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Date : 20231108

T-252-19

T-254-19

T-258-19

T-259-19

T-261-19

T-262-19

Référence : 2023 CF 1488

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

Dossier : T-252-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

NADER GHERMEZIAN

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-254-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

MARC VATURI

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-258-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

GHERFAM EQUITIES INC

défenderesse

ET ENTRE :

Dossier : T-259-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

PAUL GHERMEZIAN

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-261-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

RAPHAEL GHERMEZIAN

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : T-262-19

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

JOSHUA GHERMEZIAN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente ordonnance et les présents motifs traitent des questions soulevées lors d’une conférence de gestion de l’instance [CGI] le 6 novembre 2023, après que les parties eurent présenté des observations écrites avant la CGI. Ces questions portent sur la question de savoir si la Cour devrait suspendre l’instance dans ces affaires en attendant l’issue de la demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada [la CSC] présentée par les défendeurs (et de tout appel subséquent) à l’égard du récent arrêt de la Cour d’appel fédérale [la CAF] dans l’affaire Ghermezian c Canada (Revenu national), 2023 CAF 183 [Ghermezian CAF] et, si aucune suspension n’est accordée, sur le processus que la Cour devrait adopter pour mener à terme l’instance, y compris l’octroi des dépens.

[2] Pour les raisons expliquées ci-dessous, je rejette la demande de suspension et je rends une ordonnance prescrivant les étapes et les délais pour l’achèvement de la présente instance, qui culminent avec l’octroi des dépens.

II. Contexte

[3] La présente instance se rapporte à six demandes présentées par le ministre du Revenu national [le ministre], par lesquelles il implore la Cour de rendre des ordonnances fondées sur l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la Loi]. Les défendeurs sont cinq personnes, tous membres de la famille Ghermezian élargie, et une société apparentée, Gherfam Equities Inc. Chacune des demandes du ministre vise à obliger le défendeur concerné à fournir les documents et les renseignements précédemment demandés par le ministre en vertu de l’article 231.1 ou de l’article 231.2 de la Loi.

[4] Le 23 février 2022, la Cour a rendu son jugement accompagné de ses motifs [le jugement initial] dans ces demandes. Ce jugement faisait droit aux demandes du ministre, sous réserve de certaines étapes restantes qui y étaient décrites, en vue d’appliquer les conclusions de la Cour par lesquelles certains moyens de défense soulevés par les défendeurs avaient été retenus, au type des ordonnances dans chaque demande. Une fois ces étapes terminées, la Cour a rendu les ordonnances le 8 juillet 2022. Ces ordonnances étaient accompagnées de motifs supplémentaires portant la même date, expliquant les conclusions de la Cour sur les principaux litiges en suspens entre les parties concernant le type d’ordonnance dans les six demandes, comme il est indiqué dans les observations écrites fournies par les parties après la publication du jugement initial [les motifs supplémentaires].

[5] Les défendeurs ont interjeté appel du jugement initial, et le ministre a interjeté un appel incident. Les défendeurs ont présenté une requête en suspension d’exécution du jugement initial (et de toute ordonnance subséquente), requête rejetée par la CAF dans une ordonnance datée du 13 mai 2022 [le rejet de la requête en suspension]. Les défendeurs ont également interjeté appel des ordonnances après que celles-ci eurent été rendues. Le 20 juillet 2022, avec le consentement des parties, la CAF a ordonné la jonction des appels et la suspension des ordonnances en attendant l’audience et la décision sur les appels [l’ordonnance de suspension].

[6] Le 1er septembre 2023, la CAF a rendu son jugement dans l’affaire Ghermezian CAF, par lequel il rejetait les appels des défendeurs et accueillait les appels incidents du ministre. En accueillant les appels incidents, dans l’arrêt Ghermezian CAF, la Cour a conclu que, conformément aux demandes présentées au titre du paragraphe 231.1(1) de la Loi, le ministre est autorisé non seulement à exiger la fourniture de documents, mais aussi à exiger la communication de renseignements qui n’y étaient pas consignés (aux para 14-42). La CAF a renvoyé ces demandes à la Cour afin que les parties aient l’occasion de lui demander de rendre de nouvelles ordonnances reflétant la question tranchée dans les appels incidents (au para 68).

