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Date : 20231031


Dossier : IMM-9634-22

Référence : 2023 CF 1453

Montréal (Québec), le 31 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

PAUL EMILIO REYES CONTRERAS

partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRAION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Paul Emilio Reyes Contreras, est citoyen péruvien. M. Reyes Contreras sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 23 août 2022 [Décision] aux termes de laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SPR] a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La SPR a rejeté la demande de M. Reyes Contreras en raison de son manque de crédibilité et de l’insuffisance des éléments de preuve soumis à l’appui de son dossier.

[2] M. Reyes Contreras soutient que la SPR aurait erré en concluant à l’absence de minimum de fondement de sa demande d’asile au sens du paragraphe 107(2) de la LIPR, sur la foi de son manque de crédibilité et de son incapacité à établir les allégations de sa demande. Il prétend également qu’un manquement à l’équité procédurale aurait entaché le processus devant la SPR en raison de la faute professionnelle de son ancien avocat, une faute qui, selon M. Reyes Contreras, devrait mener à l’annulation de la Décision et à la tenue d’une nouvelle audience.

[3] Pour les motifs qui suivent, je vais rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Reyes Contreras. M. Reyes Contreras ne m’a pas convaincu que son ancien avocat a commis une faute professionnelle suffisamment grave pour satisfaire le test de l’incompétence d’un avocat. De plus, après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SPR, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, je ne vois aucun motif d’infirmer la Décision. Les lacunes dans la preuve soumise par M. Reyes Contreras et les contradictions dans son témoignage soutiennent raisonnablement les conclusions défavorables de la SPR quant à sa crédibilité, et les motifs de la SPR possèdent toutes les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent en regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes.

II. Contexte

A. Les faits

[4] Dans sa demande d’asile, M. Reyes Contreras allègue craindre d’être tué par un gang mis sur pied par l’ancien maire de Cajatambo, la ville péruvienne où il résidait. Selon M. Reyes Contreras, le maire et son administration constituent un gang organisé et dangereux ayant des liaisons avec des groupes et gouvernements municipaux corrompus à travers le Pérou.

[5] En novembre 2013, M. Reyes Contreras participe à la contestation de l’administration du maire en tant que chauffeur auprès de personnes cherchant à démettre le maire de ses fonctions. Vers la fin du mois de décembre 2013, M. Reyes Contreras reçoit des menaces par téléphone par l’entremise des collaborateurs du maire. Selon ces persécuteurs, s’il n’arrête pas de se mêler dans leurs affaires, un accident pourrait lui arriver. M. Reyes Contreras ne dépose alors pas de plainte auprès des forces policières péruviennes puisqu’il ne croit pas que ces propos constituent une réelle menace de mort.

[6] Un mois plus tard, en janvier 2014, M. Reyes Contreras est agressé par quatre sicaires du persécuteur qui le blessent à la jambe avec un couteau et lui donnent des coups de pied. Par après, M. Reyes Contreras reçoit plusieurs menaces par téléphone, y compris des menaces de mort. Finalement, ses persécuteurs lui disent que s’il continue de transporter les gens qui manifestent contre le maire, il sera tué.

[7] En février 2014, M. Reyes Contreras est poursuivi dans sa voiture, mais réussit à semer ses poursuiveurs. Il reçoit ensuite un appel lui disant que, la prochaine fois, il ne s’échapperait pas. Un mois plus tard, soit le 11 mars 2014, il est agressé par plusieurs personnes au point où il doit se rendre à l’hôpital pour un nez fracassé. M. Reyes Contreras fait alors une dénonciation à la police péruvienne et demande sa protection. Cependant, la police lui dit ne pas être en mesure de l’aider vu leur manque de capacité et les circonstances de violence endémique sévissant au Pérou.

