2022 qu’il n’a demandé aux parties en novembre 2021 que de lui communiquer que « la substance des propositions de solution que chaque partie avait formulées à la partie adverse pour tenter de résoudre la question ». Il ajoute à ce même paragraphe 4 que, « outre la teneur des propositions de chacun, il n’y avait pas lieu pour l’une ou l’autre partie de formuler des représentations relativement aux propositions de la partie adverse ». De fait, le décideur allait même plus loin en précisant qu’il ne recherchait pas des représentations « même visant de quelque manière le fond de la question ayant fait l’objet de la considération de l’appel par le soussigné ».

[43] J’ai demandé lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire si le demandeur contestait cette présentation des faits. Aucune contestation n’a été offerte. Comme je l’ai alors dit, il devient difficile de voir dans les propos du Tribunal une invitation à un débat sur les instructions à être données si les parties ne s’entendaient pas. Comme on le verra plus loin, il est encore plus difficile de voir d’où pourrait venir l’attente légitime que le différend entre les parties aurait dû faire l’objet d’une adjudication, alors même que l’adjudicateur ne voulait pas entendre les parties sur le bien-fondé de leurs propositions.

[44] Le Tribunal reconnaît dans sa décision que le demandeur s’est soumis à la demande faite le 8 novembre 2021 en présentant la semaine suivante les trois mesures permettant à son avis d’éliminer le danger à sa source :

a) en changeant l’arme de service pour une autre moins puissante;

b) en rendant les vitres des salles communes davantage pare-balles;

c) en changeant la munition utilisée avec l’arme à feu de service.

[45] Le Tribunal fait remarquer qu’alors que la préférence exprimée lors de l’audition ayant mené à la décision du 5 août 2021 avait été pour des vitres pare-balles, les propositions échangées entre les parties faisaient plutôt porter la préférence à l’achat de nouvelles armes de service pour utilisation éventuelle à l’intérieur de l’établissement. C’est qu’une nouvelle préoccupation émergeait au sujet de l’opacité de nouvelles vitres pare-balles qui pourrait rendre plus incertaine la capacité « de bien surveiller les détenus en tout temps ». La munition différente, la troisième possibilité de solution évoquée par le demandeur, ressemblait davantage à une suggestion puisque des tests pour valider la distance d’utilisation pourraient être requis.

[46] Le défendeur, quant à lui, n’a pas respecté le vœu exprimé par le Tribunal que les propositions faites par chacun ne soient pas contestées. Il a présenté une proposition dite comme étant une mesure à très court terme et une autre « à moyen-long terme ». Dans l’un et l’autre cas, la mesure est présentée comme éliminant le risque.

[47] Comme je l’indiquais plus haut, la première mesure consisterait en une directive interdisant aux employés d’être dans une nouvelle zone de sécurité désignée lorsqu’une alarme (“air horn”) serait déclenchée. L’autre mesure devrait requérir que les armes de service soient rangées dans un coffre de sécurité situé sur la passerelle. L’ouverture du coffre pour y retirer l’arme déclencherait automatiquement une alarme sonore et visuelle, avertissant ainsi les employés de quitter immédiatement les lieux. Selon les propositions faites par le défendeur, les zones de sécurité seraient beaucoup plus vastes, ce qui ferait en sorte qu’on éliminerait les zones de tir. La décision note, au paragraphe 11, que « l’interdiction de se trouver dans cette zone de même que la fermeture de la grille d’accès élimine le risque advenant la nécessité de recourir à l’utilisation de la C-8 ».

[48] Le défendeur ne s’en est pas tenu à cela et il s’est permis de commenter les propositions du demandeur. Qu’il suffise d’ajouter pour nos fins que l’utilisation d’une munition différente, dite « frangible », est contre-indiquée à cause des blessures considérables et irréparables, pouvant mener au décès, que ces munitions impliquent. L’utilisation d’une nouvelle arme ne pourrait être réalisée avant 24 à 36 mois à cause de la formation à fournir pour leur utilisation. De plus, il devrait y avoir un processus d’acquisition et cette proposition comporte des coûts. Enfin, la proposition d’installer des vitres pare-balles devrait requérir des travaux importants pouvant dépasser 24 mois, travaux estimés à $ 2 M. Parce que les travaux seraient d’une certaine ampleur, on disait que les détenus devraient être relocalisés dans d’autres institutions dont les infrastructures ne sont pas conçues avec les mêmes capacités de surveillance et de contrôle que l’unité spéciale de détention qui, elle, est unique.

[49] Le défendeur ayant exprimé ses préoccupations à l’égard des propositions du demandeur, celui-ci s’est donc estimé autorisé à présenter les siennes au sujet des propositions du défendeur. Ainsi, la nouvelle zone de sécurité ne serait pas sécuritaire puisque les angles de tir à partir de la passerelle ne seraient pas couverts. De plus, l’analyse fait défaut en ce que l’on ne semble pas avoir analysé la nécessité de faire des escortes. Enfin, le danger ne serait pas éliminé à la source, dit le demandeur. Qui plus est, la rapidité avec laquelle un incident peut survenir ferait en sorte que la procédure proposée ne pourrait être utilisée en temps utile advenant un incident violent.

[50] En deux mots, un débat que le décideur refusait de tenir a eu lieu, ou à tout le moins avait débuté : le décideur administratif avait instruit les parties de ne pas faire ce qu’elles ont décidé de faire. Ayant critiqué de part et d’autre les propositions mises de l’avant, le demandeur prétend maintenant à une attente légitime que le décideur administratif devait émettre des instructions spécifiques, et que la décision de s’en tenir à une instruction générale n’était pas raisonnable.