[7] Le 6 octobre 2023, la Cour a tenu sa première CGI à la suite de la publication de l’arrêt Ghermezian CAF, afin de sonder les parties au sujet de leur position sur le processus que la Cour devrait adopter pour mener à bien l’instance et réexaminer les ordonnances conformément aux motifs de la CAF. Les défendeurs ont informé la Cour qu’ils avaient l’intention de demander l’autorisation d’interjeter appel de l’arrêt Ghermezian CAF devant la CSC et ont soutenu que l’ordonnance de suspension servait à suspendre les instances en l’espèce en attendant l’issue de leur demande d’autorisation (et de tout appel subséquent), et que la Cour devrait mettre en œuvre une telle suspension. Le ministre s’est opposé à la position des défendeurs. Les parties ont également fait savoir qu’elles avaient des positions divergentes sur le processus que la Cour devrait adopter pour terminer les instances en ce qui concerne le réexamen des ordonnances et l’octroi des dépens.

[8] Par la suite, la Cour a donné des directives obligeant les parties à présenter des observations écrites sur les questions procédurales soulevées à la CGI du 6 octobre 2023, qui allaient être suivies d’une plaidoirie sur ces questions à une autre CGI prévue le 6 novembre 2023. La Cour a entendu les arguments des parties à la CGI, et la présente ordonnance et les présents motifs traitent maintenant de ces questions.

III. Questions en litige

[9] Comme expliqué ci-dessus, les questions suivantes exigent la décision de la Cour :

  1. Les défendeurs satisfont-ils au critère de l’intérêt de la justice pour obtenir une suspension du réexamen des ordonnances?

  2. Si les défendeurs n’ont pas droit à une suspension, quelle est la procédure à suivre pour le réexamen des ordonnances?

  3. Si les défendeurs n’ont pas droit à une suspension, quelle est la procédure à suivre en ce qui concerne l’adjudication des dépens relativement aux présentes demandes?

IV. Analyse

A. Les défendeurs satisfont-ils au critère de l’intérêt de la justice pour obtenir une suspension du réexamen des ordonnances?

[10] Les parties s’entendent sur les principes juridiques régissant le règlement de cette question par la Cour. La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les procédures, en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Le critère qui s’applique à une demande de suspension diffère selon qu’on demande à la Cour de suspendre sa propre instance ou qu’on lui demande de rendre une ordonnance relativement à une instance devant un autre tribunal. Dans ce dernier cas, l’analyse est régie par le critère relativement strict prescrit par l’arrêt RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 [RJR-MacDonald]. Toutefois, lorsqu’on demande à la Cour d’accorder une suspension de sa propre instance (comme dans l’affaire en cause), le critère, plus souple, consiste à juger si, dans toutes les circonstances, il est dans l’intérêt de la justice de suspendre l’instance (voir Mylan Pharmaceuticals ULC c AstraZeneca Canada, Inc, 2011 CAF 312 au para 5).

[11] Les parties conviennent en outre que, pour tenir compte de l’intérêt de la justice, les circonstances à prendre en compte comprennent la promotion de la décision la plus juste, la plus rapide et la moins coûteuse sur le fond de l’instance, ainsi que certaines des considérations énoncées dans l’arrêt RJR-MacDonald – c.-à-d. s’il y a une question sérieuse à juger, l’existence ou non d’un préjudice irréparable et la prépondérance globale des inconvénients ou des intérêts (voir Viterra Inc c Grain Workers’ Union (International Longshoreman’s Warehousemen’s Union, Local 333), 2021 CAF 41 au para 23; Clayton c Canada (Procureur général), 2018 CAF 1 au para 26).

[12] Les défendeurs font valoir que l’octroi d’une suspension temporaire de l’instance serait juste et leur éviterait de subir un préjudice important. Ils soutiennent qu’il existe une réelle possibilité qu’ils soient contraints, en vertu des nouvelles ordonnances, de produire une partie ou la totalité de la documentation et des renseignements volumineux que le ministre exige, puis que la CSC fasse ensuite droit aux appels des défendeurs et conclue qu’ils ne pouvaient pas être contraints à transmettre une partie de cette documentation et de ces renseignements. Les défendeurs soutiennent qu’une telle production aurait pour effet de rendre leur appel théorique. Ils s’appuient sur la décision de la Cour de suspendre l’instance dans l’affaire Bevins c Canada (Registraire des armes à feu), 2013 CF 980 [Bevins], au paragraphe 11, afin de ne pas priver un appelant de ses droits d’appel devant la CSC.

