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Date :20231116


Dossier : T-824-21

Reference : 2023 CF 1511

[TRADUCTION FRANÇAISE NON RÉVISÉE PAR LA JUGE]

Toronto (Ontario), 16 novembre 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

COALITION POUR UNE UTILISATION RESPONSABLE DU PLASTIQUE,

DOW CHEMICAL CANADA ULC, LA PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE, SOCIÉTÉ DE PERSONNES, REPRÉSENTÉE PAR SON PARTENAIRE DE GESTION LA COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE et NOVA CHEMICALS CORPORATION

demanderesses

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

et

AMERICAN CHEMISTRY COUNCIL,

AMERICAN FUEL & PETROCHEMICAL MANUFACTURERS, PLASTICS INDUSTRY ASSOCIATION, ENVIRONMENTAL DEFENCE CANADA INC. ET OCEANA CANADA, ANIMAL JUSTICE,

PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA,PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN

intervenants

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire [la demande] des décisions du gouvernement fédéral concernant l’inscription d’« articles manufacturés en plastique » sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33 [la LCPE]. Depuis l’audition initiale de la présente demande, l’annexe 1 a été abrogée et remise en vigueur et toutes les mêmes substances y sont inscrites, conformément au projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé, LC 2023, c 12 [le projet de loi S-5]. Bien que la présente demande porte sur le décret (défini ci-après) qui a autorisé l’inscription des articles manufacturés en plastique à l’annexe 1, dans sa version antérieure, je conclus, pour les motifs énoncés ci-après, que les réparations découlant de la présente demande demeurent néanmoins utiles compte tenu du litige actuel entre les parties et que les modifications apportées par le projet de loi S-5 n’ont pas rendu la présente demande théorique. Par conséquent, l’analyse qui suit tient compte de toutes les questions soulevées.

[2] La demanderesse la Coalition pour une utilisation responsable du plastique [la CURP] est une société à but non lucratif composée d’entreprises de l’industrie du plastique qui exercent leurs activités au Canada. Les demanderesses Dow Chemical Canada ULC et Nova Chemicals Corporation sont des sociétés spécialisées dans la fabrication et la distribution de produits chimiques et de résines plastiques, et la demanderesse la Pétrolière Impériale, représentée par son partenaire de gestion, la Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, est une société qui fabrique des produits pétrochimiques servant à la fabrication des résines plastiques.

[3] Les demanderesses soulèvent deux questions dans le cadre de la présente demande. En premier lieu, les demanderesses font valoir que le Décret d’inscription d’une substance toxique à l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), enregistré le 23 avril 2021, et publié le 12 mai 2021, dans la Gazette du Canada, Partie II, Vol 155, no 10 [le décret] était déraisonnable, car il ne constituait pas une utilisation appropriée du pouvoir de l’administrateur en conseil/gouverneur en conseil et n’est pas conforme au régime législatif établi par la LCPE. Elles font valoir que l’inscription des articles manufacturés en plastique a une portée excessive, que les articles manufacturés en plastique ne sont pas une « substance » ou des « catégories de substances » qui pourraient figurer sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1 de la LCPE, et que l’analyse scientifique et l’évaluation des risques appropriées n’ont pas été réalisées pour démontrer que les articles manufacturés en plastique sont toxiques. L’American Chemistry Council, American Fuel & Petrochemical Manufacturers et la Plastics Industry Association, qui ont le statut d’intervenantes [les intervenants de l’industrie], font valoir que l’Accord Canada-États-Unis-Mexique [l’ACEUM] et l’Accord sur les obstacles techniques au commerce [l’Accord sur les OTC], dont le Canada est signataire, devraient éclairer l’interprétation de la Cour sur les conditions requises pour déclarer une substance toxique au titre de la LCPE.

[4] Les demanderesses soutiennent également que la décision du ministre de l’Environnement et du Changement climatique [le MECC] de rejeter les demandes de constitution d’une commission de révision pour évaluer les risques que poseraient les articles manufacturés en plastique ainsi que leur inscription projetée à l’annexe 1 était déraisonnable. Suivant l’article 302 des Règles des cours fédérales, DORS/98-106, et compte tenu du consentement des parties, la présente demande de contrôle porte à la fois sur le décret et le refus de constituer une commission de révision.

[5] En deuxième lieu, les demanderesses, le procureur général de la province de Saskatchewan [la Saskatchewan] et le procureur général de la province d’Alberta [l’Alberta] soutiennent que le décret est inconstitutionnel. Ils font valoir qu’il ne relève pas de la compétence fédérale en matière de droit criminel. L’intervention de la Saskatchewan et l’Alberta découle d’une réponse à un avis de question constitutionnelle signifié par les demanderesses.

[6] Le procureur général du Canada est le défendeur désigné au nom du gouverneur en conseil qui s’appuie sur le pouvoir que lui confère la LCPE pour prendre des décrets en vue d’inscrire des substances à l’annexe 1. Le MECC et le ministre de la Santé [collectivement, les ministres] administrent conjointement la LCPE.

[7] Les défendeurs font valoir que le décret était raisonnable. Ils soutiennent que la seule contrainte administrative qui pèse sur la capacité du gouverneur en conseil à prendre le décret est le régime législatif établi par la LCPE et que le gouverneur en conseil a agi conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par la LCPE et à son objectif général. Selon les défendeurs, les accords commerciaux du Canada ne sont pas pertinents et ne relèvent pas de la compétence de la Cour fédérale en l’espèce.

[8] Les défendeurs soutiennent également que le refus de constituer une commission de révision était raisonnable, car les motifs d’opposition présentés ne remettaient pas en cause les conclusions scientifiques fondamentales sur lesquelles reposait la prise du décret. Les défendeurs soutiennent que le décret est un exercice valide de la compétence fédérale en matière de droit criminel et que les arguments constitutionnels des demanderesses sont prématurés.

[9] Environmental Defence Canada Inc. et Oceana Canada [EDCOC] et Animal Justice, qui sont également des intervenantes dans le cadre de la présente demande, s’opposent aux arguments présentés par les demanderesses. EDCOC font également valoir que le décret est constitutionnel au regard de la théorie de l’intérêt national, également appelée le principe de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement. Les demanderesses, la Saskatchewan et l’Alberta font valoir qu’EDCOC ne peuvent invoquer le principe de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement dans son intervention, car les défendeurs n’ont pas soulevé cette question dans leur argumentaire.

[10] Comme je l’explique plus loin, l’inscription des articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1 avait une portée excessive. Par conséquent, le décret est à la fois déraisonnable et inconstitutionnel. Le gouverneur en conseil a agi au-delà des limites de son pouvoir et du régime des dispositions pertinentes de la LCPE en inscrivant la vaste catégorie des articles manufacturés en plastique à l’annexe 1. De même, le décret a outrepassé la compétence en matière de droit criminel, car il n’existe aucune crainte raisonnée que tous les articles manufacturés en plastique inscrits à l’annexe 1 aient un effet nocif sur l’environnement. Le décret dépasse les balises établies dans l’arrêt R c Hydro-Québec, [1997] 3 RCS 213 [Hydro-Québec] pour que le régime prévu par la LCPE relève de la compétence en matière de droit criminel.

II. Le contexte

A. Le contexte concernant le décret et le refus de constituer une commission de révision

[11] Il ne fait aucun doute que les plastiques sont omniprésents. Ils existent depuis plus de 50 ans et sont utilisés dans la fabrication d’articles manufacturés en tant que produits finis ainsi qu’en tant que composantes de produits que l’on retrouve dans toutes les facettes de la vie quotidienne et dans des secteurs industriels aussi variés que l’emballage, la construction, l’industrie automobile, l’équipement électronique, le textile, les appareils électroménagers et l’agriculture.

[12] La gestion des déchets de plastique (l’élimination et le recyclage des plastiques) et la pollution plastique (les déchets plastiques qui demeurent dans l’environnement et qui ne sont pas éliminés par le système de gestion des déchets) font l’objet de préoccupations croissantes sur le plan environnemental et sont de plus en plus ciblées par les gouvernements depuis au moins 2016.

[13] En 2018, le Conseil canadien des ministres de l’Environnement de tous les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux a élaboré une stratégie visant l’atteinte de zéro déchet de plastique dans l’ensemble du Canada « stratégie zéro déchet plastique », qui reconnaît la pollution plastique comme étant sérieuse et comme un « problème environnemental mondial à croissance exponentielle ». Il a cherché à mettre en place un régime permettant d’atteindre ses objectifs d’ici 2030.

[14] Environnement et Changement climatique Canada [ECCC] a retenu les services de Deloitte et de Cheminfo Services Inc pour mener une étude économique sur les quantités, les utilisations et la gestion de la fin de vie des plastiques dans l’économie canadienne; l’étude a été publiée en 2019 sous le titre « Étude économique sur l’Industrie, les marchés et les déchets du plastique du Canada » [l’étude Deloitte]. Selon l’étude Deloitte, une économie sans déchets plastiques pourrait apporter des avantages importants au Canada, mais elle ne pourrait être réalisée sans une intervention stratégique simultanée du gouvernement, des intervenants de l’industrie et du public à chaque étape du cycle de vie du plastique. L’étude Deloitte révèle qu’environ 29 kilotonnes de déchets plastiques (soit 1 % de tous les déchets plastiques produits) ont été rejetés dans l’environnement au Canada en 2016, tandis que 86 % ont été conservés dans des décharges.

[15] En février 2020, les ministres ont publié un projet de rapport intitulé « Évaluation scientifique de la pollution plastique » dans la Gazette du Canada, Partie I, à des fins de consultation publique, dont la version définitive a été publiée le 7 octobre 2020 [l’évaluation scientifique]. Dans le sommaire de l’évaluation scientifique, l’objectif est décrit de la manière suivante :

L’objectif du présent rapport est de faire un résumé de l’état actuel des connaissances scientifiques sur les impacts potentiels de la pollution plastique sur l’environnement et la santé humaine, ainsi que d’orienter de futures recherches et de contribuer à la prise de décision à ce sujet au Canada. Le présent rapport est un examen des renseignements disponibles sur la pollution plastique, dont ceux sur les sources des plastiques, les occurrences de la pollution plastique, le devenir des plastiques rejetés, ainsi que ceux sur les effets potentiels sur l’environnement et la santé humaine. Le présent rapport n’a pas pour objet de quantifier les risques posés à l’environnement ou à la santé humaine par la pollution plastique, mais plutôt d’examiner l’état actuel des connaissances scientifiques afin d’orienter de futures activités scientifiques et de réglementation.

[16] L’évaluation scientifique représente une revue de plus de 600 publications scientifiques. Elle a examiné les effets des macroplastiques (les plastiques de plus de 5 mm) et des microplastiques (les particules de plastique d’une taille inférieure ou égale à 5 mm) sur l’environnement et la santé humaine.

[17] L’évaluation scientifique a reconnu l’existence d’« un manque de méthodes standardisées pour la surveillance des microplastiques et la caractérisation des effets sur l’environnement et la santé humaine de la pollution plastique, et d’incohérences dans la littérature scientifique sur son occurrence et ses effets ». Elle montre que les « macroplastiques causent des dommages physiques aux récepteurs de l’environnement au niveau individuel et peuvent avoir des effets nocifs sur l’intégrité de l’habitat » et que « des organismes ingéraient des macroplastiques et qu’ils s’emmêlaient dans des macroplastiques ». Selon l’évaluation, « il est prévu que, sans mesures d’atténuation, la fréquence d’occurrence d’effets physiques sur des récepteurs individuels de l’environnement continuera de croître si la tendance se maintient », et des mesures doivent être prises « pour réduire les quantités de macroplastiques et de microplastiques qui se retrouvent dans l’environnement ».

[18] Parallèlement à la publication de l’évaluation scientifique, le MECC a également publié un document de consultation intitulé « Une approche proposée de gestion intégrée des produits de plastique : document de consultation » [le document de consultation]. L’objectif du document de consultation était de recueillir des commentaires sur une approche de gestion intégrée des plastiques, y compris leur réglementation dans le cadre de la LCPE. Le document de consultation propose un cadre pour la gestion des plastiques à usage unique, qui consiste à regrouper ces derniers en catégories et à identifier ceux qui posent des problèmes environnementaux ou des problèmes du point de vue de la « récupération de la valeur » (c’est-à-dire un faible taux de recyclage), et qui remplissent des fonctions essentielles ou pour lesquels il n’existe pas de solutions de remplacement viables. Le document de consultation reconnaît l’engagement du gouvernement du Canada à interdire ou à restreindre les articles de plastique à usage unique « là où justifié et étayé par des preuves scientifiques » et identifie six articles en plastique qui répondent aux exigences d’une interdiction ou d’une restriction (sacs en plastique, bâtonnets à mélanger, porte-canettes, ustensiles, pailles, récipients pour aliments fabriqués à partir de plastiques problématiques).

[19] Parallèlement à la publication de l’évaluation scientifique, le 10 octobre 2020, le gouvernement du Canada a publié un projet de décret et un résumé de l’étude d’impact de la réglementation préliminaire [le REIR] dans la Gazette du Canada, Partie I, qui indique l’intention du gouverneur en conseil de prendre un décret en vertu de l’article 90 de la LCPE pour inscrire les articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1. Le REIR préliminaire prévoyait une période de consultation publique de 60 jours.

[20] De novembre 2020 à janvier 2021, les ministres ont mené des consultations sur la proposition et sollicité les commentaires des parties prenantes. Au cours du processus de consultation, 17 organisations de la société civile, un gouvernement territorial, deux gouvernements locaux et une organisation représentant des municipalités ont indiqué qu’ils soutenaient le projet de décret. Toutefois, 123 associations ou sociétés industrielles, deux gouvernements provinciaux et un gouvernement étranger ont fait part de leur opposition au projet de décret. Plusieurs intervenantes de l’industrie ont fait valoir que la LCPE n’était pas l’outil approprié pour gérer les déchets plastiques, suggérant plutôt qu’une nouvelle législation soit créée ou que le gouvernement fédéral laisse la gestion de cette question aux gouvernements provinciaux et territoriaux.

[21] En novembre et en décembre 2020, 60 avis motivés d’opposition ont été déposés conformément à l’article 134 de la LCPE, et 52 demandes ont été présentées en vue de constituer une commission de révision suivant l’article 333 de la LCPE.

[22] Le 21 avril 2021, les ministres ont rejeté toutes les demandes de constitution d’une commission de révision. Le décret a ensuite été enregistré le 23 avril 2021, puis publié dans la Gazette du Canada, Partie II, le 12 mai 2021.

[23] Selon le REIR, le décret permettra « aux ministres de proposer des mesures de gestion des risques en vertu de la LCPE, qui s’appliqueront à certains articles manufacturés en plastique afin de gérer les risques écologiques potentiels associés au fait que ces articles deviennent de la pollution plastique ». Le REIR fait référence à « la pollution par les macroplastiques présente un danger pour l’environnement, comme des blessures physiques pour certains animaux et des dommages à leur habitat » et a affirmé que « tous les articles manufacturés en plastique » ont le potentiel de devenir de la pollution plastique.

[24] Le REIR s’appuie sur les données de l’étude de Deloitte sur les secteurs du marché du plastique, le pourcentage de plastique utilisé en 2016 par secteur et la quantité correspondante de déchets plastiques générés par secteur. Le REIR renvoie également à l’état de la science quant aux effets de la pollution plastique sur l’environnement et la santé humaine, comme l’indiquent l’évaluation scientifique et les recommandations formulées dans l’évaluation scientifique.

[25] Le REIR reconnaît l’opposition au décret et souligne la réponse des ministres aux critiques récurrentes des parties prenantes, notamment à l’égard des processus suivis et des évaluations préalables effectuées :

bien que les processus propres au Plan de gestion des produits chimiques prévoient une approche de gestion des produits chimiques fondée sur le risque, les ministres ne se limitent pas à ces processus pour mieux comprendre les menaces à l’environnement ou à la santé humaine et pouvoir déterminer si une mesure est susceptible de prévenir la pollution qui peut nuire à l’environnement. De plus, bien que les évaluations préalables soient requises pour les substances évaluées en vertu de l’article 74 de la Loi, les articles manufacturés en plastique n’ont pas été évalués en vertu de cet article. Les ministres sont d’avis que l’évaluation scientifique montre que la pollution plastique a un effet immédiat et à long terme sur l’environnement, en particulier sur la faune et son habitat, et qu’elle fournit les données probantes nécessaires pour inscrire les articles manufacturés en plastique à l’annexe 1 de la LCPE.

III. Les questions préliminaires

[26] Les défendeurs ont soulevé les deux questions préliminaires suivantes à l’égard de la demande : premièrement, ils affirment que la demande est maintenant devenue théorique en raison des modifications apportées à la LCPE depuis l’instruction de cette dernière; deuxièmement, ils énoncent les éléments de preuve qui devraient être examinés par la Cour dans le cadre de la demande.

A. Les modifications à la LCPE

[27] Peu après l’instruction de la demande, le projet de loi S-5 a reçu la sanction royale. Par suite du projet de loi S-5, des modifications ont été apportées à la LCPE, et l’annexe 1, la liste des substances toxiques, a été abrogée et remise en vigueur. La nouvelle annexe 1 comprend désormais deux parties : la partie 1 et la partie 2. Toutes les substances inscrites sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1 sont inscrites à l’une ou l’autre des parties de l’annexe 1. Les articles manufacturés en plastique sont inscrits à la partie 2 de l’annexe 1, dans sa version actuelle.

[28] Une fois le projet de loi S-5 sanctionné, les parties ont indiqué dans une lettre qu’elles s’entendaient sur le fait que la Cour pouvait et devait continuer d’instruire la demande, soit parce qu’elle n’était pas théorique (les observations des demanderesses), soit parce que la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire à cet égard (les observations des défendeurs). Toutefois, compte tenu de la remise en vigueur de l’annexe 1, les parties ont demandé d’avoir l’occasion de présenter d’autres observations quant à l’incidence du projet de loi S-5 sur la décision que doit rendre la Cour. Les parties ont proposé un calendrier permettant la présentation d’autres observations par écrit. Suivant ce calendrier, les défendeurs présenteraient tout d’abord leurs observations, suivi des demanderesses et des intervenants de l’Alberta et de la Saskatchewan. Ensuite, les défendeurs présenteraient des observations en réponse à ces observations. L’audition de ces autres observations a eu lieu le 15 septembre 2023.

[29] Dans leurs observations, les défendeurs ont soutenu que la demande était devenue théorique, mais qu’il s’agissait de l’une des circonstances rares et exceptionnelles où la Cour pouvait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher les questions en suspens. Les demanderesses, l’Alberta et la Saskatchewan ont soutenu que la demande n’était pas devenue théorique et que la seule question qui découlait du projet de loi S-5 était une question concernant les réparations.

[30] Une affaire est théorique lorsqu’il ne reste plus de litige actuel entre les parties : Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski] à la p 353. Selon le principe général, la Cour refusera de juger une affaire qui est théorique, mais elle conservera le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer ce principe si d’autres facteurs sont présents, notamment, lorsque les conséquences accessoires fournissent un contexte contradictoire qui prévaut, lorsque trancher la question favoriserait l’économie des ressources judiciaires ou serait dans l’intérêt public et lorsque rendre une décision ne serait pas une dérogation au rôle traditionnel de la Cour : Borowski, aux p 358-363.

