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Date : 20060426

Dossier : T-1255-05

Référence : 2006 CF 516

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

FÉDÉRATION DES PRODUCTEURS ACÉRICOLES DU QUÉBEC

demanderesse

et

 

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande en application de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, par laquelle la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (la demanderesse ou la Fédération) sollicite une ordonnance de mandamus et un jugement déclaratoire à l'égard d'une décision de la défenderesse, l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'Agence), qui a conclu que la demanderesse n’avait pas le droit de recevoir les documents dont il est question aux articles 21 et 23 du Règlement sur les produits de l’érable [C.R.C., ch. 289] (le Règlement).

 

FAITS PERTINENTS

[2]               La défenderesse est chargée d’assurer et de contrôler l’application de diverses lois et règlements concernant la salubrité des aliments, la protection des végétaux et la santé des animaux au Canada.

 

[3]               Un inspecteur désigné par l’Agence peut saisir et retenir les produits agricoles qui, à son avis, ont servi ou donné lieu à une infraction selon la Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C., 1985, ch. 20 (4e suppl.) (la Loi) ou ses règlements. En l’espèce, des produits de l’érable ont été saisis et retenus.

 

[4]               La Fédération demandait à l’Agence « de fournir, à l’avenir, à la Fédération tous les renseignements utiles que cette dernière pourrait raisonnablement demander en regard des rétentions et des levées de rétention de sirop d’érable en grands contenants produits dans la province du Québec [...] ».

 

[5]               Le 7 mars 2005, par une lettre adressée aux procureurs de la Fédération, l’Agence rejetait définitivement la demande de la Fédération.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[6]               1. Est-ce que les critères pour l’ordonnance de mandamus et un jugement déclaratoire existent en l’espèce?

 

a)      Est-ce que la Fédération est visée par les obligations prévues aux articles 21 et 23 du Règlement?

 

b)      Est-ce qu’il existe d’autres recours adéquats?

 

 

ANALYSE

[7]               La Fédération est un regroupement de onze syndicats professionnels de producteurs acéricoles et a le statut d’office de mise en marché des produits de l’érable au Québec au sens de l’article 65 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche L.R.Q., c. M-35.1. À ce titre, la Fédération applique et administre le Plan conjoint des producteurs acéricoles du Québec (plan conjoint) modifié par les décisions subséquentes de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (la Régie), organisme régulateur et quasi-judiciaire spécialisé dans la mise en marché des produits agricoles dans la province de Québec.

 

[8]               Pour l’administration du plan conjoint, la Régie a approuvé, entre autres, le Règlement sur l’agence de vente des producteurs acéricoles lequel prévoit qu’un producteur acéricole doit obligatoirement mettre en marché tout le sirop d’érable et l’eau d’érable qu’il produit en contenants de plus de 5 litres ou de plus de 5 kilogrammes par l’entremise de la Fédération, qui est l’agent de vente exclusif des producteurs acéricoles du Québec (voir les articles 1, 2, et 3 du Règlement sur l’agence de vente des producteurs acéricoles). Ainsi donc, un producteur acéricole de grands contenants, situé au Québec, doit obligatoirement mettre son produit à la disposition de la Fédération s’il veut le mettre en marché.

 

[9]               En vertu de l’article 5 du Règlement sur l’agence de vente des producteurs acéricoles, la Fédération peut retenir les services d’acheteurs qu’elle autorise, pour recevoir, en son nom, des producteurs acéricoles l’eau d’érable, le concentré d’eau d’érable et le sirop d’érable, le tout conformément aux dispositions d’une convention de mise en marché à cet effet. Donc, en vertu de la réglementation en vigueur au Québec, en plus de la Fédération, seuls les acheteurs autorisés ont le droit de recevoir du sirop d’érable en grands contenants directement des producteurs acéricoles. Ainsi, un producteur acéricole peut livrer son sirop d’érable, soit directement à la Fédération, soit par l’entremise d’un acheteur autorisé qui reçoit le sirop d’érable, pour le compte et au nom de la Fédération.

 

[10]           La Fédération exploite deux entrepôts de sirop d’érable au Québec. Ces deux entrepôts sont des «Établissements agréés» en vertu du Règlement sur les produits de l’érable pour lesquels la Fédération est titulaire d’un agrément.

