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Date: 20231201


Dossier: IMM-6522-22

Référence: 2023 CF 1616

Ottawa (Ontario), le 1 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

SEBASTIAN ALEXIS FAUNDEZ VARGAS

MARLY SOFIA SILVA NEUMANN

SOFIA VALENTINA FAUNDEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Sebastian Alexis Faundez Vargas [le demandeur principal], est citoyen de l’Argentine et du Chili. Son épouse et sa fille, qui font également partie de la demande, sont pour leur part uniquement citoyennes de l’Argentine, mais il n’est pas contesté qu’elles pourraient obtenir la nationalité chilienne. Les demandeurs revendiquent le statut de réfugié de l’Argentine. Dans une décision du 17 juin 2022, la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC, 2001, ch 27 [LIPR].

[2] La SAR a statué que les demandeurs pouvaient trouver refuge au Chili, état de nationalité du demandeur principal. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR et soumettent qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que l’état chilien pouvait les protéger.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SAR est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). Les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable.

I. Contexte factuel

[4] Les demandeurs revendiquent le statut de réfugié en provenance de l’Argentine. Ils rejettent la suggestion de la SAR de se déplacer vers le Chili, état de nationalité du demandeur principal et où les autres demanderesses pourraient aussi obtenir la citoyenneté. Ils allèguent n’avoir jamais vécu au Chili et avoir visité le pays très peu dans leurs vies. De plus, le demandeur principal vient d’une famille qui a dû s’exiler et se réfugier en Argentine en raison du régime politique en place à l’époque au Chili. Les demandeurs allèguent craindre de retourner au Chili parce qu’ils ne sont pas en accord avec les politiques de ce pays et parce qu’ils ne devraient pas avoir à retourner là où leur famille a déjà été persécutée il y a de nombreuses années.

[5] Les demandeurs ont demandé l’asile à leur arrivée au Canada en avril 2017. La SPR a rendu une décision négative le 22 octobre 2021.

[6] La SPR a jugé que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils avaient une crainte bien fondée de persécution ou de traitements cruels et inusités au Chili. Puisque le demandeur principal est un citoyen du Chili, ce pays est un pays de référence ou de nationalité en vertu de la clause d’exclusion 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 RTNU 150, et par le fait même selon l’article 98 de la LIPR.

[7] De fait, dans leur demande d’asile, les demandeurs n’ont pas allégué (autre que le fait qu’en tant qu’anciens exilés ils ne devraient pas avoir à retourner au Chili) un risque spécifique qu’ils pourraient encourir s’ils retournaient au Chili. Les demandeurs ont seulement allégué que les conditions des droits humains au Chili rendaient leur retour risqué pour eux.

[8] Le 17 juin 2022, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel des demandeurs.

II. Norme de contrôle et questions en litige

[9] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la décision de la SAR à l’effet que les demandeurs n’ont pas démontré que l’état chilien ne pouvait les protéger est raisonnable.

[10] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La décision sera raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible et fait partie des issues possibles au regard des faits et du droit (Vavilov, au para 99).

III. Analyse

[11] Les demandeurs soumettent que la SAR a erré en concluant qu’ils n’ont pas démontré une crainte de persécution ou de traitements cruels et inusités au Chili en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. En se basant sur la décision Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177, les demandeurs plaident qu’ils n’avaient pas à prouver qu’ils étaient personnellement visés ou persécutés, qu’ils ont été persécutés dans le passé ou qu’ils le seront à l’avenir.

[12] Ils précisent que puisqu’ils « arrivent déjà avec une cicatrice, celle des traitements dont les membres de leurs familles ont dû subir contre leur gré », ils ne sont pas dans la même situation que les ressortissants ordinaires du Chili et que par conséquent, ils ne pourraient bénéficier de la protection de l’état. Devant le SPR, les demandeurs ont aussi témoigné ne pas avoir un risque particulier au Chili qui pourrait justifier une demande d’asile (voir décision de la SAR au para 6).

[13] À l’audience devant la Cour, les demandeurs ont précisé qu’ils n’étaient pas uniquement des enfants d’exilés, mais qu’ils sont aussi des activistes, des gens qui démontrent leur soutien à une cause en manifestant publiquement et activement.

[14] De plus, les demandeurs soumettent dans leur mémoire que la preuve objective de documentation démontre que la situation au Chili par rapport au respect des droits de la personne est loin d’être idéale. Ils précisent que la preuve documentaire démontre que des centaines de personnes ont été victimes de maltraitance, de détention et même de torture aux mains des autorités. Étant donné qu’ils sont en désaccord avec les politiques du pays, ils pourraient être les futures victimes des traitements imposés par les autorités à la population. À l’audience, les demandeurs ont ajouté être en désaccord général avec les politiques du gouvernement chilien. Étant des gens très impliqués politiquement, il est selon eux certain qu’ils seront persécutés quand ils vont inévitablement participer à des manifestations antigouvernementales.

[15] Ils ajoutent que puisque dans leur cas, l’agent de persécution est l’état chilien, il sera impossible pour eux d’obtenir la protection des autorités.

[16] Les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la décision de la SAR est déraisonnable. Ils n’ont pas soumis une preuve claire et convaincante qu’ils ne peuvent pas bénéficier pas de la protection de l’état au Chili.

[17] Il est bien établi dans la jurisprudence qu’un demandeur doit démontrer l’incapacité d’un état de le protéger pour être reconnu « réfugié » au sens de l’article 96 ou une « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR. La jurisprudence établit aussi qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’état est capable de protéger ses citoyens (Canada c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 724).