[51] Le Tribunal a considéré la source de son pouvoir. C’est l’article 146.1 du Code qui doit être appliqué. Cette disposition n’a pas changé au cours des ans sauf pour remplacer l’agent d’appel par le « conseil » (Conseil canadien des relations industrielles) :

146.1 (1) Saisi d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, le Conseil mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

146.1 (1) If an appeal is brought under subsection 129(7) or section 146, the Board shall, in a summary way and without delay, inquire into the circumstances of the decision or direction, as the case may be, and the reasons for it and may

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

(a) vary, rescind or confirm the decision or direction; and

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

(b) issue any direction that the Board considers appropriate under subsection 145(2) or (2.1).

Il s’agit là, dit le décideur administratif, d’un pouvoir discrétionnaire.

[52] Qui plus est, l’instruction peut être générale ou spécifique. C’est que l’instruction est celle qui est jugée indiquée. L’alinéa 146.1(1)b) renvoie aux paragraphes 145(2) et (2.1) que je reproduis :

(2) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou d’une chose, qu’une situation existant dans un lieu ou que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, le chef :

(2) If the Head considers that the use or operation of a machine or thing, a condition in a place or the performance of an activity constitutes a danger to an employee while at work,

a) en avertit l’employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu’il précise, à la prise de mesures propres :

(a) the Head shall notify the employer of the danger and issue directions in writing to the employer directing the employer, immediately or within the period that the Head specifies, to take measures to

(i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,

(i) correct the hazard or condition or alter the activity that constitutes the danger, or

(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger;

(ii) protect any person from the danger; and

b) peut en outre, s’il estime qu’il est impossible dans l’immédiat de prendre les mesures prévues à l’alinéa a), interdire, par instruction écrite donnée à l’employeur, l’utilisation du lieu, de la machine ou de la chose ou l’accomplissement de la tâche en cause jusqu’à ce que ses instructions aient été exécutées, le présent alinéa n’ayant toutefois pas pour effet d’empêcher toute mesure nécessaire à la mise en œuvre des instructions.

(b) the Head may, if the Head considers that the danger or the hazard, condition or activity that constitutes the danger cannot otherwise be corrected, altered or protected against immediately, issue a direction in writing to the employer directing that the place, machine, thing or activity in respect of which the direction is issued not be used, operated or performed, as the case may be, until the Head’s directions are complied with, but nothing in this paragraph prevents the doing of anything necessary for the proper compliance with the direction.

(2.1) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou d’une chose par un employé, qu’une situation existant dans un lieu ou que l’accomplissement d’une tâche par un employé constitue un danger pour cet employé ou pour d’autres employés, le chef interdit à cet employé, par instruction écrite, en plus de toute instruction donnée en application de l’alinéa (2)a), d’utiliser la machine ou la chose, de travailler dans ce lieu ou d’accomplir la tâche en cause jusqu’à ce que l’employeur se soit conformé aux instructions données en application de cet alinéa.

(2.1) If the Head considers that the use or operation of a machine or thing by an employee, a condition in a place or the performance of an activity by an employee constitutes a danger to the employee or to another employee, the Head shall, in addition to the directions issued under paragraph (2)(a), issue a direction in writing to the employee to discontinue the use, operation or activity or cease to work in that place until the employer has complied with the directions issued under that paragraph.

Le demandeur concède d’emblée que c’est le paragraphe 145(2) qui trouve application ici. La directive qui sera donnée à l’employeur concernera la prise de « mesures propres soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche, soit à protéger les personnes contre ce danger ».

[53] Le Tribunal déclare donc avoir le pouvoir, une fois ayant constaté le danger (défini à l’article 122), comme déjà fait en l’espèce, d’émettre une instruction générale ou une instruction correctrice spécifique. Dans ce dernier cas, la mesure correctrice est adaptée aux tenants et aboutissants de chaque situation pour laquelle un danger aura été identifié. Il peut y avoir plus d’une instruction correctrice générale ou spécifique.

[54] Qu’en est-il du cas d’espèce? Le Tribunal explique aux paragraphes 27 et 28 de sa décision que l’émission d’instructions spécifiques nécessite « de maîtriser une gamme extrêmement vaste de connaissances ou expertises, fussent-elles techniques ou autres, qu’il, en la personne d’agents d’appels individuels, ne possède pas et ne saurait posséder [...] ». Le Tribunal note la grande complexité des milieux de travail où le Code s’applique et réfère au cas sous étude lorsqu’il note que les mesures correctrices seront fonction des lieux et des activités des employés dont la partie exerçant le contrôle sur le lieu et les activités des employés aura la connaissance.

[55] Le Tribunal remarque, deux fois plutôt qu’une, que les directives données sous forme d’instruction peuvent faire l’objet d’une évaluation de leur efficacité subséquemment.

[56] À l’appui de sa décision de n’émettre qu’une instruction générale, le Tribunal cite l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Harvey (précité, au para 20). Dans cette affaire, des débardeurs du Port de Montréal avaient cessé de travailler par une journée de pluie où le travail était devenu dangereux. On se plaignait que les instructions données étaient trop laconiques, l’ordonnance à l’employeur étant « de prendre immédiatement des mesures propres à parer au danger » sans être davantage prescriptif. L’alinéa 145(2)a) était évoqué pour tenter de forcer que des mesures précises soient ordonnées. La Cour d’appel reconnaît qu’une certaine précision est requise pour permettre d’en arriver à une détermination que l’employeur s’est conformé aux instructions. Mais, à l’évidence, il ne s’agit que d’une précision relative :

