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Date : 20231122


Dossier : IMM-10659-22

Référence : 2023 CF 1546

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ZANETA ABKAROVICOVA

MARTIN ABKAROVIC

JESIKA ABKAROVICOVA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 6 octobre 2022 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a annulé le statut de réfugié des demandeurs au titre de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et a conclu qu’ils étaient exclus de la protection conférée aux réfugiés, en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés, RTC 1969/6; 189 RTNU 150 [la Convention], et de l’article 98 de la LIPR.

[2] Pour les motifs exposés plus en détail ci-après, la présente demande sera accueillie.

II. Contexte

[3] La première demanderesse nommée ci-dessus [la demanderesse principale] et les autres demandeurs, qui sont ses enfants et qui étaient mineurs au moment de la décision initiale relative à leurs demandes d’asile [les codemandeurs], sont des citoyens de la Slovaquie et sont d’origine ethnique rom. Ils sont arrivés au Canada le 11 février 2016, et ils ont obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention le 14 août 2017.

[4] Dans son entrevue de premier contact avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], la demanderesse principale a affirmé n’avoir jamais été déclarée coupable ni accusée d’un crime, ni subi un procès criminel, ni fait l’objet d’une autre procédure criminelle, et ce, dans quelque pays que ce soit. Elle a également mentionné n’avoir jamais été détenue ni incarcérée. Pendant son entrevue visant à déterminer la recevabilité de sa demande, à la question de savoir si elle avait déjà été accusée ou déclarée coupable d’une infraction criminelle, la demanderesse principale a répondu par la négative.

[5] Le 7 janvier 2020, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada [le ministre] a présenté à la SPR une demande d’annulation du statut de réfugié des demandeurs. Le ministre a affirmé dans sa demande que la demanderesse principale avait fait des présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent concernant les demandes d’asile des demandeurs, ou une réticence sur ce fait. En particulier, le ministre a fait valoir que la demanderesse principale avait dissimulé qu’elle avait des antécédents criminels s’échelonnant sur 17 ans en Slovaquie. Le ministre a affirmé que, si les antécédents criminels de la demanderesse principale avaient été divulgués à la SPR, il est plus probable qu’improbable qu’elle se serait vu refuser l’asile en application de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention. Ces dispositions portent qu’une personne ne peut avoir la qualité de réfugié au sens de la Convention si elle a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admise.

[6] À l’appui de la demande d’annulation, le ministre s’est fondé sur un mandat d’arrestation international délivré par la Slovaquie et une attestation de vérification du casier judiciaire fournie par l’attaché de la police slovaque à Ottawa. Le mandat indique que la demanderesse principale a été déclarée coupable des infractions au code pénal slovaque suivantes : récidive de vol (article 212) et complicité à la contrefaçon et à l’utilisation illégales de moyens de paiement, de monnaie électronique ou d’autres cartes de crédit et de débit (paragraphe 219(1)). Le mandat indique également que la demanderesse principale a purgé 18 des 28 mois de sa peine pour ces infractions. L’attestation de vérification du casier judiciaire indique que la demanderesse principale a commis 17 crimes entre 1995 et 2012.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[7] La SPR a noté que la demanderesse principale ne contestait pas le fait qu’elle n’avait pas divulgué ses antécédents criminels à IRCC ou au premier tribunal de la SPR, qui avait accueilli sa demande d’asile, bien qu’elle ait contesté l’ampleur de ses antécédents criminels tels qu’ils sont énoncés dans les documents communiqués par le ministre. La demanderesse principale a confirmé qu’elle avait purgé une peine d’emprisonnement pour vol en 2005 ou en 2006 et en 2015 et qu’elle avait été déclarée coupable d’avoir infligé des lésions corporelles, ce pour quoi elle avait été condamnée à une peine de probation. La demanderesse principale a expliqué pourquoi elle avait eu recours au vol, mais la SPR a conclu que l’analyse requise pour rendre une décision au titre du paragraphe 109(1) de la LIPR n’exigeait pas qu’elle tienne compte des motifs ou de l’intention.