[13] Les défendeurs soutiennent en outre qu’une suspension temporaire favoriserait la rapidité du processus, en évitant une multiplicité des instances qui pourrait se produire s’ils devaient subséquemment interjeter appel des nouvelles ordonnances. En ce qui concerne le volet de la décision la moins coûteuse sur le fond dans l’instance, les défendeurs soutiennent que, si une suspension n’est pas accordée, le temps, le travail et les dépenses engagés par les parties dans le cadre du processus de réexamen des nouvelles ordonnances pourraient s’avérer inutiles si la CSC fait droit à leur appel en tout ou en partie.

[14] Les défendeurs soutiennent que le retard occasionné par l’appel devant la CSC n’entraînera qu’un faible préjudice au ministre, car l’appel sera relativement bref, en comparaison avec les quelque huit années depuis lesquelles les demandes sont en instance. En fait, ils soutiennent que leur position est étayée par une conclusion tirée dans l’arrêt Ghermezian CAF (au para 69) selon laquelle un retard supplémentaire ne constituerait pas un déni de justice.

[15] Enfin, les défendeurs soutiennent que l’ordonnance de suspension appuie leur demande. Au moment de la CGI du 6 octobre 2023, les défendeurs ont soutenu que l’ordonnance de suspension demeurait en vigueur en attendant l’issue de leur demande d’autorisation d’appel à la CSC. Toutefois, lors de l’audience de la CGI du 6 novembre 2023, les défendeurs ont confirmé qu’ils n’adoptaient plus cette position. Comme le soutient le ministre, il ne fait aucun doute que l’ordonnance de suspension ne suspend ces procédures que pendant l’appel devant la CAF, qui a maintenant été conclu. Les défendeurs soutiennent plutôt que les considérations qui sous-tendent l’ordonnance de suspension, y compris l’application par la CAF de l’arrêt RJR-MacDonald aux circonstances alors en vigueur, s’appliquent également aux circonstances actuelles.

[16] À mon avis, l’argument le plus convaincant formulé par les défendeurs dans leurs observations est que, si les parties et la Cour terminent maintenant leur travail pour obtenir un nouvel examen des ordonnances, et si le fondement juridique de ce réexamen est par la suite modifié par un appel accueilli devant la Cour suprême du Canada, une partie de ce temps, de ce travail et de ces dépenses aura été gaspillée. Toutefois, comme je le ferai remarquer plus loin dans les présents motifs lorsque je décrirai le processus de réexamen, la question qui reste à régler dans ce processus est suffisamment pointue pour que le processus requis ne soit pas particulièrement coûteux. Par conséquent, le temps, le travail et les dépenses liés à ce processus ne devraient pas être importants.

[17] Pour des raisons similaires, je suis d’avis que l’argument des défendeurs concernant la multiplicité des instances n’est pas particulièrement convaincant. La question que la Cour doit toujours trancher suivant l’arrêt Ghermezian CAF est celle de savoir de quelle façon le réexamen des ordonnances devrait tenir compte de la conclusion de la CAF selon laquelle le ministre est habilité à demander des renseignements non écrits au titre de l’article 231.1 de la Loi, demandes qui avaient été exclues des ordonnances rendues avant l’appel. Comme le fait valoir le ministre, ce réexamen constituera un exercice factuel qui ne comportera pas d’autres décisions sur les points de droit que les défendeurs ont portés en appel devant la CAF et qu’ils cherchent maintenant à contester devant la CSC. Bien que cela n’élimine pas la possibilité que les défendeurs choisissent d’interjeter appel des nouvelles ordonnances, cette possibilité est entièrement hypothétique à ce stade-ci.

[18] En ce qui concerne l’argument des défendeurs se rapportant au caractère théorique, je tiens compte du fait qu’ils se sont appuyés sur la décision Bevins. Dans cette affaire, les demandeurs ont présenté une requête en injonction interlocutoire, par laquelle ils demandaient à la Cour fédérale d’ordonner la destruction des dossiers du registre des armes d’épaule concernant les armes à feu sans restrictions. Les demandeurs ont présenté cette requête dans le contexte où le législateur avait aboli le registre et avait demandé la destruction des dossiers d’enregistrement existants. Cependant, le gouvernement du Québec a adopté la position selon laquelle l’initiative du législateur était inconstitutionnelle et, n’ayant pas obtenu gain de cause devant la Cour d’appel du Québec, a tenté d’en appeler devant la CSC (voir les para 1-2 de cette décision). En refusant d’accueillir la requête des demandeurs en injonction interlocutoire visant la destruction des dossiers, la Cour a conclu qu’il serait inapproprié d’ordonner la destruction des documents qui étaient au cœur de l’instance devant la CSC. La Cour a donc suspendu la requête en injonction interlocutoire en attendant la décision de la CSC (voir les para 11-12).