[31] Les parties n’entendent pas sur la question de savoir s’il reste un litige actuel. Les défendeurs affirment que le litige dans la présente demande porte sur le décret et l’inscription des articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1, qui est maintenant abrogée. Ainsi, même si le décret est jugé nul ou inconstitutionnel, il n’aura pas d’effet sur l’inscription des articles manufacturés en plastique à la nouvelle annexe 1 puisque le projet de loi S-5 est maintenant la loi habilitante pour l’inscription. Les demanderesses soutiennent que si la Cour concluait que le décret était nul ou inconstitutionnel à la date à laquelle il a été pris, cette décision pourrait quand même avoir une incidence sur l’inscription des articles manufacturés en plastique puisque les articles manufacturés en plastique ne seraient pas inscrits à la nouvelle annexe 1 s’ils n’avaient pas été inscrits sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1. Elles affirment que la question constitutionnelle sous-jacente demeure la même, peu importe la remise en vigueur, à savoir si l’inscription sur la liste constitue un exercice valide de la compétence en matière de droit criminel. Ainsi, une conclusion selon laquelle le décret (et l’inscription sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1) était ultra vires a une utilité pratique pour ce qui est de conserver l’inscription des articles manufacturés en plastique à l’annexe 1 actuelle. De même, une conclusion, pour des motifs de droit administratif, selon laquelle le décret était nul le jour où il a été pris aura une incidence sur la question de savoir si les articles manufacturés en plastique devraient restés inscrits à l’annexe 1 ou s’ils devraient être supprimés conformément aux dispositions transitoires du projet de loi S-5 ou au titre du pouvoir du gouverneur en conseil.

[32] Je suis d’accord pour dire que les oppositions au décret soulevées dans la présente demande demeurent pertinentes par rapport à l’inscription des articles manufacturés en plastique à la nouvelle annexe 1. Bien que le législateur ait pu choisir d’inscrire les articles manufacturés en plastique à l’annexe 1 pour d’autres raisons, puisque la liste complète des substances toxiques de l’annexe 1 de la LCPE a été reproduite dans l’annexe 1 remise en vigueur par le projet de loi S-5, il est logique de conclure que les articles manufacturés en plastique n’auraient pas été pas inscrits sur la liste de la nouvelle annexe 1 s’ils n’avaient pas été inscrits sur la liste des substances toxiques de l’ancienne annexe 1. La contestation du fondement juridique de l’inscription des articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques de l’ancienne annexe 1 pourrait avoir une incidence sur son inscription à la nouvelle annexe 1. La demande n’est pas devenue théorique.

[33] Toutefois, même si je procède à la deuxième partie de l’analyse énoncée dans l’arrêt Borowski, les parties conviennent que la question soulevée par la présente demande devrait être tranchée, car pareille décision pourrait avoir un effet sur la contestation du Règlement interdisant les plastiques à usage unique, DORS/2022-138, en instance devant notre Cour. Le Règlement interdisant les plastiques à usage unique interdit la fabrication, l’importation et la vente de plastiques à usage unique relevant de six catégories. Le Règlement interdisant les plastiques à usage unique a pu être pris grâce à l’inscription des articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1 au pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil au titre de l’article 93 de la LCPE. La CURP est également une demanderesse dans la contestation du Règlement interdisant les plastiques à usage unique (Petro Plastics Corporation Ltd et al c Canada (Procureur général), dossier de la Cour no T-1468-22 [Petro Plastics]). Dans l’affaire Petro Plastics, les demanderesses contestent le Règlement interdisant les plastiques à usage unique pour des motifs administratifs et constitutionnels. Les parties ont convenu que l’issue de la présente demande pourrait avoir des répercussions pratiques directes sur l’affaire Petro Plastics. Compte tenu de l’incidence sur l’affaire Petro Plastics ainsi que du temps et des dépenses déjà consacrés à la présente demande, la Cour devrait trancher les questions en suspens.

[34] Par conséquent, j’examinerai les questions dont je suis saisie. L’analyse qui suit se rapporte à la LCPE et à son annexe 1, dans sa version avant les modifications apportées par le projet de loi S-5, sauf indication contraire.

B. Les éléments de preuve et le dossier soumis à la Cour

[35] Également à titre préliminaire, les défendeurs se demandent si certains éléments de preuve présentés par les parties en l’espèce peuvent être examinés par la Cour.

[36] Comme le décret en litige a été pris par le gouverneur en conseil, le dossier est assujetti au privilège du Cabinet et le dossier certifié du Tribunal dont la Cour est saisie a également été soumis aux ministres. En plus du dossier certifié du tribunal, chaque partie a également présenté des éléments de preuve et des témoignages d’expert additionnels.

[37] Les demanderesses ont déposé trois affidavits portant sur les faits :

  • 1)L’affidavit d’un auxiliaire juridique du cabinet d’avocats représentant les demanderesses, lequel comprend des communications échangées par les parties, les examens d’experts externes et les articles évalués par les pairs transmis par l’avocat des défendeurs concernant l’évaluation scientifique;

  • 2)L’affidavit d’un parajuriste du cabinet d’avocats, lequel comprend des copies de la législation provinciale relative à la gestion des déchets et au recyclage, des règlements municipaux, des propositions de règlements et des articles relatifs aux déchets plastiques et à la réglementation des produits en plastique;

  • 3)Un affidavit de Mme Randi Rahamim, directrice générale de la CURP et directrice générale de Teneo, une organisation qui fournit des services de communication stratégique et des services consultatifs en gestion à ses clients sur des sujets d’intérêt pour les entreprises, tels que les questions liées à l’environnement, au contexte social et à la gouvernance d’entreprise. L’affidavit de Mme Rahamim résume les préoccupations soulevées par la CURP en réponse au décret, ainsi que les opinions et les préoccupations de ses membres à l’égard du décret, sur le fondement des entrevues qu’elle a menées.

[38] Les défendeurs ne semblent pas contester le fait que ces éléments de preuve ont été dûment soumis à la Cour.

[39] Les demanderesses ont également fourni deux affidavits d’experts :

  • 1)L’affidavit de M. Frank Gobas, qui est professeur à l’Université Simon Fraser à la Faculté de l’environnement, tout en étant aussi membre du corps professoral du Département des sciences biologiques au sein de la Faculté des sciences. M. Gobas est un expert dans les domaines du devenir dans l’environnement, de la toxicologie et de l’évaluation des risques associés aux polluants. La Cour a demandé à M. Gobas de [traduction] « fournir des renseignements scientifiques » pour l’aider à examiner le décret et l’évaluation scientifique. Son affidavit porte sur l’évaluation scientifique des risques à laquelle se livrerait un toxicologue pour déterminer si une substance est toxique.

  • 2)L’affidavit de Geoff Granville, biochimiste et toxicologue spécialisé dans la réglementation fédérale des substances toxiques au Canada. M. Granville est décrit comme un expert en biochimie, en toxicologie et en évaluation des risques environnementaux des produits chimiques et des substances au Canada. À titre de représentant principal, il a participé à l’élaboration, à la mise en œuvre et à la réforme de la LCPE de 1988 et de la LCPE de 1999. M. Granville examine et donne son avis sur [traduction] « le processus d’évaluation des risques sur lequel le Canada s’est appuyé pour chacune des substances qu’il a inscrites à l’annexe 1 conformément à la LCPE de 1988 ou à la LCPE de 1999 ».

[40] Les défendeurs ont fourni trois affidavits, dont un affidavit portant sur les faits souscrit par un parajuriste du ministère de la Justice qui a joint des renseignements sur la CURP provenant du site Web de cette dernière et des renseignements transmis par ses membres. Les défendeurs ont également fourni les éléments de preuve supplémentaires suivants :

  • 1)L’affidavit de M. Thomas Kruidenier, directeur général intérimaire de la Division de la mobilisation et du développement de programmes d’Environnement et Changement climatique Canada. M. Kruidenier a participé à la supervision de la préparation du projet d’évaluation scientifique, du processus d’examen par des experts internes et externes, de l’examen des commentaires du public et de la préparation de la version finale de l’évaluation scientifique. Il a également participé à l’examen des motifs d’opposition au projet de décret. Dans son affidavit, M. Kruidenier passe en revue ces étapes et répond aux « critiques » des demanderesses sur l’évaluation scientifique et aux commentaires des experts des demanderesses sur l’évaluation scientifique.

  • 2)L’affidavit de Mme Chelsea Rochman, professeure d’écologie à l’Université de Toronto et conseillère scientifique auprès de l’Ocean Conservancy. Mme Rochman est décrite comme une experte en écotoxicologie, en chimie environnementale et en écologie aquatique et marine. Mme Rochman a été chargée d’examiner et de commenter les affidavits de M. Gobas et de M. Granville en répondant à des questions précises concernant la valeur scientifique de l’évaluation scientifique et des études similaires, ainsi que la manière d’évaluer les impacts et les risques environnementaux de la pollution plastique, y compris les méthodes quantitatives.

[41] Le dossier de preuve a fait l’objet de deux longues requêtes en radiation qui ont conduit à la suppression des parties des affidavits de M. Gobas et de M. Granville dans lesquelles ils fournissaient des avis juridiques sur l’interprétation et l’application des dispositions pertinentes de la LCPE, et à la suppression des parties des affidavits de M. Kruidenier et de Mme Rochman qui n’étaient pas pertinentes ou qui ont été jugées comme visant à défendre ou à soutenir de manière inappropriée les décisions faisant l’objet du contrôle. Le jugement et les motifs se rapportant aux affidavits de M. Gobas et de M. Granville contiennent les instructions suivantes concernant leurs modifications (Coalition pour une utilisation responsable du plastique c Canada (Environnement et Changement climatique), 2022 FC 377) :

[traduction]

[71] [...] l’affidavit de M. Granville est radié, mais avec l’autorisation de le modifier pour rectifier ou supprimer les passages fautifs. [...] L’affidavit de M. Granville devrait être révisé de manière à permettre une analyse des processus antérieurs d’évaluation des risques pour les substances ajoutées à l’annexe 1 de la LCPE de 1988 ou de la LCPE de 1999. L’analyse ne doit pas inclure d’argument concernant les exigences prévues par la LCPE de 1999 ni d’opinion sur le bien-fondé des décisions contestées.

[72] En ce qui concerne l’affidavit de M. Gobas, il est radié dans son intégralité. Toutefois, l’autorisation de signifier un affidavit révisé identifiant M. Gobas et permettant l’identification des pièces C à S est accordée. L’affidavit révisé de M. Gobas doit se limiter à des renseignements généraux et à des renseignements contextuels concernant ces pièces.

[42] Lors de l’audition de la demande, les défendeurs ont fait valoir que la Cour ne devait pas tenir compte des témoignages des experts des demanderesses, puisque ces éléments de preuve n’avaient pas été mis à la disposition des décideurs et qu’ils avaient été présentés pour que la Cour remette en question les méthodes scientifiques utilisées pour étayer les décisions.

[43] En contrôle judiciaire, la règle générale porte que, sous réserve de quelques exceptions limitées, le dossier de preuve doit uniquement être composé des éléments dont était saisi le décideur lorsqu’il a pris sa décision. Les éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur, ou qui auraient fort bien pu l’être, et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19–20. Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 [Bernard] au para 13; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 [Delios] au para 42; Galderma Canada Inc c Canada (Procureur général), 2022 CF 19 au para 12. La règle générale repose sur le principe de l’efficacité judiciaire et la reconnaissance des rôles différents des tribunaux administratifs et des cours de révision : Bernard, aux para 15-16.

[44] Parmi les exceptions reconnues, les renseignements généraux qui aideront la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire peuvent être autorisés, à condition de ne pas présenter de nouveaux éléments de preuve, arguments ou commentaires au décideur se rapportant au fond de la question : Access Copyright, au para 20a; Delios, aux para 44-48; Bernard, aux para 20-23. Une deuxième exception s’applique lorsqu’un élément permet de faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur lorsqu’il a tiré sa conclusion : Access Copyright, au para 20c; Bernard, au para 24; Re Keeprite Workers’ Independent Union et al and Keeprite Products Ltd (1980), 29 OR (2d) 513 (CA).

[45] Les demanderesses affirment que les affidavits de M. Granville et de M. Gobas fournissent des renseignements généraux utiles sur la toxicologie, les matières plastiques et les pratiques antérieures relatives à l’évaluation des substances inscrites à l’annexe 1. Je suis du même avis; cependant, j’estime que la ligne est mince. Comme il est indiqué dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au paragraphe 83 (et récemment réitéré dans l’arrêt Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 62), les décisions qui demandent au tribunal de se livrer à une analyse de novo sur le fondement d’un critère différent outrepassent les limites du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[83] Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‐mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28 (CanLII); voir aussi Ryan, par. 50‐51. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif - ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu.

[46] Comme je l’indiquerai plus loin, je me fonde sur les affidavits de M. Granville et M. Gobas dans l’unique but de faire référence à leur contenu factuel, ce qui inclut les documents gouvernementaux et le contexte concernant les substances inscrites à l’annexe 1 et évaluées conformément à la partie 5 de la LCPE, et non pour des opinions qui pourraient contribuer à créer un nouveau critère pour l’évaluation indépendante de la question de savoir si les articles manufacturés en plastique sont correctement inscrits ou si une commission de révision aurait dû être constituée. J’ai examiné les affidavits de M. Kruidenier et de Mme Rochman en gardant ces mêmes principes en tête.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[47] Les demanderesses soulèvent les questions suivantes :

  • 1)Le décret est-il déraisonnable?

  • 2)La décision de rejeter la demande de constitution d’une commission de révision était-elle raisonnable?

  • 3)Le décret est-il anticonstitutionnel parce qu’il ne relève pas de la compétence fédérale en matière de droit criminel?

  • 4)La Cour peut-elle considérer le principe de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement et, le cas échéant, le décret est-il contraire à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement, et donc, anticonstitutionnel?

[48] Les parties ne contestent pas que les décisions doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable compte tenu du contexte particulier dans lequel les décisions ont été rendues. Comme l’indique l’arrêt Vavilov au paragraphe 89 :

[...] la norme de la décision raisonnable demeure une norme unique, et les éléments du contexte entourant une décision n’altèrent pas cette norme ou le degré d’examen que doit appliquer une cour de révision. Le contexte particulier d’une décision circonscrit plutôt la latitude du décideur administratif en matière de décision raisonnable dans un cas donné.

[49] En l’espèce, les ministres et le gouverneur en conseil sont limités par le régime législatif établi par la LCPE. Le rôle de la Cour est de trancher la question de savoir si la loi habilitante, interprétée de manière raisonnable, permet de rendre une telle décision. Pour ce faire, il convient d’examiner le libellé, le contexte et l’objet de la loi. Comme la Cour l’a souligné aux paragraphes 108-110 de l’arrêt Vavilov :

[108] Comme les décideurs administratifs tiennent leurs pouvoirs d’une loi, le régime législatif applicable est probablement l’aspect le plus important du contexte juridique d’une décision donnée. Le fait que les décideurs administratifs participent, avec les cours de justice, à l’élaboration du contenu précis des régimes administratifs qu’ils administrent, ne devrait pas être interprété comme une licence accordée aux décideurs administratifs pour ignorer ou réécrire les lois adoptées par le Parlement et les législatures provinciales. Ainsi, bien qu’un organisme administratif puisse disposer d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de prendre une décision en particulier, cette décision doit en fin de compte être conforme « à la raison d’être et à la portée du régime législatif sous lequel elle a été adoptée » : Catalyst, par. 15 et 25‐28; voir également Green, par. 44. En effet, comme le faisait remarquer le juge Rand dans l’arrêt Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121, p. 140, [traduction] « il n’y a rien de tel qu’une “discrétion” absolue et sans entraves », et tout exercice d’un pouvoir discrétionnaire doit être conforme aux fins pour lesquelles il a été accordé : voir aussi Congrégation des témoins de Jéhovah de St‐Jérôme‐Lafontaine, para 7; Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14, [2010] 1 R.C.S. 427, par. 32‐33; Nor‐Man Regional Health Authority, par. 6. De même, la décision doit tenir compte de toute contrainte plus spécifique clairement imposée par le régime législatif applicable, telle que les définitions, les formules ou les principes prévus par la loi qui prescrivent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire : voir Montréal (Ville), par. 33 et 40‐41; Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203, par. 38-40. Le régime législatif oriente également les approches acceptables en matière de prise de décisions : par exemple, lorsque le décideur dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire, il serait déraisonnable de sa part d’entraver un tel pouvoir discrétionnaire : voir Delta Air Lines, au para 18.

[109] Comme nous l’avons déjà mentionné, l’application appropriée de la norme de la décision raisonnable permet de dissiper la crainte que le décideur administratif puisse interpréter la portée de sa propre compétence de manière à étendre ses pouvoirs au‐delà de ce que voulait le législateur. Il est ainsi inutile de conserver une catégorie de questions touchant « véritablement » à la compétence assujettie au contrôle selon la norme de la décision correcte. Si, en règle générale, il y a lieu de faire preuve de déférence envers l’interprétation que donne le décideur du pouvoir que lui confère la loi, ce dernier doit néanmoins justifier convenablement son interprétation. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne permet pas au décideur administratif de s’arroger des pouvoirs que le législateur n’a jamais voulu lui conférer. De la même manière, un organisme administratif ne saurait exercer un pouvoir qui ne lui a pas été délégué. Contrairement aux préoccupations exprimées par nos collègues (para 285), cette démarche ne fait pas resurgir la notion d’« erreur de compétence » dans le contrôle judiciaire; elle ne fait que relever l’une des contraintes évidentes et nécessaires qui s’imposent aux décideurs administratifs.

[110] La question de savoir si une interprétation est justifiée dépendra du contexte, notamment des mots choisis par le législateur pour décrire les limites et les contours du pouvoir du décideur. Si le législateur souhaite circonscrire avec précision le pouvoir d’un décideur administratif de façon ciblée, il peut se servir de termes précis et restrictifs et définir en détail les pouvoirs conférés, limitant ainsi strictement les interprétations que le décideur peut donner de la disposition habilitante. À l’inverse, dans les cas où le législateur choisit d’utiliser des termes généraux, non limitatifs ou nettement qualitatifs — par exemple, l’expression « dans l’intérêt public » — il envisage manifestement que le décideur jouisse d’une souplesse accrue dans l’interprétation d’un tel libellé. D’autres formulations se retrouveront entre ces deux extrêmes. Bref, selon le libellé des dispositions législatives habilitantes, certaines questions touchant à la portée du pouvoir d’un décideur peuvent se prêter à plusieurs interprétations, alors que d’autres questions ne sauraient commander qu’une seule interprétation. Ce qui importe, c’est de déterminer si, aux yeux de la cour de révision, le décideur a justifié convenablement son interprétation de la loi à la lumière du contexte. Évidemment, il sera impossible au décideur administratif de justifier une décision qui excède les limites fixées par les dispositions législatives qu’il interprète.

[50] L’approche exposée dans l’arrêt Vavilov a été appliquée dans les arrêts Portnov c Canada (Procureur général), 2021 CAF 171 et Médicaments Novateurs Canada c Canada (Procureur général), 2022 CAF 210 [Médicaments Novateurs], à l’égard de contestations de décisions du gouverneur en conseil d’adopter des règlements considérés comme relevant d’une catégorie de processus décisionnel administratif. Dans l’arrêt Médicaments Novateurs, aux paragraphes 39 et 40 de ses motifs, la Cour d’appel fédérale a souligné l’importance de considérer les dispositions législatives limitatives lors de l’examen du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil :

[39] Je sympathise quelque peu avec la motivation sous-jacente de la Cour suprême dans l’arrêt Katz et avec l’application de cet arrêt par la Cour d’appel de l’Alberta dans les deux arrêts récents : pour de bonnes raisons fondées sur la séparation des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif, les tribunaux ne devraient pas s’immiscer à la légère dans la prise de décision du gouverneur en conseil, surtout lorsque son contenu politique est élevé. Mais, dans l’arrêt ultérieur Vavilov, la Cour suprême, sensible au contexte, dit la même chose. L’arrêt Vavilov nous enseigne que, plus le pouvoir de réglementation en vertu d’une loi est large, particulièrement en ce qui concerne les questions de politique qui sont essentiellement du ressort du pouvoir exécutif, moins l’autorité réglementaire sera contrainte d’adopter le règlement : Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, [2021] 1 RCF 374 au para 28 (application de l’arrêt Vavilov et des décisions antérieures conformes à celui-ci), conf. par 2022 CSC 30.

