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Date : 20231204


Dossier : IMM-9101-22

Référence : 2023 CF 1623

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE:

SULAKHAN SINGH

RAJWINDER SINGH

CHANPREET KAUR

MANDEEP KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, Sulakhan Singh, Rajwinder Singh, Chanpreet Kaur et Mandeep Kaur [les demandeurs], présentent une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’encontre de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] portant que les demandeurs n’ont ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, puisqu’il existe une possibilité de refuge intérieur [la PRI] dans la ville de Bengaluru, située dans l’État du Karnataka.

[2] Après avoir examiné le dossier dont la Cour est saisie, notamment les observations que les parties ont présentées par écrit et de vive voix, ainsi que le droit applicable, je suis d’avis que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Contexte factuel

[3] Les demandeurs sont des citoyens de l’Inde originaires du district de Jalandhar, dans l’État du Pendjab. Ils sont de confession sikhe et craignent d’être persécutés par le Congrès national indien, important parti politique indien également connu sous le nom de Parti du Congrès, parce que le demandeur principal [le DP], Sulakhan Singh, était partisan du parti politique adverse, soit le parti Shiromani Akali Dal [SAD].

[4] Le DP affirme avoir subi des pressions du Parti du Congrès pour qu’il rejoigne ses rangs, mais avoir refusé de ce faire. En raison de son refus, on l’a menacé de le faire faussement accuser par la police de tremper dans le commerce de la drogue et de le faire incarcérer.

[5] Le 9 mars 2019, des policiers ont investi le domicile des demandeurs et accusé le DP d’abriter des partisans antinationalistes. Après qu’il a mis l’inspecteur au défi de produire un premier rapport d’information officiel pour qu’il se présente devant le tribunal, le DP a été emmené au poste de police, où on l’a torturé pendant plusieurs jours, on lui a pris ses empreintes digitales et on l’a forcé à signer des feuilles vierges. Le DP a été relâché moyennant un pot‑de‑vin.

[6] Le 12 avril 2019, des policiers ont de nouveau investi le domicile des demandeurs. Comme ils détenaient déjà des visas canadiens, les demandeurs sont venus au Canada où, le 8 mai 2019, ils ont revendiqué le statut de réfugié.

[7] Le 29 août 2022, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs à l’encontre de la décision de la SPR rendue le 17 février 2022. Tant la SPR que la SAR ont conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI viable dans la ville de Bengaluru, dans l’État du Karnataka.

[8] Pour ce qui est du premier volet du critère applicable à la PRI, la SAR a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le Parti du Congrès ou les forces policières auraient toujours la motivation de persécuter les demandeurs quatre ans après leur départ de l’Inde. Selon la preuve, le Parti du Congrès s’intéressait au DP parce qu’il était en mesure d’influencer le vote populaire. Or, rien ne prouve que s’il habitait Bengaluru, le DP serait en mesure d’influencer le vote depuis cette ville, et le Parti du Congrès n’aurait donc pas d’intérêt à le persécuter à cet endroit ni n’aurait la motivation de le faire. La SAR a également conclu que, puisque les demandeurs ont quitté l’Inde en mai 2019 et que le DP n’a pas été contacté depuis, il devenait moins probable que les agents du préjudice aient la motivation de les rechercher dans un autre état.

[9] Selon la SAR, il n’y avait pas non plus suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le Parti du Congrès avait les moyens de chercher les demandeurs à Bengaluru pour leur causer du tort. La SAR a jugé peu probable que l’arrestation du DP ait été enregistrée dans le Réseau de suivi des crimes et des criminels (Crime and Criminal Tracking Network and System) [le CCTNS]. Bien que les policiers aient pris les empreintes digitales du DP et l’aient forcé à signer une feuille vierge, il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que l’information aurait vraisemblablement été enregistrée dans le CCTNS puisque ce réseau sert uniquement à répertorier les crimes les plus odieux.

[10] La SAR a également conclu n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que les demandeurs pourraient être retrouvés au moyen du système de vérification des locataires (Tenant Verification System) [le TVS]. Puisque la preuve ne permet pas de conclure à l’enregistrement de l’arrestation du DP dans le CCTNS et que ce système est lié au TVS, il est peu probable que les renseignements relatifs au DP fassent l’objet d’une vérification au moyen du TVS.