[19] Les faits de l’affaire Bevins sont très différents de ceux de la présente affaire. Je suis d’accord avec le ministre lorsqu’il soulève que la décision Bevins ne s’applique pas en l’espèce, principalement en raison de la réparation particulière qu’on demandait à la Cour d’accorder lorsqu’elle a accordé la suspension. Comme il a été mentionné ci-dessus, les demandeurs dans cette affaire sollicitaient une injonction interlocutoire qui, de par sa nature, aurait eu pour effet immédiat d’obliger la destruction des dossiers du registre. En revanche, la mesure envisagée en l’espèce est un processus visant à donner effet à l’arrêt Ghermezian CAF afin de compléter le processus décisionnel relativement aux demandes d’ordonnances présentées par le ministre. Cette mesure ne rendra pas inutiles en soi les appels des défendeurs ou ne portera pas atteinte à leurs droits d’appel.

[20] Bien entendu, à l’issue de ce processus, des ordonnances seront rendues, et je comprends l’argument des défendeurs lorsqu’ils disent que le respect éventuel de ces ordonnances exigerait la production des renseignements et des documents pertinents au ministre, malgré leur position en appel selon laquelle certains éléments des demandes du ministre sont illégaux. Le ministre soutient que, une fois cette étape du processus franchie, il tiendra compte de l’état de l’appel à la CSC et décidera s’il convient de consentir à la suspension des nouvelles ordonnances, comme le ministre l’a fait après le prononcé des ordonnances initiales en attendant l’issue de l’appel devant la CAF. Les défendeurs sont peu rassurés par les observations du ministre, car elles n’offrent aucune garantie que le ministre consentira à une suspension en attendant l’appel devant la CSC, une fois que la Cour aura rendu les nouvelles ordonnances. Toutefois, en l’absence du consentement du ministre, les défendeurs pourront toujours demander une suspension à la CAF ou à la CSC (voir l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême, LC 1985, c S-26).

[21] De plus, je suis d’accord avec le ministre lorsqu’il soulève que les circonstances actuelles sont quelque peu comparables à celles qui sont survenues pendant l’appel à la CAF. Comme je le mentionne précédemment dans les présents motifs, après que la Cour eut rendu le jugement initial (mais avant que les ordonnances ne soient rendues), les défendeurs ont interjeté appel auprès de la CAF et ont demandé à faire suspendre l’exécution du jugement initial (qui prescrit un processus déterminant le type d’ordonnances) et de toute ordonnance rendue par la suite, en attendant l’issue de cet appel. Dans le rejet de la requête en suspension, la CAF a qualifié l’argument des défendeurs sur le caractère théorique d’hypothétique et de prématuré, ajoutant que les défendeurs n’avaient pas relevé de préjudice irréparable qui leur serait causé par le fait de permettre au processus de la Cour fédérale d’aboutir (à la page 2).

[22] Par la suite, après que la Cour eut terminé le processus prescrit par le jugement initial et rendu les ordonnances, la CAF a prononcé l’ordonnance de suspension, jugeant que les lacunes de la précédente requête en suspension des défendeurs ne s’appliquaient plus (à la page 3).

[23] Je suis conscient que, dans son analyse de ces deux requêtes en suspension, la CAF a appliqué le critère énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald, et non le critère de l’intérêt de la justice qui régit ma décision d’accorder ou non une suspension. Toutefois, comme je le mentionne précédemment dans les présents motifs, les considérations qui sous-tendent une analyse fondée sur l’arrêt RJR-MacDonald peuvent être prises en compte dans l’examen des intérêts de la justice. En effet, conformément à ce raisonnement, les défendeurs exhortent la Cour à tenir compte de l’analyse qui sous-tend l’ordonnance de suspension. J’accepte l’observation selon laquelle le raisonnement qui anime les analyses de la CAF est instructif, mais j’estime que l’analyse qui sous-tend le rejet de la requête en suspension est plus pertinente. Bien que les circonstances dont la CAF devait tenir compte au moment d’instruire les requêtes en suspension que les défendeurs avaient présentées antérieurement ne soient pas parfaitement comparables aux circonstances actuelles, je suis d’accord avec le ministre lorsqu’il fait valoir que ces décisions soutiennent la conclusion que la Cour ne devrait pas suspendre ses procédures qui n’ont pas encore abouti à une conclusion.