[40] Ceci est particulièrement vrai pour le gouverneur en conseil. Le gouverneur en conseil est situé « à la cime du pouvoir exécutif », sert de « grand ordonnateur des intérêts divergents provinciaux, transversaux, religieux, raciaux et autres dans le pays » et représente « divers groupes géographiques, linguistiques, religieux et ethniques » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72, [2021] 3 RCF 294 aux para 36 à 38. Ainsi, sous réserve des dispositions législatives limitatives adoptées par nos représentants élus, le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil est souvent relativement libre de toute contrainte. L’élément clé est le libellé limitatif des dispositions législatives. L’arrêt Vavilov vise directement cet élément, en se concentrant sur les significations que le libellé du pouvoir de réglementation peut raisonnablement revêtir. Ce n’est pas le cas de l’arrêt Katz. Cet arrêt se concentre sur des questions de forme, à savoir la nature de l’instrument édicté, un règlement, et l’auteur de l’instrument, le gouverneur en conseil. Ensuite, il ne pose qu’une seule question, à savoir si le règlement, présumé valide, repose à ce point sur des considérations « sans importance », qu’il est « non pertinent » ou « complètement étranger » à l’« objet de la loi » qu’il doive être annulé.

[51] Pour les questions constitutionnelles et les questions touchant au partage des compétences, les parties conviennent qu’une exception à la norme de la décision raisonnable s’applique et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Vavilov, aux para 17-55; Mason, aux para 41-42.

V. L’analyse

A. Le décret est-il déraisonnable?

1) Quel est le contexte approprié pour l’examen du décret par la Cour?

[52] À titre préliminaire, les défendeurs font remarquer que les parties ne s’entendent pas sur ce qui constitue le contexte approprié pour le contrôle du décret selon la norme de la décision raisonnable.

[53] Les défendeurs affirment que le décret était une décision de politique prise par le gouverneur en conseil au nom du gouvernement, après avoir consulté les parties prenantes et avoir soupesé leurs intérêts, dans le cadre de ses objectifs généraux de lutte contre la pollution plastique. Ils renvoient à la section « Choix de l’instrument » du REIR, qui indique ce qui suit :

Le gouvernement du Canada a amorcé un programme exhaustif pour atteindre l’objectif de zéro déchet de plastique et éliminer la pollution plastique d’ici 2030, ce qui exigera la mise en œuvre d’une gamme de mesures de gestion des risques. Les ministères ont déterminé que les mesures non réglementaires seules (par exemple les ententes volontaires, les directives, les codes de pratique) ne suffiraient pas à mettre en œuvre ce programme, et que des mesures réglementaires seraient aussi requises.

L’ajout d’une substance à l’annexe 1 de la LCPE permet aux ministres de proposer des mesures de gestion des risques.

[...]

Sur la base de l’information issue de l’évaluation scientifique, les ministres sont d’avis que les « articles manufacturés en plastique » répondent aux critères figurant à l’alinéa 64a) de la Loi. En conséquence, les ministres recommandent l’ajout des articles manufacturés en plastique à l’annexe 1 de la LCPE, ce qui leur permet de proposer des mesures de gestion des risques en vertu de la LCPE pour certains articles manufacturés en plastique et de gérer les risques écologiques potentiels associés à ces articles qui deviennent de la pollution plastique. Toutes les mesures de gestion des risques élaborées en vertu de la LCPE seront guidées par le principe de précaution énoncé à l’alinéa 2(1)a) de la Loi.

La préséance de la LCPE sur d’autres lois du Parlement existantes permettrait aux ministres d’avoir accès à l’ensemble des pouvoirs requis pour gérer les articles manufacturés en plastique tout au long de leur cycle de vie. Par conséquent, l’ajout d’« articles manufacturés en plastique » à l’annexe 1 de la LCPE est l’option privilégiée.

[54] Les défendeurs soutiennent que le fait de retirer au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre un tel décret limite les options dont le gouvernement peut se prévaloir. Ils affirment que la Cour ne peut décider que le décret est déraisonnable au motif qu’elle n’est pas d’accord avec le choix de politique qu’il incarne. Dans ce contexte, ils font valoir que le rôle de la Cour se limite plutôt à examiner si la loi en vigueur autorisait le gouverneur en conseil à prendre le décret en question.

[55] Les demanderesses soutiennent que le décret n’était pas discrétionnaire au sens ordinaire du terme et que l’aspect « politique » du décret lui-même est si important qu’il justifie un degré supérieur de déférence.

[56] Bien que le REIR énonce certains objectifs politiques du gouvernement associés à la prise du décret, le pouvoir du gouverneur en conseil est conféré par la LCPE et son régime législatif. Pour examiner cette question, je commencerai donc par examiner le régime et les dispositions pertinentes de la LCPE.

[57] Le titre complet de la LCPE est « Loi visant la prévention de la pollution et la protection de l’environnement et de la santé humaine en vue de contribuer au développement durable ». La disposition déclaratoire de la LCPE dispose que son objet principal est de « contribuer au développement durable au moyen de la prévention de la pollution ».

[58] La LCPE a été modifiée en 1999 pour inclure, entre autres, les énoncés suivants du préambule qui soulignent l’engagement du gouvernement du Canada à prévenir la pollution et à

agir selon le principe de précaution, ainsi que sa reconnaissance de l’importance de l’écosystème :

[...]

[...]

qu’il s’engage à privilégier, à l’échelle nationale, la prévention de la pollution dans le cadre de la protection de l’environnement;

Whereas the Government of Canada is committed to implementing pollution prevention as a national goal and as the priority approach to environmental protection;

qu’il reconnaît la nécessité de procéder à la quasi‐élimination des substances toxiques les plus persistantes et bioaccumulables et de limiter et gérer les polluants et déchets dont le rejet dans l’environnement ne peut être évité;

Whereas the Government of Canada acknowledges the need to virtually eliminate the most persistent and bioaccumulative toxic substances and the need to control and manage pollutants and wastes if their release into the environment cannot be prevented;

qu’il reconnaît l’importance d’adopter une approche basée sur les écosystèmes;

Whereas the Government of Canada recognizes the importance of an ecosystem approach;

[...]

[...]

qu’il s’engage à adopter le principe de la prudence, si bien qu’en cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement;

Whereas the Government of Canada is committed to implementing the precautionary principle that, where there are threats of serious or irreversible damage, lack of full scientific certainty shall not be used as a reason for postponing cost-effective measures to prevent environmental degradation;

[...]

[...]

[59] L’article 2 de la LCPE énonce certaines obligations du gouverneur en conseil quant à son administration de la LCPE, y compris les obligations pertinentes en l’espèce :

a) exercer ses pouvoirs de manière à protéger l’environnement et la santé humaine, notamment celle des populations vulnérables, à appliquer le principe de la prudence, si bien qu’en cas de risques de dommages graves ou irréversibles à l’environnement, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement, ainsi qu’à promouvoir et affermir les méthodes applicables de prévention de la pollution;

(a) exercise its powers in a manner that protects the environment and human health, applies the precautionary principle that, where there are threats of serious or irreversible damage, lack of full scientific certainty shall not be used as a reason for postponing cost-effective measures to prevent environmental degradation, and promotes and reinforces enforceable pollution prevention approaches;

[...]

[...]

c) adopter une approche qui respecte les caractéristiques uniques et fondamentales des écosystèmes;

(c) implement an ecosystem approach that considers the unique and fundamental characteristics of ecosystems;

[...]

[...]

j) préserver l’environnement — notamment la diversité biologique — et la santé humaine des risques d’effets nocifs de l’utilisation et du rejet de substances toxiques, de polluants et de déchets;

(j) protect the environment, including its biological diversity, and human health, from the risk of any adverse effects of the use and release of toxic substances, pollutants and wastes;

[...]

[...]

k) s’efforcer d’agir avec diligence pour déterminer si des substances présentes ou nouvelles au Canada sont toxiques ou susceptibles de le devenir et pour évaluer le risque qu’elles présentent pour l’environnement et la vie et la santé humaines;

(k) endeavour to act expeditiously and diligently to assess whether existing substances or those new to Canada are toxic or capable of becoming toxic and assess the risk that such substances pose to the environment and human life and health;

[...]

[...]

[60] La LCPE est constituée de douze parties : la partie 4 traite de la « prévention de la pollution », la partie 7, du « contrôle de la pollution et [de la] gestion des déchets », et la partie 5, des « substances toxiques », qui fait référence à l’annexe 1.

[61] La partie 5 de la LCPE garantit qu’aucune nouvelle substance n’est introduite sur le marché canadien avant d’avoir fait l’objet d’une évaluation visant à déterminer si elle est toxique ou susceptible de le devenir pour l’environnement ou la santé humaine. Elle prévoit « une procédure permettant d’éliminer, parmi le très grand nombre de substances potentiellement nocives pour l’environnement ou la vie humaine, celles qui posent des risques importants de ce genre » : Hydro-Québec, au para 147.

[62] Suivant le paragraphe 90(1) de la LCPE (dans sa version en vigueur au moment de la présentation de la demande), « [s]’il est convaincu qu’une substance est toxique, le gouverneur en conseil peut prendre, sur recommandation des ministres, un décret d’inscription de la substance à la liste des substances toxiques de l’annexe 1 » [non souligné dans l’original]. Une substance devait être conforme au paragraphe 90(1) pour être inscrite sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1.

[63] Lorsqu’une substance figurait sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1, l’article 93 permettait au gouverneur en conseil, sur recommandation des ministres, de prendre des règlements généraux concernant cette substance (suivant la version de la disposition en vigueur au moment de la présente de la demande) :

a) la quantité ou la concentration dans lesquelles elle peut être rejetée dans l’environnement, seule ou combinée à une autre substance provenant de quelque source ou type de source que ce soit;

(a) the quantity or concentration of the substance that may be released into the environment either alone or in combination with any other substance from any source or type of source;

b) les lieux ou zones de rejet;

(b) the places or areas where the substance may be released;

c) les activités commerciales, de fabrication ou de transformation au cours desquelles le rejet est permis;

(c) the commercial, manufacturing or processing activity in the course of which the substance may be released;

d) les modalités et conditions de son rejet dans l’environnement, seule ou combinée à une autre substance;

(d) the manner in which and conditions under which the substance may be released into the environment, either alone or in combination with any other substance;

e) la quantité qui peut être fabriquée, transformée, utilisée, mise en vente ou vendue au Canada;

(e) the quantity of the substance that may be manufactured, processed, used, offered for sale or sold in Canada;

f) les fins auxquelles la substance ou un produit qui en contient peut être importé, fabriqué, transformé, utilisé, mis en vente ou vendu;

(f) the purposes for which the substance or a product containing it may be imported, manufactured, processed, used, offered for sale or sold;

g) les modalités et conditions d’importation, de fabrication, de transformation ou d’utilisation de la substance ou d’un produit qui en contient;

(g) the manner in which and conditions under which the substance or a product containing it may be imported, manufactured, processed or used;

h) la quantité ou la concentration dans lesquelles elle peut être utilisée;

(h) the quantities or concentrations in which the substance may be used;

i) la quantité ou la concentration dans lesquelles elle peut être importée;

(i) the quantities or concentrations of the substance that may be imported;

j) les pays d’exportation ou d’importation;

(j) the countries from or to which the substance may be imported or exported;

k) les conditions, modalités et objets de l’importation ou de l’exportation;

(k) the conditions under which, the manner in which and the purposes for which the substance may be imported or exported;

l) l’interdiction totale, partielle ou conditionnelle de fabrication, d’utilisation, de transformation, de vente, de mise en vente, d’importation ou d’exportation de la substance ou d’un produit qui en contient;

(l) the total, partial or conditional prohibition of the manufacture, use, processing, sale, offering for sale, import or export of the substance or a product containing it;

m) l’interdiction totale, partielle ou conditionnelle d’importation ou d’exportation d’un produit destiné à contenir la substance;

(m) the total, partial or conditional prohibition of the import or export of a product that is intended to contain the substance;

n) la quantité ou la concentration de la substance que peut contenir ou rejeter dans l’environnement un produit fabriqué, importé, exporté, mis en vente ou vendu au Canada;

(n) the quantity or concentration of the substance that may be contained in any product manufactured, imported, exported, offered for sale or sold in Canada;

o) les modalités, les conditions et l’objet de la publicité ou de la mise en vente de la substance ou d’un produit qui en contient;

(o) the manner in which, conditions under which and the purposes for which the substance or a product containing it may be advertised or offered for sale;

p) les modalités et les conditions de stockage, de présentation, de transport, de manutention ou d’offre de transport de la substance ou d’un produit qui en contient;

(p) the manner in which and conditions under which the substance or a product containing it may be stored, displayed, handled, transported or offered for transport;

q) l’emballage et l’étiquetage de la substance ou d’un produit qui en contient;

(q) the packaging and labelling of the substance or a product containing it;

r) les modalités, lieux et méthodes d’élimination de la substance ou d’un produit qui en contient, notamment les normes de construction, d’entretien et d’inspection des lieux d’élimination;

(r) the manner, conditions, places and method of disposal of the substance or a product containing it, including standards for the construction, maintenance and inspection of disposal sites;

s) la transmission au ministre, sur demande ou au moment fixé par règlement, de renseignements concernant la substance;

(s) the submission to the Minister, on request or at any prescribed times, of information relating to the substance;

t) la tenue de livres et de registres pour l’exécution des règlements d’application du présent article;

(t) the maintenance of books and records for the administration of any regulation made under this section;

u) l’échantillonnage, l’analyse, l’essai, la mesure ou la surveillance de la substance et la transmission des résultats au ministre;

(u) the conduct of sampling, analyses, tests, measurements or monitoring of the substance and the submission of the results to the Minister;

v) la transmission au ministre d’échantillons de la substance;

(v) the submission of samples to the Minister;

w) les conditions, procédures d’essai et pratiques de laboratoire auxquelles il faut se conformer pour les opérations mentionnées à l’alinéa u);

(w) the conditions, test procedures and laboratory practices to be followed for conducting sampling, analyses, tests, measurements or monitoring of the substance;

x) les cas ou conditions de modification par le ministre, pour l’exécution de la présente loi, soit des exigences posées pour les opérations mentionnées à l’alinéa u), soit des conditions, procédures d’essai et pratiques de laboratoire afférentes;

(x) the circumstances or conditions under which the Minister may, for the proper administration of this Act, modify

(i) any requirement for sampling, analyses, tests, measurements or monitoring, or

(ii) the conditions, test procedures and laboratory practices for conducting any required sampling, analyses, tests, measurements or monitoring; and

y) toute mesure d’ordre réglementaire prévue par la présente partie et toute autre mesure d’application de la présente partie.

(y) any other matter that by this Part is to be defined or prescribed or that is necessary to carry out the purposes of this Part.

[64] Le régime de la LCPE est donc binaire. Tout d’abord, le gouverneur en conseil doit déterminer si une substance est toxique et donc qu’elle peut être inscrite à l’annexe 1; ensuite, et seulement après l’inscription d’une substance sur la liste, le gouverneur en conseil dispose d’un large pouvoir pour réglementer la substance.

[65] Pour inscrire un article à l’annexe 1 de la LCPE, le gouverneur en conseil doit donc être convaincu qu’il s’agit d’une substance toxique ou d’une catégorie de substances toxiques au sens de la LCPE. Le paragraphe 90(1) ne prévoit aucun libellé discrétionnaire relativement à ces exigences.

[66] Le décret, qui a été pris en vertu du paragraphe 90(1), ne peut être considéré comme étant « fondamentalement de nature exécutive », et ne peut être évalué selon des « critères polycentriques, subjectifs ou indistincts » qui dépendent de « l’opinion des décideurs administratifs sur des questions économiques et culturelles et sur des questions d’intérêt public au sens large » : Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 aux para 28. Je conviens avec les demanderesses que le fait que le décret soit conforme aux motivations politiques du gouvernement ne signifie pas qu’il doit bénéficier d’un degré supérieur de déférence.

[67] Les demanderesses soutiennent que les articles manufacturés en plastique, en tant que catégorie générale, ne remplissent aucune des exigences du paragraphe 90(1) de la LCPE. Par conséquent, le décret est déraisonnable parce qu’il n’est pas conforme au régime législatif établi par la LCPE et qu’il ne découlait pas d’une utilisation appropriée du pouvoir du gouverneur en conseil. Les défendeurs soutiennent que le gouverneur en conseil avait le pouvoir d’ajouter les articles manufacturés en plastique à l’annexe 1 et que la décision de les inscrire en tant que substance toxique était déraisonnable au regard du libellé, du contexte et de l’objet de la LCPE et des dispositions contestées.

2) Les termes « substance » et « catégorie de substances »

[68] Le paragraphe 90(1) de la LCPE permet d’inscrire une « substance » à l’annexe 1 et, en application du paragraphe 3(3), une catégorie de substances. Les termes « substance » et « catégorie de substances » sont définis comme suit au paragraphe 3(1) de la LCPE (dans sa version en vigueur au moment de la présentation de la demande) :

substance Toute matière organique ou inorganique, animée ou inanimée, distinguable. La présente définition vise notamment :

substance means any distinguishable kind of organic or inorganic matter, whether animate or inanimate, and includes

a) les matières susceptibles soit de se disperser dans l’environnement, soit de s’y transformer en matières dispersables, ainsi que les matières susceptibles de provoquer de telles transformations dans l’environnement;

(a) any matter that is capable of being dispersed in the environment or of being transformed in the environment into matter that is capable of being so dispersed or that is capable of causing such transformations in the environment,

b) les radicaux libres ou les éléments;

(b) any element or free radical,

c) les combinaisons d’éléments à l’identité moléculaire précise soit naturelles, soit consécutives à une réaction chimique;

(c) any combination of elements of a particular molecular identity that occurs in nature or as a result of a chemical reaction, and

d) des combinaisons complexes de molécules différentes, d’origine naturelle ou résultant de réactions chimiques, mais qui ne pourraient se former dans la pratique par la simple combinaison de leurs composants individuels.

(d) complex combinations of different molecules that originate in nature or are the result of chemical reactions but that could not practicably be formed by simply combining individual constituents,

Elle vise aussi, sauf pour l’application des articles 66, 80 à 89 et 104 à 115 :

and, except for the purposes of sections 66, 80 to 89 and 104 to 115, includes

e) les mélanges combinant des substances et ne produisant pas eux-mêmes une substance différente de celles qui ont été combinées;

(e) any mixture that is a combination of substances and does not itself produce a substance that is different from the substances that were combined,

f) les articles manufacturés dotés d’une forme ou de caractéristiques matérielles précises pendant leur fabrication et qui ont, pour leur utilisation finale, une ou plusieurs fonctions en dépendant en tout ou en partie;

(f) any manufactured item that is formed into a specific physical shape or design during manufacture and has, for its final use, a function or functions dependent in whole or in part on its shape or design, and

g) les matières animées ou les mélanges complexes de molécules différentes qui sont contenus dans les effluents, les émissions ou les déchets attribuables à des travaux, des entreprises ou des activités.