[11] Pour ce qui est du deuxième volet du critère applicable à la PRI, la SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs avaient la capacité de travailler à Bengaluru en raison de leur expérience de travail. Les demandeurs seraient également en mesure de trouver un logement adéquat dans cette ville. Enfin, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve d’une discrimination religieuse qui équivaudrait à un préjudice grave constituant de la persécution ou créant des difficultés excessives.

II. Questions en litige et norme de contrôle judiciaire

[12] Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable. Plus précisément, ils indiquent que la SAR a commis une erreur donnant lieu à révision, car elle a fondé son analyse de la PRI, et sa décision à cet égard, sur une version ancienne et périmée du cartable national de documentation [le CND] sur l’Inde, qui avait déjà été remplacée avant que la SAR ne rende sa décision. Les demandeurs n’ont pas fait de représentations touchant au deuxième volet du critère relatif à la PRI.

[13] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] aux para 7, 39-44). Une décision est raisonnable si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85; Mason, au para 8). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « simple formalité », mais bien un contrôle rigoureux (Vavilov, au para 13; Mason, au para 63). Il incombe à la partie qui conteste la décision de la SAR d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100). Pour que la cour de révision intervienne, la partie qui conteste la décision doit la convaincre que « [la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[14] Les cours de révision ne modifieront pas les conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles, et il ne revient pas à la Cour, dans une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas non plus « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »; la cour de révision doit simplement être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov, aux para 102, 104).

III. Analyse

[15] Le critère permettant d’établir si une PRI est viable dans le pays du demandeur est énoncé dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, 1991 CanLII 13517 (CAF). Ce critère comporte deux volets : le demandeur dispose d’une PRI (1) s’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté ou exposé à un danger au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR dans la PRI proposée et (2) s’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier, compte tenu de toutes les circonstances.

[16] Pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une PRI, chacun des deux volets doit être établi (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 (CAF) aux p 597‑598; Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643 aux para 10‑12; Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 au para 9 [Leon]; Mora Alcca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 236 au para 5; Souleyman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 708 au para 17).

[17] Pour ce qui est du premier volet du critère, les demandeurs doivent se décharger du fardeau de prouver que la PRI proposée est déraisonnable parce qu’ils craignent d’être persécutés dans tout le pays. Afin de s’acquitter de ce fardeau, ils doivent démontrer qu’ils demeureront à risque dans la PRI proposée en raison des mêmes personnes ou agents de persécution qui les ont mis à risque à l’origine. L’évaluation du risque consiste à établir si les agents de persécution ont les moyens et la motivation de causer du tort aux demandeurs dans la PRI (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 996 au para 8). Cette évaluation doit être effectuée par le décideur en tant qu’analyse prospective du point de vue des agents de persécution et non de celui du demandeur (Vartia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1426 au para 29; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 21; Aragon Caicedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 485 au para 12). Il revient donc aux demandeurs de présenter des éléments de preuve ou des faits suffisants pour se décharger de leur fardeau et démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les agents de persécution ont les moyens et la motivation nécessaires pour les localiser dans la PRI proposée et qu’ils y seraient donc soumis à une possibilité sérieuse de persécution, ou vraisemblablement exposés à une menace ou à un risque aux termes de l’article 97 de la LIPR.

[18] Dans l’évaluation du deuxième volet du critère, qui porte sur le caractère raisonnable du refuge dans d’autres parties du pays, il faut placer la barre très haute et les demandeurs d’asile doivent soumettre une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient en péril leur vie ou leur sécurité s’ils tentaient de se relocaliser dans une autre partie du pays (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), 2000 CanLII 16789 (CAF); Jean Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1106 aux para 20‑21).

[19] Dans la situation qui nous occupe, les demandeurs présentent deux arguments de fond, tous deux surtout liés au premier volet du critère. En premier lieu, ils soutiennent que la SAR n’a pas tenu adéquatement compte des convictions politiques du DP en faveur du Khalistan. En deuxième lieu, ils expliquent que le 27 février 2022, ils ont déposé leur appel auprès de la SAR, qui a rendu sa décision le 29 août 2022. Entre les deux dates, soit le 30 juin 2022, le CND pour l’Inde a été mis à jour. La SAR a rendu sa décision en août 2022 en fonction du CND en vigueur au moment du dépôt de l’appel en février 2022 (soit celui du 30 juin 2021) plutôt que du CND le plus récent alors disponible (soit celui du 30 juin 2022). Les demandeurs affirment que des modifications importantes ont été apportées au CND le plus récent. Si elle les avait prises en considération et si elle avait évalué adéquatement l’incidence des convictions politiques pro‑Khalistan du DP, la SAR aurait conclu que ce dernier est à risque sur tout le territoire de l’Inde. Il n’existe donc aucune PRI viable.