[24] Enfin, j’ai tenu compte de l’affirmation des défendeurs selon laquelle l’arrêt Ghermezian CAF étaye leur position selon laquelle un retard supplémentaire découlant d’une suspension ne causerait pas de préjudice important au ministre. Les défendeurs s’appuient sur la conclusion de la CAF portant que, même si la vérification des défendeurs effectuée par le ministre était en cours depuis un certain temps, elle n’était pas convaincue qu’un retard supplémentaire équivaudrait à un déni de justice (voir les para 69). Comme le soutient le ministre, cette conclusion fait partie de l’analyse de la CAF quant à la réparation, dans laquelle celle-ci a conclu que le dossier d’appel ne comprenait pas les documents nécessaires pour qu’elle puisse procéder au réexamen des ordonnances. Ainsi, la CAF a conclu que le temps nécessaire à la Cour fédérale pour effectuer le réexamen ne représenterait pas un déni de justice (voir les para 61-69).

[25] Dans ce contexte, selon mon interprétation de l’arrêt Ghermezian CAF, il n’y est pas conclu que le retard n’est pas préjudiciable au ministre, mais seulement que le retard associé précisément au réexamen des ordonnances par la Cour fédérale ne créerait pas de déni de justice pour le ministre. Une suspension entraînerait un retard supplémentaire d’une durée indéterminée, car l’issue de la demande d’autorisation à la CSC des défendeurs et la durée de l’appel (le cas échéant) sont actuellement inconnues. Je conviens avec le ministre que ce retard constitue un facteur qui milite à l’encontre de l’octroi d’une suspension. Compte tenu de cet élément à considérer, auquel s’ajoutent les autres facteurs que j’examine précédemment, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de suspendre les demandes en attendant l’issue de la demande d’autorisation d’appel à la CSC présentée par les défendeurs et de l’appel qui pourrait en découler.

B. Si les défendeurs n’ont pas droit à une suspension, quelle est la procédure à suivre pour le réexamen des ordonnances?

[26] Les défendeurs demandent que le processus suivant soit adopté pour le réexamen des ordonnances :

  1. Le ministre disposera de 90 jours pour préciser la mesure particulière qu’il cherche à obtenir par le réexamen des ordonnances, ainsi que les observations écrites à l’appui de sa position;
  2. Les parties disposeront ensuite de 60 jours pour relever tout désaccord entre elles sur le type des ordonnances;
  3. Si un désaccord subsiste, les défendeurs disposeront de 60 jours pour présenter des éléments de preuve par affidavit (au besoin) liés aux points de désaccord, puis de 60 jours supplémentaires pour présenter des observations écrites sur ces points;
  4. Une audience sera fixée pour permettre aux parties de formuler des observations orales liées au réexamen des ordonnances, après quoi la Cour rendra sa décision et prononcera les ordonnances.

[27] Le ministre s’oppose au processus et à l’échéancier proposés par les défendeurs, faisant remarquer que mener ce processus à terme nécessiterait 270 jours (neuf mois), sans compter le temps que la Cour devra consacrer à son réexamen. Le ministre propose l’adoption du processus suivant :

  1. Les parties disposeront de 30 jours pour soit fournir à la Cour des projets conjoints d’ordonnance, soit informer la Cour qu’elles n’ont pas réussi à s’entendre, auquel cas les parties relèveront les points de désaccord entre elles;
  2. S’il subsiste un désaccord à la fin des 30 jours mentionnés ci-dessus, le ministre disposera de 14 jours pour signifier et déposer les projets de type d’ordonnances, accompagnés d’observations écrites énonçant tous les points de désaccord restants et les positions du ministre sur ces désaccords;
  3. Les défendeurs disposeront de 14 jours à compter de la signification des projets de type d’ordonnances et des observations du ministre pour signifier et déposer leurs projets de types d’ordonnances, accompagnés d’observations écrites sur leurs positions sur les points de désaccord restants.