[8] La semaine suivante, M. Reyes Contreras décide de quitter le pays pour le Mexique et éventuellement les États-Unis. Il arrive aux États-Unis en avril 2014, et est placé en détention pour entrée irrégulière au pays. Il ne demande pas l’asile aux États-Unis. En 2020, soit six ans plus tard, M. Reyes Contreras quitte les États-Unis pour le Canada. Il arrive au Canada en octobre 2020, et dépose sa demande d’asile deux mois plus tard.

B. La Décision de la SPR

[9] Dans sa Décision, la SPR relève certaines incohérences, invraisemblances et contradictions dans le formulaire de fondement de la demande d’asile [FDA] de M. Reyes Contreras, ainsi que dans son témoignage. De surcroît, la SPR détermine que M. Reyes Contreras ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il est exposé à une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus dans la Convention ou qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[10] La SPR conclut également que M. Reyes Contreras n’est pas un témoin crédible. À plusieurs reprises, la SPR note des circonstances où le témoignage de M. Reyes Contreras contredit son récit tel que décrit dans son FDA. Quand la SPR lui demande la raison pour ces contradictions, M. Reyes Contreras répond que son récit a été mal écrit dans son FDA. La SPR observe qu’au début de l’audience, M. Reyes Contreras avait eu l’occasion d’apporter des correctifs à son récit par rapport aux incidents allégués, mais qu’il ne l’a pas fait. Par exemple, la SPR demande à plusieurs reprises pourquoi M. Reyes Contreras ne s’est pas présenté auprès des forces policières péruviennes pour signaler les menaces faites à son endroit ou ses blessures subies après la première altercation. M. Reyes Contreras répond que, selon lui, l’altercation avec les quatre sicaires n’était pas liée à sa participation aux activités contre le maire. Lorsque la SPR lui demande pourquoi il avait mentionné dans son exposé circonstancié que le gang du maire avait envoyé ces sicaires, il répond que l’exposé était peut-être mal rédigé.

[11] La SPR relève également que M. Reyes Contreras n’a pas déposé certains éléments de preuve dans son dossier pour appuyer son témoignage. Par exemple, M. Reyes Contreras dit avoir consulté un médecin après l’agression, mais n’avait pas inclus de preuves à cet effet dans le dossier. M. Reyes Contreras dit avoir oublié d’inclure cette information. La SPR rejette donc plusieurs explications de M. Reyes Contreras lors de son témoignage en raison du manque de preuves soumises.

[12] La SPR détermine aussi que l’absence de crainte de persécution contribue à miner la crédibilité générale de M. Reyes Contreras. À cet égard, la SPR souligne avoir demandé à plusieurs reprises à M. Reyes Contreras pourquoi il ne s’est jamais présenté auprès de la police péruvienne avant l’attaque du 11 mars 2014. La réponse de M. Reyes Contreras, à l’effet qu’une personne doit être presque morte au Pérou pour que les autorités prêtent attention à une plainte, ne convainc pas la SPR. La SPR conclut plutôt que M. Reyes Contreras n’a pas fourni d’explication ou d’éléments de preuve raisonnables pour démontrer une crainte réelle de persécution.

[13] Par ailleurs, lorsque la SPR demande à M. Reyes Contreras le rapport de police et le rapport médical relatif aux événements survenus le 11 mars 2014, il prétend avoir « peut-être » donné les copies à son avocat, mais qu’il ne peut en trouver une copie. Son avocat confirme toutefois à la SPR ne pas avoir reçu de tels documents de la part de M. Reyes Contreras. La SPR souligne alors la règle 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, laquelle exige que les demandeurs d’asile présentent des documents acceptables pour établir les éléments de leur demande d’asile ou expliquer adéquatement pourquoi ces documents n’ont pas été produits. La SPR juge déraisonnables les explications de M. Reyes Contreras pour justifier le manque de preuves et le défaut de fournir des documents acceptables. Ces éléments amènent la SPR à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de M. Reyes Contreras.

