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Date : 20231117

Dossier : IMM-8384-22

Référence : 2023 CF 1530

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2023

En présence de madame la juge Azmudeh

ENTRE :

HARDEEP SINGH SANGHA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Hardeep Singh Sangha [le « demandeur »] sollicite le contrôle judiciaire, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], de la décision de rejet de sa demande de permis de travail au Canada. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui suivent.

[2] Le demandeur est un citoyen indien, marié à une ressortissante étrangère résidant au Canada. Il a présenté une demande de permis de travail ouvert, en faisant valoir que son épouse, Mme Harmanjeet Kaur Brar [l’« épouse »], résidait au Canada et détenait un permis de travail pour l’exercice d’une profession hautement spécialisée. À la suite de sa demande, le demandeur a eu une entrevue avec un agent des visas du haut-commissariat du Canada, à Delhi, en Inde [l’« agent »]. L’un des facteurs que l’agent devait apprécier était l’authenticité du mariage du demandeur avec l’épouse.

[3] Le demandeur allègue que son épouse et lui avaient constitué un ensemble de documents considérable, totalisant 2 121 pages, pour prouver l’authenticité de leur relation. Cet ensemble de documents comprenait notamment des photos, des enregistrements de messages textes, des lettres et des reçus. Le demandeur et son épouse avaient aussi fourni des affidavits dans lesquels ils déclaraient que, lorsque le demandeur s’était présenté à l’entrevue du 13 juin 2022, il avait tenté de fournir cet ensemble de documents, mais que l’agent avait refusé de l’accepter, parce qu’il ne pouvait pas corroborer l’authenticité des documents. L’agent avait ensuite procédé à l’entrevue sans avoir eu l’avantage de prendre connaissance de cet ensemble de documents. L’épouse du demandeur a joint l’ensemble de documents à son affidavit en tant que pièce A, et le demandeur a confirmé que les documents dans cette pièce correspondaient bien à l’ensemble de documents qu’il avait apporté à l’entrevue et que l’agent avait refusé d’accepter.

[4] L’agent a également déposé un affidavit pour présenter sa preuve. Bien que l’agent ne semble pas se souvenir de l’entrevue qu’il avait eue avec le demandeur en particulier, il a fait état de sa pratique habituelle et ordinaire en tant qu’agent d’immigration. L’agent a ainsi déclaré que sa pratique habituelle était d’examiner tous les documents présentés par un demandeur à l’occasion d’une entrevue, et que, normalement, il ne refusait pas de prendre ces documents en considération. Il a ajouté que, quand les demandeurs se présentent aux entrevues avec des pages de documents, sa pratique habituelle est de le consigner dans le Système mondial de gestion des cas (le « SMGC »).

[5] L’agent a ensuite conclu que, si le demandeur lui avait demandé d’examiner d’autres documents, on trouverait tout au moins une référence à ces documents dans les notes du SMGC.

[6] En l’espèce, les notes de l’agent consignées au SMGC, qui constituent les motifs de sa décision, ne contiennent aucune référence à l’ensemble de documents;

II. Les questions ayant trait au contrôle judiciaire et la norme de contrôle applicable

[7] Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la seule question soulevée par le demandeur est de savoir si l’omission de l’agent de prendre en considération la preuve substantielle et probante contenue dans l’ensemble de documents équivaut à un manquement à l’équité procédurale. Le défendeur soutient qu’il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale, parce que le demandeur n’a jamais tenté de déposer l’ensemble de documents lors de l’entrevue du 13 juin 2022.

[8] Comme les parties l’ont compris, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, il s’agit d’un litige factuel quant à la question de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur avait apporté un ensemble d’éléments de preuve à l’entrevue et avait essayé de le soumettre à l’agent pour examen.

III. La norme de contrôle

[9] Si une question d’équité procédurale est soulevée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour détermine si la procédure suivie par le décideur était équitable, compte tenu de toutes les circonstances, y compris la nature des droits substantiels en cause et les conséquences pour les personnes concernées. La question relative à l’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée] aux para 37-56; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35). La question essentielle en matière d’équité procédurale est de savoir si la procédure était équitable, compte tenu de toutes les circonstances, y compris les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 1999 CanLII 699 (CSC) aux para 21‑28, Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 54.