[18] Les demandeurs devaient donc renverser cette présomption en démontrant avec une preuve « pertinente, digne de foi et convaincante » que le Chili est incapable de les protéger (Canada (MCI) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 au para 30). Le fait de seulement démontrer que la protection offerte par le Chili est imparfaite est insuffisant (Canada (Minister of Employment and Immigration) v Villafranca, 1992 CanLII 8569 (FCA)).

[19] Il est important de noter d’ailleurs que la protection de l’état est déterminante tant pour les demandes en vertu de l’article 96 que celles en vertu de l’article 97 de la LIPR (Bellingy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1252 au para 53).

[20] Le fardeau de preuve est aussi très élevé puisque les demandeurs doivent démontrer avoir utilisé toutes les mesures de protection qui s’offrent à eux dans leur pays, afin de se décharger de leur fardeau de prouver qu’ils ne disposent pas d’une protection de l’état, avant de revendiquer l’asile dans un autre pays. Le Juge en Chef Crampton précise dans l’affaire Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004 :

[32] Le demandeur d’asile doit démontrer qu’il n’a ménagé aucun effort objectivement raisonnable afin d’épuiser tous les recours auxquels il a raisonnablement accès avant de demander l’asile à l’étranger (arrêt Hinzman, précité, au paragraphe 46; Dean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 772, au paragraphe 20; décision Salamon, précitée, au paragraphe 5). Pour ce faire, les demandeurs d’asile sont notamment tenus « de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée » (arrêt Ward, précité, au paragraphe 25; [autres citations omises].

[33] À cet égard, remettre en doute l’efficacité de la protection de l’État sans vraiment la mettre à l’épreuve ou simplement faire valoir une réticence subjective à faire intervenir l’État ne suffit pas à réfuter la présomption de protection de l’État (décisions Ramirez et Kim, précitées). En l’absence d’une explication convaincante, le défaut de prendre des mesures raisonnables pour épuiser toutes les avenues raisonnablement existantes dans l’État d’origine avant de demander l’asile à l’extérieur est généralement considéré comme un fondement raisonnable pouvant justifier la SPR de conclure qu’un demandeur d’asile n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante (décision Camacho, précitée).

[34] En ce qui concerne le volet « ne peut », un demandeur d’asile ne satisfait pas aux exigences de la définition d’un « réfugié au sens de la Convention » « s’il est objectivement déraisonnable qu’il n’ait pas sollicité la protection de son pays d’origine » (arrêt Ward, précité, au paragraphe 56). Il faut souligner, relativement à ce volet du critère, que pour qu’une personne soit fondée à ne pas solliciter la protection de l’État, elle doit craindre avec raison d’être persécutée.

[21] En l’espèce, la SAR a raisonnablement considéré la trame factuelle présentée par les demandeurs. Les demandeurs devaient lier une persécution existante d’un groupe au Chili, avec leur situation personnelle, ce qu’ils n’ont pas fait. Ainsi, malgré une preuve objective sur les atrocités commises par les autorités chiliennes, la jurisprudence est claire à l’effet qu’un demandeur d’asile doit démontrer l’existence d’un lien entre les éléments de preuve documentaire objective et la situation qui lui est propre (Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 921 at para 14; Chukwunyere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 210 au para 14; Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808 au para 22). Le simple fait de dire qu’ils sont des « activistes », qu’ils sont généralement opposés aux politiques du gouvernement chilien (sans en mentionner aucune), et qu’ils seront donc inévitablement persécutés s’ils doivent y retourner, est insuffisant.

[22] En l’espèce, les demandeurs allèguent que leur famille a dû fuir le Chili en raison de persécutions passées. Or, le fardeau des demandeurs était de démontrer non pas une persécution passée, mais une crainte raisonnable d’être persécutée dans l’avenir, ce qu’ils n’ont pas été en mesure d’établir (A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237 au para 16; Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426 au para 19, citant Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331 au para 17; Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409 au para 28).

[23] La SAR a donc raisonnablement statué que selon la preuve déposée devant elle, les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de prouver que l’état chilien était incapable de les protéger.

[24] Ainsi, bien qu’une preuve documentaire puisse illustrer une situation problématique en matière de droits de la personne dans un pays donné, ce n’est pas suffisant. Le demandeur doit tout de même démontrer comment cette situation s’applique à lui. La conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs n’ont pas démontré que les « country condition evidence about law enforcement and human rights abuses apply to their specific circumstances » est donc raisonnable (Décision de la SAR au para 8).

[25] La preuve des circonstances personnelles des demandeurs en tant qu’enfants d’exilés du Chili n’est pas suffisante pour établir une crainte raisonnable de persécution ou de traitements cruels et inusités pour leurs opinions politiques. Malgré la preuve objective des abus de droits humains dans le contexte actuel du Chili, les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils ont un profil différent des milliers de Chiliens qui contestent le gouvernement en place (Décision de la SAR au para 9).

[26] La plaidoirie des demandeurs revient donc essentiellement à inviter la Cour à réévaluer la preuve soumise et à substituer sa propre interprétation à celle de la SAR. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire (Vavilov aux para 124-125; Fares v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 1500 au para 20).

IV. Conclusion

[27] La décision de la SAR est raisonnable et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci. Ses motifs sont logiques, cohérents et rationnels comme prescrit par l’arrêt Vavilov au paragraphe 86. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[28] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale à certifier et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6522-22

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-6522-22

INTITULÉ:

SEBASTIAN ALEXIS FAUNDEZ VARGAS, MARLY SOFIA SILVA NEUMANN, SOFIA VALENTINA FAUNDEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE:

MONTRÉAL, QUÉBEC

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 16 NOVEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE Régimbald

 

DATE DES MOTIFS:

LE 1 DÉCEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS:

Me Chantal Ianniciello

Julia Greene, stagiaire

POUR LE DEMANDEURS

 

Larissa Foucault

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Chantal Ianniciello

Montréal, Québec

POUR LE DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

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