(g) any animate matter that is, or any complex mixtures of different molecules that are, contained in effluents, emissions or wastes that result from any work, undertaking or activity.

catégorie de substances Groupe d’au moins deux substances ayant :

class of substances means any two or more substances that

a) soit la même portion de structure chimique;

(a) contain the same portion of chemical structure;

b) soit des propriétés physico-chimiques ou toxicologiques semblables;

(b) have similar physico‐chemical or toxicological properties; or

c) soit, pour l’application des articles 68, 70 et 71, des utilisations similaires

(c) for the purposes of sections 68, 70 and 71, have similar types of use

[69] Le REIR utilise le libellé de l’alinéa 3(1)f) pour définir les articles manufacturés en plastique comme comprenant « tous les articles en plastique ayant une forme physique ou une conception spécifique durant leur fabrication et qui ont, pour leur utilisation prévue, une fonction ou des fonctions qui dépendent en tout ou en partie de leur forme ou de leur conception. Ces articles peuvent inclure des produits finis, ainsi que les composantes des produits. »

[70] Les demanderesses soutiennent que les articles manufacturés en plastique ne sont ni une substance ni une catégorie de substances au sens de la LCPE, mais plutôt une catégorie élargie comprenant des milliers d’articles divers. Elles allèguent que le terme « substance » défini à l’alinéa 3(1)f) de la version anglaise LCPE est au singulier; par conséquent, la définition ne vise que des articles uniques, tels que les filets de pêche ou les porte-canettes.

[71] Les demanderesses font également valoir que les articles manufacturés en plastique n’ont pas le lien requis pour former une catégorie de substances, car leurs propriétés et leurs attributs varient considérablement. Elles citent, entre autres, les déclarations de Mme Rochman selon lesquelles les plastiques sont [traduction] « fabriqués à partir de très nombreux polymères différents et contiennent des additifs chimiques divers », ont des formes, des caractéristiques matérielles, des fonctions, des structures chimiques et des caractéristiques toxicologiques ou des profils de risques différents (contre-interrogatoire de Mme Rochman, aux p 81, 87-88), et la pollution par les plastiques est [traduction] « un mélange complexe de matières plastiques dont le type de produit, le type de polymère, la taille, les mélanges d’additifs chimiques, la forme et la couleur varient » (affidavit de Mme Rochman, à la p 22).

[72] Les défendeurs admettent qu’ils ne prétendent pas que les articles manufacturés en plastique constituent une catégorie de substances. Ils conviennent que les articles manufacturés en plastique peuvent avoir une forme, un aspect, une composition chimique, une structure chimique et des propriétés physico-chimiques et avoir différentes utilités.

[73] Les défendeurs prétendent plutôt que les articles manufacturés en plastique respectent la définition du terme « substance », car le terme « substance » s’entend au pluriel. Ils renvoient au paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, LRC 1095, c I-21, qui porte que « [l]e pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité », et au libellé français de l’alinéa 3(1)f), qui, selon eux, indiquent que cette disposition était destinée à s’entendre au pluriel.

[74] Les demanderesses contestent chacun de ces arguments. Elles soutiennent que le paragraphe 33(2), de la Loi d’interprétation doit être lu conjointement avec le paragraphe 3(1), qui dit que « [s]auf indication contraire, la présente loi s’applique à tous les textes [...] ». En l’espèce, les demanderesses affirment, et je suis du même avis, que la LCPE utilise des définitions au pluriel et au singulier intentionnellement, y compris la définition du paragraphe 3(1) de la LCPE.

[75] De plus, même si l’alinéa 3(1)f) de la version anglaise s’entendait au pluriel, conformément à l’utilisation de l’article « les » dans la version française, cela ne change pas l’utilisation au singulier du mot « substance » dans le préambule de la définition, qui est uniforme dans les deux langues et qui doit être lue conjointement avec l’alinéa 3(1)f). Dans chaque cas, je suis d’avis que suivant le sens qu’on entendait donner à l’alinéa 3(1)f), tous les articles manufacturés dotés d’une forme ou de caractéristiques matérielles précises pendant leur fabrication et qui ont, pour leur utilisation finale, une ou plusieurs fonctions en dépendant en tout ou en partie peuvent être visés par la définition du terme « substance ».

[76] Selon les demanderesses, interpréter le terme « substance » comme englobant une catégorie générale ne tient pas compte du contexte législatif et de l’objet du libellé de la LCPE. Le régime de la LCPE est clair : un article est une substance, alors qu’un groupe d’articles ne peut être inscrit qu’à condition d’être une catégorie de substances qui ont des propriétés similaires. Dans le cas contraire, ces définitions seraient redondantes ou incohérentes, ce qui est contraire aux principes d’interprétation des lois. Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42 au para 37, citant P.G. (Qué.) c Carrières Ste-Thérèse Ltée, [1985] 1 RCS 831 à la p 838.

[77] Les demanderesses affirment qu’une interprétation du terme « substance » qui incluraient les articles manufacturés en plastique est contraire au régime de la partie 5, qui exige que les substances et les catégories de substances inscrites à l’annexe 1 soient identifiées avec précision pour permettre une évaluation de la toxicité et des risques. Elles font valoir [traduction] « [qu]’il n’est pas possible de procéder à une évaluation unique des risques pour des milliers de produits disparates allant des capsules de bouteilles aux wagons de chemin de fer ». Ces évaluations ne peuvent être réalisées que si les substances sont inscrites une par une, ou s’il existe une catégorie de substances ayant des propriétés chimiques, physico-chimiques ou toxicologiques similaires, ou des types d’utilisation similaires. Les demanderesses renvoient à la liste des substances actuelle de l’annexe 1, qui, selon elles, obéissent à ce régime.

[78] Les défendeurs soutiennent que la thèse des demanderesses est trop formaliste et contraire à l’esprit de la LCPE et à son objectif de fournir des outils rigoureux et efficaces au gouvernement pour prévenir la pollution. Ils font valoir que si chaque article ou type de plastique était une substance à part entière, il serait soumis à une évaluation distincte, ce qui retarderait considérablement la lutte contre la pollution plastique, et contredirait le principe de précaution et l’observation du REIR selon laquelle « [t]ous les articles manufacturés en plastique ont le potentiel de devenir de la pollution plastique ».

[79] EDCOC présentent des observations similaires. Elles soutiennent qu’étant donné le caractère central du principe de précaution, la Cour devrait interpréter la LCPE d’une [traduction] « manière large et libérale qui protège le mieux possible l’environnement et la santé humaine ». Elles font remarquer que cette approche est conforme à la reconnaissance par la Cour suprême du fait qu’une loi qui protège l’environnement doit recevoir une interprétation généreuse, car elle constitue une loi réparatrice destinée à répondre à une vaste gamme de scénarios dangereux : Dynamitage Castonguay Ltée c Ontario (Environnement), 2013 CSC 52 au para 9.

[80] À mon avis, ces arguments sont directement liés à l’autre question, qui consiste à déterminer si le gouverneur en conseil a outrepassé son pouvoir, car la deuxième condition du paragraphe 90(1) n’a pas été remplie, à savoir qu’il ne peut être démontré, et qu’il n’a pas été démontré, que tous les articles manufacturés en plastique étaient toxiques. Je conviens que la catégorie des articles manufacturés en plastique semble plus large que la définition de substance à l’alinéa 3(1)f) et que les substances existantes figurant à l’annexe 1, mais j’estime que cela ne suffit pas à rendre le décret déraisonnable. Je suis plutôt d’avis qu’il faut examiner la deuxième condition du paragraphe 90(1) avant de déterminer si le décret est contraire au paragraphe 90(1) et au régime de la LCPE.

3) Les articles manufacturés en plastique répondent-ils à l’exigence applicable pour être considérés comme une substance toxique?

[81] L’article 64 de la LCPE énonce les conditions pour qu’une substance soit considérée comme toxique aux fins de l’application de la partie 5 de la LCPE :

Substance toxique

Toxic substances

64 Pour l’application de la présente partie et de la partie 6, mais non dans le contexte de l’expression « toxicité intrinsèque », est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou concentration ou dans des conditions de nature à :

64 For the purposes of this Part and Part 6, except where the expression “inherently toxic” appears, a substance is toxic if it is entering or may enter the environment in a quantity or concentration or under conditions that

a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement ou sur la diversité biologique;

(a) have or may have an immediate or long-term harmful effect on the environment or its biological diversity;

b) mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie;

(b) constitute or may constitute a danger to the environment on which life depends; or

c) constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaines.

(c) constitute or may constitute a danger in Canada to human life or health.

[82] Comme l’indique le REIR, en inscrivant les articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques, les ministres étaient convaincus que ces articles satisfaisaient au critère écologique à appliquer énoncé à l’alinéa 64a) pour être considérés comme une substance toxique. Le REIR fait référence aux preuves scientifiques actuelles, qui confirment que « la pollution plastique est omniprésente dans l’environnement » et que « la pollution [...] par les macroplastiques présente un danger pour l’environnement, comme des blessures physiques pour certains animaux et des dommages à leur habitat ». Le REIR fonde ses conclusions sur le fait que « [t]ous les articles manufacturés en plastique ont le potentiel de devenir de la pollution plastique ».

[83] En vue de déterminer si une substance est effectivement ou potentiellement toxique, l’article 68 de la LCPE, dans sa version en vigueur au moment de la présentation de la demande, prévoyait que l’un ou l’autre des ministres peut :

(a) recueillir ou produire des données sur les questions se rapportant à cette substance et mener des enquêtes sur ces questions, notamment sur :

(a) collect or generate data and conduct investigations respecting any matter in relation to a substance including, without limiting the generality of the foregoing,

(i) le fait que l’exposition à court terme à la substance entraîne ou non des effets sensibles,

(i) whether short-term exposure to the substance causes significant effects,

(ii) la possibilité que des organismes se trouvant dans l’environnement soient exposés de façon généralisée à la substance,

(ii) the potential of organisms in the environment to be widely exposed to the substance,

(iii) le fait que des organismes soient exposés ou non à la substance par de multiples voies,

(iii) whether organisms are exposed to the substance via multiple pathways,

(iv) la capacité de la substance d’entraîner une réduction des fonctions métaboliques d’un organisme,

(iv) the ability of the substance to cause a reduction in metabolic functions of an organism,

(v) sa capacité d’entraîner des effets latents ou tardifs pendant la durée de vie d’un organisme,

(v) the ability of the substance to cause delayed or latent effects over the lifetime of an organism,

(vi) sa capacité de causer des anomalies dans les mécanismes de reproduction ou de survie d’un organisme,

(vi) the ability of the substance to cause reproductive or survival impairment of an organism,

(vii) le fait que l’exposition à la substance puisse contribuer ou non au déclin de la population d’une espèce,

(vii) whether exposure to the substance has the potential to contribute to population failure of a species,

(viii) la capacité de la substance d’avoir des effets se transmettant d’une génération à l’autre,

(viii) the ability of the substance to cause transgenerational effects,

(ix) ses quantités, ses utilisations et son élimination,

(ix) quantities, uses and disposal of the substance,

(x) la façon dont elle est rejetée dans l’environnement,

(x) the manner in which the substance is released into the environment,

(xi) la mesure dans laquelle elle peut se disperser et persister dans l’environnement,

(xi) the extent to which the substance can be dispersed and will persist in the environment,

(xii) la mise au point et l’utilisation de substituts,

(xii) the development and use of alternatives to the substance,

(xiii) les méthodes permettant de limiter sa présence dans l’environnement,

(xiii) methods of controlling the presence of the substance in the environment, and

(xiv) les méthodes permettant de réduire la quantité de la substance utilisée ou produite ou la quantité ou la concentration de celle-ci rejetée dans l’environnement;

(xiv) methods of reducing the quantity of the substance used or produced or the quantities or concentration of the substance released into the environment;

b) corréler et analyser les données recueillies ou produites et publier le résultat des enquêtes effectuées;

(b) correlate and evaluate any data collected or generated under paragraph (a) and publish results of any investigations carried out under that paragraph; and

c) fournir des renseignements et faire des recommandations concernant toute question liée à une substance, notamment en ce qui touche les mesures à prendre pour limiter la présence de celle-ci dans l’environnement.

(c) provide information and make recommendations respecting any matter in relation to a substance, including, without limiting the generality of the foregoing, measures to control the presence of the substance in the environment.

[84] Nul ne conteste que l’évaluation scientifique sert de fondement à la recommandation des ministres selon laquelle les articles manufacturés en plastique satisfont au critère écologique de substance toxique énoncé à l’alinéa 64a) de la LCPE. Le REIR indique que l’évaluation scientifique est réalisée conformément à l’article 68 de la LCPE dans le but de « résumer l’état actuel des connaissances scientifiques sur les impacts potentiels de la pollution plastique sur l’environnement et la santé humaine, ainsi que d’orienter les futures recherches et de contribuer à la prise de décision à ce sujet [...] ». Le REIR résume comme suit l’état des connaissances sur l’environnement au regard de l’évaluation scientifique :

La dégradation des déchets de plastique qui polluent l’environnement peut être un lent processus chimique et physique, influencé par des facteurs comme l’exposition à la lumière du soleil, les oxydants, le stress physique et la composition chimique des articles manufacturés en plastique spécifiques. De nombreux articles manufacturés en plastique désignés comme « biodégradables » se décomposent uniquement lorsqu’ils sont exposés à des températures élevées durant des périodes prolongées qui ne sont réalisables que dans les installations de compostage industrielles.

Des études ont confirmé la présence généralisée de la pollution plastique dans de nombreux milieux aquatiques partout dans le monde, y compris les eaux de surface, les sédiments et les zones côtières, ainsi que dans des milieux terrestres. Par exemple, au Canada, des études ont révélé une abondance de pollution plastique dans les eaux de surface et les sédiments dans les Grands Lacs. La pollution plastique a aussi été détectée dans de nombreux emplacements lors d’études internationales, y compris la mer Adriatique, l’océan Arctique, le Pacifique Sud, le Pacifique Nord, l’Atlantique Nord, l’Atlantique Sud, l’océan Indien et dans les eaux entourant l’Australie. En 2018, l’initiative du Grand nettoyage des rivages canadiens a contribué à l’élimination de 100 tonnes de détritus dans les zones côtières canadiennes; parmi les 10 objets les plus fréquemment recueillis, 7 étaient soit en plastique ou contenaient du plastique (c’est-à-dire des mégots de cigarette, des fines particules de plastique ou de mousse, des bouchons de bouteille, des sacs et bouteilles de plastique, des pailles et papiers d’emballage alimentaire).

Certains types d’articles qui contribuent à la pollution macroplastique (par exemple les cordes, les filets, les attaches de câbles, les sacs de plastique, les anneaux de plastique) ont été largement décrits dans la littérature scientifique comme ayant des effets nocifs sur certains animaux à la suite d’un enchevêtrement ou d’une ingestion. L’enchevêtrement peut conduire à la suffocation, à l’étranglement ou à l’étouffement, et peut même entraîner la mort.

L’ingestion peut également causer des effets nocifs directs aux organismes en bloquant les voies respiratoires ou le système digestif, ce qui peut entraîner la suffocation ou la famine. La pollution macroplastique peut aussi avoir des incidences sur l’intégrité des habitats, par exemple par le transport d’espèces envahissantes dans des écosystèmes bien établis, ce qui perturbe leurs structures et leur dynamique, ou le transport de maladies susceptibles d’altérer la diversité génétique de l’écosystème. Contrairement à la pollution macroplastique, l’impact potentiel de la pollution microplastique sur les animaux est moins clair dans la littérature scientifique.

[85] Les demanderesses font valoir que suivant le libellé, le contexte et l’objet de la LCPE, le Parlement n’avait pas l’intention de conférer au gouverneur en conseil le pouvoir d’inférer l’existence d’effets nocifs potentiels et de qualifier des articles de toxiques à moins qu’ils ne respectent les exigences de l’article 64. Elles soutiennent que le gouvernement n’avait pas de preuve pour conclure que tous les articles manufacturés en plastique sont toxiques. Elles affirment tout simplement que ce qui a été inscrit n’a pas été étudié et que ce qui a été étudié n’a pas été inscrit. Elles affirment que seuls douze articles et certains types de déchets ont été identifiés dans l’évaluation scientifique comme causant des dommages à l’environnement, à savoir [traduction] « des engins de pêche perdus et abandonnés (cordes, lignes, filets), des sacs, des pailles, des attaches de câbles, des bandes d’emballage (c’est-à-dire des porte-canettes), des bouchons de bouteille, des ballons, des feuilles et des pellicules (qui peuvent couvrir les coraux, les éponges et les végétaux), et un grand bol en plastique ». Toutefois, le décret se fonde de manière inadmissible sur ces éléments de preuve pour couvrir l’ensemble de la catégorie des articles manufacturés en plastique. Les demanderesses soutiennent que le gouvernement n’a pas qualifié les niveaux d’exposition et n’a pas effectué d’évaluation des risques pour mesurer la toxicité de tous les articles manufacturés en plastique. Elles font valoir que les niveaux d’exposition doivent être évalués en mesurant les concentrations dans la population; dans le cas contraire, les risques pour l’environnement ne peuvent être établis.

[86] L’affidavit de M. Granville comprend le document d’orientation d’ECCC intitulé Aperçu de l’évaluation écologique des substances en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) [le Guide sur l’évaluation écologique], qui indique qu’une « substance est considérée comme toxique si, après une évaluation scientifique rigoureuse, elle est conforme ou équivalente à la définition de “toxique” de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) ».

[87] Le Guide sur l’évaluation écologique décrit les étapes d’une évaluation des risques écologiques comme comprenant à la fois une caractérisation de l’exposition, c’est-à-dire « les voies possibles de pénétration d’une substance dans l’environnement, son comportement dans l’environnement et la façon dont les organismes autres que les êtres humains peuvent y être exposés » , et une caractérisation du danger des « effets potentiels de la substance sur l’environnement ou sa diversité biologique ». Une caractérisation du risque écologique est ensuite effectuée « en intégrant les données sur ses effets et le potentiel d’exposition au Canada (caractérisation des risques) » en même temps qu’une analyse d’incertitude.

[88] Le Guide sur l’évaluation écologique indique que le principal objectif de la quantification de l’exposition est de « déterminer les concentrations de la substance dans les milieux où elle séjournera probablement après son rejet dans l’environnement ». Il décrit différentes procédures pouvant être utilisées pour quantifier l’exposition, en fonction des informations disponibles pour la substance, y compris, le cas échéant, des données mesurées provenant d’études de surveillance au Canada ou dans d’autres pays, ou des calculs effectués « à l’échelle locale à l’aide de modèles fondés sur des environnements génériques auxquels des données propres au site peuvent être intégrées ».

[89] Le Guide d’évaluation environnementale explique que les éléments de preuve étudiés sont examinés selon une approche qui considère leur force probante, et qui tient compte de plusieurs sources d’information et éléments de preuve. On y indique que « l’évaluation écologique et ses conclusions à l’égard des risques écologiques présentent le fondement scientifique servant à recommander si la substance satisfait ou non aux critères énoncés à l’article 64 de la LCPE de 1999 ».

[90] M. Granville passe en revue l’approche adoptée pour l’évaluation des risques des substances inscrites à l’annexe 1 lors de l’inscription des articles manufacturés en plastique. Il explique que la liste comprenait à l’époque 152 entrées (dont deux étaient vides). Il s’agit de neuf substances auparavant réglementées par la Loi sur les contaminants de l’environnement, LRC 1985, c E‐12 et la Loi sur la pollution atmosphérique, LRC 1985, c C-32 qui ont été inscrites à l’annexe 1 lors de l’adoption de la LCPE de 1988 (la loi antérieure à la LCPE de 1999), et de 135 « substances présentes » (substances commercialisées avant l’entrée en vigueur de la LCPE de 1988 et inscrites sur la liste intérieure des substances) et de six « substances [...] nouvelles » qui n’étaient pas inscrites sur la liste intérieure et dont la toxicité a été évaluée avant leur commercialisation.

[91] Les nouvelles substances sont évaluées conformément à un processus de notification et d’évaluation défini aux articles 83 et 108 (pour les organismes) de la LCPE, en application du Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles (substances chimiques et polymères), DORS/2005-247 et du Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles (organismes), DORS/2005-248. Les substances présentes sont soumises à un processus d’évaluation préalable prévu à l’article 74 de la LCPE et ont fait l’objet d’évaluations préalables des substances prioritaires afin d’accélérer l’évaluation des 23 000 substances de la liste intérieure (articles 73 et 76 de la LCPE). Elles peuvent également être évaluées en application de l’article 75 lorsque l’utilisation a été interdite ou fait l’objet de restrictions importantes par une province, un territoire ou un membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou en application de l’article 68.

