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Date : 20231116


Dossier : IMM-6655-22

Référence : 2023 CF 1515

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2023

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

FATEMEH SHAHBA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Mme Fatemeh Shahba, demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration (l’agent) a rejeté sa demande de permis d’études.

[2] Mme Shahba a été admise à un programme de maîtrise en leadership à l’Université Trinity Western. L’agent qui a examiné la demande de permis d’études de Mme Shahba n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002‑227 [le RIPR], en raison de l’objet de sa visite et des liens familiaux qu’elle entretient au Canada et en Iran.

[3] Selon les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), les motifs pour lesquels l’agent a rejeté la demande sont les suivants :

[traduction]

J’ai examiné la demande. La demanderesse est une ressortissante iranienne âgée de 36 ans, mariée, qui demande un permis d’études pour faire une maîtrise en leadership à l’Université Trinity Western. Compte tenu des études antérieures de la DP et de sa carrière actuelle, le programme envisagé constitue un plan d’action redondant et ne semble pas être une progression logique dans son cheminement professionnel. Études universitaires antérieures au programme de baccalauréat en gestion du tourisme. Actuellement, employée en tant que directrice du marketing. La DP ne soulève pas de raisons suffisamment impérieuses pour me convaincre que ce programme d’études internationales serait un atout. Elle voyage avec son époux et ses enfants à charge, et je crains que ses liens avec l’Iran ne soient pas suffisamment solides pour l’inciter à quitter le Canada. Il est prévu que la famille immédiate de la cliente l’accompagne au Canada, ce qui affaiblit ses liens avec l’Iran, puisque la présence de sa famille immédiate au Canada diminuera la motivation de la demanderesse à retourner en Iran. Après avoir soupesé les facteurs applicables dans le présent dossier, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs mentionnés précédemment, je rejette la demande.

[4] Les parties conviennent que la norme applicable au contrôle sur le fond de la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]; voir également Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 13.

[5] Mme Shahba affirme que l’agent a fourni deux raisons principales pour lesquelles sa demande de permis d’études a été rejetée : d’une part, le programme envisagé est considéré comme redondant et ne semble pas être une progression logique dans son parcours professionnel pour lequel le programme éducatif international serait bénéfique, d’autre part, elle voyagerait avec sa famille proche.

[6] Mme Shahba souligne qu’elle explique en détail dans sa demande les raisons pour lesquelles elle souhaitait suivre un programme de leadership, le lien avec son expérience dans le domaine de la gestion touristique et la manière dont le programme de maîtrise en leadership lui permettrait de faire progresser sa carrière dans ce domaine. Dans sa demande, elle mentionne également ses liens importants avec l’Iran, y compris des renseignements détaillés sur des liens familiaux étroits, un emploi qu’elle a l’intention d’exercer à un niveau supérieur grâce au programme, et une preuve du soutien de son employeur pour l’obtention d’un congé pour aller étudier au Canada afin qu’elle puisse occuper un poste supérieur à son retour. Elle a également produit des éléments de preuve démontrant un historique de voyages important et le fait qu’elle est toujours retournée en Iran. Mme Shahba soutient que la décision est déraisonnable, car les motifs de l’agent ne prennent pas en compte, contredisent ou déforment les éléments de preuve, et ne justifient pas les conclusions tirées.

[7] Mme Shahba affirme que, à la lumière du dossier, il n’est pas possible de comprendre pourquoi sa demande a été rejetée. L’agent a rejeté sa demande sans expliquer le « pourquoi » de sa décision. Mme Shahba soutient que les erreurs de l’agent sont les mêmes que celles qui ont mené la Cour à annuler les décisions des agents des visas dans les décisions suivantes : Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 608 (aux para 14‑15), Alem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 148 (aux para 13‑15), Borji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 339 (aux para 13, 15, 17), Nia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1648 (aux para 23‑25, 27‑29), Omijie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 878 (au para 14) et Taiwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 91.

[8] Le défendeur soutient que Mme Shahba n’a pas produit d’affidavit personnel et qu’elle n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une erreur au vu du dossier. Par ailleurs, bien que le défendeur n’allègue pas que la présente demande est sans objet, il affirme que l’absence d’affidavit personnel constitue une lacune, parce que Mme Shahba n’a pas démontré qu’elle a toujours besoin d’un permis d’études et qu’elle a intérêt à ce que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen : AlOmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 727 au para 37 [AlOmari].

[9] Le défendeur soutient que l’alinéa 179b) et le paragraphe 216(1) du RIPR exigent que le demandeur d’un permis d’études prouve qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, et que l’agent a raisonnablement conclu que Mme Shahba ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait à cet égard. Malgré les raisons invoquées par Mme Shahba pour justifier la nécessité de retourner en Iran, elle est prête à quitter l’Iran pour une longue période de deux ans et à déraciner son mari et ses enfants. L’agent a conclu qu’on ne lui avait présenté aucune raison suffisamment impérieuse démontrant qu’un programme d’éducation internationale serait un atout. Le défendeur affirme que, si on compare les responsabilités actuelles de Mme Shahba avec celles du poste supérieur, il n’y a aucune différence entre les tâches. Il était donc raisonnable pour l’agent de conclure qu’il n’y avait pas là de progression naturelle de carrière. La demande ne comportait pas de preuve claire des avantages que Mme Shahba s’attendait à recevoir et qui justifieraient une absence de deux ans.

