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Date : 20231108


Dossier : IMM-7140-22

Référence : 2023 CF 1489

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

ROSHA NAGHIANFESHARKI

(REPRÉSENTÉE PAR
SA TUTRICE À L’INSTANCE,

ALIEH SHIRAZI MOGHADAM),

ALIEH SHIRAZI MOGHADAM

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire qui ont été réunies à l’encontre de deux décisions rendues par un agent [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], datées du 30 mai 2022 [les décisions], rejetant la demande de permis d’études présentée par la demanderesse principale [la DP] et la demande de visa de visiteur présentée par sa mère.

II. Les faits

[2] La DP est une fille âgée de sept ou huit ans. L’autre demanderesse est sa mère. Elles sont toutes deux citoyennes de l’Iran. En 2022, la DP a présenté une demande de permis d’études d’une durée d’un an dans le but d’étudier en deuxième année du primaire dans une école publique au Canada. Sa mère a demandé un visa de visiteur temporaire afin d’accompagner sa fille.

[3] La demande de la DP a été rejetée parce que 1) l’agent n’était pas convaincu que les fonds étaient suffisants ou disponibles pour financer son objectif, compte tenu de la situation des autres membres de la famille en Iran, et 2) le plan d’études et les études proposées étaient insuffisants étant donné les [traduction] « antécédents en matière d’emploi et d’études » de la petite fille et son [traduction] « cheminement de carrière ». En conséquence, l’agent n’était pas convaincu que la DP retournerait en Iran. Compte tenu de ces réserves et de l’appréciation de la [traduction] « situation socio-économique » de la mère faite par l’agent (sans aucune indication de ce que ce terme signifiait), il a également rejeté la demande de la mère.

III. Les questions en litige

[4] Les demanderesses soulèvent les questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse principale ne dispose pas de fonds suffisants?

  2. L’appréciation faite par l’agent du but de la visite de la demanderesse principale était-elle raisonnable?

  3. Les doutes soulevés par l’agent concernant le statut socio-économique de la demanderesse principale découlent-ils d’une analyse rationnelle?

[5] Respectueusement, la question en litige est de savoir si les décisions de l’agent sont raisonnables.

IV. Les décisions faisant l’objet du contrôle

[6] Deux décisions font l’objet du contrôle.

[7] Voici ce que les notes inscrites dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] mentionnent concernant la demande de l’enfant :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Compte tenu du plan d’études de la demandeure, les documents fournis à l’appui de sa situation financière ne démontrent pas que les fonds seraient suffisants ou disponibles. Je ne suis pas d’avis que les études proposées constitueraient une dépense raisonnable. Je note que la première année de scolarité a été prépayée. Cependant, les relevés bancaires restants qui ont été fournis ne sont pas suffisants pour subvenir au coût de la vie et aux frais de transport, si l’on tient compte de la situation des autres membres de la famille vivant en Iran. Le plan d’études ne semble pas raisonnable compte tenu des antécédents de la demandeure en matière d’emploi et d’études. Je souligne ce qui suit : -la demandeure n’a pas fourni son dossier scolaire précédent -Les études que la demandeure souhaite ne sont pas raisonnables compte tenu de son cheminement de carrière : la demandeure est une mineure qui présente une demande pour étudier en deuxième année. Aucun plan d’études n’a été fourni pour justifier des études internationales à ce niveau ni des avantages d’étudier la deuxième année du primaire à l’international. Après avoir soupesé les facteurs propres à la présente demande, je ne suis pas convaincu que la demandeure respectera les conditions qui lui seront imposées à titre de résidente temporaire. Pour les motifs susmentionnés, je rejette la présente demande.

[8] Pour la mère, les notes inscrites dans le SMGS sont les suivantes :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Le but du séjour ne semble pas raisonnable compte tenu de la situation socio-économique de la demandeure, et je ne suis donc pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé. La mère désirait accompagner son enfant qui a présenté une demande de permis d’études, mais celle-ci a été refusée. Après avoir soupesé les facteurs propres à la présente demande, je ne suis pas convaincu que la demandeure respectera les conditions qui lui seront imposées à titre de résidente temporaire. Pour les motifs susmentionnés, je rejette la présente demande.

V. Analyse

[9] La norme de contrôle applicable dans les cas de demandes de permis d’études et de visa de résident temporaire est celle de la décision raisonnable. En ce qui concerne le caractère raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, a exposé les critères d’une décision raisonnable et les exigences que doit respecter la cour qui procède à un examen selon la norme de la décision raisonnable. Au paragraphe 32, le juge Rowe conclut que la cour de révision « doit se demander “si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci” ».