[92] M. Granville fait remarquer que le gouvernement a procédé à diverses formes d’évaluation des risques afin d’évaluer la toxicité au titre de la LCPE pour toutes les substances qui ont été précédemment inscrites à l’annexe 1, à l’exception d’une seule. La seule exception, la liste n°133, concernait les « microbilles de plastique d’une taille de£ 5 mm » et était étayée par une analyse de la littérature scientifique qui ne quantifiait pas les expositions. Il s’agit du seul autre article manufacturé qui semble être inscrit à l’annexe 1. M. Granville souligne que l’inscription des microbilles n’a pas été contestée par un avis d’opposition ou la constitution d’une commission de révision et que la mesure de gestion des risques proposée était très circonscrite, à savoir le retrait des microbilles des produits de soins personnels.

[93] Les intervenants de l’industrie font également référence à certains accords internationaux dont le Canada est signataire (Annexe sectoriel 12-A de l’ACEUM sur les substances chimiques et article 2.2 de l’Accord sur les OTC). Ces accords font référence à l’utilisation d’une approche fondée sur le risque pour réglementer les substances et les mélanges chimiques, qui prend en compte à la fois le danger et l’exposition et examine les effets néfastes potentiels sur l’environnement causés par la substance ou le mélange chimique. Ils prévoient que l’interprétation de la LCPE doit être cohérente avec le libellé de ces traités.

[94] Bien qu’un traité puisse être pertinent lors de l’interprétation des lois qui visent à le mettre en œuvre, en tout ou en partie (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Entertainment Software Association, 2022 CSC 30 [SOCAN] au para 44), il ne peut supplanter l’intention claire du législateur. La cour doit interpréter ce que le législateur (tant au fédéral qu’au provincial) a édicté et non subordonner cet exercice à ce dont l’organe exécutif fédéral a convenu à l’international. On ne saurait utiliser le droit international pour étayer une interprétation à laquelle fait obstacle le texte de la loi : SOCAN, au para 48, citant Kazemi (Succession) c République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 RCS 176 au para 60.

[95] En l’espèce, seul le préambule de la LCPE prévoit que le gouvernement du Canada « se doit d’être en mesure de respecter les obligations internationales du Canada en matière d’environnement ». La LCPE n’a pas pour objet de mettre en œuvre l’ACEUM ou l’Accord sur les OTC. Je conviens avec les défendeurs que les références à l’ACEUM et à l’Accord sur les OTC ne sont guère utiles à l’égard de la présente analyse.

[96] Quoi qu’il en soit, nul ne conteste qu’une évaluation chimique de la toxicité a toujours comporté une évaluation axée sur les risques, portant à la fois sur le danger et sur l’exposition. Les défendeurs ne nient pas que des analyses quantitatives du type de celles qui sont habituellement effectuées pour les composés chimiques n’ont pas été menées en l’espèce. Ils font cependant valoir que ce n’était pas nécessaire et que c’était peu pratique compte tenu de la substance en question.

[97] Selon le REIR, les articles manufacturés en plastique n’ont pas été examinés suivant la même autorité que les substances évaluées suivant l’article 74 de la LCPE ou celles soumises à une évaluation chimique :

[...] bien que les processus propres au Plan de gestion des produits chimiques prévoient une approche de gestion des produits chimiques fondée sur le risque, les ministres ne se limitent pas à ces processus pour mieux comprendre les menaces à l’environnement ou à la santé humaine et pouvoir déterminer si une mesure est susceptible de prévenir la pollution qui peut nuire à l’environnement. De plus, bien que les évaluations préalables soient requises pour les substances évaluées en vertu de l’article 74 de la Loi, les articles manufacturés en plastique n’ont pas été évalués en vertu de cet article. Les ministres sont d’avis que l’évaluation scientifique montre que la pollution plastique a un effet immédiat et à long terme sur l’environnement, en particulier sur la faune et son habitat, et qu’elle fournit les données probantes nécessaires pour inscrire les articles manufacturés en plastique à l’annexe 1 de la LCPE.

[98] Les défendeurs allèguent qu’il y a des limites à ce qui peut être testé lorsqu’une substance n’est pas un produit chimique et que la substance n’est pas dispersée dans l’environnement d’une manière prévisible qui peut être modélisée ou mesurée.

[99] En effet, les auteurs de l’évaluation scientifique reconnaissent certaines limites quant à son objectif et à sa portée. Le sommaire et des parties de l’introduction de l’évaluation scientifique indiquent que le rapport « n’a pas pour objet de quantifier les risques posés à l’environnement ». L’évaluation scientifique « n’a pas pour objet de se substituer à une évaluation des risques associés aux substances chimiques », qui, généralement, « sert à évaluer le potentiel de risque à l’environnement et à la santé humaine posé par une substance ». Elle indique qu’« en raison de lacunes importantes dans les données actuelles [...] il est impossible de faire une évaluation quantitative des risques » et souligne que « les cadres d’évaluation des risques associés à la pollution plastique sont en cours de développement ». L’évaluation scientifique recommande de réaliser de nouveaux travaux de recherche pour évaluer, entre autres, « [d]mise au point de méthodes normalisées pour l’échantillonnage, le dosage, la caractérisation et l’évaluation des effets des macroplastiques et des microplastiques ».

[100] Suivant l’évaluation scientifique, les informations sur les macroplastiques se limitent à des « données provenant d’initiatives de nettoyage des déchets ainsi qu’aux rapports publiés dans la presse populaire » et à des effets tels que l’enchevêtrement, l’ingestion ou les effets sur l’intégrité de l’habitat. Elle fait état de diverses difficultés liées aux microplastiques pour l’identification des articles lorsque des dégradations les ont rendus méconnaissables.

[101] Animal Justice soutient que pour la plupart des substances qui causent des dommages chimiques, en particulier celles qui sont imperceptibles, seuls des tests complets peuvent démontrer leur toxicité. Toutefois, dans le cas présent, il est facilement observable que les plastiques pénètrent dans l’environnement d’une manière nuisible. Bien que le nombre précis d’animaux affectés par la pollution plastique n’ait pas été caractérisé, l’évaluation scientifique a établi que la pollution plastique pénètre dans l’environnement en quantité suffisante pour nuire aux animaux.

[102] Les défendeurs soutiennent que l’alinéa 68a) de la LCPE permet aux ministres de « recueillir ou produire des données sur les questions se rapportant à cette substance [...] et mener des enquêtes sur ces questions » en vue d’évaluer si les articles manufacturés en plastique étaient toxiques. L’évaluation scientifique est le fruit d’un examen critique de plus de 600 références provenant de la littérature scientifique qui a été effectué conformément au paragraphe 68a). Elle recommande de poursuivre les actions visant à réduire les macroplastiques et les microplastiques dans l’environnement conformément au principe de précaution et, selon les défendeurs, elle permet de justifier l’inscription des articles manufacturés en plastique à l’annexe 1.

[103] EDCOC insistent sur la nécessité d’examiner la persistance et l’accumulation des effets, car [traduction] « l’environnement canadien ne connaît pas un nouveau départ chaque année »; la décomposition du plastique dans l’environnement est lente. Comme l’indique l’évaluation scientifique, « puisque les plastiques se dégradent très lentement et qu’ils persistent dans l’environnement, la pollution par les plastiques ne peut qu’augmenter ». Elles affirment que l’augmentation prévue de la pollution plastique doit être prise en compte. Les politiques environnementales doivent anticiper et prévenir la dégradation de l’environnement et permettre au gouvernement d’agir de manière préventive.

[104] EDCOC renvoient à la décision Morton c Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 575 au para 43, qui décrit l’incidence et l’importance du principe de précaution comme moyen de surmonter l’absence d’une totale certitude scientifique et éviter d’ajourner la prise de mesures visant à protéger l’environnement :

[43] Le principe de précaution reconnaît qu’au nom d’une saine politique publique, l’absence d’une totale certitude scientifique ne doit pas servir de prétexte pour éviter ou ajourner la prise de mesures visant à protéger l’environnement, puisqu’il y a des limites inhérentes à la capacité de prévenir les dommages à l’environnement. Passant de la sphère des politiques publiques au droit, le principe de précaution est à tout le moins un aspect établi de l’interprétation des lois, et il est permis de penser en outre qu’il s’est cristallisé en une norme de droit international coutumier et de droit matériel interne : Spraytech, aux para 30-31.

[105] Cependant, même en gardant à l’esprit le principe de précaution et en reconnaissant la difficulté de réaliser exactement les mêmes évaluations quantitatives et axées sur les risques que celles effectuées pour les produits chimiques, le défi que pose le décret réside dans l’ampleur et la portée de celui-ci, lorsque ces éléments sont considérés dans le cadre du régime de la partie 5 de la LCPE et de son interprétation, comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hydro-Québec.

[106] Dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour suprême a affirmé, au paragraphe 147 de ses motifs, que la partie 5 de la LCPE (auparavant la partie II) prévoit « une procédure permettant d’éliminer, parmi le très grand nombre de substances potentiellement nocives pour l’environnement ou la vie humaine, celles qui posent des risques importants de ce genre. Le ciblage précis de substances toxiques fondé sur une évaluation individuelle évite de recourir à des interdictions inutilement larges et à leur incidence sur l’exercice de pouvoirs provinciaux. » Comme le soutiennent les demanderesses, il s’agit en fait d’un outil de triage.

[107] L’objectif de la LCPE est que seules les substances toxiques « au sens réel » figurent sur la liste des substances toxiques : Hydro-Québec, aux para 143-145.

[108] M. Granville cite l’exemple de la benzénamine et du N-phénylaniline, produit de réaction avec le styrène et le 2,4,4-triméthylpentène (BNST), qui a été retiré de l’annexe 1 lorsqu’il a été démontré par la suite qu’il n’était pas toxique. Il fait remarquer, d’après son examen des substances inscrites à l’annexe 1, que si seules certaines formes d’une substance ou d’une catégorie de substances répondaient au critère de l’article 64, ou si des informations n’étaient pas disponibles pour certaines formes d’une substance, l’inscription était réservée à celles qui répondaient au critère, ce qui conduisait parfois à l’ajout de substances plus restreintes. Il fait également mention de certaines substances qui n’ont pas été inscrites compte tenu d’une évaluation non concluante, mais qui ont été ajoutées plus tard lorsqu’une évaluation ultérieure a révélé leur toxicité.

[109] Les défendeurs citent des exemples de substances figurant à l’annexe 1, comme le plomb et le dioxyde de carbone, qui ne sont pas intrinsèquement nocives tant qu’elles ne sont pas rejetées dans l’environnement. Ils font remarquer que selon l’arrêt Hydro-Québec, au paragraphe 141, le mot « toxique », tel qu’utilisé dans la LCPE, comprend les « substances qui ne sont pas toxiques en soi, mais qui peuvent le devenir lorsqu’elles sont rejetées dans l’environnement en une certaine quantité ou concentration ou dans certaines circonstances ». Toutefois, tous ces exemples concernent des formes différentes d’une même substance; la portée ne concerne pas un grand groupe d’articles disparates tels que les articles manufacturés en plastique.

[110] L’affirmation dans le REIR selon laquelle « tous les articles manufacturés en plastique ont le potentiel de devenir de la pollution plastique » sert de fondement à l’élargissement de la portée du décret à tous les articles manufacturés en plastique, mais le REIR ne fournit pas d’éléments permettant de combler le fossé entre cette affirmation et le décret qui qualifie l’ensemble des articles manufacturés en plastique de toxiques.

[111] Une conclusion péremptoire est rarement utile pour une cour de révision. Tel qu’il est indiqué au paragraphe 102 de l’arrêt Vavilov :

Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Il s’ensuit qu’un manquement à cet égard peut amener la cour de révision à conclure qu’il y a lieu d’infirmer la décision. [...] la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [...] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait : Ryan, par. 55; Southam, par. 56.

[112] Selon le REIR, « [l]a pollution plastique est la résultante d’articles manufacturés en plastique qui sont jetés, éliminés ou abandonnés dans l’environnement en dehors d’un système de gestion des déchets (comme une installation de recyclage ou un site d’enfouissement) ». On y indique qu’au Canada « la majorité des articles manufacturés en plastique qui deviennent des déchets de plastique entrent dans un flux de déchets » et fait référence aux données de l’étude de Deloitte, indiquant que 1 % des déchets plastiques sont entrés dans l’environnement sous forme de pollution plastique en 2016, la majorité restant dans les sites d’enfouissement. Par conséquent, tous les déchets de plastique ne deviennent pas de la pollution plastique.

[113] Le principe de base de la toxicité des produits chimiques est que toutes les substances chimiques ont le potentiel d’être toxiques; cependant, pour qu’une substance chimique soit toxique, elle doit être administrée à un organisme ou pénétrer dans l’environnement à un taux (ou une dose) qui entraîne une concentration suffisamment élevée pour déclencher un effet nocif.

[114] Dans le cas présent, la logique inverse semble s’appliquer : tous les articles manufacturés en plastique sont considérés comme toxiques parce qu’ils sont en plastique et parce que tout plastique est considéré comme susceptible de devenir une pollution plastique. La conclusion ne tient pas compte de la variabilité extrême dans la forme et de type de plastique utilisé pour fabriquer les articles et des propriétés variables du plastique, ni si l’article en plastique est susceptible de causer des torts aux animaux par strangulation ou suffocation ou de nuire à l’environnement en raison d’effets comme la dispersion par radeau, etc.

[115] Comme je l’ai indiqué précédemment, le REIR ne mentionne qu’un petit nombre d’articles précis (les cordes, les filets, les attaches de câbles, les sacs de plastique, les anneaux de plastique) qui ont été largement décrits dans la littérature scientifique comme ayant des effets nocifs sur certains animaux à la suite d’un enchevêtrement ou d’une ingestion.

[116] À mon avis, le gouverneur en conseil ne pouvait pas être convaincu, sur le fondement de ces éléments de preuve, que tous les articles manufacturés en plastique sont toxiques.

[117] Le gouvernement, dans le cadre de l’examen d’une réglementation visant à interdire les plastiques à usage unique, a publié des conclusions dans le document de consultation selon lesquelles les articles manufacturés en plastique ne sont pas tous nocifs. Le document de consultation fait état de la catégorisation par ECCC de certains plastiques à usage unique et de la question de savoir s’ils sont problématiques sur le plan environnemental. Le rapport (dont un extrait est cité ci-dessous) fait état de plusieurs types de plastiques à usage unique (autres sacs (p. ex., sacs à poubelle), emballages multiples d’articles de soins personnels jetables, lentilles cornéennes et leur emballage, et gobelets et couvercles de boissons chaudes et froides) qui n’ont pas été considérés comme problématiques sur le plan environnemental parce qu’ils n’étaient pas répandus ou qu’ils n’avaient pas d’effets nocifs connus ou soupçonnés sur l’environnement. Toutefois, bien qu’il soit reconnu que ces articles ne sont pas problématiques sur le plan environnemental, ils sont inclus dans la catégorie des articles manufacturés en plastique qui sont toxiques.

Tableau 2 : Analyse des informations sur certains produits en plastique à usage unique

 

Problématiques sur le plan environnemental

Problématiques sur le plan de la récupération de la valeur

Considérations relatives aux exemptions

Très répandus dans l’environnement

Effets nocifs sur l’environnement connus ou soupçonnés

Nuisent au recyclage ou au traitement des eaux usées

Non recyclables, taux de recyclage faible ou très faible

Obstacles au taux de recyclage croissant

Remplissent une fonction essentielle

Aucune solution de rechange viable

 

Sacs en plastique

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Bâtonnets à mélanger

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Porte-canettes

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Problématiques sur le plan environnemental

Problématiques sur le plan de la récupération de la valeur

Considérations relatives aux exemptions

Très répandus dans l’environnement

Effets nocifs sur l’environnement connus ou soupçonnés

Nuisent au recyclage ou au traitement des eaux usées

Non recyclables, taux de recyclage faible ou très faible

Obstacles au taux de recyclage croissant

Remplissent une fonction essentielle

Aucune solution de rechange viable

Ustensiles

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Dans certains cas, pour la sécurité

 

Pailles

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Dans certains cas, pour l’accessibilité

 

Récipients pour aliments fabriqués à partir de plastiques problématiques

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Autres sacs (p. ex., sac à poubelle)

 

 

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Emballage pour collations

Certains types

 

Certains types (par exemple, bioplastiques)

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Emballages multiples

 

 

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Articles de soins personnels jetables

 

 

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Bouteilles et capuchons de boissons

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Lentilles cornéennes et leur emballage

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Gobelets et couvercles de boissons chaudes et froides

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Filtres de cigarette

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Ö

 

Ö

[118] Même si l’affirmation selon laquelle tous les articles manufacturés en plastique sont susceptibles de devenir des polluants plastiques est prise au pied de la lettre, les éléments dont disposait le gouverneur en conseil ne permettaient pas de conclure que tous les articles manufacturés en plastique étaient toxiques.

[119] En l’espèce, le gouverneur, sachant qu’une extrapolation aussi large n’était pas étayée par la preuve et, en particulier, que certains articles manufacturés en plastique inclus dans le champ d’application de la liste n’étaient pas toxiques, a excédé les limites de son pouvoir en inscrivant, sans réserve, la catégorie générale des articles manufacturés en plastique à l’annexe 1.

B. La décision de rejeter la demande de constitution d’une commission de révision était-elle raisonnable?

[120] Le paragraphe 333(1) de la LCPE prévoit les cas de constitution d’une commission de révision à la discrétion des ministres. Dans sa version en vigueur au moment de la présentation de la demande, cette disposition était ainsi libellée :

Danger de la substance

Establishment of board of review

333 (1) En cas de dépôt de l’avis d’opposition mentionné aux paragraphes 77(8) ou 332(2), le ministre, seul ou avec le ministre de la Santé, peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente la substance visée soit par la décision ou le projet de règlement, décret ou texte du gouverneur en conseil, soit par la décision ou le projet d’arrêté ou de texte des ministres ou de l’un ou l’autre.

333 (1) Where a person files a notice of objection under subsection 77(8) or 332(2) in respect of

(a) a decision or a proposed order, regulation or instrument made by the Governor in Council, or

(b) a decision or a proposed order or instrument made by either or both Ministers,

the Minister or the Ministers may establish a board of review to inquire into the nature and extent of the danger posed by the substance in respect of which the decision is made or the order, regulation or instrument is proposed.

[121] Il relève du pouvoir discrétionnaire du ministre d’établir s’il y a suffisamment d’incertitudes ou de doutes dans les données scientifiques sous-jacentes pour qu’une commission de révision soit justifiée : Goodyear Canada Inc c Canada (Environnement), 2017 CAF 149 [Goodyear] au para 45. La LCPE ne prévoit aucun critère à prendre en considération pour décider s’il y a lieu de constituer une commission de révision. Il s’agit d’une décision discrétionnaire du ministre qui a été comparée à d’autres circonstances dans lesquelles le ministre doit constituer une commission, comme lorsque le ministre décide de ne pas inscrire une substance considérée comme toxique malgré une recommandation de l’inscrire dans l’évaluation préalable finale : Goodyear, au para 46.