 

[11]           L’article 21 de la Loi donne le pouvoir à l’inspecteur de procéder à la visite de tout lieu s’il a des motifs raisonnables de croire que s’y trouvent des produits agricoles ou d’autres objets visés par la loi ou ses règlements. L’article 23 de la Loi donne le pouvoir à cet inspecteur de saisir et retenir tout produit agricole ou tout autre objet, notamment le produit de l’érable, s’il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci a servi ou donné lieu à une contravention à la loi ou à ses règlements ou tout autre élément s’il peut servir à prouver la contravention :

 

21. (1) Dans le but de faire observer la présente loi et ses règlements, l’inspecteur peut procéder à la visite de tout lieu — ou, s’il s’agit d’un véhicule, à son immobilisation et à sa visite — s’il a des motifs raisonnables de croire que s’y trouvent des produits agricoles ou d’autres objets visés par la présente loi ou ses règlements. Il peut en outre, son avis devant, dans tous les cas, être fondé sur des motifs raisonnables :

23. L’inspecteur peut saisir et retenir tout produit agricole ou tout autre objet, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont servi ou donné lieu à une contravention à la présente loi ou à ses règlements, soit tout produit agricole, ou tous autres éléments, dont il a des motifs raisonnables de croire qu’ils peuvent servir à prouver la contravention.

 

21. (1) For the purpose of ensuring compliance with this Act and the regulations, an inspector may, subject to section 22, enter and inspect any place, or stop any vehicle, in which the inspector believes on reasonable grounds there is any agricultural product or other thing in respect of which this Act or the regulations apply

 

 

23. Where an inspector believes on reasonable grounds that this Act or the regulations have been contravened, the inspector may seize and detain any agricultural product or other thing

(a) by means of or in relation to which the inspector believes on reasonable grounds the contravention occurred; or

(b) that the inspector believes on reasonable grounds will afford evidence in respect of a contravention of this Act or the regulations.

 

 

[12]           Les articles 21 et 23 du Règlement établissent la procédure d’administration de la saisie et retenue du produit de l’érable, prévue à l’article 23 de la Loi :

21. (1) Après avoir retenu un produit de l'érable ou tout autre objet conformément au paragraphe 20(1), l'inspecteur remet ou envoie par la poste sans délai un avis de rétention aux personnes suivantes :

a) la personne qui a la garde du produit de l'érable ou de l'objet au lieu où la saisie a été effectuée;

b) le propriétaire du produit de l'érable ou de l'objet saisi, ou son mandataire;

c) lorsque le produit de l'érable ou l'objet est déplacé ou transféré du lieu de la saisie à un autre lieu conformément aux paragraphes 19(5) ou 25(1) de la Loi, la personne qui en a la garde à ce lieu.

 

 

 

23. Lorsque l'inspecteur détermine que le produit de l'érable ou l'objet retenu est conforme, il lève la saisie et remet ou envoie par la poste un avis de levée à chaque personne à qui l'avis de rétention visé au paragraphe 21(1) a été remis ou envoyé.

21. (1) An inspector shall, after detaining any maple product or other thing in accordance with subsection 20(1), forthwith deliver or mail a notice of detention

(a) to the person having the care or custody of the maple product or other thing at the place where it was seized;

(b) to the owner of the maple product or other thing that was seized, or to the owner's agent; and

(c) where the maple product or other thing is removed from the place where it was seized to another place in accordance with subsection 19(5) or 25(1) of the Act, to the person having the care or custody of the maple product or other thing at that other place.

 

23. Where an inspector determines that any detained maple product or other detained thing meets the requirements of the Act and these Regulations, the inspector shall release the maple product or other thing and shall deliver or mail one copy of a notice of release to each of the persons to whom a copy of the notice of detention referred to in subsection 21(1) was delivered or mailed.

 

[13]           L’inspecteur désigné par l’Agence qui aurait retenu le produit de l’érable en vertu de l’article 23 de la Loi, a l’obligation de remettre ou d’envoyer par la poste l’avis de rétention et l’avis de levée de rétention, le cas échéant, aux personnes visées par les articles 21 et 23 du Règlement. Actuellement, la Fédération n’est jamais avisée par l’Agence de ces renseignements, sauf pour le sirop d’érable qui se trouve dans les deux «Établissements agréés» qu’elle possède.

 

a)  Est-ce que la Fédération est visée par les obligations prévues aux articles 21 et 23 du Règlement?