A. La décision de la SAR portant que Bengaluru est une PRI viable est raisonnable

[20] Le DP allègue que son soutien au parti SAD et l’accusation d’avoir abrité des « partisans antinationalistes » portée à son endroit ont eu comme résultat qu’il est fiché à titre de partisan du Khalistan. Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas correctement évalué le risque auquel il est exposé en conséquence. Ils affirment également que la décision de la SAR se fonde sur une ancienne version du CND alors que selon une version plus récente, le DP est à risque partout en Inde puisqu’il est partisan du Khalistan; il n’existe donc aucune PRI viable.

[21] Les demandeurs soulignent que la SAR a conclu, sur le fondement du point 12.8 du CND du 30 juin 2021, que les sikhs peuvent vivre paisiblement dans leurs communautés (point 12.8 : « Information sur la situation des sikhs à l’extérieur de l’État du Pendjab, y compris le traitement qui leur est réservé par les autorités et la société; information sur la possibilité pour les sikhs de se réinstaller ailleurs en Inde; information sur le traitement réservé aux partisans ou aux présumés partisans du Khalistan à l’extérieur du Pendjab » (2017-octobre 2019), CISR). Les demandeurs soutiennent cependant que le point 12.8 de la version à jour du CND (que la SAR n’a pas analysée) confirme que les partisans du Khalistan sont perçus de la même façon que les partisans « antinationalistes » et sont persécutés partout en Inde en raison des opinions politiques qu’on leur prête. Par conséquent, les demandeurs ne disposent d’aucune PRI viable.

[22] À l’audience, le défendeur a réfuté cet argument en invoquant la décision Ishak c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 217 aux para 8‑9. Il a allégué qu’il revenait aux demandeurs de signaler à la SAR qu’ils étaient des partisans du Khalistan ou des militants pro‑Khalistan; comme ils n’ont soumis aucun élément de preuve précis à cet égard, la SAR ne pouvait conclure à l’existence, à ce titre, d’une possibilité sérieuse de persécution ou d’exposition à un danger dans tout le territoire de l’Inde.

[23] À mon avis, bien que le DP mentionne ses opinions politiques comme motif de sa demande de statut de réfugié, dans le fondement de sa demande, il n’a jamais clairement exposé que le risque prenait sa source dans ses convictions pro-Khalistan. Dans le fondement de sa demande, il met plutôt l’accent sur le risque posé par les hommes de main du Parti du Congrès au niveau local, qui s’inquiétaient du résultat du vote à des élections locales. En effet, au cours de son témoignage devant la SPR, le DP a désigné le Parti du Congrès, un député et leurs hommes de main comme source du risque parce que de nombreux votes lui étaient « rattachés » et que le parti du Congrès aurait souhaité obtenir son soutien ainsi que ces votes (Dossier certifié du Tribunal [le DCT], aux p 514‑516, 522). Le DP n’a jamais clairement exposé que ces agents du préjudice le persécutaient en raison de ses convictions politiques pro-Khalistan.

[24] Pour ce qui est du rôle des policiers, la preuve démontre qu’en Inde, les policiers [traduction] « n’épargnent aucun antinationaliste » où que ce soit dans le pays, et qu’ils pourraient vouloir [traduction] « plaire au Parti du Congrès » (DCT, à la p 524). De plus, selon le témoignage du DP à l’audience, il n’existe aucune PRI viable en Inde, car la police l’a fiché comme antinationaliste et qu’elle dispose de ses documents d’identification, de ses empreintes digitales et de sa signature. En outre, le DP pourrait être identifié au moyen du CCTNS ou du TVS.

[25] Malgré tout, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure de façon prépondérante que le Parti du Congrès et la police auraient la motivation nécessaire pour rechercher les demandeurs s’ils s’installaient à Bengaluru. Je suis d’avis que la SAR a adéquatement tenu compte du fait que le DP était un partisan du Khalistan, mais qu’elle a évalué le risque en fonction de la preuve présentée à l’audience devant la SPR. La preuve démontrait que les agents de persécution se limitaient au Parti du Congrès et à ses hommes de main, ainsi qu’aux policiers qui soutenaient le Parti du Congrès. L’ensemble des difficultés du DP liées aux agents de persécution résidaient dans le processus électoral plutôt que dans ses convictions pro‑Khalistan.