Même si la loi ne le dit pas expressément, il est clair que les instructions données en vertu du paragraphe 145(2) doivent être assez précises pour permettre de déterminer si l’employeur s’y est conformé. Pour avoir la précision requise, il n’est cependant pas nécessaire que ces instructions spécifient les moyens que l’employeur doit prendre pour parer au danger que couraient les employés; il suffit qu’elles précisent le résultat que l’employeur doit atteindre en identifiant clairement le danger que courent les employés et en effet, s’il peut être facile, en certains cas, de préciser ce que l’employeur doit faire pour remédier à un danger, cela peut être, en d’autres cas, difficile ou même impossible. Il peut exister une multitude de moyens permettant d’arriver au résultat désiré; ou, encore, il peut être impossible à une personne qui ne possède pas de connaissances scientifiques spécialisées de savoir comment arriver à ce résultat. Il est normal dans les circonstances qu’on laisse à l’employeur le choix des moyens à prendre pour atteindre le but qu’on lui assigne.

[Je souligne.]

[57] Sur la foi de cette analyse et de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, le Tribunal a donc émis l’instruction générale à l’employeur du demandeur. En voici d’ailleurs le dispositif :

Sur la base de mon enquête, j’ai conclu à l’existence d’un danger pour l’employé ayant exercé son droit de refus de travailler, M. Benoît Lachapelle, en raison de la plus grande puissance de l’arme à feu récemment déployée pour usage par les agents de passerelle de surveillance des salles communes de l’USD sans que des mesures additionnelles de sécurité ne soient instaurées, tenant compte du fait que les fenêtres des salles communes ne sont pas suffisamment résistantes pour arrêter un projectile tiré avec ladite arme à feu.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du sous-alinéa 145(2)a)ii) du Code, de prendre des mesures pour protéger l’agent correctionnel Lachapelle et toute autre personne relativement au danger identifié ci-dessus.

Il vous est ÉGALEMENT ORDONNÉ de faire rapport sur ces mesures à un délégué ministériel du district de Québec d’Emploi et Développement social Canada, Programme du Travail, dans les trente (30) jours de la date de la présente instruction.

B. Les arguments des parties et leur examen

[58] Le demandeur soulève deux arguments au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. Le défendeur conteste les deux. J’examinerai d’abord l’argument relatif à l’attente légitime du demandeur que le Tribunal arbitrerait le litige entre les parties. On comprendra que le demandeur se plaint qu’aucune instruction spécifique n’a été émise. Ensuite, le demandeur attaque la décision rendue comme étant déraisonnable.

C. Les attentes légitimes

[59] Il faut bien dire, d’entrée de jeu, que si le décideur administratif n’a pas créé d’attente légitime, l’argument relatif au caractère raisonnable de la décision risque fort d’avoir perdu plusieurs des flèches de son carquois.

[60] Ni dans son mémoire des faits et du droit, ni à l’audition de la demande de contrôle judiciaire, le demandeur n’a cherché à définir en quoi consiste la doctrine de l’attente légitime en droit administratif. Il a plutôt plaidé qu’il avait cette attente légitime que le décideur administratif allait imposer une instruction spécifique. Par ailleurs, on y concède que l’attente doit venir d’une promesse du décideur. Mais malgré cette déclaration, le demandeur prétend tout de même à un préjudice, celui-ci étant que les parties « n’ont pas eu de décision sur l’arbitrage de leurs soumissions » (mémoire des faits et du droit, au para 47). C’est que le demandeur déclare, plus qu’il ne démontre, que le décideur administratif aurait refusé d’émettre une instruction correctrice spécifique, « malgré une promesse à cet effet » (mémoire des faits et du droit, au para 48).

[61] Changeant de registre, mais toujours prétendument dans le cadre de l’attente légitime d’une procédure donnée, le demandeur se rabat sur une disposition du Code, abrogée en 2017 mais dont l’abrogation n’est entrée en vigueur qu’en 2019 (l’article 146.2), selon laquelle dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1, l’agent d’appel peut fixer sa procédure. Mais, ce faisant, l’agent d’appel, soit notre décideur administratif, doit donner aux parties la possibilité d’être entendues et il doit aussi tenir compte de l’information contenue au dossier. Selon le demandeur, le décideur en l’espèce n’a pas respecté l’obligation faite. Prétendant à un droit à adjudication au sujet d’une instruction spécifique de par la « promesse » qu’aurait faite le décideur administratif, le demandeur fait reproche au décideur de ne pas avoir motivé « en quoi la preuve versée au dossier, ainsi que les soumissions ne sont pas pertinentes en l’espèce ».

[62] Quant au défendeur, il cherche à définir en quoi consiste la doctrine des attentes légitimes : la doctrine procède du principe qu’il serait injuste pour un décideur administratif d’agir en contravention des assurances qui sont données en matière de procédure ou de ne pas donner suite à des promesses matérielles sans accorder des droits procéduraux importants. En cela, le défendeur référait au paragraphe 26 de l’arrêt de la Cour suprême dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker].

[63] Il n’y avait selon le défendeur aucune attente créée par le décideur administratif. La lettre du 27 octobre 2021 recherchait le support du Tribunal pour trouver une solution conjointe. Tel qu’indiqué au paragraphe 4 de la décision dont le contrôle judiciaire est demandé, le Tribunal a requis lors de la conférence téléphonique du 8 novembre des informations très limitées. On ne saurait douter que les informations fournies ont été considérées puisqu’elles ont été notées à la décision sous étude. Le Tribunal a rendu une ordonnance requérant que des mesures soient prises pour protéger les employés face au danger identifié dans sa décision initiale. Des instructions de cet ordre ont été émises à répétition au cours des ans. Le défendeur en répertorie un certain nombre (MacNeal c Service correctionnel du Canada, 2020 TSSTC 7; Boone c Air Canada, 2011 TSSTC 15; Andrews, Dodds et Hanson c Air Canada, 2012 TSSTC 19; Gresty c Service correctionnel du Canada, 2012 TSSTC 29; Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c Société canadienne des poste, 2013 TSSTC 23).