 

[14]           La Fédération prétend qu’elle est clairement visée par les obligations prévues aux articles 21 et 23 du Règlement. La Fédération prétend avoir le droit de recevoir ces avis tant parce qu’elle est le mandataire du propriétaire du produit de l’érable saisi que parce qu’elle a la garde du produit de l’érable lors de sa saisie peu importe où il se trouve physiquement. Le refus de l’Agence constitue une inexécution de ses obligations légales non discrétionnaires prévues au Règlement envers la Fédération et c’est pour cette raison que la Fédération cherche l’émission d’une ordonnance de mandamus.

 

[15]           La question en litige centrale quant à savoir si les défendeurs avaient l'obligation légale, en l'espèce, de transmettre à la demanderesse les informations mentionnées aux articles 21 et 23 du Règlement, est en fait une question d'interprétation législative susceptible de révision suivant la norme de la décision correcte (voir Alberta Wapiti Products Cooperative Ltd. c. Canada (Ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire) [2005] A.C.F. no 1806, au paragraphe 63).

 

[16]           Les conditions pour obtenir une ordonnance de mandamus ont été énoncées dans l'arrêt Apotex Inc c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 et se résument comme suit aux pages 766 et suivantes:

1. Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

 

2. L'obligation doit exister envers le requérant;

 

3. Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :

(a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

(b) il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

 

4. Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

(a) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’«injuste», d’«oppressive» ou qui dénote une «irrégularité flagrante» ou la «mauvaise foi»;

(b) un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est «illimité», «absolu» ou «facultatif»;

 

5. Le requérant n'a aucun autre recours;

 

6. L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

 

7. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé;

 

8. Compte tenu de la "balance des inconvénients", une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

[17]           La Fédération prétend qu’elle rencontre chacune de ces conditions pour obtenir une ordonnance de mandamus. Premièrement, elle allègue qu’il existe une obligation légale d’agir à caractère public et que cette obligation existe envers elle. L’obligation d’agir à caractère public se retrouve au paragraphe 21(1) du Règlement. L’inspecteur désigné par l’Agence qui aurait retenu le produit de l’érable en vertu de l’article 23 de la Loi, a l’obligation de remettre ou d’envoyer par la poste l’avis de rétention et l’avis de levée de rétention, le cas échéant, aux personnes visées au paragraphe 21(1) du Règlement. La Fédération prétend qu’elle est une des personnes visées à ce paragraphe.

 

[18]           Les défendeurs nient le fait que la demanderesse soit une de ces personnes clairement identifiées par le paragraphe 21(1), sauf pour les cas où elle est elle-même titulaire d’un agrément et que les produits saisis se retrouvent dans cet établissement. Les personnes mentionnées au paragraphe 21(1) sont les suivantes :

a) la personne qui a la garde du produit de l'érable au lieu où la saisie a été effectuée;

 

b) le propriétaire du produit de l'érable saisi ou le mandataire du propriétaire.

 

[19]           Dans ses représentations écrites, la Fédération fait un survol du cadre règlementaire et de la jurisprudence provinciale pour démontrer qu’elle est implicitement le mandataire des producteurs.  La Fédération prétend qu’en étant mandataire du propriétaire du produit de l’érable saisi dans les «Établissements agréés», elle est admissible à l’exécution de l’obligation légale prévue à l’alinéa 21(1)(b) du Règlement à son égard.

 

[20]           Je suis d’accord que la Fédération est le mandataire des producteurs. Cependant, comme les défendeurs le précisent, l’alinéa 21(1)(b) du Règlement indique que les avis de rétention sont envoyés au propriétaire du produit ou à son mandataire. Je suis d’avis que l’alinéa 21(1)(b) laisse le choix à l’inspecteur désigné d’expédier les avis en cause à l’une ou l’autre des personnes mentionnées à cet alinéa. Dans l’arrêt Apotex, ci-dessus, la Cour d’appel avait mentionné à la page 767, lorsque l'obligation, dont on demande l'exécution forcée est discrétionnaire, des règles particulières s'appliquent :

 

(a) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d'une manière qui puisse être qualifiée d'"injuste", d'"oppressive" ou qui dénote une "irrégularité flagrante" ou la "mauvaise foi";

 

(b) un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est "illimité", "absolu" ou "facultatif";

 

(c) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire "illimité" doit agir en se fondant sur des considérations "pertinentes" par opposition à des considérations "non pertinentes";

 

(d) un mandamus ne peut être accordé pour orienter l'exercice d'un "pouvoir discrétionnaire limité" dans un sens donné;

 

(e) un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est "épuisé", c'est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l'exécution de l'obligation.