[122] Comme il est indiqué au paragraphe 49 de l’arrêt Goodyear, « [l]e fondement d’une décision de ne pas constituer de commission de révision en vertu de l’article 333 est l’évaluation du ministre quant à la suffisance des données scientifiques à l’appui du projet de décret. Conformément à la norme de contrôle et aux principes de la révision, la Cour est réticente à réexaminer les décisions de cette nature. »

[123] Il a été précisé dans le REIR qu’au cours des consultations, 123 associations industrielles ou entreprises distinctes, deux gouvernements provinciaux et un gouvernement étranger ont indiqué leur opposition au projet de décret. De nombreuses parties prenantes ont indiqué que le projet de décret ne s’inscrivait pas dans une approche de gestion des substances toxiques fondée sur le risque. Elles ont notamment relevé des incohérences par rapport aux processus types du Plan de gestion des produits chimiques, comme le fait de ne pas évaluer les substances chimiquement distinctes et de ne pas publier une ébauche d’évaluation préalable et une version finale. Les ministères ont également reçu 60 avis d’opposition par écrit sur le projet de décret dont, 52 demandaient la constitution d’une commission d’examen pour enquêter sur la nature et l’importance du danger que représentent les articles manufacturés en plastique. Toutes les demandes de constitution d’une commission de révision ont été rejetées.

[124] Le REIR décrit la nature des motifs d’opposition comme suit :

De nombreux opposants ont soulevé des préoccupations d’ordre politique dans leur avis d’opposition. Par exemple, plusieurs ont déclaré que les articles manufacturés en plastique n’ont pas tous le potentiel de causer les effets écologiques recensés dans l’évaluation scientifique et que, par conséquent, la portée du décret proposé était trop large et qu’elle devrait s’appliquer uniquement aux articles qui sont sources de préoccupation. De nombreux opposants ont souligné la nécessité de faire progresser la recherche servant à éclairer la prise de décision et ont pris soin de décrire comment un groupe scientifique indépendant pourrait contribuer à combler les lacunes scientifiques qui subsistent dans l’évaluation scientifique avant que des mesures ne soient prises.

Plus de 30 avis d’opposition ont soulevé des préoccupations quant à la recherche présentée dans l’évaluation scientifique. Deux des enjeux les plus fréquemment soulevés par les opposants étaient l’exhaustivité de l’évaluation scientifique et la qualité des études citées. Certains opposants ont fourni des références contenant des données scientifiques supplémentaires. Plusieurs se sont dits préoccupés par le manque d’information et l’absence de données précises sur certains polymères plastiques ou articles en plastique. Les opposants ont également soulevé des préoccupations quant à l’utilisation d’études explorant les effets de la pollution par les microplastiques qui ne reposaient pas sur des conditions environnementales pertinentes (ni sur des conditions environnementales canadiennes pertinentes) et quant à l’utilisation d’études explorant les effets des microplastiques par rapport à la santé humaine. Plusieurs opposants ont signalé des inexactitudes potentielles dans l’évaluation scientifique, et beaucoup ont insisté sur la nécessité de poursuivre les recherches dans plusieurs domaines d’étude.

[125] Le MECC a entrepris un processus en deux étapes pour analyser les avis d’opposition. Premièrement, il a déterminé s’il y avait lieu de modifier les conclusions de l’évaluation scientifique, à savoir que les macroplastiques peuvent nuire à l’environnement, à la lumière des données scientifiques fournies dans les avis d’opposition. À la suite de cette analyse, il a déterminé qu’il n’y avait pas lieu de modifier les conclusions scientifiques. Deuxièmement, il a demandé à des fonctionnaires neutres au sein du MECC de procéder à un examen indépendant, et ces fonctionnaires ont estimé que le processus avait été respecté et que la conclusion du premier examen était raisonnable.

[126] Le REIR résume ainsi le processus suivi :

Les ministères ont examiné les données scientifiques fournies dans les avis d’opposition, y compris les études supplémentaires. Ils maintiennent que l’évaluation scientifique présente un résumé complet des données scientifiques connues dans les publications évaluées par les pairs et qu’elle tient compte de toutes les données connues au moment de sa rédaction. Après examen, les ministères ont estimé qu’il n’y avait pas lieu de modifier les conclusions scientifiques qui sous-tendent le Décret (à savoir que les macroplastiques peuvent nuire à l’environnement). Pour s’assurer que cette conclusion était juste, une partie neutre au sein du ministère a procédé à un examen indépendant de l’analyse scientifique des avis d’opposition. Cette partie a estimé que le processus scientifique avait été respecté et que la conclusion était raisonnable.

Compte tenu de l’état actuel de la recherche, les ministères ne sont pas inquiets pour la santé humaine à l’heure actuelle, et conviennent de la nécessité de poursuivre les recherches dans plusieurs domaines d’étude. Les ministères reconnaissent que l’évaluation scientifique présente certaines contradictions qui existent dans la littérature scientifique relativement aux impacts écologiques de la pollution par les microplastiques. C’est pourquoi il est recommandé dans l’évaluation de poursuivre les recherches dans ce domaine. Malgré tout, les ministères maintiennent que les conclusions de l’évaluation scientifique qui sous-tend le projet demeurent : la pollution par les macroplastiques a le pouvoir de nuire à l’environnement.

[127] Les demanderesses soutiennent que le MECC a fait abstraction de la question principale dans leur avis d’opposition, qui était de savoir si l’évaluation scientifique avait fourni la preuve que tous les articles manufacturés en plastique sont toxiques, et qu’il a rejeté leur opposition pour des raisons de politique. Elles affirment que le processus d’examen a plutôt porté sur la question de savoir si d’autres sources scientifiques pouvaient modifier les conclusions initiales de l’évaluation scientifique. Les demanderesses soutiennent que la question relative à la portée du projet de décret et la question de savoir si la preuve de toxicité était suffisante pour justifier une inscription générale devaient être tranchées à la lumière de la science et auraient dû être prises en considération dans l’analyse.

[128] Dans leur avis d’opposition, les demanderesses ont notamment avancé l’argument suivant :

[traduction]

[...] L’effet nocif potentiel relevé dans l’analyse de la littérature concerne uniquement quelques macroplastiques en particulier. Toutefois, le projet de décret ne propose pas d’inscrire ces macroplastiques en particulier, ni tous les macroplastiques. Il propose plutôt de créer une catégorie (« articles manufacturés en plastique »), qui inclurait tous les produits fabriqués à partir de plastique au Canada.

Par conséquent, l’analyse de la littérature a relevé un effet nocif potentiel pour une substance qui n’est pas proposée à des fins d’inscription, et la substance proposée à des fins d’inscription (« articles manufacturés en plastique ») n’est pas la substance qui est identifiée comme étant susceptible d’avoir des effets nocifs sur l’environnement.

Dans l’analyse de la littérature, les « articles manufacturés en plastique » n’ont pas été étudiés ni examinés et ne font l’objet d’aucune conclusion. De plus, aucun lien n’a été établi dans l’analyse entre les « articles manufacturés en plastique » et les quelques déchets de macroplastiques relevés comme présentant un risque.

Par conséquent, les « articles manufacturés en plastique » ne satisfont pas aux critères de toxicité énoncés à l’article 64 et ne peuvent pas être inscrits à l’annexe 1.

[129] Le MECC a répondu de la manière qui suit aux motifs d’opposition présentés par les demanderesses à l’égard de la décision par laquelle il a refusé de constituer une commission de révision. Cette réponse ne traite pas explicitement de la portée du projet de décret :

J’ai examiné attentivement et à fond les questions soulevées dans votre avis d’opposition. J’ai également examiné attentivement les références supplémentaires que vous avez fournies. Étant donné que l’information scientifique et les références supplémentaires fournies dans votre avis n’ont pas soulevé suffisamment d’incertitudes ou de doutes quant aux considérations scientifiques qui sous-tendent le projet de décret pour justifier la constitution d’une commission de révision, je rejette donc votre demande à cet effet. Les considérations scientifiques qui sous-tendent le projet de décret sont liées à la capacité qu’ont les macroplastiques d’avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement ou sur la diversité biologique, conformément à l’article 64 de la LCPE.

Dans votre avis d’opposition, vous avez déclaré que les risques démontrés que présentent les macroplastiques sont liés à la présence de matériel de pêche. L’Évaluation scientifique de la pollution plastique ne vise pas à tirer des conclusions au sujet d’éléments précis, mais plutôt à étudier l’état de la science dans le domaine de la pollution plastique. Des données probantes rapportées dans l’Évaluation scientifique indiquent que le matériel de pêche perdu, abandonné ou jeté est une cause courante d’emmêlement pour des organismes, et des données complémentaires démontrent que d’autres articles en plastique également peuvent leur causer des lésions. Par exemple, des organismes aquatiques peuvent s’emmêler, parfois mortellement, dans des articles faits de macroplastiques. En ce qui concerne l’ingestion de ces matières, l’Évaluation scientifique résume plusieurs études qui indiquent que les articles faits de macroplastiques peuvent, par ingestion, être préjudiciables aux organismes.

Vous avez également indiqué être d’avis que cette Évaluation scientifique ne reposait pas sur des principes scientifiques solides. Je peux vous assurer qu’en préparant l’Évaluation scientifique, nous avons examiné l’état actuel de la science concernant la pollution par les plastiques et nous reconnaissons clairement que des incertitudes demeurent et des lacunes en matière d’information de haute qualité dans plusieurs des domaines à l’étude. De plus, le rapport a fait l’objet d’une évaluation externe par les pairs, notamment des experts nationaux et internationaux, et d’une consultation publique de 90 jours. Les études scientifiques dont il est question dans le rapport ont été validées en fonction d’un ensemble de critères qualitatifs qui sont abordés dans les sections pertinentes du rapport. Les limites des études sont clairement indiquées dans le texte.

Dans votre avis d’opposition, vous mentionnez en outre les lacunes en matière de connaissances dans l’Évaluation scientifique de la pollution plastique, liées au manque de fiabilité dans l’utilisation de l’identification visuelle des microplastiques, et que l’estimation de 1 % des déchets plastiques produits annuellement au Canada est non fondée. Comme cette information n’était pas liée aux données scientifiques à l’appui du projet de décret, je n’en ai pas tenu compte dans ma décision concernant la mise sur pied d’une commission de révision.

En ce qui concerne les points non scientifiques soulevés dans votre avis d’opposition, ils font actuellement l’objet d’un examen en même temps que d’autres commentaires reçus au sujet du projet de décret et seront abordés dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui sera publié avec le décret définitif.

[130] Selon les défendeurs, le MECC n’avait pas à prendre en considération la portée du décret pour décider de constituer ou non une commission de révision. Il s’agissait plutôt d’un élément qu’il devait prendre en compte pour décider s’il recommandait au gouverneur en conseil d’inscrire les articles manufacturés en plastique à l’annexe 1. Les défendeurs soutiennent que, si le MECC était convaincu que l’évaluation scientifique démontrait que les articles manufacturés en plastique « pénètrent ou peuvent pénétrer dans l’environnement en une quantité ou concentration ou dans des conditions de nature à avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement ou sur la diversité biologique », il ne resterait que la question de savoir si les avis d’opposition contenaient des renseignements qui viendraient modifier cette conclusion fondamentale.

[131] Ils affirment néanmoins que le MECC était convaincu que la preuve ne permettait pas de conclure que les articles manufacturés en plastique sont toxiques au sens de l’article 64 de la LCPE et qu’il n’y avait pas d’information scientifique dans les motifs d’opposition des demanderesses pour mettre en doute cette conclusion.

[132] Toutefois, aucune de ces explications ne figure dans la décision du MECC de refuser de constituer une commission de révision.

[133] Dans le mémoire au MECC sur les avis d’opposition, il est indiqué que les motifs d’opposition qui n’étaient pas scientifiques n’ont pas été pris en considération pour formuler la recommandation de rejeter la demande de constitution d’une commission de révision, car ils ne se rapportaient pas au mandat de la commission de révision. Le mémoire précise que la décision définitive relative au décret et le REIR s’y rapportant traiteraient de ces motifs d’opposition. Le mémoire renvoie à une annexe détaillant les motifs d’opposition non scientifiques, qui comprenaient la [traduction] « [j]ustification d’une inscription ayant une vaste portée fondée sur les conclusions de l’évaluation scientifique ».

[134] En conséquence, le mémoire indique que la recommandation n’était pas d’examiner la suffisance des données scientifiques en ce qui a trait à l’inscription des articles manufacturés en plastique. Les défendeurs affirment que la conclusion de l’évaluation scientifique est que [traduction] « tous les types d’articles en plastique peuvent causer des dommages lorsqu’ils sont rejetés dans l’environnement – quelle que soit leur forme, leur taille, ou leur utilité au moment du rejet ». Or, comme je l’ai indiqué précédemment, l’évaluation scientifique ne contient aucune pareille conclusion.

[135] Les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et des préoccupations centrales soulevées par les parties. Le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise : Vavilov, au para 127-128, réitéré dans l’arrêt Mason, au para 74.

[136] À mon avis, la question relative à la portée du projet de décret était un argument central qui remettait en question le caractère suffisant des données scientifiques. Pour cette raison, le MECC aurait dû traiter de cette question dans sa réponse. Puisque le MECC n’a pas mentionné l’argument, il est impossible de savoir s’il en a tenu compte ou s’il l’a regroupé avec les préoccupations non scientifiques qui étaient fondées sur des politiques. Compte tenu de ce manque de transparence et d’exhaustivité, la décision par laquelle le MECC a refusé de constituer une commission de révision est déraisonnable.

C. Le décret est-il anticonstitutionnel parce qu’il ne relève pas de la compétence fédérale en matière de droit criminel?

[137] La deuxième contestation du décret porte sur la constitutionnalité de celui-ci. Les demanderesses allèguent que le décret ne relève pas de la compétence fédérale en matière de droit criminel.

[138] Pour qu’une loi relève du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, elle doit comporter les trois éléments suivants : 1) elle doit avoir un objet de droit criminel; 2) prévoir une interdiction; 3) et une sanction qui l’appuie; Hydro-Québec, aux paras 34-36 et 119; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61 aux paras 35-36; Groupe Maison Candiac inc c Canada (Procureur général), 2020 CAF 88 [Groupe Maison] au para 49; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 RCS 783 au para 27.

[139] Dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour suprême du Canada a confirmé, au paragraphe 132 de ses motifs, que la protection de l’environnement, au moyen d’interdictions concernant les substances toxiques, est un « un objectif public tout à fait légitime dans l’exercice de la compétence en matière de droit criminel ». Il s’agit d’un objectif public suffisant pour justifier une interdiction criminelle qui ne se fonde sur aucun des autres objectifs traditionnels du droit criminel (santé, sécurité, ordre public, etc.) : Syncrude Canada Ltd c Canada (Procureur général), 2016 CAF 160 [Syncrude] au para 49 en référence à l’arrêt Hydro-Québec, et citant un extrait de l’opinion des juges dissidents qui partageaient le point de vue du juge La Forest.

[140] La Cour suprême du Canada a examiné le régime législatif relatif à l’inscription des substances toxiques à l’annexe 1 de la LCPE (avant 1999) et la possibilité de réglementer ces substances par la suite. Elle a jugé qu’il y avait suffisamment de limites (appelées « guardrails » (balises) par les demanderesses) dans le cadre législatif pour interpréter la législation de manière restrictive et la maintenir dans les limites constitutionnelles de la compétence fédérale en matière de droit criminel. La Cour suprême s’est exprimée comme suit aux paragraphes 130 et 146 de l’arrêt Hydro-Québec en ce qui concerne la partie II, l’article 11 et le paragraphe 34(1) de la LCPE 1988, qui sont devenus la partie 5 et les articles 64 et 93 de la LCPE, suivant les modifications de 1999 :

Je conclus que le Parlement peut, en vertu de sa compétence en matière de droit criminel, édicter validement des interdictions relatives à des actes précis en vue de prévenir la pollution ou, autrement dit, le rejet de certaines substances toxiques dans l’environnement. Je comprends très bien qu’une interdiction particulière pourrait être générale ou globale au point d’être considérée, de par son caractère véritable, comme visant réellement à réglementer un domaine relevant des provinces et non pas exclusivement à protéger l’environnement. Une interdiction absolue comme celle‐là (et ce serait également le cas de toute interdiction visant généralement à protéger la santé) serait de toute façon probablement impossible à appliquer. Mais, en l’espèce, on s’attaque en fin de compte au fait que les dispositions contestées accordent au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire si vaste qu’il permet de rendre des ordonnances qui excèdent la compétence fédérale. J’imagine que certains types de mesures législatives peuvent soulever de très belles questions à ce sujet, même si, dans un tel cas, on avait tendance à interpréter strictement le texte législatif en cause ne serait‐ce que pour le garder dans les limites fixées par la Constitution. Mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin en l’espèce, car, me semble‐t‐il, comme nous le verrons, lorsqu’on lit attentivement la Loi, il devient assez évident que le Parlement a bel et bien agi conformément à sa compétence.

[...]

En résumé, j’estime que la partie II a généralement pour objet et pour effet de prescrire une procédure permettant d’évaluer si, parmi les nombreuses substances qui peuvent, en théorie, être visées par l’art. 11, certaines devraient être ajoutées à la liste des substances de l’annexe I, et de déterminer, lorsqu’on prend un arrêté en ce sens, s’il y a lieu d’interdire, sous peine de sanction, l’utilisation de la substance ainsi ajoutée de la manière prévue dans le règlement pris en vertu du par. 34(1). Ces substances inscrites sur la liste, toxiques au sens ordinaire du terme, sont celles que la Loi interdit, en fin de compte, d’utiliser d’une manière contraire au règlement. C’est une interdiction limitée qui s’applique à un nombre limité de substances. L’interdiction est assortie d’une peine en cas de non‐respect et s’appuie sur un objectif pénal valide et est donc une mesure législative pénale valide.

[141] Les demanderesses ne contestent pas les conclusions tirées dans l’arrêt Hydro-Québec ni la validité constitutionnelle du paragraphe 90(1), de l’alinéa 64a), de l’article 93 et de l’annexe 1 de la LCPE. Dans le cadre de la présente demande, les demanderesses contestent plutôt la constitutionnalité du décret et de l’inscription correspondante des articles manufacturés en plastique à l’annexe 1. Leurs arguments comportent deux volets. Premièrement, elles font valoir que le décret ne cherche pas à restreindre les substances toxiques, mais plutôt à gérer les plastiques dans l’économie. Deuxièmement, elles soutiennent que la portée du décret dépasse les balises établies dans l’arrêt Hydro-Québec et les limites constitutionnelles prévues par le régime législatif sous-jacent.

[142] Le contrôle d’une loi pour des motifs fondés sur le fédéralisme s’effectue selon un cadre d’analyse en deux étapes. À la première étape (l’étape de la « qualification »), la cour doit examiner l’objet de la loi ainsi que ses effets afin de déterminer l’objet véritable de la loi en question, c’est-à-dire son « caractère véritable ». Ensuite, la cour passe à la deuxième étape (l’étape de la « classification ») et évalue si l’objet de la loi contestée relève du chef de compétence invoqué pour soutenir la validité de la loi. (Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48 au para 86; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.) au para 15).

[143] Plusieurs principes fondamentaux sont également pertinents aux fins de l’analyse, notamment le fédéralisme coopératif, les effets accessoires et la règle du double aspect.

[144] Le fédéralisme et le partage des pouvoirs sont des principes fondamentaux qui sous-tendent la Constitution canadienne : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 aux para 32, 55-60. La fédération canadienne repose sur le principe selon lequel les deux ordres de gouvernement sont coordonnés, et non subordonnés. Un chef de compétence fédérale ne saurait se voir attribuer une teneur qui viderait de son essence une compétence provinciale : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66 au para 71.

[145] La doctrine du « caractère véritable » repose sur la reconnaissance de l’impossibilité pratique qu’une législature exerce efficacement sa compétence sur un sujet sans que son intervention ne touche incidemment à des matières relevant de la compétence de l’autre ordre de gouvernement : Banque canadienne de l’Ouest c Alberta, 2007 CSC 22 [Banque de l’Ouest] au para 29. Les effets accessoires, qui peuvent avoir une importance pratique, n’auront pas d’incidence sur la constitutionnalité d’une loi, tant que l’objectif principal de la loi relève validement d’un chef de compétence attribué au Parlement : Banque de l’Ouest, au para 28; Syncrude, aux paras 61-70; Groupe Maison, au para 46; Renvoi relatif à la Loi sur la non‐discrimination génétique, 2020 CSC 17 au para 22.