[64] Personne ne doute de l’existence de la doctrine des attentes légitimes. Elle est reconnue par les tribunaux supérieurs. Mais la portée que le demandeur cherche à lui donner dépasse le cadre qui a été tracé par la Cour suprême et qui a été reconnu par la Cour d’appel fédérale et notre Cour.

[65] Le point de départ est l’arrêt Baker (précité). En effet, la Cour suprême identifiait une série de facteurs qui ont une incidence sur la nature de l’obligation d’équité procédurale. Le contenu de l’obligation d’équité sera fonction des facteurs ainsi identifiés. Ils sont utilement présentés sommairement dans Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 RCS 650 :

5 Le contenu de l’obligation d’équité qui incombe à un organisme public varie en fonction de cinq facteurs : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et (5) la nature du respect dû à l’organisme : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Je suis d’avis, après avoir examiné les faits et les dispositions législatives en jeu dans le présent pourvoi, que ces facteurs imposent à la municipalité l’obligation d’exprimer les motifs de son refus d’acquiescer à la deuxième et à la troisième demande de modification de zonage présentées par la Congrégation.

[66] L’argument du demandeur porte exclusivement sur l’attente légitime, qui est un facteur à considérer dans le cadre de l’équité procédurale due aux parties, et qui est définie de la façon suivante, au paragraphe 26 de Baker que je reproduis sans la jurisprudence qui y est citée :

26 Quatrièmement, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent également servir à déterminer quelles procédures l’obligation d’équité exige dans des circonstances données. Notre Cour a dit que, au Canada, l’attente légitime fait partie de la doctrine de l’équité ou de la justice naturelle, et qu’elle ne crée pas de droits matériels [...]. Au Canada, la reconnaissance qu’une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure [...]. De même, si un demandeur s’attend légitimement à un certain résultat, l’équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés : [...]. Néanmoins, la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.

[Je souligne.]

[67] En notre espèce, le demandeur semble prétendre qu’il avait le droit à une décision sur une mesure corrective spécifique, plutôt que de recevoir l’instruction générale dont le contrôle judiciaire est demandé. On peut avoir des doutes à cet égard et il me semble que l’attente à laquelle le demandeur réfère n’est pas que procédurale. Que l’attente soit relative à une certaine procédure ou à un certain résultat, le remède est le même : ce sont des droits procéduraux qui sont dits être le remède approprié. De plus, à mon avis, pour que ce puisse être le cas, encore faudrait-il que l’attente créée qu’un résultat donné soit atteint soit légitime. En notre espèce, était-il légitime de considérer que le décideur administratif avait créé une attente légitime que des instructions spécifiques seraient émises? Je ne le crois pas parce que la preuve est à l’effet contraire. Ainsi, quand y-a-t-il une attente légitime?

[68] Or, le droit a continué de se développer après Baker et, dans Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504, la Cour limitait la portée de la théorie des attentes légitimes aux cas où les affirmations faites sont claires, nettes et explicites. Le décideur doit respecter sa parole :

[68] Lorsque dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif, l’État peut être lié par ces affirmations si elles sont de nature procédurale et ne vont pas à l’encontre de l’obligation légale du décideur. La preuve que l’intéressé s’est fié aux affirmations n’est pas nécessaire. Voir les arrêts Centre hospitalier Mont‐Sinaï, par. 29‐30; Moreau‐Bérubé c. Nouveau‐Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249, par. 78; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, par. 131. Constitue un manquement à son obligation d’équité l’omission substantielle du décideur de respecter sa parole : Brown et Evans, p. 7‐25 et 7‐26.

[69] En effet, il serait en quelque sorte ironique que l’administration puisse exiger du répondant qu’il respecte son engagement à la lettre si, de son côté, elle pouvait se soustraire à celui qu’elle prend dans le même document. En général, on juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution.

[69] Le même thème est expressément repris dans Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559 [Agraira]. La Cour y réfère encore à la nécessité d’affirmation claire, nette et explicite (au para 96). On parle d’une restriction importante de la théorie en ce qu’il y a impossibilité que la théorie constitue la source de droits matériels. Cela donne donc ouverture à « une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative ‘légitime’ » (tiré de SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, para 131, et reproduit au para 97 d’Agraira).

[70] Les paragraphes 94 et 95 d’Agraira sont à mon sens particulièrement instructifs. Le paragraphe 94 établit que le remède aux déclarations au sujet des procédures à suivre est lui-même procédural. Dit autrement, il faut suivre la procédure annoncée même si elle est plus étendue que ce qui serait requis par ailleurs. Voici comment la Cour s’exprime à cet égard :

[94] [...] Cette doctrine a trouvé de solides assises en droit administratif canadien dans Baker, où la Cour a statué qu’il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en compte pour déterminer les exigences de l’obligation d’équité procédurale de la common law. Si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement. De même, si un organisme a fait une représentation à une personne relativement à l’issue formelle d’une affaire, l’obligation de cet organisme envers cette personne quant à la procédure à suivre avant de rendre une décision en sens contraire sera plus rigoureuse.

[Je souligne.]

Je note au passage que le demandeur n’a en aucune façon fait quelle qu’allusion quant à de possibles représentations qui auraient pu être quant à une « issue formelle » qui pourrait requérir une solution procédurale au cas où le décideur pourrait prendre une décision en sens contraire.