 

[21]           Les inspecteurs désignés par l’Agence n’ont pas d’emblée connaissance des liens juridiques souvent complexes entre la Fédération, les producteurs et les acheteurs. Il existe donc un pouvoir discrétionnaire pour l’Agence dans le cadre de l’alinéa 21(1)(b) du Règlement et ce pouvoir n’est pas exercé de façon injuste, de mauvaise foi ou encore pour des considérations non pertinentes. Le demandeur ne m'a pas démontré que la défenderesse a agi de manière injuste ou oppressive dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. La Fédération cherche à donner une orientation particulière au pouvoir discrétionnaire de la défenderesse. La Fédération tente d’ajouter au Règlement et n’a pas démontré qu’elle avait un droit clair à l’obtention des avis de rétention et de levée selon l’alinéa 21(1)(b) du Règlement.

 

[22]           La Fédération considère qu’elle devrait recevoir une copie des avis de rétention émis par les inspecteurs et une copie des avis de levée de rétention parce qu’elle rencontre l’exigence de l’alinéa 21(1)(a) du Règlement, c’est-à-dire, qu’elle est une personne ayant la garde du produit de l’érable à tout endroit où la saisie est effectuée.

 

[23]           La demanderesse ajoute que les acheteurs autorisés sont les mandataires de la Fédération tant qu’ils n’ont pas entièrement payé à cette dernière le produit de l’érable qu’ils reçoivent dans leurs «Établissements agréés» selon les termes prévus à l’article 8.01 de la convention de mise en marché. Les acheteurs autorisés ne seraient en fait que des détenteurs précaires du sirop d’érable saisi et retenu par les inspecteurs désignés par l’Agence dans les «Établissements agréés» et n’en auraient pas la garde légale. Seule la Fédération aurait conséquemment la garde légale du produit de l’érable entreposé pour et en son nom par les acheteurs autorisés dans leurs «Établissements agréés» jusqu’à son parfait paiement par ces derniers à la Fédération.

 

[24]           La demanderesse prétend que l’alinéa 21(1)(a) du Règlement fait référence au concept de «garde» à l’endroit où a lieu la saisie et non de «garde physique». Elle indique que le Règlement doit être interprété en fonction du droit civil en vigueur dans la province de Québec et interprété conformément à la jurisprudence québécoise. Suivant cette interprétation, la demanderesse suggère que le terme «garde» dans le Règlement implique un pouvoir de contrôle, de direction et de surveillance sur le sirop d’érable reçu des producteurs. Parce que les acheteurs autorisés n’ont aucun de ces pouvoirs, c’est la Fédération qui en a la garde du produit jusqu’à un parfait paiement par l’acheteur.

 

[25]           La demanderesse utilise la définition de «garde» dans le contexte de responsabilité civile. Elle cite le texte de Baudouin pour faire une distinction entre le détenteur et celui qui a la garde. Un simple détenteur n’aurait pas la garde parce qu’il n’a pas le vrai contrôle et la direction sur le produit. La demanderesse prétend que l’acheteur est seulement le détenteur du produit. Je ne suis pas d’accord avec l’analyse du mot «garde» proposé par la demanderesse parce que la problématique actuelle ne se situe pas dans le contexte de responsabilité civile.

 

[26]           Dans l’arrêt R. v. Drakes (Q.C.A.) [1991] Q.J. No. 1681, la Cour d’appel du Québec mentionne par rapport à la définition de «care and custody» :

In the Nova Scotia County Court His Honour Judge Pottier said in R. v. Henley, [1963] 3 C.C.C. 360 at p. 366, in a case similar to this one:

 

The word “care” may also mean custody, charge, safe keeping, preservation, oversight or attention. Where it is used in this sense it becomes a relative term and is of broad comprehension. One has to look at the provision of its use and determine its physical sense from that standpoint.