[28] Le ministre soutient que ce processus et le calendrier proposé sont conformes à la procédure adoptée par la Cour dans son jugement initial, laquelle avait servi à déterminer le type des ordonnances initiales.

[29] Le point de désaccord le plus important entre les parties concerne la question de savoir si le processus devrait donner aux défendeurs la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve. Les défendeurs soutiennent que l’arrêt Ghermezian CAF ouvre la porte au dépôt de nouveaux éléments de preuve (voir les para 65-68), et qu’il est dans l’intérêt de la justice que la Cour dispose d’un dossier de preuve approprié et qu’elle comprenne parfaitement les limites pratiques relatives aux documents et aux renseignements que les défendeurs seront tenus de produire conformément aux nouvelles ordonnances. À titre d’exemple, à l’audience de la CGI, les défendeurs ont fait mention de la possibilité de présenter des éléments de preuve montrant que certains défendeurs ne sont pas des résidents canadiens, ce qui, selon les défendeurs, aurait une incidence sur la compétence de la Cour de rendre des ordonnances ou des parties de ces ordonnances.

[30] Je suis d’accord avec le ministre pour dire que les défendeurs n’ont trouvé aucun fondement pour justifier l’ajout d’autres éléments de preuve au processus de réexamen des ordonnances. Des questions comme celle de savoir si les défendeurs sont des résidents canadiens, ce qui nécessitait un fondement probatoire, ont déjà été soulevées par les défendeurs, débattues par les parties et ont été abordées dans le jugement initial. La Cour n’était plus saisie de ces questions lorsqu’elle a rendu les motifs supplémentaires et les ordonnances initiales, et rien dans l’arrêt Ghermezian CAF n’a conféré à la Cour le mandat de réexaminer ces questions.

[31] Les paragraphes de l’arrêt Ghermezian CAF sur lesquels se fondent les défendeurs soulignent la nécessité pour la Cour de réexaminer les ordonnances en fonction des motifs de l’arrêt Ghermezian CAF. Ce mandat ne comprend que l’élément relativement pointu selon lequel, à la suite de demandes présentées au titre du paragraphe 231.1(1) de la Loi, le ministre est autorisé non seulement à exiger la communication de documents, mais aussi à exiger la communication de renseignements qui n’y étaient pas consignés. Comme il est mentionné dans l’arrêt Ghermezian CAF, ce processus nécessitera de se référer au dossier dont la Cour disposait lorsqu’elle a rendu les ordonnances initiales, mais l’arrêt Ghermezian CAF n’ouvre pas la porte au dépôt de nouveaux éléments de preuve.

[32] Je suis d’avis que le processus prescrit par le jugement initial pour déterminer le type des ordonnances initiales, qui a déjà bien servi comme processus pour cette détermination initiale, sera aussi utilisé pour le réexamen requis. Pour cette raison, je suis en désaccord avec les délais plus longs et les autres étapes proposées par les défendeurs. Je ne suis pas non plus d’accord avec l’affirmation du ministre selon laquelle la première étape de ce processus, qui donnait aux parties 60 jours pour tenter de s’entendre sur le type des ordonnances, devrait être raccourcie à 30 jours dans le processus de réexamen. Il s’est avéré avantageux, dans la détermination du type des ordonnances initiales, de donner aux parties assez de temps pour faire un effort significatif afin de cerner et de régler ou, à tout le moins, de réduire les désaccords sur le type des ordonnances.

[33] Je ne vois aucune raison de s’écarter du processus et des délais connexes qui ont déjà été utilisés avec succès, si ce n’est que le processus devrait maintenant permettre expressément que les observations des parties sur le type des ordonnances (si une entente à cet égard ne peut être conclue) soient accompagnées de toutes les parties du dossier dont dispose la Cour dans le cadre de ces requêtes et sur lesquelles les parties s’appuient pour étayer leurs observations. Il s’agit du processus que j’adopterai dans mon ordonnance.

C. Si les défendeurs n’ont pas droit à une suspension, quelle est la procédure à suivre en ce qui concerne l’adjudication des dépens relativement aux demandes?

