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Date : 20231114


Dossier : IMM-10502-22

Référence : 2023 CF 1505

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

DONG MING ZHANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Dong Ming Zhang (la demanderesse) est une citoyenne canadienne. En juillet 2019, elle a présenté une demande de parrainage de son époux, Guanquan Zhang, afin qu’il puisse obtenir la résidence permanente conformément aux dispositions de parrainage conjugal depuis le Canada de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et du règlement connexe. Une décision n’a pas encore été rendue à l’égard de cette demande. Mme Zhang présente maintenant une demande au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) de rendre une décision.

[2] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que cette demande de mandamus est justifiée.

[3] M. Zhang, l’époux de la demanderesse, est né en Chine en mai 1993. Il est entré pour la première fois au Canada en avril 2012 à titre d’étudiant et y est resté en tant que travailleur étranger. La demanderesse et lui se sont mariés en mars 2019. Ils ont deux enfants nés au Canada. Comme je le mentionne plus haut, M. Zhang a présenté une demande de résidence permanente parrainée par la demanderesse.

[4] Le retard à rendre une décision finale quant à la demande de résidence permanente de M. Zhang s’explique par des préoccupations selon lesquelles il pourrait être interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR au motif qu’il se serait livré au blanchiment d’argent en lien avec une fraude à grande échelle prétendument commise par ses parents. En décembre 2017, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a établi le premier rapport circonstancié à cet effet en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, avant que M. Zhang et la demanderesse se marient. En mars 2018, un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a conclu que le rapport circonstancié était bien fondé et a déféré l’affaire à la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Toutefois, cette décision de déférer l’affaire a été annulée en juillet 2021 par contrôle judiciaire et l’affaire a été renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue : voir Zhang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 746. Par la suite, l’affaire a encore une fois été déférée à la SI pour enquête. Dans une mise à jour demandée par la Cour après l’audience, les parties ont indiqué que, pour le moment, il est prévu que l’enquête se déroule du 11 au 13 décembre 2023. La demande de parrainage présentée par la demanderesse est toujours en suspens en attendant l’issue de l’enquête.

[5] Le critère relatif à la délivrance d’une ordonnance de mandamus est bien établi. Dans l’arrêt Apotex c Canada (Procureur général) (1993), [1994] 1 CF 742 (CA) (conf par [1994] 3 RCS 1100), la Cour d’appel fédérale a énoncé les huit conditions préalables qui doivent être remplies pour qu’un demandeur obtienne une ordonnance de mandamus. En résumé, ces conditions sont les suivantes : 1) il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public; 2) l’obligation doit exister envers le requérant; 3) il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation; 4) lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, des principes additionnels s’appliquent; 5) le requérant n’a aucun autre recours; 6) l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique; 7) rien n’empêche, en vertu de l’équité, d’obtenir la réparation demandée; 8) compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue. Voir également Lukacs c Canada (Office des transports), 2016 CAF 202 au para 29.

[6] La présente demande tient principalement à la question de savoir si la demanderesse a établi qu’elle a un droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation du ministre de rendre une décision quant à sa demande de parrainage (la troisième condition établie dans l’arrêt Apotex). De façon générale, ce droit entre en jeu seulement si la partie qui sollicite un mandamus a satisfait à toutes les conditions pour qu’une décision soit rendue et a fait une demande en ce sens et si le tribunal a expressément refusé de rendre une décision ou s’il a trop tardé à le faire (voir Apotex, à la p 767). Dans la décision Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), [1999] 2 CF 33, la juge Tremblay‑Lamer a déclaré (à la p 43) que trois conditions devaient être remplies pour qu’un délai soit jugé déraisonnable : 1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie; 2) le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables; 3) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

[7] La demanderesse soutient que toutes les conditions sont remplies pour qu’une décision soit rendue à l’égard de sa demande de parrainage et que la seule question à trancher est celle de savoir si le ministre a trop tardé à rendre une décision. Elle fait valoir qu’elle a droit à une ordonnance de mandamus, car les questions de l’authenticité de son mariage avec M. Zhang et de son respect de l’article 133 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) à titre de répondante ne sont pas en litige, et parce qu’IRCC a trop tardé à rendre une décision à l’égard de sa demande de parrainage.

[8] En revanche, le défendeur soutient que, même si la demanderesse a rempli toutes les conditions pour devenir répondante, le droit à une décision ne s’est pas encore concrétisé parce que la question de l’admissibilité de M. Zhang doit d’abord être tranchée.

[9] Comme je l’explique ci-dessous, je suis d’accord avec le défendeur.