[71] Au paragraphe 95, la Cour endosse les conditions précises nécessaires à l’application de la théorie tirées de l’ouvrage de référence Judicial Review of Administrative Action in Canada :

[95] Les conditions précises à satisfaire pour que s’applique la théorie de l’attente légitime sont résumées succinctement comme suit dans un ouvrage qui fait autorité intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada :

[traduction] La caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle‐ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent. Une attente légitime peut donc découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel, ou qu’il soit possible de prévoir une décision favorable. De même, l’existence des règles de procédure de nature administrative ou d’une procédure que l’organisme a adoptée de son plein gré dans un cas particulier, peut donner ouverture à une attente légitime que cette procédure sera suivie. Certes, la pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites. [Souligné dans l’original.]

(D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §7:1710; voir également Centre hospitalier Mont‐Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, par. 29; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, par. 68.)

On doit donc rechercher dans la conduite du décideur ce qui aurait pu donner prise à une attente légitime. On le voit, il faut la présence d’une assurance quant aux procédures à suivre qui vienne du décideur ou quant à prévoir une décision favorable. Une pratique établie pourrait créer une attente légitime. Mais il n’en est rien ici puisque la pratique établie inclut l’émission d’instructions générales.

[72] La nécessité d’avoir une promesse claire, nette et explicite (en anglais “clear, unambiguous and unqualified”) qui soit sans équivoque est bien réelle. Dans Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 RCF 1006, la Cour d’appel fédérale rappelait combien la promesse ne peut être équivoque :

[109] À mon avis, on ne saurait qualifier de « claire, nette et explicite » la promesse qui a été faite, contrairement à ce qui est exigé pour que la doctrine procédurale des attentes légitimes joue : Canada (Procureur général) c. Mavi, [2011] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 68; Agraira, précité. Le site Internet précisait bien que ce processus, qui était relativement nouveau, était en pleine évolution. Le bureau constituait « une solution à court terme ». Il n’y avait aucune garantie.

De plus, la promesse doit venir du décideur. Comme le disait la Cour d’appel dans son arrêt Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 « [l] es attentes légitimes ne peuvent découler que de la conduite du tribunal administratif ou de ses déclarations » (para 57).

[73] La même rigueur est appliquée dans notre Cour. Quelques décisions récentes en attestent. Dans Foster Farms LLC c Canada (Diversification du commerce International), 2020 CF 656, la Cour établissait les principes au paragraphe 93 :

[93] Comme l’explique la CSC dans l’arrêt Agraira, la théorie des attentes légitimes enseigne que, si un organisme public a fait des déclarations au sujet de la procédure qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé certaines pratiques procédurales pour rendre un certain type de décision, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement. Bien que des attentes véritablement raisonnables ou légitimes puissent avoir une incidence sur les mesures de protection requises en matière d’équité procédurale, une attente ne peut atteindre ce seuil que si elle est fondée sur la représentation, la conduite ou la pratique établie « claire, nette et explicite » d’un décideur (Agraira aux para 94-95; Centre hospitalier Mont‐Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 [Mont‐Sinaï] au para 29). De plus, la théorie des attentes légitimes ne crée pas de droits fondamentaux et ne peut entraver le pouvoir discrétionnaire d’un décideur chargé d’appliquer la loi (Renvoi relatif au Régime d’assistance publique aux pp 557-558; Nshogoza aux para 41-42). En outre, les affirmations doivent être faites dans l’exercice du pouvoir conféré au représentant de l’État, elles doivent être de « nature procédurale » et « ne pas aller à l’encontre de l’obligation légale du décideur » (Mavi au para 68; SCFP au para 131; Mont‐Sinaï au para 29).

Ce qui faisait défaut étaient les observations faites au demandeur :

[95] En l’espèce, rien ne prouve que des observations « claire[s], nette[s] et explicite[s] » ont été faites aux Foster Farms, ou qu’une conduite ou une pratique établie aurait pu les amener à avoir des attentes légitimes à l’égard d’un processus particulier. Au contraire, il y a absence totale d’observations de la part du ministre ou d’une pratique de la part des agents d’AMC ou de l’ASFC.

[74] Des propos semblables étaient tenus dans Chen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 425, la Cour résistant à la tentative de donner à la doctrine des attentes légitimes une portée qu’elle n’a pas (para 40). Les conditions d’application de la doctrine sont strictes.

[75] Dans Burlacu c Canada (Procureur général), 2021 CF 863, notre Cour insistait sur le caractère non équivoque des affirmations faites par le décideur administratif à une personne qui se réclamerait de la doctrine :

[33] L’attente légitime doit reposer sur des affirmations claires, nettes et explicites adressées au demandeur concernant le processus administratif (c.-à-d. les procédures) que le décideur entend suivre : voir Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504 au para 68; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559 au para 95. Des attentes légitimes peuvent aussi naître d’affirmations tout aussi claires, nettes et explicites quant à un résultat donné, auquel cas il importe de suivre des procédures plus strictes avant de revenir sur des promesses matérielles ou d’en arriver à un résultat différent : Baker, au para 26; Agraira, au para 94. Par ailleurs, les affirmations susceptibles de fonder des attentes légitimes ne doivent pas outrepasser les pouvoirs du représentant de l’État qui les a faites et elles ne peuvent pas non plus aller à l’encontre des fonctions que la loi confère à ce dernier : Mavi, au para 68. Dans l’arrêt Agraira, la Cour suprême a également confirmé que la théorie de l’attente légitime ne crée pas de droits matériels : Agraira, au para 97.

[Je souligne.]