[34] À ce sujet, les parties conviennent en grande partie que la Cour devrait adopter le processus d’adjudication des dépens relativement aux demandes, comme le prescrivaient les ordonnances initiales. Les parties sont en désaccord sur un seul élément, à savoir que les défendeurs souhaitent que les étapes du processus soient assorties de délais plus longs. Je ne vois aucune raison de s’écarter des délais précédemment établis dans les ordonnances. Mon ordonnance adoptera ce processus et ses délais.

V. Dépens

[35] Dans ses observations écrites, le ministre demande qu’on lui accorde les dépens, sous forme d’une somme forfaitaire de 3 500 $, pour la préparation de ses observations en vue de la CGI et pour sa participation à cette dernière, où les questions ci-dessus ont été débattues. Toutefois, ni l’une ni l’autre des parties n’a formulé d’observation sur les dépens à l’audience de la CGI, quant au calcul ou à quoi que ce soit d’autre.

[36] Par conséquent, je n’accorderai pas de dépens distincts en ce qui concerne la présente CGI. Les dépens associés à la CGI devraient plutôt être traités dans le cadre du processus d’octroi des dépens pour ces demandes, comme il est mentionné ci-dessus et il est détaillé dans l’ordonnance.


ORDONNANCE dans les dossiers T-252-19, T-254-19, T-258-19,

T-259-19, T-261-19 et T-262-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête des défendeurs en suspension des demandes est rejetée.

  2. Les parties à chaque demande doivent se concerter dans le but d’en arriver à une entente sur un projet conjoint de type de nouvelle ordonnance, en tenant compte des motifs de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ghermezian c Canada (Revenu national), 2023 CAF 183.

  3. Dans les 60 jours suivant la date du présent jugement, les parties à chaque demande doivent conjointement fournir à la Cour le projet conjoint de type de nouvelle ordonnance, ou l’aviser qu’elles ne sont pas parvenues à s’entendre sur tous les points.

  4. Si les parties à une demande avisent la Cour, conformément au paragraphe 3, qu’elles ne sont pas parvenues à s’entendre sur tous les éléments du type de nouvelle ordonnance, le ministre doit signifier et déposer, dans les 14 jours suivant l’avis à la Cour, sa proposition de type de nouvelle ordonnance, accompagnée : a) d’observations écrites énonçant tous les points de désaccord restants et les positions du ministre sur ces désaccords, et b) de toute partie du dossier dont la Cour dispose dans le cadre de ces demandes sur laquelle le ministre s’appuie pour étayer ses observations. Le défendeur doit alors, dans les 14 jours suivant la signification, signifier et déposer le type de nouvelle ordonnance qu’il propose, accompagné : a) d’observations écrites énonçant la position du défendeur sur les points de désaccord restants, et b) de toute partie du dossier dont la Cour dispose dans le cadre de ces demandes sur laquelle le défendeur s’appuie pour étayer ses observations.

  5. À la suite du prononcé par la Cour de la nouvelle ordonnance pour chacune des demandes, le ministre dispose de 14 jours à compter de la date de l’ordonnance en question pour signifier et déposer des observations sur les dépens, d’au plus trois pages, ainsi que tout mémoire de frais ou autre document à l’appui. Le défendeur dispose de 14 jours à compter de la signification des observations du ministre sur les dépens pour signifier et déposer des observations sur les dépens, encore une fois d’au plus trois pages, ainsi que tout mémoire de frais ou autre document à l’appui. Le ministre dispose de cinq jours à compter de la signification des observations du défendeur sur les dépens pour signifier et déposer une réplique, d’au plus deux pages.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-252-19, T-254-19, T-258-19, T-259-19, T-261-19 et T-262-19

INTITULÉS :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c NADER GHERMEZIAN; MINISTRE DU REVENU NATIONAL c MARC VATURI; MINISTRE DU REVENU NATIONAL c GHERFAM EQUITIES INC; MINISTRE DU REVENU NATIONAL c PAUL GHERMEZIAN; MINISTRE DU REVENU NATIONAL c RAPHAEL GHERMEZIAN; MINISTRE DU REVENU NATIONAL c JOSHUA GHERMEZIAN

Suivant la Conférence de gestion des instances du 6 novembre 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 8 NOVEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Rita Araujo

Peter Swanstrom

Angelica Buggie

 

Pour le demandeur

Bobby J. Sood

Stephen S. Ruby

 

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Davies Ward Phillips

& Vineberg S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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