[146] Selon la théorie du double aspect, certaines matières peuvent faire intervenir à la fois des compétences provinciales et fédérales. Comme l’a souligné le juge La Forest relativement aux substances toxiques dans l’arrêt Hydro-Québec au paragraphe 131 de ses motifs, « le recours à la compétence fédérale en matière de droit criminel n’empêche nullement les provinces d’exercer les vastes pouvoirs que leur confère l’art. 92 pour réglementer et limiter la pollution de l’environnement de façon indépendante ou pour compléter les mesures fédérales ».

1) Le caractère véritable

[147] La notion de caractère véritable de la loi a été décrite comme l’« objet principal », l’« idée maîtresse », la « caractéristique principale ou la plus importante » de la loi : Renvoi relatif à la Loi sur la non‐discrimination génétique, au para 29.

[148] À l’étape de la qualification, le caractère véritable doit être identifié sans égard aux chefs de compétence législative, à défaut de quoi « l’exercice tout entier risque d’être confus et indûment axé sur les résultats » : Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11 [Renvois relatifs à la LTPCGES] au para 56. La Cour examine l’objet et l’effet du décret pour déterminer son objectif principal : Québec (Procureur général) c Canada (Procureur général), 2015 CSC 14 au para 29; Syncrude, au para 39. L’objectif est dégagé à partir du décret lui-même – c’est-à-dire la preuve intrinsèque – mais également en ayant recours à des éléments de preuve extrinsèques, comme le REIR et les rapports gouvernementaux sur lesquels le texte législatif est fondé : Syncrude, au para 39. L’analyse consiste ensuite à déterminer les effets juridiques et pratiques du décret, qui consiste à s’interroger sur l’application du texte législatif dans les faits et sur la manière dont il influe sur les droits et les obligations de ceux qui sont assujettis à ses dispositions : Renvois relatifs à la LTPCGES, au para 70.

[149] Les demanderesses soutiennent que le décret vise essentiellement à gérer les plastiques dans l’économie, et non les substances toxiques dans l’environnement. La Saskatchewan et l’Alberta décrivent l’objectif du décret de façon encore plus générale; elles affirment qu’il vise simplement à réglementer les plastiques.

[150] Les défendeurs soutiennent que le caractère véritable du décret consiste à ajouter les articles manufacturés en plastique à l’annexe 1 de la LCPE afin d’autoriser l’exercice de pouvoirs délégués pour prévenir les dommages environnementaux associés à certains articles qui pénètrent dans l’environnement et qui causent de la pollution plastique.

[151] Les défendeurs soulignent que la précision est importante à l’étape de la qualification pour faciliter l’examen de la deuxième étape de l’analyse (l’étape de la classification). Ils citent le paragraphe 69 des Renvois relatifs à la LTPCGES, dans lequel la Cour suprême du Canada a rejeté la qualification générale, adoptée par les procureurs généraux de l’Alberta et de l’Ontario, du caractère véritable du texte législatif en question dans cette affaire – c’est-à-dire la réglementation des émissions de gaz à effet de serre –, au motif qu’elle était trop imprécise et ne reflétait pas l’objectif de la loi :

[...] Lorsqu’ils procèdent à la qualification d’une matière, les tribunaux doivent s’efforcer de le faire avec le plus de précision possible, parce qu’une formulation précise reflète plus exactement la nature véritable de ce que le Parlement a fait et souhaitait faire. En l’espèce, cela veut dire reconnaître — sans pour autant nier que le Parlement souhaite ultimement réduire les émissions de GES — le fait que, par cette loi particulière, ce dernier souhaitait établir des normes nationales minimales rigoureuses de tarification des GES afin de réduire les émissions de ces gaz.

[152] Les parties conviennent que lors de l’examen de la preuve intrinsèque, la Cour peut s’appuyer sur le titre et le libellé du décret.

[153] Le décret s’intitule Décret d’inscription d’une substance toxique à l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999). Le préambule indique que, conformément au paragraphe 90(1) de la LCPE, l’administrateur en conseil est convaincu que la substance visée par le décret, à savoir les articles manufacturés en plastique, est une substance toxique et que le décret est pris à cette cause. Le libellé du décret est succinct; il prévoit simplement ce qui suit : " L’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) est modifiée par adjonction, selon l’ordre numérique, de ce qui suit : 163 Articles manufacturés en plastique ».

[154] Les demanderesses prétendent que puisque le libellé du décret englobe tous les articles manufacturés en plastique, il vise à réglementer tous les articles manufacturés en plastique, et non seulement ceux qui présentent un risque pour l’environnement. Les défendeurs soutiennent que pour comprendre l’objectif et l’effet du décret, l’examen des éléments de preuve intrinsèques doit également tenir compte du régime juridique de la législation sous-jacente, en l’occurrence, la LCPE. Dans l’arrêt Syncrude, aux paragraphes 34 et 35 de ses motifs, la Cour d’appel fédérale a examiné l’approche à adopter en cas de contestation d’une ou de plusieurs dispositions d’une loi, et a souligné qu’à moins d’être claires à première vue, les dispositions contestées d’une loi doivent être considérées dans leur contexte :

[34] La Cour suprême du Canada a formulé la grille d’analyse lorsqu’est en cause la validité d’une loi adoptée en vertu de la compétence en matière de droit criminel. Dans le Renvoi relatif à la loi sur la procréation assistée, le juge en chef a observé que si la controverse concerne uniquement une ou plusieurs dispositions d’un texte législatif, contrairement à la loi dans son ensemble, la discussion pourrait commencer par l’examen de la ou des dispositions controversées sans prise en compte du contexte. Si la disposition, de prime abord, n’empiète pas sur l’autre compétence, alors il n’est pas nécessaire de poursuivre la discussion. Le juge en chef a poursuivi, cependant, et mentionné au paragraphe 17 « la nécessité de considérer ces dispositions dans leur contexte » et qu’il peut s’avérer nécessaire d’examiner le régime global afin de comprendre le but véritable et l’effet de la disposition contestée.

[35] Cette méthode n’est pas innovatrice : General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, 68 OR (2d) 512 [General Motors]. General Motors enseigne que la disposition controversée doit être examinée en deux étapes, premièrement par l’examen de la disposition elle-même et deuxièmement, par l’examen du contexte de la Loi dans son ensemble. Toutefois, la première étape met fin à l’analyse uniquement si la disposition est compréhensible en elle-même et manifestement valide. Conséquemment, si l’analyse de la disposition sans prise en compte du contexte nécessite un appel au regard sur des éléments législatifs supplémentaires pour sa compréhension, ou si la disposition, de prime abord, est d’une validité douteuse, alors une analyse plus large est inévitable.

[155] Les défendeurs affirment qu’il y a une constante dans le libellé, le préambule et les dispositions déclaratoires de la LCPE : l’objectif principal de la loi est de protéger l’environnement par la prévention de la pollution. L’un des moyens utilisés par la LCPE pour atteindre cet objectif est d’interdire, par voie réglementaire, les aspects des substances toxiques de son annexe 1 qui sont nocifs pour l’environnement. Ils soutiennent que le décret agit à titre de condition préalable qui permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements relatifs à des articles manufacturés en plastique qui sont conformes à l’objectif de la LCPE.

[156] Les parties conviennent que les éléments de preuve extrinsèques qui se rapportent à l’objectif du décret comprennent le REIR et l’ensemble des études et des rapports gouvernementaux qui ont précédé le décret, à savoir l’étude Deloitte, l’évaluation scientifique et le document de consultation.

[157] Le REIR définit les « enjeux » sous-jacents au décret comme étant la pollution plastique résultant « d’articles manufacturés en plastique qui sont jetés, éliminés ou abandonnés dans l’environnement en dehors d’un système de gestion des déchets (comme une installation de recyclage ou un site d’enfouissement) ». Il renvoie aux données scientifiques actuelles (tirées de l’évaluation scientifique) qui confirment que « la pollution plastique est omniprésente dans l’environnement, et que la pollution par les macroplastiques présente un danger pour l’environnement, comme des blessures physiques pour certains animaux et des dommages à leur habitat ».

[158] Selon le REIR, le décret vise à ajouter les articles manufacturés en plastique à l’annexe 1 de la LCPE, ce qui permettra « de proposer des mesures de gestion des risques en vertu de la LCPE, qui s’appliqueront à certains articles manufacturés en plastique afin de gérer les risques écologiques potentiels associés au fait que ces articles deviennent de la pollution plastique ». Toutefois, le REIR est plus restrictif que le décret. Le décret ne limite pas les substances à inscrire sur la liste à certains articles manufacturés en plastique, mais plutôt aux articles manufacturés en plastique en général. Le REIR ne fournit pas d’indications dans ses objectifs quant aux articles manufacturés en plastique qui devraient faire l’objet d’une réglementation plus poussée.

[159] Les défendeurs affirment que l’objectif énoncé dans le REIR confirme que le décret n’est pas destiné à avoir, à lui seul, un effet réglementaire substantiel. Il vise plutôt à permettre aux ministres de proposer des mesures de gestion des risques pour gérer les risques écologiques potentiels associés au fait que ces articles deviennent de la pollution plastique.

[160] Les deux parties renvoient à des extraits du document de consultation. Les demanderesses soutiennent que le document de consultation indique que l’objet va au-delà de la restriction des substances toxiques et inclut la gestion des déchets et l’économie circulaire du plastique au sens large. Elles s’appuient sur l’extrait suivant du document de consultation :

Gérer les plastiques au moyen de la LCPE

Afin de passer à l’action, comme recommandé dans l’évaluation scientifique, le gouvernement du Canada a proposé d’utiliser les autorités habilitantes en vertu de la LCPE pour réglementer certains articles manufacturés en plastique. Cela permettra au gouvernement d’adopter un règlement qui cible des sources de pollution plastique et modifie les comportements aux étapes clés du cycle de vie des produits de plastique, comme la conception, la fabrication, l’utilisation, l’élimination et la récupération, afin de réduire la pollution et de créer les conditions pour réaliser une économie circulaire des plastiques.

[Notes de bas de page omises.]

[161] Cette orientation plus large est conforme à l’étude Deloitte et à la stratégie zéro déchet plastique, qui décrivent « l’approche d’économie circulaire » du Canada et sa vision vers l’objectif zéro déchet plastique. Comme indiqué dans la stratégie zéro déchet plastique, « [l]a vision consiste à conserver tous les plastiques dans l’économie et hors de l’environnement » grâce à l’interdépendance de trois domaines d’activité comme éléments d’un système intégré : la prévention, la collecte et le nettoyage, et la récupération de la valeur.

[162] Les rapports font état d’une préoccupation générale concernant les dommages environnementaux résultant de la pollution plastique et de la nécessité de recourir au régime d’interdiction de la LCPE pour créer une approche intégrée portant sur la prévention de la pollution ainsi que sur la gestion des déchets plastiques. Il y aura une réduction de la pollution plastique s’il y a une réduction des déchets plastiques en général parce qu’il y aura moins de déchets qui finiront en dehors du système de gestion des déchets.

[163] Bien que les demanderesses soutiennent que la référence à l’économie circulaire témoigne d’une intention de réglementer les plastiques sans lien avec les dommages environnementaux, je ne crois pas qu’il s’agit de l’objectif du décret. Le décret, de par son objectif énoncé dans le REIR, vise à faciliter un aspect de l’approche intégrée, à savoir l’inscription des articles manufacturés en plastique sur ce qui était la liste des substances toxiques, afin que ces articles puissent être réglementés pour gérer les dommages environnementaux potentiels associés au fait qu’ils deviennent de la pollution plastique. Le décalage existant est attribuable à l’étendue de ce qui est inscrit sur la liste dans le décret.

[164] Pour déterminer le caractère véritable, la Cour peut également prendre en compte les effets juridiques et pratiques du décret, c’est-à-dire la manière dont le décret se traduit dans les faits pour « influe[r] sur les droits et les obligations de ceux qui sont assujettis à ses dispositions » : Renvois relatifs à la LTPCGES, au para 70. Bien que cette partie de l’analyse puisse, dans certains cas, clarifier l’objectif principal, les parties conviennent en l’espèce que le décret lui-même n’a pas d’incidence sur les droits et les obligations des Canadiens; il vise plutôt le gouverneur en conseil et ses pouvoirs de réglementation au titre de l’article 93 de la LCPE.

[165] Il n’existe qu’un seul exemple de texte réglementaire visant une substance inscrite sur la liste des substances toxiques, à savoir le Règlement interdisant les plastiques à usage unique, qui vise à interdire certains plastiques à usage unique. Bien que ce règlement cible des articles de plastique à usage unique précis utilisés ou traités dans des circonstances particulières, rien ne donne à penser qu’ils représentent toute l’étendue de la réglementation qui pourrait être prise en vertu du pouvoir du gouverneur en conseil en ce qui concerne les plastiques à usage unique ou d’autres articles manufacturés en plastique. Le décret a pour effet d’assujettir tous les articles manufacturés en plastique aux pouvoirs de réglementation prévus à l’article 93 de la LCPE.

[166] À mon avis, l’objectif principal ou le caractère véritable était d’inscrire les articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques afin que ces articles puissent être réglementés pour gérer les dommages environnementaux potentiels associés au fait qu’ils deviennent de la pollution plastique.

2) Le décret est-il ultra vires de la compétence fédérale?

[167] Comme il a été mentionné précédemment, pour qu’une loi relève de la compétence fédérale en matière de droit criminel, elle doit avoir un objet de droit criminel et inclure une interdiction ainsi qu’une sanction qui l’appuie. La contestation porte ici sur la question de savoir si le décret poursuit un objectif de droit criminel.

[168] Comme il est indiqué dans l’affaire Attorney General for Ontario v Reciprocal Insurers, [1924] 2 AC 91 [Reciprocal Insurers] à la page 343, [traduction] « les mécanismes du droit criminel » ne peuvent pas être utilisés pour contrôler quelque chose qui ne relève pas de la compétence du Parlement.

[169] En outre, le Parlement ne peut pas contrôler une activité qui n’est pas en soi nocive ou dangereuse afin d’empêcher les formes nocives ou dangereuses de cette activité. Comme l’a

déclaré la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), au paragraphe 43 de ses motifs :

Tant les armes à feu que les automobiles peuvent être utilisées à des fins socialement acceptables. De même, les unes et les autres peuvent causer des blessures et la mort. Leurs principaux usages sont néanmoins fondamentalement différents. Les automobiles sont principalement des moyens de transport. Les dangers pour le public sont généralement involontaires et accessoires à leur usage. Les armes à feu, par contre, constituent un risque immédiat pour la sécurité dans plusieurs usages, voire tous les usages qui en sont faits. Les armes à feu sont souvent utilisées dans les crimes de violence, et notamment de violence familiale; les automobiles ne le sont pas. Le Parlement considère donc les armes à feu comme particulièrement dangereuses et a cherché à lutter contre ce danger en étendant le régime de permis et d’enregistrement à toutes les catégories d’armes à feu. Le Parlement n’a pas adopté la Loi sur les armes à feu pour les réglementer en tant qu’objets de propriété. La Loi ne traite pas d’assurance ou d’endroits où l’usage est permis. Par contre, elle traite des aspects du contrôle des armes à feu qui ont trait à leur nature dangereuse et à la nécessité d’en réduire l’usage abusif.

[170] Si l’arrêt Hydro-Québec a établi que la protection de l’environnement constitue un objet de droit criminel, c’est parce qu’elle a été évaluée en fonction d’un préjudice. C’était la protection de l’environnement, au moyen d’interdictions concernant les substances toxiques, qui constituait un objectif public tout à fait légitime dans l’exercice de la compétence fédérale en matière de droit criminel : Hydro-Québec, au para 132.

[171] Les demanderesses font valoir que tous les articles manufacturés en plastique ne peuvent pas être inscrits à l’annexe 1, même si l’intention est de réglementer uniquement les plastiques susceptibles de nuire à l’environnement, puisque les articles manufacturés en plastique, en tant que catégorie générale, ne présentent pas de risques pour l’environnement. L’évaluation scientifique n’a pas démontré qu’il existe une crainte raisonnée de préjudice pour chaque article manufacturé en plastique. En effet, dans le REIR, on affirme que le Parlement cherche seulement à interdire certains articles manufacturés en plastique qui posent des risques écologiques associés au fait que ces articles deviennent de la pollution plastique. Or, le décret et la liste ne comportent pas pareilles restrictions.

[172] Les défendeurs soulignent que le décret bénéficie d’une présomption de validité constitutionnelle : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.) au para 25.

[173] Les défendeurs soutiennent que l’étendue de la liste reflète la manière dont le régime législatif de la LCPE fonctionne en pratique : l’article 93 de la LCPE permet au gouverneur en conseil de réduire la portée de la compétence fédérale en matière de droit criminel afin d’atteindre les objectifs environnementaux de la LCPE. Ils affirment que la délégation générale d’un pouvoir de réglementation est constitutionnellement valide tant qu’il existe des contraintes constitutionnelles et administratives sur le pouvoir délégué autorisé par règlement. Les défendeurs renvoient aux paragraphes 87 à 88 des Renvois relatifs à la LTPCGES pour appuyer cette affirmation, malgré le contexte qui se distingue de la présente affaire :

[87] Dans la mesure où la LTPGES délègue à l’exécutif le pouvoir de prendre des règlements modifiant la loi, comme elle le fait au par. 168(4), cela constitue également une délégation permise en faveur du gouverneur en conseil. [...] Tout règlement établi de cette façon doit être conforme à la fois aux dispositions pertinentes de la loi habilitante et à l’objet dominant de celle‐ci (Waddell c. Governor in Council (1983), 8 Admin. L.R. 266 (C.S. C.‐B.), p. 292, cité dans Katz Group, par. 24), et il doit [traduction] « être visé par les conditions prescrites [par cette loi] et assujetti à celles‐ci » (Re Gray, p. 168). En conséquence, la portée du pouvoir délégué au par. 168(4) est restreinte par les conditions de la LTPGES et assujettie à celles‐ci. Le gouverneur en conseil ne peut utiliser le par. 168(4) de la LTPGES pour modifier la nature de la partie 1 de la loi, car tout exercice du pouvoir de prendre des règlements qui seraient incompatibles avec l’objet général de la loi, à savoir la réduction des émissions de GES par le moyen précis qui consiste à établir des normes nationales minimales de tarification rigoureuse des GES serait ultra vires de la LTPGES et susceptible de contrôle judiciaire. En outre, le pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le par. 168(4) est un pouvoir qui peut être révoqué par le Parlement.

[88] Il s’ensuit donc que, loin d’abdiquer son rôle de législateur en l’espèce, le Parlement a créé dans la LTPGES une politique de lutte contre les changements climatiques reposant sur l’établissement de normes nationales minimales de tarification rigoureuse des GES. Les paragraphes 166(2), 166(4) et 168(4) ainsi que l’art. 192 de la LTPGES ne font qu’autoriser l’exécutif à mettre en œuvre cette politique. Cette délégation de pouvoir respecte les limites constitutionnellement acceptables et les règles générales du droit administratif s’appliquent et ont pour effet de circonscrire l’exercice des pouvoirs discrétionnaires du gouverneur en conseil en vertu de toutes ces dispositions.