[14] D’autre part, la SPR juge que M. Reyes Contreras n’a pas fourni d’explications satisfaisantes pour justifier son défaut de déposer des demandes d’asile au Mexique et aux États-Unis, une omission qui, selon elle, contribue à l’absence de crainte de persécution et mine à la crédibilité de M. Reyes Contreras. La SPR s’interroge aussi sur la raison pour laquelle M. Reyes Contreras a attendu deux mois après son entrée au Canada avant de déposer sa demande d’asile. Bien que M. Reyes Contreras dise avoir eu peur de le faire, la SPR estime qu’il n’a pas expliqué de manière raisonnable la présentation tardive de sa demande d’asile.

[15] En somme, la SPR conclut que M. Reyes Contreras n’a pas établi les principales allégations contenues dans son FDA et qu’en vertu « d’une multitude de conclusions défavorables quant à la crédibilité, de contradictions et d’omissions », que M. Reyes Contreras n’est pas crédible.

C. La norme de contrôle

[16] Il ne fait pas de doute que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce en ce qui regarde les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et d’absence d’éléments de preuve suffisants pour établir le fondement de la demande d’asile (Regala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 192 au para 5; Janvier c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 142 au para 17; Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 au para 13; Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 au para 25).

[17] La norme de la décision raisonnable est présumée de s’appliquer chaque fois qu’une cour doit décider du mérite d’une demande de contrôle judiciaire. Deux exceptions permettent de réfuter cette présomption et exigent plutôt l’utilisation de la norme de la décision correcte : lorsque l’intention du législateur le requiert ou lorsque ou la règle de la primauté du droit l’exige (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 17). Aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce aux questions de crédibilité et d’appréciation de la preuve.

[18] La norme de la décision raisonnable se concentre sur la décision prise par le décideur administratif, ce qui englobe à la fois le raisonnement suivi et le résultat (Vavilov aux para 83, 87). Une décision raisonnable en est une qui est justifiée par des raisons transparentes et intelligibles qui révèlent un raisonnement intrinsèquement cohérent (Vavilov aux para 86, 99). La cour de révision doit tenir compte des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est confronté (Vavilov aux para 90, 99), sans pour autant « apprécier à nouveau la preuve prise en compte » par celui-ci (Vavilov au para 125).

[19] Il incombe à la partie qui conteste une décision administrative de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour que la cour de révision annule une décision administrative, elle doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

[20] Toutefois, en ce qui concerne les questions d’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a conclu à plusieurs reprises que l’équité procédurale ne requiert pas l’application des normes de contrôle judiciaire usuelles (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l'aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24–25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CCP] au para 54). L’équité procédurale est plutôt une question juridique qui doit être évaluée en fonction des circonstances afin de déterminer si la procédure suivie par le décideur a respecté ou non les normes d’équité et de justice naturelle (CCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51–54).

III. Analyse

[21] M. Reyes Contreras attaque la Décision de la SPR sous deux angles : le caractère déraisonnable de la Décision rendue, et le manquement à l’équité procédurale attribuable à l’incompétence de son ancien avocat.

A. Le caractère raisonnable de la Décision

[22] M. Reyes Contreras soutient qu’à plusieurs reprises dans la Décision, la SPR aurait simplement mis l’accent sur les réponses qui lui convenaient, sans considérer plusieurs explications fournies par M. Reyes Contreras ou la preuve provenant du cartable national de documentation sur le Pérou [CND]. S’appuyant sur la décision Owusu-Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF No 442 (CAF), M. Reyes Contreras maintient que, dans l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile, la SPR se devait de prendre en considération et de soupeser tous les éléments de la preuve orale et documentaire, et non seulement certains d’entre eux. M. Reyes Contreras avance que la Décision est déraisonnable puisque la SPR a conclu à un manque de crédibilité et à un manque de preuve sans avoir considéré tout le dossier devant elle.