[10] Après avoir examiné le dossier, y compris les observations écrites et orales, j’ai conclu que la décision de l’agent concernant l’appréciation de la situation économique était déraisonnable. Alors que les directives du ministre exigent des fonds suffisants pour payer les frais de scolarité, en plus de 10 000 $ pour la DP et 4 000 $ supplémentaires pour sa mère, le dossier indique que les frais de scolarité de 16 000 $ ont été payés en totalité. De plus, le dossier indique que les soldes des comptes bancaires s’élevaient à environ 30 900 $ CA en plus de 10 500 $ US. Les deux demanderesses possédaient beaucoup plus d’argent que ce qu’exigent les directives du ministre. Bien que l’agent ait tenu compte des besoins relatifs à [traduction] « la situation des autres membres de la famille vivant en Iran », je ne suis pas convaincu que cette appréciation soit justifiée. Aucun motif n’a été fourni. Je dois ajouter, comme l’ont fait remarquer les demanderesses, que l’agent n’a procédé à aucune appréciation à l’égard du père de la DP en Iran, qui est aussi l’époux de la mère.

[11] En ce qui concerne le but du séjour, comme je l’ai déjà mentionné, l’agent a critiqué le [traduction] « plan d’études » et les [traduction] « études proposées » par la DP en se fondant sur les [traduction] « antécédents en matière d’emploi et d’études » de l’enfant et son [traduction] « cheminement de carrière ». Les demanderesses soutiennent que ces conclusions sont absurdes.

[12] Le défendeur affirme que la DP n’a fourni aucun motif expliquant pourquoi elle souhaite étudier en deuxième année du primaire dans une école publique au Canada. L’opposition du défendeur au contrôle judiciaire est de nature plus générale. Dans son mémoire, le défendeur fournit un exemple de ce qu’un plan d’études raisonnable devrait être dans une affaire comme celle qui nous occupe (au paragraphe 22) :

[traduction]

« … aux fins de cette discussion, supposons que les parents de la demanderesse mineure ont indiqué dans la demande qu’ils souhaitaient qu’elle devienne une ballerine professionnelle ou une gymnaste de haut niveau. Supposons également qu’elle ait été inscrite dans une école en Iran qui offre ce type de formation spécialisée (en ignorant, pour le moment, les restrictions religieuses évidentes pour ce type d’activités en Iran). Les parents de la demanderesse mineure pourraient alors affirmer que l’école visée au Canada serait plus adaptée au cheminement de carrière qu’ils ont prévu pour leur enfant ou conforme à ses antécédents scolaires. Les commentaires de l’agent sur ce point n’étaient pas absurdes. »

[13] Dans sa plaidoirie, l’avocat du défendeur a suggéré qu’un enfant candidat pour Mensa pourrait être un candidat approprié pour un permis d’études lorsqu’une éducation spéciale peut être raisonnable.

[14] Je comprends que ces exemples peuvent être satisfaisants. Toutefois, à mon avis, ils sont trop rigoureux et pourraient, s’ils étaient adoptés, limiter de manière déraisonnable l’accès aux permis d’études alors que le ministre n’exprime pas une telle restriction dans les règlements, les politiques, les directives et les programmes pertinents. De même, aucune restriction de ce type ne se trouve expressément ou implicitement dans les décisions dont il est question dans la présente.

[15] À mon avis, la décision, à cet égard et sans plus, n’est pas suffisamment justifiée compte tenu du dossier ainsi que les règlements, les politiques et les directives applicables. À mon humble avis, je dis cela parce que le défendeur demande effectivement à la Cour de mettre fin au programme de permis d’études pour les jeunes enfants du primaire et aux visas de visiteurs pour les parents qui les accompagnent. La Cour décline cette invitation. Cela usurperait l’autorité du ministre dans son rôle d’établir qui peut et qui ne peut pas obtenir un permis d’études.

[16] Dans l’état actuel des choses, les enfants étrangers peuvent légalement présenter une demande de permis d’études canadien au niveau de la deuxième année du primaire sans devoir respecter les conditions très strictes et spéciales qui ont été suggérées. Des permis d’études canadiens sont offerts pour fréquenter à la fois les écoles primaires, les collèges et les universités. Il n’est pas nécessaire que les demandeurs aient des besoins éducatifs spéciaux.

[17] Plus fondamentalement, si de telles restrictions étaient effectivement voulues, elles auraient dû avoir été énoncées dans les motifs du décideur. Il n’appartient pas à la Cour de rédiger des motifs lorsque, comme en l’espèce, aucun étayant le sens suggéré n’a été donné.

[18] La demande de contrôle judiciaire de la DP sera accueillie. La décision à l’égard de la mère doit donc être annulée parce qu’elle reposait en grande partie sur le rejet de la demande de permis d’études de la DP.

VI. Conclusion

[19] Les demandes de contrôle judiciaire de la DP et de sa mère sont accueillies.

VII. Les questions à certifier

[20] Les parties ne proposent aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7140-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : les demandes de contrôle judiciaire de la DP et de sa mère sont accueillies, et les deux affaires sont renvoyées à un autre décideur pour nouvelles décisions. Aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7140-22

INTITULÉ :

ROSHA NAGHIANFESHARAKI (REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, ALIEH SHIRAZI MOGHADAM), ALIEH SHIRAZI MOGHADAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE SUR ZOOM

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 NOVEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 8 NOVEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Ali Esnaashari

POUR LES DEMANDERESSES

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Esna Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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