[174] Les défendeurs soutiennent par analogie qu’il existe des contraintes constitutionnelles et administratives inhérentes aux règlements pris en vertu de l’article 93 de la LCPE. Ils font valoir que l’inscription d’une substance toxique à l’annexe 1 ne modifie pas le partage des pouvoirs. Tout règlement pris à l’égard d’articles manufacturés en plastique ne sera constitutionnellement valide que dans la mesure où le règlement lui-même poursuit un objectif valide de droit criminel (Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée au para 84), et ne sera valide sur le plan administratif que s’il cadre avec le régime la LCPE. Si ce n’est pas le cas, le règlement peut être contesté.

[175] Les demanderesses prétendent que cet argument n’est rien de plus qu’une invitation à faire confiance, à savoir que le décret permettra au gouverneur en conseil d’exercer un contrôle sur tous les articles manufacturés en plastique sur la promesse que les règlements seront limités aux articles manufacturés en plastique qui posent un risque réel pour l’environnement. Elles soutiennent qu’elles ne devraient pas avoir à attendre que les règlements soient pris pour contester la constitutionnalité du décret. Je suis du même avis.

[176] Comme il est indiqué dans le dossier et comme le souligne la Saskatchewan, toutes les provinces participent activement à la réglementation des plastiques. La plupart des industries qui produisent ou utilisent des articles manufacturés en plastique seront assujetties à la réglementation provinciale, notamment en ce qui concerne les aspects environnementaux de leurs activités, comme la production et l’élimination des déchets. L’omniprésence du plastique dans la société signifie que la plupart des entreprises et des organisations utiliseront des articles manufacturés en plastique et relèveront de la compétence provinciale : Loi constitutionnelle de 1867, art 92(10), 92(13), 92(16).

[177] La LCPE prévoit de vastes pouvoirs en matière de réglementation à l’article 93 pour les substances énumérées à l’annexe 1.

[178] Bien que le régime réglementaire de la LCPE ait été jugé suffisant dans l’arrêt Hydro-Québec pour établir les deux autres aspects de la compétence fédérale en matière de droit criminel, c’est-à-dire que le pouvoir de créer des infractions en vertu de la LCPE pouvait être délégué au gouverneur en conseil ainsi que le pouvoir de déterminer la sanction appropriée pour les infractions réglementaires, cette délégation ne s’étendait pas à l’objet de droit criminel.

[179] Pour utiliser le droit criminel, l’objet de la restriction doit être réellement dangereux, c’est-à-dire qu’il doit y avoir un préjudice. Dans le cas contraire, la restriction n’est rien d’autre qu’une réglementation économique, qui ne satisfait pas au critère relatif à compétence fédérale en matière de droit criminel. Reference Re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] SCR 1; conf [1950] 4 DLR 689.

[180] Dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour suprême a jugé que la LCPE ne visait que les substances nocives pour l’environnement. La Cour suprême s’est exprimée ainsi au paragraphe 138 de ses motifs :

La Loi visait non pas à interdire l’utilisation, l’importation ou la fabrication de tous les produits chimiques, mais plutôt à ne toucher que les substances qui sont dangereuses pour l’environnement, et seulement si elles ne sont pas réglementées par la loi.

[181] L’intention de la LCPE est que seules les substances qui sont toxiques « au sens réel » figurent sur la liste des substances toxiques : Hydro-Québec, aux para 143-145. Le régime prévoit « une procédure permettant d’éliminer, parmi le très grand nombre de substances potentiellement nocives pour l’environnement ou la vie humaine, celles qui posent des risques importants de ce genre. Le ciblage précis de substances toxiques fondé sur une évaluation individuelle évite de recourir à des interdictions inutilement larges et à leur incidence sur l’exercice de pouvoirs provinciaux » : Hydro-Québec, au para 147.

[182] Cette structure et ce cadre n’ont pas changé avec les modifications apportées à la LCPE en 1999 ou avec l’ajout du principe de précaution.

[183] Sans l’exigence relative à la toxicité, les articles 64 et 90 de la LCPE n’auraient aucune raison d’être puisque n’importe quelle substance pourrait être inscrite à l’annexe 1, quelle qu’en soit la portée, à condition de faire l’objet de restrictions par voie réglementaire conformément à l’article 93. Pareille approche ne servirait pas la compétence fédérale en matière de droit criminel, car elle aurait pour effet de transformer la disposition en un pouvoir de réglementation général qui définirait tous les aspects de cette compétence fédérale par voie réglementaire.

[184] Comme il a été mentionné précédemment, tous les articles relevant de la catégorie des articles manufacturés en plastique ne sont pas susceptibles de susciter une crainte raisonnée de préjudice. Ceci est différent des exemples tels que le plomb et le dioxyde de carbone donnés par les défendeurs, qui sont des substances qui peuvent ne pas être intrinsèquement toxiques mais qui peuvent avoir des aspects ou des utilisations toxiques. Dans ce cas, la substance (articles manufacturés en plastique) est une vaste catégorie d’articles qui inclut des articles pour lesquels il n’y a pas de crainte raisonnable de préjudice environnemental. La nature large et exhaustive de la catégorie des articles manufacturés en plastique constitue une menace à l’équilibre du fédéralisme, car elle ne limite pas la réglementation aux seuls articles manufacturés en plastique qui sont réellement susceptibles de causer des préjudices à l’environnement.

[185] L’équilibre délicat analysé dans l’arrêt Hydro-Québec n’a pas été maintenu. Le mécanisme de filtrage sur lequel reposait la compétence fédérale en matière de droit criminel n’existe plus.

[186] L’article 93 ne permet pas de maintenir le décret dans le champ de compétence fédérale en matière de droit criminel. Le décret est ultra vires de la compétence fédérale en matière de droit criminel.

D. La Cour peut-elle considérer le principe de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement et, le cas échéant, le décret est-il contraire à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement, et donc, anticonstitutionnel?

[187] Les demanderesses, la Saskatchewan et l’Alberta soutiennent que la Cour ne devrait pas avoir à traiter du principe de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement, car il ne s’agit pas d’une question en litige entre les parties dans la présente affaire; dans l’avis de demande, les demanderesses allèguent que le décret ne relève pas de la compétence fédérale en matière de droit criminel uniquement, et le procureur général du Canada ne s’est pas opposé à cet argument en faisant valoir que le décret est constitutionnel du fait qu’il relève du pouvoir du Parlement de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement. Les demanderesses s’appuient sur l’arrêt R c Mortgentaler, [1993] 1 RCS 462, à la p 463, dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré « [qu’]un intervenant n’a pas le droit d’élargir la portée des questions en litige ou d’y ajouter quoi que ce soit. [...] Un intervenant se saurait soulever une nouvelle question pour le motif qu’elle constitue une réponse à un argument de l’appelant, si l’intimé n’a pas choisi de soulever cette question. »

[188] Dans l’arrêt Right to Life Association of Toronto and Area c Canada (Emploi, Développement de la main-d’œuvre et du Travail), 2022 CAF 67, le juge Stratas a souligné ce qui suit au paragraphe 14 de ses motifs, citant l’arrêt qu’il a rendu dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 174 aux paragraphes 55-56 :

[L]es intervenants ne sont rien de plus que des participants secondaires dans des actions en justice qui comptent déjà des parties. Ainsi, les intervenants doivent se limiter aux questions qui ont déjà été soulevées par les parties. Notre Cour s’est déjà exprimée ainsi :

[L]es intervenants sont des invités à une table qui est déjà mise et où les mets sont déjà disposés. Les intervenants peuvent commenter leur point de vue sur ce qu’ils voient, ce qu’ils hument et ce qu’ils goûtent. Ils ne peuvent en aucun cas ajouter d’autres mets à la table.

Autoriser les intervenants à en faire davantage reviendrait à modifier l’instance que les parties directement touchées – les demandeurs et les défendeurs – ont élaborée, et dans laquelle elles ont plaidé pendant des mois, ce qui risquerait fort d’entraîner un manquement à l’équité procédurale et une injustice.

[189] EDCOC contestent l’argument relatif à la compétence avancé par les demanderesses. Elles affirment que la théorie de l’intérêt national a été soulevée pour la première fois par la Saskatchewan et l’Alberta dans leurs mémoires d’intervenantes et qu’elles ne faisaient que répondre à ces arguments. Toutefois, comme la Saskatchewan et l’Alberta étaient tenues de déposer leurs mémoires avant les défendeurs, elles avançaient essentiellement que la théorie de l’intérêt national ne s’appliquait pas. On peut difficilement dire que la Saskatchewan et l’Alberta ont soulevé la question de la théorie de l’intérêt national lorsqu’elles se sont opposées à son application.

[190] Je conviens que la théorie de l’intérêt national n’est pas une question justiciable en l’espèce. De plus, même si elle pouvait être soulevée, je suis d’avis qu’il n’est pas approprié d’invoquer cette théorie pour défendre la contestation constitutionnelle, étant donné que l’inscription d’articles manufacturés en plastique n’a pas une unicité, une particularité et une indivisibilité qui la distingue clairement des matières d’intérêt provincial : Renvois relatifs à la LTPCGES, aux para 145-146, citant R c Crown Zellerbach Canada Ltd, [1988] 1 RCS 401. Il n’y a pas non plus de preuve directe de l’incapacité provinciale.

[191] Les demanderesses ne contestent pas le fait que la théorie du double aspect pourrait s’appliquer dans le contexte de l’intérêt national, de sorte que si le Parlement venait à avoir compétence à l’égard de la pollution plastique, il n’aurait pas compétence à l’égard de la gestion des déchets, qui relèverait toujours de la compétence des provinces : Renvois relatifs à la LTPCGES, aux para 120, 122, 126. Toutefois, elles prétendent que permettre au gouvernement fédéral de réglementer les articles manufacturés en plastique pourrait entraîner l’application du principe de la prépondérance fédérale, selon lequel la loi fédérale peut l’emporter sur la loi provinciale. Par conséquent, la théorie du double aspect doit être appliquée prudemment, afin de ne pas éroder l’importance accordée à l’autonomie provinciale dans la jurisprudence : Renvois relatifs à la LTPCGES, au para 128.

[192] Dans les circonstances, alors que la Cour suprême dans l’arrêt Hydro-Québec a conclu que la compétence fédérale en matière de droit criminel s’applique à la LCPE, je suis d’accord avec les demanderesses pour dire qu’il ne s’ensuit pas qu’un décret pris en vertu de la LCPE relèverait de la théorie de l’intérêt national plutôt que de la compétence fédérale en matière de droit criminel.

VI. Conclusion

[193] Pour tous ces motifs, je conclus que le décret et l’inscription correspondante des articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1 sont à la fois déraisonnables et inconstitutionnels.

VII. Réparations

[194] Les parties ne s’entendent pas sur les réparations qu’il est possible d’obtenir relativement à la présente demande, compte tenu du projet de loi S-5 et de l’abrogation de l’annexe 1, à savoir la liste des substances toxiques. Bien qu’elles conviennent que la Cour peut accorder une mesure de réparation déclaratoire selon laquelle le décret était à la fois nul et ultra vires à la date à laquelle il a été pris (R c Albashir, 2021 CSC 48 au para 38), elles ne s’entendent pas sur la question de savoir si d’autres mesures de réparation peuvent être ordonnées.

[195] Les demanderesses soutiennent que si l’instance n’est pas théorique, le décret peut alors être annulé, de sorte que les articles manufacturés en plastique seraient considérés comme n’ayant jamais été ajoutés à la liste des substances toxiques de l’annexe 1 : First Nation of Nacho Nyak Dun c Yukon, 2017 CSC 58 au para 58. En pratique, cela aurait pour effet de radier les articles manufacturés en plastique de la liste des substances toxiques de l’annexe 1 dans sa version antérieure à l’adoption du projet de loi S-5.

[196] Les demanderesses affirment qu’une telle radiation déclencherait l’application des dispositions transitoires du paragraphe 62(2) du projet de loi S-5, de sorte qu’on pourrait ordonner la radiation des articles manufacturés en plastique de l’annexe 1 actuellement en vigueur.

[197] Le paragraphe 62(2) du projet de loi S-5 est libellé ainsi :

62(2) Si la liste des substances toxiques de l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) est modifiée afin de radier une substance avant la date d’entrée en vigueur de l’article 58 de la présente loi et que cette substance est inscrite sur la liste des substances toxiques à la partie 1 ou à la partie 2 de l’annexe 1 de cette loi dans sa version postérieure à cette date, le gouverneur en conseil doit, dans les meilleurs délais suivant cette date, prendre un décret afin de radier la substance de la liste des substances toxiques sur laquelle elle figure.

62(2) If a substance is deleted from the List of Toxic Substances in Schedule 1 of the Canadian Environmental Protection Act, 1999 before the day on which section 58 of this Act comes into force but the substance is specified on the list of toxic substances in Part 1 or 2 of Schedule 1 of that Act as it reads after that day, the Governor in Council must as soon as feasible after that day make an order deleting the substance from the list of toxic substances on which it is specified.

[198] Selon les demanderesses, il serait absurde d’interpréter le projet de loi S-5 comme témoignant d’une intention d’inscrire sur la liste de l’annexe 1 des articles qui ne relèvent pas du régime de la partie 5 de la LCPE.

[199] Dans le même ordre d’idées, les demanderesses soutiennent que le même raisonnement qui a amené la Cour à conclure à l’inconstitutionnalité du décret et de l’inscription correspondante des articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1 – parce qu’il n’y a pas de crainte raisonnée que tous les articles manufacturés en plastique inscrits soient nocifs – s’applique à l’inscription des articles manufacturés en plastique sur la liste actuelle de l’annexe 1 telle qu’elle a été constituée dans le projet de loi S-5. Elles affirment donc que l’inscription des articles manufacturés en plastique sur la liste actuelle de l’annexe 1 ne peut être maintenue car elle serait ultra vires.

[200] Bien que les affirmations des demanderesses concernant la validité administrative et constitutionnelle de l’inscription sur la liste actuelle de l’annexe 1 puissent être fondées, le pouvoir d’« inscrire » des substances sur la liste actuelle de l’annexe 1, ou de « radier » des substances de celle-ci, appartient au gouverneur en conseil et non à la Cour. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire qu’en exerçant ce pouvoir, la Cour outrepasserait la compétence qui lui est conférée par la loi.

[201] Les réparations que la Cour peut accorder en matière de contrôle judiciaire relèvent des pouvoirs énoncés au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, RSC, 1985, c F-7, à savoir :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[202] Il ne s’agit pas des mêmes pouvoirs que ceux dont dispose le gouvernement en conseil en vertu de l’article 90 de la LCPE pour « inscrire » des substances sur la liste actuelle de l’annexe 1, ou pour « radier » des substances de celle-ci.

[203] En outre, une déclaration d’illégalité du décret n’irait pas jusqu’à supprimer les articles manufacturés en plastique de liste actuelle de l’annexe 1. Contrairement aux autorisations administratives, comme l’avis de conformité délivré en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) dans l’arrêt Apotex Inc c Bayer AG, 2004 CAF 242 au paragraphe 10, l’annexe 1 fait maintenant partie du projet de loi S-5. Comme il est indiqué dans l’arrêt R c Sullivan, 2022 CSC 19, aux paragraphes 45-46 des motifs, elle ne peut être radiée par une ordonnance de la Cour. Bien qu’une déclaration de nullité puisse conduire le gouverneur en conseil à ordonner la radiation des articles manufacturés en plastique de la liste actuelle de l’annexe 1, le pouvoir de prendre cette mesure est laissé à la discrétion du gouverneur en conseil.

[204] De même, je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que c’est le décret et non le projet de loi S-5 qui est contesté dans la présente demande. Par conséquent, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la validité constitutionnelle du projet de loi S-5. Bien que la conclusion de la Cour sur la validité constitutionnelle du décret puisse avoir une incidence sur la validité constitutionnelle de l’inscription des articles manufacturés en plastique sur la liste de l’annexe 1 constituée dans le projet de loi S-5, cette conclusion ne peut être tirée sans que les parties n’aient présenté d’autres arguments et éléments de preuve, notamment en ce qui concerne l’objet des modifications apportées à la LCPE à la suite du projet de loi S-5. Au vu des observations soumises à la Cour, je ne peux conclure qu’aucun élément de preuve pertinent ou argument substantiel ne sera présenté.

[205] Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, le redressement en l’espèce sera limité aux réparations que la Cour peut accorder en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, à savoir, notamment l’annulation du décret et un jugement déclarant nul et illégal le décret, avec effet rétroactif.

VIII. Les dépens

[206] Comme convenu par les parties, les dépens suivront l’issue de la cause, et seront donc adjugés aux demanderesses. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, les demanderesses disposeront d’un délai de 15 jours pour présenter leurs observations et les défendeurs disposeront ensuite d’un délai de 15 jours pour y répondre. Les observations de chaque partie ne doivent pas dépasser cinq pages.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-824-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. Le Décret d’inscription d’une substance toxique à l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), enregistré le 23 avril 2021, et publié le 12 mai 2021, dans la Gazette du Canada Partie II, Vol 155, no 10 est annulé rétroactivement et déclaré nul et illégal en date du 23 avril 2021.

  2. Les dépens sont adjugés aux demanderesses. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, les demanderesses disposeront d’un délai de quinze (15) jours à compter de la date du présent jugement pour présenter leurs observations et les défendeurs disposeront ensuite d’un délai de quinze (15) jours pour y répondre. Les observations de chaque partie ne doivent pas dépasser cinq (5) pages.

« Angela Furlanetto »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-824-21

 

INTITULÉ :

LA COALITION POUR UNE UTILISATION RESPONSABLE DU PLASTIQUE, DOW CHEMICAL CANADA ULC, LA PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE, SOCIÉTÉ DE PERSONNES, REPRÉSENTÉE PAR SA PARTENAIRE DE GESTION LA COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE et NOVA CHEMICALS CORPORATION c LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE LE MINISTRE DE LA SANTÉ, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, AMERICAN CHEMISTRY COUNCIL, AMERICAN FUEL & PETROCHEMICAL MANUFACTURERS, PLASTICS INDUSTRY ASSOCIATION, ENVIRONMENTAL DEFENCE CANADA INC. et OCEANA CANADA, PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ABERTA, PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 7 au 9 MARS 2023 ET LE 15 SEPTEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 NOVEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Jennifer Danahy

Jay Zakaib

Adam Heckman

 

POUR LES DEMANDERESSES

Andrew Bernstein

 

POUR LES DEMANDERESSES

Joseph Cheng

Andrew Law

Marilyn Venney

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

Lindsay Beck

Ali Naraghi

Randy Christensen

 

POUR LES INTERVENANTES ENVIRONMENTAL

DEFENCE CANADA INC. et OCEANA CANADA

 

Jenna Anne de Jong

Jean-Simon Schoenholz

 

POUR LES INTERVENANTES AMERICAN FUEL & PETROCHEMICAL MANUFACTURERS, PLASTICS INDUSTRY ASSOCIATION et AMERICAN CHEMISTRY COUNCIL

 

Manjit Singh

 

POUR L’INTERVENANTE

ANIMAL JUSTICE

 

Ryan L. Martin

Matthew Parent

 

POUR L’INTERVENANT

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DE L’ALBERTA

 

Tom Irvine

Noah Wernikowski

 

POUR L’INTERVENANT

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DE LA SASKATCHEWAN

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING WLG (Canada) LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

TORYS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

EcoJustice

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTERVENANTES ENVIRONMENTAL DEFENCE CANADA INC. et OCEANA CANADA

 

Norton Rose Fulbright Canada LLP

 

POUR LES INTERVENANTES AMERICAN FUEL & PETROCHEMICAL MANUFACTURERS,

PLASTICS INDUSTRY ASSOCIATION et

AMERICAN CHEMISTRY COUNCIL

 

Animal Justice

Toronto (Ontario)

M. Singh Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANTE

ANIMAL JUSTICE

 

Procureur général de l’Alberta

 

POUR L’INTERVENANT

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DE L’ALBERTA

 

Procureur général de la Saskatchewan

 

POUR L’INTERVENANT

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE

LA SASKATCHEWAN

 

 

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