[23] Plus particulièrement, M. Reyes Contreras allègue que la SPR aurait omis de considérer la preuve documentaire dans le dossier en ce qui a trait au persécuteur de M. Reyes Contreras — le maire de Cajatambo — et le fait qu’il a été réélu en 2022 à ce poste. Étant donc encore politiquement actif, le maire continue, aux dires de M. Reyes Contreras, de présenter une menace et un risque pour lui s’il retourne au Pérou.

[24] M. Reyes Contreras fait aussi valoir qu’il a expliqué à la SPR que les contradictions entre son témoignage et son FDA découlaient du fait que son avocat avait écrit son FDA suite à des conversations qu’ils avaient eues en espagnol, et que l’interprétation des faits effectuée par ce dernier était peut-être erronée ou lacunaire, vu qu’il n’est pas un traducteur. Or, selon M. Reyes Contreras, la SPR a omis de considérer ce fait dans la Décision.

[25] Enfin, en ce qui concerne les agressions survenues en janvier 2014, M. Reyes Contreras reproche à la SPR d’avoir conclu que « le demandeur d’asile a répondu qu’il s’agissait d’une altercation sans importance qui n’était pas liée, selon lui à sa participation aux activités du mouvement populaire ». M. Reyes Contreras soumet que ces conclusions ignorent le contexte et font fi du fait qu’il expliquait alors qu’au moment de cet évènement, il n’avait pas fait le lien entre ce qui lui est arrivé et son implication dans la campagne contre le maire.

[26] Les arguments de M. Reyes Contreras ne me convainquent pas.

[27] Je souligne d’abord que, comme le Ministre l’a noté, M. Reyes Contreras s’appuie sur certaines preuves qui n’étaient pas devant la SPR au moment de la Décision — notamment des articles de journaux publiés après l’audience devant la SPR. Il est bien acquis que la Cour ne peut tenir compte de tels éléments de preuve dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[28] Par ailleurs, M. Reyes Contreras a lui-même attesté de la vérité de son récit et de son caractère complet lorsque le traducteur le lui a lu et traduit son récit du français à l’espagnol, de même que lorsque la SPR lui a demandé en début de procès s’il avait des modifications à y apporter. M. Reyes Contreras a donc bénéficié de plusieurs opportunités pour amender son récit lors de l’audience devant la SPR, et il ne s’en est pas prévalu. Je ne décèle aucun indice qui me permettrait de conclure que la SPR n’a pas considéré cet élément dans sa Décision.

[29] Il ressort clairement de la Décision que le témoignage et les représentations de M. Reyes Contreras contredisent le récit qu’il a soumis. Dans de telles circonstances, je suis d’avis que les conclusions de la SPR voulant que ces contradictions plombaient la crédibilité de M. Reyes Contreras sont éminemment raisonnables.

[30] La SPR, je le rappelle, a « pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage […] [et] est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent » (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 732 (CAF) [Aguebor] au para 4). De ce fait, « dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire » (Aguebor au para 4). Effectivement, la cour de révision doit tenir compte des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est confronté (Vavilov aux para 90, 99), sans pour autant « apprécier à nouveau la preuve prise en compte » par celui-ci (Vavilov au para 125). De plus, l’accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions sur des éléments fondamentaux de la demande d’asile peut être suffisante pour appuyer une conclusion négative sur la crédibilité d’un demandeur (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 22).

[31] En l’espèce, rien dans les arguments avancés par M. Reyes Contreras ne permet d’identifier des erreurs qui justifieraient l’intervention de la Cour. Les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité de M. Reyes Contreras découlent plutôt de motifs transparents et intelligibles qui révèlent un raisonnement intrinsèquement cohérent (Vavilov aux para 86, 99). Une lecture attentive de la Décision démontre que la SPR a considéré adéquatement le témoignage de M. Reyes Contreras ainsi que la preuve au dossier pour appuyer sa Décision.