[26] En effet, l’intérêt dont le Parti du Congrès a fait montre envers le DP est lié aux votes que ce dernier contrôlait et non au fait qu’il soit un partisan du Khalistan. Par ailleurs, la SAR est arrivée à la conclusion raisonnable qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que le DP pouvait influencer les votes à Bengaluru et que, par conséquent, la preuve ne permettait pas de conclure que le Parti du Congrès continuerait à démontrer de l’intérêt à l’égard du DP s’il n’était plus à même d’exercer cette influence. Si le Parti du Congrès cesse de s’intéresser au DP parce qu’il ne peut pas influencer les votes depuis Bengaluru, les policiers perdront du fait même tant leur intérêt que leur motivation à l’égard du DP, car, comme ce dernier l’a indiqué au cours de son témoignage, la police veut simplement « plaire au Parti du Congrès » (décision de la SAR, aux para 11‑13).

[27] Par conséquent, les demandeurs ont vu leur demande rejetée faute d’avoir établi que les agents de persécution auraient la motivation de les persécuter à Bengaluru. Je suis d’avis que la SAR a adéquatement évalué les éléments de preuve qu’on lui a soumis et est arrivée à la conclusion raisonnable que le profil du DP causerait des problèmes aux demandeurs uniquement dans la région du Pendjab et que Bengaluru constituait donc une PRI viable.

[28] Étant arrivée à la conclusion raisonnable que le Parti du Congrès, ses hommes de main et les policiers n’auraient pas, selon la prépondérance des probabilités, la motivation de localiser les demandeurs à Bengaluru et de leur causer du tort, la SAR aurait pu dès lors mettre fin à son enquête (Leon, au para 23; Ocampo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1058 au para 28 [Ocampo]; Kandel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1293 aux para 16‑17; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1219 aux para 17‑18 [Kaur]).

[29] La SAR n’était pas tenue d’analyser si les agents de persécution avaient les moyens de trouver les demandeurs. De même, les éléments de preuve objectifs sur les conditions du pays, alors que les agents de persécution n’ont aucune motivation de pourchasser le demandeur, n’ont que peu de valeur (Ocampo, aux para 26‑28; Kaur, aux para 17‑19). Les éléments de preuve objectifs ne peuvent renverser la conclusion de fait établissant l’absence de motivation, pour les agents de persécution, de pourchasser le demandeur dans une PRI.

[30] Le fait que la SAR se soit fondée en l’espèce sur une version antérieure du CND n’a par conséquent aucune incidence sur sa conclusion relative à la motivation des agents de persécution. La conclusion de la SAR sur l’absence de motivation est raisonnable et déterminante en l’espèce.

B. Utilisation par la SAR d’une ancienne version du CND

[31] Selon les demandeurs, si la SAR s’était fondée sur la nouvelle version du CND de juin 2022 (soit deux mois avant de rendre sa décision), elle aurait conclu que les demandeurs sont à risque sur tout le territoire de l’Inde. Je rappelle que, le 27 février 2022, les demandeurs ont mis leur appel en état auprès de la SAR, appel qui se fondait sur le CND du 30 juin 2021 alors en vigueur. Le CND a été modifié le 30 juin 2022 et la SAR a rendu sa décision le 29 août 2022, soit presque deux mois plus tard.

[32] Les demandeurs font valoir que la version à jour du point 10.13 (« Information sur les bases de données, y compris le système d’enregistrement des locataires (ou de vérification des locataires), le Réseau de suivi des crimes et des criminels (Crime and Criminal Tracking Network and Systems – CCTNS) et POLNET; l’accès qu’ont les policiers à ces bases de données et leur capacité de trouver des personnes; les cas de personnes que la police a trouvées au moyen de ces bases de données » 7 juin 2022, CISR) (du CND du 30 juin 2022), que la SAR n’a pas prise en compte, confirme que les policiers « communiquent [maintenant] généralement entre eux par messagerie sans fil, notamment par messagerie texte et courriel » et qu’« en cas d’urgence, ils utilisent le téléphone ou le télécopieur ». Par ailleurs, les informations à jour du point 12.8 du CND, dont la SAR n’a pas tenu compte, démontrent l’impossibilité de soutenir que les partisans du Khalistan disposent d’une PRI viable où qu’ils aillent en Inde.