IV. Analyse

[10] Avant de se pencher sur la question de savoir si la décision de l’agent d’écarter les documents allégués était équitable, la Cour doit décider si elle accepte la version des faits du demandeur; c’est-à-dire, décider de la question de savoir si le demandeur avait effectivement apporté l’ensemble de documents et tenté de le soumettre à l’examen de l’agent à l’occasion de l’entrevue du 13 juin 2022. Selon la prépondérance des probabilités, et pour les motifs explicités ci-dessous, je ne peux conclure à la véracité de cette version des faits.

[11] Le demandeur et l’épouse ont tous deux fourni des affidavits dans lesquels ils affirmaient avoir préparé l’ensemble de documents figurant à la pièce A, pour les fins de l’entrevue. Le demandeur, qui était présent à l’entrevue, aurait tenté de soumettre cet ensemble de documents à l’agent, mais ce dernier aurait refusé de l’accepter. Comme l’a souligné l’avocat du défendeur, de multiples pages de la pièce A (en particulier les pages 1 012 à 1 036 du dossier du demandeur) ne pouvaient raisonnablement exister le 13 juin 2022. Ces pages contiennent notamment de nombreux messages textes et des références à des appels manqués qui sont postérieurs à l’entrevue, dont les dates s’échelonnent entre le mois d’août et le mois d’octobre 2022.

[12] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’ensemble de documents réunis sous la pièce A ne pouvait tout simplement pas exister et être soumis à l’agent le 13 juin 2022, parce qu’il contient des documents qui ont été produits après cette date.

[13] De plus, le défendeur a fourni à la Cour l’affidavit de l’agent. Dans ce document, l’agent, qui est agent d’immigration depuis 2006, fait référence à ses pratiques habituelles et souligne qu’il aurait tout au moins fait mention, dans ses notes, du fait qu’un demandeur avait présenté des documents. La version des faits du demandeur est clairement en contradiction avec la façon dont l’agent, qui n’a aucun intérêt dans l’affaire, aurait probablement agi au cours de l’entrevue. En l’espèce, rien ne donne à penser que l’agent n’aurait pas agi selon ses pratiques habituelles dans le cadre de l’entrevue en question.

[14] L’avocat du demandeur a fait valoir que l’affidavit de l’agent ne traite pas de son interaction particulière avec le demandeur et que je ne devrais donc pas accepter cet élément de preuve, relatif à la façon dont il agit habituellement, pour valoir comme preuve de ce qui s’est passé lors de l’entrevue. Au vu de la contradiction manifeste qui existe entre la version des faits du demandeur et les documents allégués, je rejette cet argument.

[15] Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que la décision Singh c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 84 [Singh] aux para 17-20, s’applique dans la présente affaire. Dans la décision Singh, la Cour s’est appuyée sur la décision Oei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 466 au para 42, pour privilégier les notes de l’agent sur celles des demandeurs. Dans la décision Singh, la Cour a souligné que les agents prennent leurs notes de façon contemporaine durant chaque entrevue et n’ont aucun intérêt direct pour quelque règlement particulier dans une affaire. Dans cette affaire, il était allégué que des documents étaient manquants, mais il n’y avait pas de preuve positive quant à l’existence de ces documents.

[16] Dans la décision Al Fares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 373 au para 59, le juge Russell a également jugé qu’il existait une présomption d’exactitude des notes consignées dans le SMGC « parce qu’elles sont contemporaines (ou presque contemporaines) du déroulement de l’entrevue qu’elles consignent, et que les agents sont hautement qualifiés et n’ont aucun intérêt personnel dans le résultat des demandes qu’ils examinent ».

[17] En l’espèce, compte tenu du caractère inexact de la version des faits donnée par le demandeur, il y a d’autant plus de raisons de privilégier la version des faits donnée par l’agent.

[18] Par conséquent, je conclus que le demandeur n’a pas pu emporter l’ensemble de documents corroborants en question à l’entrevue, et qu’aucune question d’équité procédurale n’en a découlé.

[19] Le demandeur ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision de l’agent.

[20] En l’espèce, je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

[21] Aucune des parties n’a proposé de question en vue de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

V. Conclusion

[22] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-8384-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

En blanc

« Negar Azmudeh »

En blanc

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-8384-22

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

HARDEEP SINGH SANGHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 NOVEMBRE 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

LA JUGE AZMUDEH

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 17 NOVEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Shepherd Moss

 

pour le demandeur

 

 

Quinn Ashkenazy

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chand & Company Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour le demandeur

Ministère de la Justice du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

pour le défendeur

 

 

 

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