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Date: 20231030


Dossier: T-858-22

Référence: 2023 CF 1437

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2023

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE:

MANVIR SINGH SAINI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant le refus par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, en date du 14 février 2022 : a) [traduction] « d’accorder au demandeur le droit d’être représenté par un avocat selon ce que lui reconnaît la loi » et b) [traduction] « de communiquer au demandeur les renseignements relatifs à une entrevue menée par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service), pour le compte d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’IRCC), en vue de procéder aux vérifications des antécédents liés à la sécurité dans le cadre de la demande de citoyenneté canadienne présentée par le demandeur, ce qui a été communiqué directement au demandeur par courriel en date du 14 février 2022 ».

II. Le contexte factuel

[2] Le demandeur est arrivé au Canada en février 2010, à l’âge de 17 ans.

[3] Il s’est vu reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention le 10 décembre 2010 à la suite de son ajout à la demande d’asile de sa mère. Il a demandé le statut de résident permanent le jour même.

[4] Depuis la fin de 2011, il a eu une ou deux entrevues par année avec des agents du SCRS à divers endroits, mais pas au siège de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), d’IRCC ou du SCRS.

[5] En juillet 2014, il a eu une entrevue avec le SCRS au siège de l’ASFC relativement à sa demande de résidence permanente. Bien qu’on lui ait dit qu’un interprète lui serait fourni sur demande, on ne lui a pas dit qu’il pouvait être accompagné d’un avocat lors de l’entrevue.

[6] Il est devenu résident permanent en mai 2015.

[7] Il a présenté une demande de citoyenneté le 19 juin 2018.

[8] En septembre 2021, l’ASFC l’a convoqué à une entrevue qui devait se tenir à son siège les 13 et 14 octobre 2021. Par la suite, l’entrevue a été reportée aux 9 et 10 novembre 2021.

[9] Le demandeur a ensuite été informé par courriel qu’il était autorisé à être accompagné d’un avocat lors de l’entrevue. Il a répondu par courriel qu’il serait présent avec son avocate et qu’un interprète serait nécessaire.

[10] Le 9 novembre 2021, il s’est présenté à l’entrevue avec son avocate. Deux représentants du SCRS étaient présents. L’un d’eux a informé l’avocate qu’elle pouvait prendre des notes pendant l’entrevue, mais qu’elle ne pourrait pas les conserver et qu’elle devrait les leur remettre. Le demandeur a été informé que ni lui ni son avocate ne pourraient avoir accès à ces notes plus tard.

[11] Ce jour-là, le représentant du SCRS les a induits en erreur lorsqu’il leur a dit que le Service appliquait une politique accessible au public qui encadre les notes rédigées par des avocats.

[12] Le SCRS les a ensuite informés qu’il n’existait pas de politique d’ordre public, mais qu’il s’agissait de sa politique interne d’exiger que les notes soient remises lorsque l’entrevue est susceptible de comporter des renseignements classifiés.

[13] L’avocate s’est alors élevée contre le manque d’équité de ce processus, particulièrement en ce qui concerne le droit du demandeur d’être représenté par un avocat.

[14] À la suite de son objection, l’entrevue a été suspendue le 9 novembre 2021 jusqu’à ce que les problèmes soulevés par l’avocate puissent être réglés.

[15] L’avocate du demandeur a formulé des observations au SCRS le 23 novembre 2021 au sujet du droit du demandeur à l’assistance d’un avocat et à une communication utiles.

[16] Aucune réponse n’ayant été reçue, des demandes de suivi ont été faites le 21 décembre 2021 et le 4 février 2022.

[17] Le 14 février 2022, le demandeur a reçu du SCRS, par l’intermédiaire d’un fonctionnaire d’IRCC, un avis de convocation à une entrevue avec le SCRS qui était fixée aux 1er et 2 mars 2022.

[18] Le demandeur a affirmé que l’avocate n’avait pas reçu l’avis, mais il s’est ensuite rétracté.

[19] Le 13 avril 2022, date à laquelle une demande d’autorisation modifiée a été présentée, aucune réponse n’avait été reçue du SCRS à l’égard des observations formulées par l’avocate en novembre 2021 et aucune information n’avait été communiquée relativement à l’entrevue avec le SCRS.

III. L’objet du contrôle

[20] Le demandeur a d’abord affirmé dans sa demande d’autorisation que les ministres (responsables de l’ASFC et d’IRCC) [traduction] « ont refusé la demande présentée par le demandeur pour établir s’il a droit à une assistance adéquate et à la communication, et ils ont conclu que le demandeur n’a pas droit à l’assistance d’un avocat selon ce que lui reconnaît la loi et qu’il n’a pas droit à la communication ».

[21] Le défendeur affirme dans son mémoire que le demandeur reconnaît maintenant que l’ASFC a informé son avocate par écrit, le 16 mars 2022, qu’elle pourrait prendre des notes pendant l’entrevue avec le SCRS et les conserver. La lettre indiquait également que l’entrevue porterait sur des questions liées à la sécurité et qu’aucun autre renseignement ne serait communiqué [traduction] « puisque cela compromettrait l’intégrité de l’enquête de sécurité ».