[8] Les observations présentées par les demandeurs en réponse à la demande du ministre n’ont pas convaincu la SPR, et celle-ci a conclu que la réticence de la demanderesse principale à l’égard de ses antécédents criminels avait été établie par son témoignage et par la preuve du ministre. La SPR a estimé qu’il existait un lien de causalité entre les fausses déclarations et l’issue favorable de sa demande d’asile. La SPR a également conclu, selon la prépondérance des probabilités, que, si les antécédents criminels de la demanderesse principale avaient été portés à l’attention du premier tribunal de la SPR, celui-ci aurait été tenu de déterminer si les demandeurs étaient exclus en application de l’article 98 de la LIPR et de la Convention avant d’examiner s’ils étaient visés à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la LIPR.

[9] Lorsqu’elle a réévalué la crédibilité des éléments de preuve examinés lors de la première audience qu’elle a tenue, la SPR a également conclu que le premier tribunal de la SPR aurait probablement jugé non crédible le récit de persécution de la demanderesse principale.

[10] En ce qui concerne les codemandeurs, la SPR s’est fondée sur l’arrêt Coomaraswamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 153, pour conclure que, bien qu’un demandeur d’asile mineur puisse avoir été desservi par parent qui agissait comme son représentant désigné et qui a induit la SPR en erreur, cela ne signifie pas que le demandeur d’asile mineur a été privé d’une audience équitable. La SPR a conclu que les fausses déclarations de la demanderesse principale avaient été faites non seulement dans le cadre sa demande d’asile, mais aussi au nom des codemandeurs (qui étaient alors mineurs). La SPR a donc conclu que la décision par laquelle les demandes d’asile des codemandeurs avaient été accueillies devait être annulée.

[11] En ce qui concerne l’article 98 de la LIPR et l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention, la SPR a examiné le Guide du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCR], ainsi que les arrêts Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 RCS 431 [Febles], et Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 RCF 164 [Jayasekara], qui exposent le processus analytique permettant de déterminer si un demandeur a commis un crime grave de droit commun.

[12] La SPR a estimé que la preuve n’étayait pas l’observation de la demanderesse principale selon laquelle les accusations portées contre elle avaient été fabriquées et qu’elle avait été traitée de manière inéquitable par le système judiciaire slovaque. La SPR était plutôt convaincue que le ministre avait satisfait à la norme de preuve applicable pour établir qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que la demanderesse principale avait commis des crimes passibles d’exclusion.

[13] La SPR a conclu que les codemandeurs étaient également exclus en vertu de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention. La SPR s’est appuyée sur la décision Karicka c Canada (MCI), 2021 CF 1005 [Karicka], pour répondre à l’observation des demandeurs selon laquelle la question de l’exclusion ne s’appliquait pas aux codemandeurs, puisqu’ils étaient innocents des crimes commis par la demanderesse principale. La SPR a estimé que, étant donné que les codemandeurs s’étaient appuyés sur le récit de persécution de la demanderesse principale, la conclusion d’exclusion de la demanderesse principale devrait être étendue aux enfants mineurs.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[14] Les demandeurs soumettent les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur en annulant le statut de réfugié des codemandeurs et en les excluant de la protection conférée aux réfugiés en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention?

  2. La SPR a-t-elle conclu à tort que la demanderesse principale avait commis des crimes graves de droit commun?

  3. Les demandeurs devraient-ils se voir adjuger des dépens?

[15] Les deux premières questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[16] Le défendeur soulève également une question préliminaire, faisant valoir que l’intitulé de la cause devrait être modifié pour désigner le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile comme le bon défendeur. Les demandeurs conviennent que ce changement devrait être fait. Je suis d’accord, et mon jugement sera rendu dans ce sens.

V. Analyse

A. La SPR a-t-elle commis une erreur en annulant le statut de réfugié des codemandeurs et en les excluant de la protection conférée aux réfugiés en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention?

[17] Dans son mémoire supplémentaire des arguments, le défendeur admet que la SPR a commis une erreur en excluant les demandeurs de la protection conférée aux réfugiés en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention et en annulant par conséquent leur statut de réfugié. Le défendeur convient donc que la Cour devrait infirmer les décisions de la SPR relatives à l’annulation et à l’exclusion en ce qui concerne les codemandeurs.

[18] Je souscris à cette concession, car la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur la décision Karicka pour tirer sa conclusion relative à l’exclusion (et donc celle qu’elle a tirée concernant l’annulation) en ce qui a trait aux codemandeurs. La décision ne présente pas d’analyse rationnelle justifiant pourquoi les codemandeurs pourraient être exclus (et leur statut de réfugié serait par conséquent annulé) en raison des crimes commis par leur mère. Mon jugement fera donc droit à la présente demande dans la mesure où elle s’applique aux codemandeurs.

B. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse principale avait commis des crimes graves de droit commun?

[19] Ma décision de faire droit à la présente demande en ce qui concerne la demanderesse principale repose sur son argument selon lequel la SPR n’a pas mené d’analyse visant à déterminer si les peines particulières qui lui ont été imposées en raison des infractions qu’elle avait commises permettent de réfuter la présomption de gravité de ces infractions.

[20] Pour arriver à sa conclusion selon laquelle il y avait des raisons sérieuses de penser que la demanderesse principale avait commis des crimes graves de droit commun en Slovaquie, la SPR s’est fondée sur les déclarations de culpabilité pour vol, paiement illégal et lésions corporelles prononcées contre elle. En ce qui concerne les infractions de vol et de paiement illégal (mais pas l’infraction de lésions corporelles), la demanderesse principale reconnaît que, parce que les infractions auraient été punissables d’une peine d’emprisonnement de 10 ans si elles avaient été commises au Canada, la SPR a raisonnablement conclu que la présomption de gravité expliquée dans l’arrêt Febles s’appliquait. La demanderesse principale affirme cependant que la SPR n’a pas mené l’analyse énoncée dans l’arrêt Febles et d’autres décisions visant à déterminer si les peines qui lui ont été effectivement imposées permettent de réfuter la présomption.

[21] La demanderesse principale cite l’explication suivante donnée au paragraphe 62 de l’arrêt Febles :

62. Dans les arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (Goodwin‑Gill et McAdams, p. 179). Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste.

[Caractères gras ajoutés par les demandeurs.]

[22] Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel fédérale a expliqué ce qui suit au paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara :

44. Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S c. Refugee Status Appeals Authority, (C.A. N.‑Z.), précité; S and Others c. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157 (Cours royales de Justice, Angleterre); Miguel-Miguel c. Gonzales, no 05-15900, (Cour d’appel É.-U., 9e circuit), 29 août 2007, aux pages 10856 et 10858). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine (voir Xie c. Canada, précité, au paragraphe 38, INS c. Aguirre-Aguirre, précité, à la page 11; T c. Home Secretary (1995), 1 WLR 545, aux pages 554-555 (C.A. Angleterre), Dhayakpa c. The Minister of Immigration and Ethnic Affairs, précité, au paragraphe 24).

[23] La demanderesse principale soutient avoir invoqué devant la SPR un nombre limité de facteurs visant à réfuter la présomption de gravité, y compris ce qu’elle estime être des peines parmi les plus légères imposées pour les infractions qu’elle a commises, c’est-à-dire une peine cumulative de 28 mois pour les déclarations de culpabilité liées au vol et au paiement illégal et une peine de probation pour la déclaration de culpabilité liée à l’infliction de lésions corporelles. Elle affirme cependant que la SPR n’a pas tenu compte de cette observation. Je conclus que cet argument est convaincant. La décision précise les peines imposées à la demanderesse principale. Toutefois, elle ne contient aucune analyse quant à l’effet de ce facteur sur la présomption réfutable de gravité.

[24] En faisant valoir que la SPR a raisonnablement conclu que ces déclarations de culpabilité concernaient des crimes graves de droit commun, le défendeur s’appuie sur la jurisprudence, dont la décision Santha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1353, dans laquelle la Cour a rejeté un argument selon lequel la SPR avait commis une erreur, car elle n’aurait pas tenu compte du fait que la peine imposée au demandeur se situait parmi les peines les moins sévères infligées pour ce crime au Canada. Dans cette affaire, la Cour a cependant conclu que la SPR avait correctement tenu compte de la peine finalement imposée pour les déclarations de culpabilité en cause (au para 47).

[25] La demanderesse principale souligne que la SPR n’a pas jugé convaincante l’observation du conseil des demandeurs selon laquelle elle devrait examiner les fourchettes de peines pour rendre sa décision, car la détermination de la peine est le rôle des tribunaux pénaux. Les observations du défendeur ne traitent pas directement de cette conclusion. Il se peut que la SPR ait déclaré qu’elle n’était pas chargée d’évaluer la peine qu’un tribunal canadien imposerait dans des circonstances semblables. Ce n’est pas la même chose que d’examiner l’effet des peines effectivement imposées par le tribunal slovaque. Toutefois, quelle que soit l’interprétation de cette conclusion, la SPR ne s’est pas acquittée de cette dernière tâche. Je conclus que l’absence de cette analyse compromet le caractère raisonnable de la décision en ce qui concerne la demanderesse principale.