[10] Le défendeur soutient que l’agent n’avait pas besoin d’examiner les antécédents de voyage de Mme Shahba. L’agent n’était pas tenu de renvoyer expressément à tous les éléments de preuve, et il est présumé avoir pris en considération toute la preuve dont il disposait : Hashem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 41 aux para 27‑29. Le défendeur soutient que l’agent n’a pas conclu à l’existence d’un lien suffisant avec l’Iran pour être convaincu que Mme Shahba retournerait dans son pays. Un demandeur ne peut pas se contenter d’affirmer qu’il quittera le Canada, il doit convaincre le décideur qu’il le fera réellement : Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 378 aux para 20‑21. Selon le défendeur, Mme Shahba n’est pas d’accord avec l’agent quant aux facteurs qu’il a jugés déterminants, mais elle n’a pas démontré que l’agent avait fait abstraction d’éléments de preuve.

[11] Je considère que l’absence d’affidavit personnel de la part de Mme Shahba n’a pas d’incidence sur la présente demande. Les arguments soulevés par Mme Shahba concernent des erreurs qui ressortent du dossier. À mon avis, il y a une distinction à faire d’avec l’affaire AlOmari. Dans cette affaire, la Cour avait des doutes sur le fait que le demandeur avait un quelconque intérêt dans la demande. L’avocat avait tenté de se retirer du dossier, parce qu’il n’était pas en mesure d’obtenir les instructions du demandeur, et la procédure concernait un permis de visite qui était manifestement requis pour une date déjà passée. La Cour a annulé la décision de l’agent, mais a conclu qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer l’affaire pour nouvel examen.

[12] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demanderesse a établi que la décision de l’agent est déraisonnable.

[13] Les motifs de l’agent des visas peuvent être brefs, et le défendeur a raison de dire que l’agent est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont il disposait. Toutefois, en lisant les notes du SMGC dans leur ensemble et dans le contexte du dossier présenté à l’agent, je n’arrive pas à comprendre le fondement des conclusions de l’agent. Par exemple, l’agent a conclu que le programme envisagé était [traduction] « considéré comme redondant et ne sembl[ait] pas être une progression logique dans [le] parcours professionnel [de Mme Shahba] ». Dans sa demande, Mme Shahba précise qu’elle a obtenu un diplôme de premier cycle en gestion du tourisme en 2016 et qu’elle travaille dans son domaine en tant que responsable du marketing depuis lors. Dans la lettre de son employeur, il est question de lui accorder un poste supérieur à la condition qu’elle obtienne un diplôme en leadership et en gestion. En ce qui concerne les liens avec l’Iran, Mme Shahba précise dans sa demande qu’elle avait une perspective d’emploi en Iran, ainsi que des obligations familiales et financières, et qu’elle avait l’habitude de voyager à l’extérieur du pays. Compte tenu des renseignements précis présentés dans la demande de Mme Shahba, je ne peux comprendre le fondement des réserves de l’agent selon lesquelles le programme serait redondant et les liens avec l’Iran insuffisants pour motiver le départ du Canada.

[14] Une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Vavilov, au para 126. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : ibid. Lorsque l’on considère les renseignements contenus dans la demande de permis d’études de Mme Shahba, il semble que l’agent n’ait pas tenu compte de renseignements et d’éléments de preuve pertinents ou qu’il les ait mal interprétés.

[15] Je suis du même avis que Mme Shahba, à savoir que les motifs invoqués par le défendeur sont des motifs que l’agent n’a pas formulés. Si une cour de révision peut « relier les points sur la page quand les lignes et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées », elle ne peut pas émettre d’hypothèses sur ce que le décideur a pu penser, ni fournir les motifs qui auraient pu être donnés ou formuler des conclusions de fait qui n’ont pas été tirées : Vavilov au para 97. Les motifs avancés par l’agent pour rejeter la demande de permis d’études de Mme Shahba, considérés dans leur contexte, ne permettent pas à la Cour de comprendre pourquoi il est parvenu à une décision défavorable. Je ne suis pas en mesure de comprendre le raisonnement de l’agent ni de « relier les points » sans émettre d’hypothèses ou fournir des motifs qui n’ont pas été donnés.

[16] En conclusion, l’agent n’a pas tenu compte des renseignements fournis dans la demande de Mme Shahba, notamment des raisons pour lesquelles elle a choisi de suivre le programme de maîtrise à l’Université Trinity Western et des éléments de preuve qu’elle a présentés au sujet de ses liens avec l’Iran. Les notes du SMGC ne fournissent pas de motifs transparents et intelligibles justifiant la décision de l’agent de rejeter la demande de Mme Shahba.

[17] La demande est accueillie, la décision de l’agent est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen.

[18] Aucune des parties n’a proposé de question pour certification. Je suis d’accord que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6655-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du 5 juin 2022 rendue par l’agent est annulée.

  2. La demande de permis d’études de la demanderesse est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Christine M. Pallotta »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6655-22

 

INTITULÉ :

FATEMEH SHAHBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 juin 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

LE 16 novembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Daniel M. Fine

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nimanthika Kaneira

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel M. Fine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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