[32] J’ajoute qu’il est également bien établi qu’un décideur administratif est présumé avoir soupesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu’à preuve du contraire (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 598 (CAF) au para 1). Dans le même ordre d’idées, le fait de ne pas mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il a été ignoré (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‐Neuve‐et‐Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16), et le fait de ne pas analyser les éléments de preuve qui contredisent la décision du tribunal ne rend pas nécessairement cette décision déraisonnable (Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 24; Khir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 160 au para 48).

B. L’incompétence alléguée de l’ancien avocat de M. Reyes Contreras

[33] M. Reyes Contreras soumet également que l’incompétence de son ancien avocat l’aurait empêché de pouvoir se faire entendre, et qu’il aurait donc souffert d’un manquement aux règles d’équité procédurale.

(1) Les prétendus actes d’incompétence

[34] M. Reyes Contreras allègue que la SPR aurait commis une erreur de droit en ignorant les manquements répétés à l’éthique professionnelle de son avocat, et en « punissant le demandeur pour les erreurs de son conseil ». M. Reyes Contreras estime qu’en raison de ce manquement à l’équité procédurale, la Décision doit être annulée.

[35] Aux dires de M. Reyes Contreras, l’incompétence de son ancien avocat a pimenté l’audience devant la SPR et miné son droit à l’équité procédurale. Premièrement, M. Reyes Contreras allègue que son avocat a commis des erreurs de traduction dans la rédaction de son récit, lesquelles ont contribué aux contradictions soulevées par la SPR. Deuxièmement, M. Reyes Contreras prétend que son avocat ne lui a pas expliqué qu’il avait le droit de soumettre de la preuve supplémentaire. Troisièmement, M. Reyes Contreras maintient qu’il avait « peut-être » fourni une copie du rapport de police et du rapport médical pour les événements survenus le 11 mars 2014, mais que son avocat ne les a pas déposés devant la SPR. Enfin, M. Reyes Contreras ajoute que son avocat était mal préparé lors de l’audience devant la SPR et l’a donc mal représenté.

[36] Somme toute, M. Reyes Contreras blâme son ancien avocat pour toutes les failles de son dossier.

(2) Test pour l’incompétence d’un avocat

[37] Comme l’a noté le Ministre, le fardeau de preuve pour démontrer l’incompétence d’un avocat est très élevé. Effectivement, selon la jurisprudence, « la preuve de l’incompétence de l’avocat doit être si claire et sans équivoque et les circonstances si déplorables que l’injustice causée au demandeur crèverait pratiquement les yeux » (Mbaraga c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 580 au para 25). Il faut également que « l’incompétence et le préjudice allégués soient clairement prouvés » (Dukuzumuremyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 278 au para 19).

[38] Le test à appliquer pour examiner les allégations de représentation inefficace ou incompétente exige que trois éléments soient réunis. Ainsi, M. Reyes Contreras devait :

  1. corroborer l’allégation en avisant l’ancien avocat et en lui donnant la possibilité d’y répondre;

  2. établir que les actes ou les omissions de l’ancien avocat relevaient de l’incompétence, indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives;

  3. établir que le résultat aurait été différent n’eût été de l’incompétence (Abuzeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 34 au para 21; Badihi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 64 [Badihi] au para 17, citant Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 84).

[39] Pour démontrer l’incompétence, « il incombe au demandeur de prouver chacun des éléments du critère de la représentation négligente pour démontrer qu’il s’est produit un déni de justice » (Badihi au para 18). De ce fait, les critères du test sont cumulatifs et doivent donc tous être établis pour satisfaire le lourd fardeau qui incombe au demandeur.

[40] Quant au premier élément du test, la nouvelle avocate de M. Reyes Contreras a effectivement contacté l’ancien avocat de M. Reyes Contreras pour lui faire part des allégations avant le dépôt du dossier, en lui indiquant qu’il avait sept jours pour répondre à ces allégations. Le dossier a également été envoyé à ce dernier pour lui permettre de formuler des observations. Aussi, il ne fait pas de doute que le premier élément du test de l’incompétence de l’avocat est satisfait ici.