La nécessité d’affirmations sans équivoque y est encore soulignée, avec comme conséquence que si les affirmations n’ont pas la qualité requise, il n’y aura pas application de la doctrine :

[34] En l’espèce, dans les paragraphes que le demandeur a extraits du courriel du 30 mai, la déléguée ministérielle ne fait aucune affirmation claire, nette et explicite à son intention quant à la procédure qu’elle compte suivre dans l’enquête, pas plus qu’elle n’y déclare qu’elle ne modifiera ni sa position ni l’orientation de son enquête (en présumant que cela s’est réellement produit). En outre, le courriel du 30 mai de la déléguée ministérielle concerne les obligations de l’employeur envers la « personne compétente » lors d’une enquête portant sur une situation de violence dans le lieu de travail, et non le processus à suivre ou l’issue de l’enquête sur la plainte à EDSC.

[76] Encore tout récemment, des commentaires du même acabit présidaient dans Shelburne Elver Limited v Canada (Fisheries, Oceans and Coast Guard), 2023 FC 1166 (CanLII) 2023 CF 1166. Dans cette affaire, notre Cour requérait bien plus qu’un engagement ministériel par voie de communiqué de presse qui ne constituait que l’expression d’une politique ou d’une intention, sans détails.

[77] Le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il y avait une promesse quelconque qui avait été faite par le décideur administratif, et encore moins que celle-ci est sans équivoque comme claire, nette et explicite. À mon sens, le demandeur a cherché à voir une promesse ferme là où elle n’était pas.

[78] Le paragraphe 106 de la décision originale (5 août 2021) laisse en suspens l’instruction qui pourrait être donnée une fois que l’existence du danger est constaté. Mais le décideur ne donne aucune indication de la teneur de l’instruction alors qu’il se déclare compétent pour émettre « toute instruction jugée indiquée ». Comme dit au paragraphe 106 (reproduit au para 35 des présents motifs), une période est accordée aux parties pour en arriver à résoudre la question. Comme on le sait, les parties n’ont pu s’entendre.

[79] Le demandeur aura insisté sur la lettre du 27 octobre 2021 qui annonce au décideur que les parties n’ont pu s’entendre. Ce sont les parties, et en particulier le demandeur qui fait une proposition au décideur. On veut présenter des soumissions écrites, sans d’ailleurs en préciser les contours ni l’objet. Un échéancier possible est soumis et on demande au décideur si une preuve devrait être administrée ou si, au contraire, les prétentions se feraient sur dossier. Aucune de ces indications à la lettre du 27 octobre n’avaient été sollicitées par le décideur.

[80] De fait, la réponse à la lettre se trouve dans la décision même dont on demande le contrôle judiciaire. Au paragraphe 4 de celle-ci, le décideur expose que, lors d’une conférence téléphonique du 8 novembre et donc quelques jours après la lettre, il a explicitement demandé que les parties lui fassent parvenir la substance des propositions faites par les parties dans leur tentative de « résoudre la question ». Le décideur dit qu’il a expressément indiqué aux parties qu’il n’y avait pas lieu « de formuler des représentations relativement aux propositions de la partie adverse ou même visant de quelque manière le fond de la question ayant fait l’objet de la considération de l’appel par le soussigné ». De dire le décideur, il aurait prévenu les parties qu’il ne voulait pas recevoir la substance des propositions dans le but « de jauger le potentiel de résolution/correction de chaque proposition ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne voulait pas recevoir des représentations au sujet des diverses propositions.

[81] La teneur des propos du décideur n’a pas été contestée. Il en découle qu’il n’y avait rien qui puisse ressembler à une promesse ou affirmation qui ait les qualités minimales requises : elle n’est ni claire, ni nette, ni explicite au sujet d’une procédure qui aurait mené à une adjudication quelconque sur une instruction explicite. Il en va évidemment de même d’un quelconque résultat. Ceci dit avec égards, c’est exactement le contraire. Le décideur se gardait bien de donner au demandeur un espoir.

[82] Que le défendeur ait choisi de ne pas se conformer à la demande du décideur administratif en commentant dans son envoi les propositions du demandeur, ce qui a fait en sorte que celui-ci en a fait de même en réplique, ne change en rien le fait que le décideur n’a fait aucune affirmation claire, nette et explicite qui pourrait justifier une attente légitime.

[83] Il en résulte que la prétention du demandeur voulant que l’agent d’appel (le décideur administratif, le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada) a créé une attente légitime quelconque doit être rejetée. Quelle que soit la sagesse de la part du décideur administratif de chercher à connaître la substance des propositions des parties, il n’a pas fait des affirmations sans équivoques, qui soient claires, nettes et explicites pouvant créer des attentes légitimes.

D. La décision est déraisonnable

[84] Le demandeur allègue aussi que la décision rendue serait déraisonnable au sens de Vavilov. Qu’on se souvienne que la décision a conclu à l’émission d’une directive, ou instruction, à l’employeur de prendre les mesures pour protéger l’employé contre le danger associé à l’utilisation possible d’une arme à feu puissante (j’ai reproduit au para 57 les dispositions pertinentes de l’instruction générale à l’employeur).

[85] Le demandeur plaide que l’examen de la motivation de la décision est soumis à la norme de la décision raisonnable. Cela ne fait pas l’objet de débat.