 

[27]           Les défendeurs soumettent qu’en lisant l’alinéa 21(1)(a), un élément de maîtrise physique du produit d’érable est clairement suggéré. Ceci est encore plus évident en regardant la version anglaise du Règlement qui indique «the person having the care or custody of the maple product». De plus les défendeurs croient que les acheteurs autorisés ont un pouvoir de contrôle, de direction et de surveillance sur les produits reçus des producteurs. Les acheteurs autorisés sont soumis à des exigences et à des obligations légales prévues notamment au Règlement. Par exemple, les établissements d’emballage et d’expédition doivent être conçus, construits et entretenus de manière à éviter toute condition susceptible de causer la contamination des produits. Les acheteurs autorisés ont également l’obligation d’entreposer les produits retenus dans des conditions propres à en assurer la conservation et de s’assurer que les produits saisis ou retenus et leurs étiquettes ne sont pas déplacés ou modifiés.

 

[28]           La garde physique prend toute son importance dans le cas qui nous occupe, puisque les inspecteurs procèdent à la saisie et à la détention de produits de l’érable, pour fins d’examen et de contrôle; il est donc évidemment crucial que la ou les personnes qui détiennent physiquement les produits visés par l’ordre de saisie et de rétention émis par les inspecteurs en vertu des articles 21 et 23 de la Loi et des articles 21 et 23 du Règlement soient bien au fait des conséquences de ces avis.

 

[29]           Je suis donc d’avis que le processus suivi par les inspecteurs dans l’exercice de leur discrétion de remettre l’avis de saisie et de rétention et l’avis de levée de ladite saisie et rétention, respecte les dispositions de la loi et des règlements.

 

b)  Est-ce qu’il existe d’autres recours adéquats?

[30]           La demanderesse prétend qu’elle n’a aucune autre façon, sauf le mandamus, pour faire valoir son droit de recevoir les renseignements demandés. Cependant, les défendeurs soumettent que la Fédération possède d’autres moyens afin d’obtenir les renseignements demandés.

 

[31]           Les défendeurs mentionnent qu’en vertu du plan conjoint, la Fédération peut faire toute enquête utile à l’application du plan et elle peut obtenir des producteurs tout renseignement jugé utile à l’application du plan et des règlements. L’article 20 du même plan prévoit que le producteur doit fournir à la Fédération tout renseignement jugé utile à l’application du plan ou des règlements.

 

[32]           Aussi, les défendeurs soulèvent que l’article 29 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche, L.R.Q., chapitre M-35. 1, permet à la Régie des marchés agricoles de prendre des mesures contre un producteur qui ne respecte pas une disposition d’un plan ou d’une convention. La demanderesse pourrait donc s’adresser à la Régie afin d’obtenir les renseignements demandés. L’article 97 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche octroie un pouvoir réglementaire à la demanderesse de déterminer les renseignements et les documents qu’un producteur doit lui fournir. De plus, les articles 163 à 165 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche permettent à la Régie d’exercer des pouvoirs coercitifs et contraignants pour forcer la production de renseignements sur les matières visées par cette loi.

 

[33]           Il appert des commentaires soumis à la Cour par le procureur de la demanderesse que la Fédération rencontre certaines difficultés pour obtenir copies des avis de saisie ou encore, des avis de levée des dites saisies de la part des acheteurs qu’elle a en fait elle-même autorisé à acheter les produits visés, ce qui rend périlleux la gestion efficace du plan conjoint.

 

[34]           Il apparaît clairement des articles 4, 5, 10, 11, 12 et particulièrement de l’article 13b) que la Fédération a tous les pouvoirs pour faire enquête et obtenir des producteurs tout renseignement jugé utile à l’application du plan et des règlements :

13.  Plan conjoint :

 

b) faire toute enquête utile à l’application du plan ou d’un règlement ou concernant les conditions de mise en marché du produit visé ou afin de bonifier les débouchés de ce produit. Elle peut obtenir des producteurs tout renseignement jugé utile à l’application du plan et des règlements;

 

 

[35]           L’article 20 du plan conjoint et notamment la sous-section e) précise les obligations du producteur qui sont de fournir à la Fédération tout renseignement utile à l’application du plan ou des règlements :

20. Le producteur doit :

 

a) se conformer aux décisions et règlements adoptés par la Fédération dans l’exercice des pouvoirs dont elle est investie en vertu de la Loi et du plan;

 

b) respecter toute entente conclue dans le cadre de l’application de la Loi et du plan;

 

c) payer les frais d’administration et de mise en application du plan et des règlements selon le montant et les modalités établis en vertu de la Loi et du plan;

 

d) selon le cas, payer sa quote-part de toute somme due à une personne dont l’intervention a été requise pour la mise en marché du produit visé et dont les services sont retenus par la Fédération conformément aux modalités établies ou négociées par elle ou son agent, et autoriser toute personne engagée par la Fédération dans la mise en marché du produit visé et qui touche le produit global d’une vente en commun, à prélever cette part et à en faire remise à toute personne désignée par elle;

 

e) fournir à la Fédération tout renseignement jugé utile à l’application du plan ou des règlements.