IV. Les questions préliminaires

[22] Le défendeur souligne que le demandeur n’a pas tenu compte du fait que certaines des questions soulevées dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ont été réglées. Par exemple, le demandeur a invoqué un motif de contrôle judiciaire fondé sur la possibilité de l’avocate de prendre des notes pendant une entrevue avec le SCRS et de les conserver. L’avocat du défendeur a écrit à l’avocate du demandeur pour l’informer qu’elle aurait la possibilité de prendre des notes (tel qu’en fait foi l’affidavit du défendeur), mais le demandeur n’a pas reconnu ce fait dans ses documents.

[23] Le demandeur affirme que cet échange se rapportait au privilège relatif au litige et qu’il est donc inadmissible.

[24] Le défendeur rétorque que l’avocate du demandeur a été informée de la position du défendeur avant la mise en état du dossier de demande et que cela ne faisait pas partie d’une offre de règlement. De toute façon, la question a été réglée, ce que l’avocate du demandeur a reconnu.

[25] Le défendeur estime que le demandeur sollicite indûment le contrôle judiciaire de questions interlocutoires, puisque l’objet du litige n’est pas une décision définitive à l’égard de sa demande de citoyenneté.

[26] Je suis du même avis. Aucune décision n’a encore été rendue à l’égard de la demande de citoyenneté du demandeur.

[27] Dans une lettre datée du 22 mars 2022, l’avocate du demandeur a répondu et elle a reconnu que la lettre du 16 mars 2022 avait réglé la question du droit à l’assistance d’un avocat et, [traduction] « [qu’]il sembl[ait] que la seule question en suspens par rapport à son entrevue [était] celle de la communication » [non souligné dans l’original]. Le demandeur a également réitéré sa demande de communication de renseignements supplémentaires.

V. Les questions en litige et la norme de contrôle

[28] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la Cour est saisie d’une décision susceptible de contrôle.

[29] Le défendeur allègue que le demandeur a désigné à tort le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en tant que partie au litige étant donné que le paragraphe 5(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés (les Règles) dispose que le défendeur d’une demande d’autorisation, lorsqu’il s’agit d’une question visée par la Loi sur la citoyenneté, est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[30] Par conséquent, le défendeur demande que l’intitulé soit modifié rétroactivement afin que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ne soit plus le défendeur désigné.

[31] Je conviens que cette modification est nécessaire et je rendrai une ordonnance en ce sens.

VI. Analyse

[32] À défaut de circonstances exceptionnelles, la Cour ne peut intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés. Le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé : voir Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 aux para 31–33 [CB Powell]; Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 aux para 35–36; Black c Canada (Procureur général), 2013 CAF 201 aux para 7–10 [Black]; Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 aux para 37–38 [Dugré].

[33] Le 28 avril 2022, à la suite d’une demande fondée sur l’article 9 des Règles, le défendeur a avisé le greffe de la Cour [traduction] « [qu’]aucune décision n’ayant encore été rendue à l’égard de la demande de citoyenneté du demandeur, il n’existe donc aucun motif de décision. »

[34] Dans l’arrêt Herbert c Canada (Procureur général), 2022 CAF 11 [Herbert], la Cour d’appel fédérale [la CAF] a conclu que la limite à l’exercice de recours interlocutoires était « quasi-absolue », en citant l’arrêt Dugré, au para 37. La CAF a souligné le fait que les circonstances « très rares » dans lesquelles une partie serait autorisée à contourner le processus administratif « exigent que les conséquences d’une décision interlocutoire soient à ce point “immédiates et radicales” qu’elles mettent en question la primauté du droit » : Dugré, au para 35, citant Wilson c Énergie atomique du Canada limitée, 2015 CAF 17, [2015] 4 RCF. 467, aux para 31-33.

VII. Conclusion

[35] Le demandeur n’a pas établi l’existence de circonstances exceptionnelles pouvant justifier sa demande de contrôle judiciaire de la décision interlocutoire.

[36] Compte tenu de tout ce qui précède, et après avoir examiné le dossier original, je conclus qu’il ne s’agit pas de circonstances exceptionnelles, comme le requiert l’arrêt CB Powell, qui pourraient justifier un contrôle judiciaire.

[37] La « décision » qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire est bel et bien une décision interlocutoire. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée et ne sera pas examinée.

[38] Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire de me pencher sur les arguments formulés par les parties au sujet du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire.

[39] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est retiré en tant que partie immédiatement et rétroactivement.


JUGEMENT dans le dossier T-858-22

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié, avec effet immédiat, afin que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit le défendeur désigné .

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

T-858-22

 

INTITULÉ:

MANVIR SINGH SAINI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 10 MAI 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT:

LE 30 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Hadayt Nazami

Soo-Jin Lee

POUr Le DEMANDEUR

 

David Knapp

 

POUr LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUr Le DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUr LE DÉFENDEUR

 

 

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