[86] Il est allégué que le décideur a éludé l’objet et l’esprit du Code dans sa partie II intitulée « santé et sécurité au travail ». La difficulté que pose l’argumentaire du demandeur est qu’il semble jouer sur les deux tableaux à la fois, le caractère raisonnable de la décision d’émettre une instruction générale et les attentes légitimes du demandeur qui doit prétendre pour réussir que le décideur a fait une affirmation claire, nette et explicite qu’il allait adopter une procédure donnée (ou qu’il a fait une représentation relativement à l’issue formelle). Il s’agit là de deux choses différentes : de fait, la doctrine des attentes légitimes est partie de l’équité procédurale et le contrôle judiciaire en est exercé selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au para 79) ou, sans s’arrêter à une norme formelle, de trancher la question de l’équité procédurale sans déférence aucune, mais plutôt de déterminer si la procédure est équitable en considérant les circonstances de l’affaire (Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69). Dans les deux cas, aucune déférence n’est due et, à mon sens, le résultat est le même. Quoi qu’il en soit, les deux sujets sont différents et la confusion des genres ne saurait être souhaitée. Ainsi, il est nécessaire de considérer l’argument fait sur le caractère raisonnable de la décision sans glisser vers la doctrine des attentes légitimes.

[87] Le demandeur soumet que le décideur administratif doit émettre une instruction. Une a été émise. Mais le demandeur argue qu’en agissant ainsi, le décideur a éludé l’objet et l’esprit du Code. Je ne partage pas cet avis.

[88] Comme il est maintenant bien établi, une erreur de droit alléguée ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans la seule mesure où l’erreur de droit à l’égard de l’interprétation de la loi constitutive du décideur serait déraisonnable (Vavilov, aux paras 24-25, 71-72). Cela veut dire que le demandeur supporte le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100). Il faut une lacune grave, qui ne sera pas superficielle ou accessoire par rapport au fond de l’affaire.

[89] Comme il a souvent été répété, les caractéristiques d’une décision raisonnable sont sa justification, sa transparence et son intelligibilité, la décision devant être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov, au para 99). Le demandeur est donc convié à démontrer que la décision sous examen souffre de lacunes graves à un point tel que les exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence ne sont pas satisfaites (Vavilov, au para 100). Le raisonnement doit donc être rationel et logique, être intrinsèquement cohérent, comme le reconnaît d’ailleurs expressément le demandeur à son mémoire (au para 19).

[90] Le demandeur a choisi de prétendre que le décideur a éludé l’objet et l’esprit du Code. Il dit en quelque sorte que le décideur administratif était tenu d’émettre des instructions spécifiques, ce qu’il n’a pas fait.

[91] Pour en venir à cette prétention, le demandeur aligne les dispositions du Code. Ainsi, il commence avec l’article 146.1 (reproduit au para 51 des présents motifs) qui donne en appel le pouvoir de modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions dont appel et « il peut soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées ». On le voit bien, non seulement le législateur a conféré un pouvoir seulement, mais la qualité des instructions est de celles qu’il juge indiquées, c’est-à-dire à caractère discrétionnaire.

[92] La référence aux paragraphes 145(2) ou (2.1) (reproduits au para 52 des présents motifs) ne change rien au caractère discrétionnaire des instructions en ce que le législateur ne prescrit pas la qualité des instructions. Ces instructions sont « de procéder, immédiatement ou dans le délai qu’il précise à la prise de mesure propres » à réaliser un résultat donné. Ainsi, le législateur spécifie le type de résultat à atteindre, soit d’écarter le risque ou de corriger la situation ou de modifier la tâche, ou de protéger les personnes contre le danger. Mais il ne prescrit pas que des instructions spécifiques au danger rencontré sont requises. Dans notre cas d’espèce, le décideur administratif a choisi, pour les raisons exprimées, de donner comme instruction à l’employeur de prendre les mesures propres à écarter le risque ou corriger la situation en ce qu’il est ordonné « de prendre des mesures pour protéger l’agent correctionnel Lachapelle et toute autre personne relativement au danger identifié ci-dessus ». Qui plus est, le décideur administratif ordonnait que rapport soit fait au délégué ministériel dans les trente jours de la date de l’instruction. Le demandeur devait convaincre la cour de révision que cela constitue une lacune grave. Il eut fallu que le demandeur convainque qu’une mesure spécifique est requise, plutôt qu’une mesure propre à écarter le risque ou à corriger la situation qui fait l’objet d’un contrôle ministériel trente jours depuis la décision qui impose la prise de mesures.

[93] Le défendeur rappelle que la cour de révision doit faire preuve de retenue judiciaire et avoir une attitude de respect à l’égard du décideur administratif. Cela est vrai pour les questions de fait comme pour les questions de droit. À moins que le demandeur n’établisse que l’instruction générale ne peut être raisonnablement donnée en fonction du texte de loi, la cour de révision ne devrait pas conclure que la décision n’est pas raisonnable.

[94] Or, le texte du paragraphe 146.1 du Code fournit une capacité discrétionnaire, dit le défendeur. En fait, non seulement le législateur indique avec l’utilisation du « peut » la faculté d’agir (Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, art 11), mais il est prévu qu’on peut « donner, dans le cadre des paragraphes 145(1) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées ». Cela ne peut que conférer la possibilité d’émettre une instruction générale ou spécifique. Je suis d’accord ou, à tout le moins, le demandeur n’a pas établi en quoi cette lecture ne rencontrerait pas les caractéristiques d’une décision raisonnable. J’ajoute que le paragraphe 145(2) ne vient que renforcer cette interprétation puisqu’il suffira que l’instruction ordonne la prise de mesures propres à écarter le risque ou corriger la situation.