[33] Le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont pas démontré en quoi la nouvelle version du CND est suffisamment différente de celle du 30 juin 2021 pour avoir une incidence sur les conclusions de fait de la SAR relativement à l’existence d’une PRI. En outre, selon lui, la nouvelle version des points pertinents du CND ne confirme pas que les demandeurs sont réellement considérés comme des terroristes ni que leurs agents de persécution auraient la motivation et les moyens de les trouver hors du Pendjab.

[34] Je suis d’avis que l’argument des demandeurs ne tient pas, car, comme je le mentionne plus haut, la SAR est arrivée à la conclusion raisonnable que les agents de persécution n’avaient aucune motivation de trouver les demandeurs. Cette conclusion est déterminante en l’espèce, que la SAR ait ou non commis l’erreur d’omettre d’utiliser la version la plus récente du CND. Même si les demandeurs devaient avoir gain de cause sur ce point, il demeure qu’ils n’ont pas établi que les agents de persécution auraient la motivation nécessaire pour les chercher dans la PRI (voir la décision de la SAR au para 18).

[35] Je signale toutefois l’article 5ii de la Politique relative aux cartables nationaux de documentation dans le cadre de la procédure d’octroi d’asile (du 5 juin 2019) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en ligne à <irb-cisr.gc.ca>, selon lequel la SAR doit « prendr[e] en considération les CND les plus récents à l’appui de l’évaluation du risque éventuel ».

[36] Par conséquent, la SAR aurait dû tenir compte de la version la plus récente du CND, y compris ses mises à jour (voir Monzon Gordillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1529 au para 9). À défaut, il revient à la Cour d’évaluer, dans le contrôle judiciaire, si la version à jour du CND aurait pu influencer le résultat de la décision, auquel cas la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie (voir Demir c Canada, 2014 CF 1218 au para 12 [Demir]).

[37] Lorsqu’elle examine le CND le plus récent, la SAR doit en outre aviser les parties de toute mise à jour importante sur laquelle elle entend s’appuyer et leur donner la possibilité de présenter des observations supplémentaires. La Cour a rappelé à de multiples occasions que, lorsque la SAR évalue des éléments de preuve objectifs dont le CND fait mention (dans une ancienne version ou une mise à jour), mais qui ne figurent pas au dossier mis en état, elle doit aviser les parties de la version du CND sur laquelle elle entend s’appuyer et permettre à celles‑ci de présenter des observations. L’omission de procéder ainsi constitue un manquement à l’équité procédurale (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1031 aux para 42‑63; Roy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 768 au para 43; Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1359 aux para 6‑13; Buri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 45; Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461 (CAF)).

[38] Dans la présente affaire, la SAR semble avoir omis de tenir compte du CND le plus récent. Elle aurait pourtant dû l’utiliser, aviser les parties de son intention d’agir ainsi s’il avait comporté une modification importante et donner aux parties la possibilité de présenter des observations sur cette mise à jour.

[39] Toutefois, en l’espèce, cette omission n’a pas eu d’incidence sur la décision de la SAR. Je rappelle que les conditions du pays rapportées dans le CND le plus récent portaient surtout sur les moyens dont auraient pu disposer les agents de persécution; les modifications apportées au CND n’avaient pas d’incidence sur la motivation de ces agents en l’espèce, motivation qui, selon la conclusion raisonnable de la SAR, n’a pas été prouvée selon la prépondérance des probabilités.

[40] Je suis donc convaincu que la mise à jour la plus récente du CND n’aurait pas influencé le résultat de l’analyse; pour cette raison, la demande de contrôle judiciaire est rejetée (voir Demir, au para 12).

IV. Conclusion

[41] La SAR a examiné avec soin les éléments de preuve présentés par les demandeurs et a procédé à une évaluation raisonnable du caractère viable et raisonnable de la PRI. Pour le premier volet du critère, elle a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que les demandeurs courent un risque à Bengaluru. Les demandeurs n’ont pas contesté la conclusion de la SAR quant au second volet du critère.

[42] La décision de la SAR concernant le critère relatif à la PRI est intelligible, transparente et justifiée (Vavilov, aux para 15, 98). La SAR a adéquatement soupesé l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée et conclu que Bengaluru était une PRI viable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[43] Les parties n’ont soumis aucune question de portée générale à certifier et je conviens qu’aucune telle question ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9101-22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Guy Régimbald »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-9101-22

INTITULÉ :

SULAKHAN SINGH, RAJWINDER SINGH, CHANPREET KAUR, MANDEEP KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 NOVEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

MJonathan Gruszczynski

POUR LES DEMANDEURS

MSimone Truong

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Avocats

Westmount (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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