[26] Étant arrivée à cette conclusion, la Cour n’est pas tenue d’examiner les autres arguments que la demanderesse principale a invoqués pour contester le caractère raisonnable de la décision. Comme pour les codemandeurs, bien que pour des raisons différentes, mon jugement fera droit à la présente demande de contrôle judiciaire, infirmera les décisions de la SPR relativement à l’annulation et à l’exclusion concernant la demanderesse principale et renverra l’affaire à un autre commissaire de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

[27] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.

C. Les demandeurs devraient-ils se voir adjuger des dépens?

[28] L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, porte que « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens ». Quant aux cas où il y a des raisons spéciales, les demandeurs se fondent sur la jurisprudence, dont la décision Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 773 [Ghirmatsion], dans laquelle la Cour a statué qu’on pouvait conclure à l’existence de raisons spéciales si une partie avait prolongé l’instance de manière inutile ou déraisonnable ou lorsqu’il ressortait, après examen du dossier, que les motifs exposés par l’agent à l’appui de sa décision n’allaient pas résister à un contrôle judiciaire et que l’affaire aurait donc dû être menée à son terme rapidement (au para 5).

[29] Les demandeurs soutiennent qu’il y a des raisons spéciales d’adjuger des dépens en l’espèce, parce que l’erreur de la SPR (qui s’est fondée sur les antécédents criminels de la demanderesse principale pour conclure que les codemandeurs étaient exclus de la protection offerte aux réfugiés) constitue une erreur si évidente que le défendeur n’aurait pas dû s’opposer à la présente demande de contrôle judiciaire présentée par les codemandeurs.

[30] Les demandeurs ont sollicité l’adjudication de dépens dans leur mémoire des arguments du 20 novembre 2022, qui a été déposé à l’étape de l’autorisation de la présente demande. À ce stade‑là, le défendeur n’avait pas encore admis que la décision était déraisonnable en ce qui concerne les codemandeurs. Comme il a été expliqué précédemment dans les présents motifs, le défendeur a finalement fait cette concession, comme le montre son mémoire supplémentaire des arguments du 2 novembre 2023, déposé en vue de l’audience. La demanderesse a fait valoir à l’audience qu’il faudrait adjuger des dépens malgré cette concession, parce que le défendeur s’est opposé à la demande à l’étape de l’autorisation.

[31] Les demandeurs n’ont pas présenté de précédent à la Cour en ce qui concerne l’adjudication des dépens lorsqu’une partie s’oppose à une autorisation, mais admet ensuite avant l’audience qu’une demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. En tenant compte de l’observation formulée dans la décision Ghirmatsion selon laquelle il convient de déterminer s’il ressort du dossier qu’un contrôle judiciaire aurait dû être mené à « son terme rapidement », je n’écarterais pas la possibilité qu’il puisse y avoir des cas où de telles circonstances justifieraient une adjudication de dépens.

[32] Cependant, j’estime qu’un tel résultat n’est pas justifié en l’espèce. Comme le fait observer le défendeur, les demandeurs n’ont pas déposé d’autres affidavits ni d’autres mémoires des faits et du droit après que l’autorisation a été accordée. Les demandeurs ne semblent donc pas avoir dû faire des efforts supplémentaires ou payer des dépens supplémentaires en raison du moment de la concession du défendeur. Les demandeurs font valoir que les codemandeurs risquaient d’être renvoyés jusqu’au moment où le défendeur a admis que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. Cependant, ils reconnaissent également, et le défendeur insiste sur ce point, qu’aucun effort n’a été fait pour renvoyer les codemandeurs.

[33] Je conclus que les circonstances de l’espèce ne constituent pas des raisons spéciales justifiant une adjudication de dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-10659-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et la présente affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

  4. L’intitulé de la présente affaire est modifié comme il est mentionné plus haut, afin que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit désigné comme défendeur.

« Richard F. Southcott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10659-22

INTITULÉ :

ZANETA ABKAROVICOVA ET AL c MSPPC

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 NOVEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Clifford Luyt

POUR LES DEMANDEURS

Kareena Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clifford Luyt

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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