[41] Par contre, il n’en va pas de même pour les deux autres critères.

[42] En ce qui concerne le deuxième critère, M. Reyes Contreras n’a pas fourni une preuve suffisante pour démontrer le caractère manifeste et sans équivoque de l’incompétence de son avocat devant la SPR. Premièrement, les reproches de M. Reyes Contreras à l’endroit de son ancien avocat concernant le récit et le manque de preuve ont été contestés par ce dernier. Deuxièmement, même si l’ancien avocat de M. Reyes Contreras était incompétent, cela n’effacerait pas les contradictions faites par M. Reyes Contreras lui-même — qui ne peuvent assurément pas être uniquement imputables à l’ancien avocat. Je souligne que M. Reyes Contreras a lui-même attesté de la vérité et du caractère complet de son récit lorsque le traducteur lui a lu et traduit son récit du français à l’espagnol, et lorsque la SPR lui a demandé en début d’audience s’il avait des modifications à apporter à son récit. Troisièmement, en ce qui a trait au manque de preuve relative à l’altercation du 11 mars 2014, l’ancien avocat affirme que M. Reyes Contreras ne lui a remis aucune preuve eu égard au rapport de l’hôpital ou au rapport de police. Qui plus est, M. Reyes Contreras a admis lors de l’audience devant la SPR qu’il avait « peut-être » remis la preuve à son avocat.

[43] En regard de ces éléments, force est de constater que la preuve soumise eu égard aux agissements allégués de l’ancien avocat de M. Reyes Contreras est loin d’être concluante, et que le deuxième élément du test n’est donc pas établi. Nous sommes ici passablement loin d’un cas qui « crève les yeux » au point de constituer un déni de justice.

[44] Je suis aussi d’avis que le troisième critère n’est pas établi lui non plus. Comme l’a mentionné le Ministre, l’incompétence alléguée ne suffit pas à justifier, loin de là, la majorité des lacunes relevées par la SPR. Les deux contradictions faites par M. Reyes Contreras même après qu’il ait pu entendre la lecture du récit par le traducteur le démontrent bien. De plus, l’omission de plusieurs éléments de preuve et de faits cruciaux dans le récit du M. Reyes Contreras ne peuvent pas uniquement être attribués à son ancien avocat. C’est notamment le cas pour l’agression de mars 2014. Enfin, M. Reyes Contreras a posé plusieurs gestes incompatibles avec celui d’une personne craignant réellement pour sa vie. Par exemple, le fait de n’avoir pas demandé l’asile au Mexique ou aux États-Unis, et même au Canada lors de ses deux premiers mois au pays. Il va sans dire que tous ces faits et gestes n’ont rien à voir avec le comportement ou l’incompétence alléguée de son ancien avocat. Or, il est clair qu’ils ont nui à la crédibilité de M. Reyes Contreras et ont contribué à la Décision défavorable de la SPR.

[45] Ainsi, rien dans le dossier ne permettrait de conclure que le résultat de l’analyse de la SPR aurait été différent hormis l’incompétence alléguée.

[46] L’incompétence d’un avocat ne constituera une atteinte à l’équité procédurale que dans des circonstances extraordinaires ou exceptionnelles. À la lumière de l’analyse qui précède, M. Reyes Contreras n’a pas réussi à démontrer que l’incompétence de son ancien avocat est si claire et sans équivoque qu’elle constitue une situation justifiant l’intervention de la Cour.

IV. Conclusion

[47] Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[48] Aucune des parties n’a proposé de question d’importance générale à certifier, et je conviens qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT au dossier IMM-9634-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9634-22

INTITULÉ :

PAUL EMILIO REYES CONTRERAS c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 OCTOBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

GASCON J.

DATE DES MOTIFS

LE 31 OCTOBRE 2023

COMPARUTIONS :

Me Ludmila Lupu

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Suzon Létourneau

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

HENRIQUEZ AVOCATS INC.

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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