[10] La véritable question n’est pas de savoir si la demanderesse peut parrainer M. Zhang, mais plutôt de savoir si M. Zhang a droit à la résidence permanente au Canada. Cette question ne pourra être tranchée que lorsque la question de l’admissibilité de M. Zhang aura été résolue. Conformément au sous-alinéa 72(1)e)(i) du RIPR, M. Zhang ne peut devenir résident permanent tant qu’il n’a pas été établi qu’il n’est pas interdit de territoire. La demanderesse soutient qu’il n’est pas nécessaire pour IRCC d’attendre la décision finale de la SI quant à l’admissibilité de M. Zhang, mais elle ne fournit aucune jurisprudence pour étayer cette proposition contre-intuitive, et je n’en connais aucune. D’ailleurs, la SI manquerait à sa responsabilité légale si elle se prononçait sur l’admissibilité d’un étranger alors qu’une affaire le concernant lui a été déférée : voir le paragraphe 44(2) et l’article 45 de la LIPR. Il se peut fort bien qu’IRCC accueille la demande de parrainage, étant donné que l’admissibilité de la demanderesse à parrainer son époux ne semble soulever aucune question. Toutefois, tant que la SI n’aura pas tranché la question de l’admissibilité de M. Zhang, le fait d’ordonner à IRCC de terminer le traitement de la demande de parrainage n’aura aucune incidence sur le plan pratique, contrairement à la sixième condition établie dans l’arrêt Apotex.

[11] En outre, les plaintes de la demanderesse concernant le retard à traiter sa demande de parrainage sont en réalité des plaintes concernant le retard à établir l’admissibilité de M. Zhang. Je doute que la demanderesse ait qualité pour soulever cette question dans la présente demande. Quoi qu’il en soit, ces plaintes sont en effet des contestations indirectes du processus suivi par le ministre de la Sécurité publique, qui n’est pas partie à la présente demande, et du processus en cours devant la SI. Le ministre désigné comme partie n’est pas responsable de ce retard. D’ailleurs, toute préoccupation à l’égard du processus en cours devant la SI devrait être soulevée par M. Zhang auprès de ce tribunal, et non par la demanderesse auprès de la Cour.

[12] En d’autres termes, comme l’a formulé la demanderesse dans la présente demande, la seule question à trancher est de savoir si IRCC a trop tardé à rendre une décision quant à sa demande de parrainage. Comme la demanderesse le sait, le retard à rendre une décision tient au retard à établir si son époux est interdit de territoire. Toutefois, s’agissant de la présente demande, la Cour n’est pas dûment saisie de la question de savoir si ce dernier retard est raisonnable. Par conséquent, même si elle remplit toutes les conditions pour pouvoir parrainer la demande de résidence permanente de son époux, la demanderesse n’est pas en mesure de démontrer que le retard à rendre une décision a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie (la première condition établie dans la décision Conille). Ainsi, elle n’est pas en mesure d’établir qu’elle a un droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation du ministre de rendre une décision quant à sa demande de parrainage (la troisième condition établie dans l’arrêt Apotex).

[13] Cela ne signifie pas qu’IRCC peut toujours éviter les conséquences d’un retard de la part d’un autre organisme dans l’exercice de ses responsabilités au titre de la LIPR. Par exemple, le droit d’un demandeur d’obtenir l’exécution d’une obligation pourrait se concrétiser dans un cas où IRCC a déraisonnablement accepté le retard non justifié d’un organisme à exercer ses responsabilités. Toutefois, rien ne justifie une telle conclusion en l’espèce.

[14] Étant donné qu’elle n’a pas démontré que toutes les conditions établies dans l’arrêt Apotex sont remplies, la demanderesse n’a pas droit à une ordonnance de mandamus. La présente demande doit donc être rejetée.

[15] La demanderesse a proposé la question suivante aux fins de certification au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR : [TRADUCTION] « IRCC est-il habilité légalement à retarder l’octroi d’un statut d’immigration à un demandeur admissible au titre de la catégorie du regroupement familial parce qu’il fait l’objet d’une enquête? ». Le défendeur s’oppose à la certification de cette question.

[16] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la question proposée ne satisfait pas au critère de certification. Pour justifier sa certification, la question « doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » : Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au para 46; voir aussi Canada (Sécurité publique et Protection civile) c XY, 2022 CAF 113 au para 7. À mon avis, la question proposée n’est pas déterminante quant à l’issue de l’appel parce qu’elle porte sur une question qui n’entre pas dans la portée de la présente demande. Elle porte sur la demande de résidence permanente de M. Zhang, et non sur la demande de parrainage qui a été présentée par la demanderesse et qui fait l’objet de la demande de mandamus.

[17] Enfin, d’après l’intitulé initial, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté est constitué défendeur. Même s’il est ainsi couramment désigné, le nom du défendeur au titre de la loi demeure le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration : Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, art 5(2) et LIPR, art 4(1). Par conséquent, dans le cadre du présent jugement, l’intitulé est modifié afin que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.


JUGEMENT dans le dossier IMM-10502-22

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié, de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question de portée générale n’est soulevée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10502-22

 

INTITULÉ :

DONG MING ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juin 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 novembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Lawrence Wong

 

Pour la demanderesse

 

Richard Li

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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