 

[36]           Je comprends que la Fédération doit obtenir les informations quant aux saisies afin d’éviter de payer aux producteurs des quantités de produits de l’érable qui auraient été saisies et possiblement détruites. Cette question touche davantage la relation contractuelle entre les producteurs, les acheteurs autorisés et la Fédération et non la Cour fédérale.

 

[37]           Les articles 92 à 102.1 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche établissent les pouvoirs des offices de mise en marché. Le paragraphe 92(2) de cette loi précise sans équivoque que l’office peut, par règlement, déterminer les renseignements et documents que les producteurs doivent fournir à l’office. L’article 29, permet de réduire et même suspendre les contingents autorisés des producteurs négligents ou délinquants.

 

[38]           Par ailleurs, la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, en vertu des articles 163 et 164, peut faire enquête et obliger les parties engagées dans la production ou la mise en marché à fournir des renseignements sur leurs opérations.

 

[39]           L’annexe «A» à la convention de mise en marché entre la Fédération et les acheteurs du produit visé par le plan conjoint (pièce BP-3) a été déposée à l’audience, il s’agit d’une formule de demande d’autorisation qui doit être déposée par les acheteurs éventuels qui souhaitent être autorisés à acheter les produits visés, en l’occurrence, des produits de l’érable. L’article 7 de cette formule est un engagement de l’acheteur à fournir «toute information supplémentaire que la Fédération pourrait requérir de ma part pour des raisons valables». Ne pouvons-nous pas conclure que l’obtention des informations quant aux saisies puisse être une «raison valable», avant de conclure la vente des produits visés?

 

[40]           Je n’ai d’autre choix que de conclure que la Fédération possède de nombreuses avenues encore inexplorées pour obtenir ce qu’elle recherche par la présente demande de «mandamus».

 

[41]           Les arguments quant à la complexité du processus ou encore de la fragilité des relations entre les intervenants ne tiennent tout simplement pas la route.

 

[42]           Ni l’Agence canadienne d’inspection des aliments et encore moins la Cour fédérale ne peuvent suppléer à l’absence de coopération entre les divers partenaires que sont, la Fédération, les producteurs et les acheteurs autorisés, lesquels sont soumis légalement à des obligations mutuelles en vertu de lois et de règlements valables.

 

[43]           La Cour fédérale, dans son rôle de révision judiciaire, ne peut exercer un rôle de régulateur du marché pour forcer des partenaires à respecter des ententes contractuelles, soumises à un large pouvoir de contrôle exercé par d’autres instances, notamment la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec.

 

[44]           La défenderesse a surtout un rôle de contrôle quant à la qualité des produits qui sont mis sur le marché et de s’assurer que les règles précises de la loi fédérale soient intégralement respectées, son rôle ne s’étend pas à la subtilité des règles qui s’appliquent entre les intervenants sur le marché.

 

[45]           Étant donné que la demanderesse n’est pas visée par l’article 21 du Règlement, sauf pour les cas où elle est elle-même titulaire d’un agrément et que les produits saisis se retrouvent dans cet établissement et étant donné qu’il existe d’autres moyens pour la demanderesse de recevoir les renseignements demandés, elle ne rencontre pas les exigences de mandamus. Il n’est pas nécessaire de traiter les autres conditions pour l’obtention d’une ordonnance de mandamus.  De plus, la demanderesse n’a pas prouvé l’existence d’un droit, donc un recours en jugement déclaratoire est irrecevable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE ET DÉCLARE que :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire soit rejetée ;

2.      Les défendeurs auront droit à un seul mémoire de dépens.

 

 

 

«Pierre Blais»

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1255-05

 

INTITULÉ :                                      FÉDÉRATION DES PRODUCTEURS

                                                           ACÉRICOLES DU QUÉBEC c.

                                                           AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES

                                                           ALIMENTS ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               11 avril 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:                    LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      26 avril 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alexandre Ajami

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Guy Lamb

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miller Thomson Pouliot s.e.n.c.r.l.

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur générale du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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