[95] Dans Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900, une affaire traitant de la Partie II du Code, tout comme la présente, la Cour suprême mettait en garde les cours de révision de transformer la norme de la décision raisonnable en norme de décision correcte. La Cour a reproché ce glissement en matière d’interprétation du Code dans ce cas :

[40] Le décideur administratif « jouit [d’un privilège] en matière d’interprétation » (McLean c. Colombie‐Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 40). Lorsqu’elle examine une question d’interprétation législative, la cour de révision ne devrait pas procéder à une interprétation de novo, ni tenter de déterminer un éventail d’interprétations raisonnables avec lesquelles elle peut comparer l’interprétation du décideur. « [L]e juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » (Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, par. 28 (CanLII), cité dans Vavilov, par. 83). La cour de révision ne « se demand[e] [pas] ce qu’aurait été la décision correcte » (Barreau du Nouveau‐Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, par. 50, cité dans Vavilov, par. 116). Ces rappels sont particulièrement importants compte tenu du fait qu’« une cour de révision peut facilement glisser de la norme de la décision raisonnable à celle de la décision correcte lorsqu’elle se penche sur une question d’interprétation qui soulève une pure question de droit » (New Brunswick Liquor Corp. c. Small, 2012 NBCA 53, 390 R.N.‐B. (2e) 203, par. 30).

C’est un écueil à éviter de toute évidence. Il était nécessaire de démontrer que la lecture faite par l’agent d’appel n’est pas intrinsèquement cohérente ou qu’elle ne peut se justifier au regard des contraintes qui lui sont propres. Je ne puis que conclure que le décideur administratif a tenu compte de la preuve et des arguments pour prendre sa décision.

[96] Il est loin d’être inutile de rappeler, comme le fait le défendeur, que la Cour d’appel fédérale a décidé dans Harvey (précité) qu’une instruction générale peut être émise et que notre Cour, dans P&O Ports inc. c Syndicat international des débardeurs et des magasiniers (Section Locale 500), 2008 CF 846, suivant en cela la Cour d’appel qui lie cette Cour par sa décision dans Harvey, déclarait que l’agent d’appel « n’était pas tenu de donner des instructions précises quant aux mesures que les employeurs étaient tenus de prendre pour parer au danger » (para 61). Il s’agit là d’une contrainte juridique et je vois mal comment reprocher au décideur administratif d’avoir agi conformément à la décision qui a fait école.

[97] Des ordonnances d’ordre général sont communément émises au cours des ans. Le défendeur en répertorie quelques unes (voir le para 63 des présents motifs). Cette façon de faire n’est pas sans précédent. Elle semble même être assez fréquente.

[98] Le demandeur a suggéré que la hiérarchie des mesures de contrôle qu’on retrouve aux articles 122.1 et 122.2 du Code (reproduits au paragraphe 27 des présents motifs) changerait la donne. Il s’agit tout simplement que dans la prévention des accidents (et des maladies), des mesures de prévention sont priorisées : d’abord éliminer le risque, ensuite les réduire et finalement de fournir du matériel, de l’équipement, des dispositifs ou des vêtements de protection.

[99] Ceci dit avec égards, le demandeur ne fait pas la démonstration de ce en quoi la hiérarchie des mesures de contrôle fait échec à une instruction générale qui est permise par la loi et a été entérinée par la Cour d’appel fédérale, notre Cour et de nombreuses décisions administratives prises depuis l’adoption de ces deux articles. Rappelons que le Code donne la faculté d’émettre les instructions que le décideur administratif juge indiquées, les mesures à être prises dans une instruction générale devant être propres à écarter le risque, à corriger la situation, à modifier la tâche ou à protéger contre le danger. Dit simplement, les articles 122.1 et 122.2 du Code n’apportent pas d’eau au moulin du demandeur en ce qu’ils ne modifient pas le contexte.

[100] D’ailleurs, le décideur administratif a dûment noté les articles 122.1 et 122.2 dans sa décision. Il a de plus fait remarquer que les articles 124 et 125 du Code visent l’obligation de l’employeur de veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail, devant se conformer aux instructions reçues du délégué ministériel et de l’agent d’appel. Une mesure dirigée à l’employeur, qui contrôle les lieux où le travail doit être fait, de prendre les mesures pour protéger le demandeur et les autres personnes sujettes au danger identifié est ce que requiert le Code. C’était au demandeur de démontrer que cette décision n’est pas raisonnable. Cela n’a pas été accompli.

VII. Conclusion

[101] Il en résulte que la décision dont contrôle judiciaire est demandé n’a pas contrevenu au principe d’équité procédurale en ne respectant pas les attentes légitimes de M. Lachapelle. La norme de contrôle judiciaire est celle de la décision correcte. Il n’y a aucune démonstration que la doctrine de l’équité procédurale, telle qu’elle existe en droit administratif, a été enfreinte.

[102] De même, la décision n’a pas été démontrée comme n’ayant pas les apanages d’une décision raisonnable. Il eut fallu qu’il soit démontré qu’elle n’a pas la justification, la transparence et l’intelligibilité requises, n’étant pas justifiée eu égard aux contraintes factuelles et juridiques. Cela n’a pas été fait puisque la décision d’émettre une directive est tout à fait justifiée, transparente et intelligible, étant justifiée tant par les contraintes factuelles qui impliquent des connaissances techniques que par les contraintes juridiques dont les décisions judiciaires et la pratique, qui permettent l’émission d’une instruction générale.

[103] Le défendeur a requis ses dépens. Je ne vois aucune raison pour les lui refuser.

 


JUGEMENT au dossier T-725-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est amendé pour que le Procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.

  3. Dépens sont accordés au défendeur en application de la Règle 407.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-725-22

 

INTITULÉ :

BENOÎT LACHAPELLE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 septembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 décembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Catherine Sauvé

Pour le demandeur

Me Karl Chemsi

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laroche Martin

Service juridique de la CSN

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Services juridiques du Secrétariat du Conseil du Trésor

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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