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Date : 20231005


Dossier : T-529-23

Référence : 2023 CF 1331

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

PASCAL DUGAS, MARCO VACHON et LUC BELLIVEAU

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente ordonnance et les motifs qui suivent se rapportent à une requête datée du 6 septembre 2023 présentée par écrit par le défendeur, le procureur général du Canada. La requête, fondée sur l’article 8 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], vise le prononcé d’une ordonnance prorogeant le délai de signification et de dépôt de la défense jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la requête en autorisation du recours collectif envisagé en l’espèce.

[2] Comme expliqué plus en détail ci-dessous, la requête du défendeur est accueillie, étant donné que d’exiger du défendeur qu’il signifie et dépose une défense avant qu’il ne soit statué sur la requête en autorisation du présent recours collectif envisagé ne permettrait pas d’obtenir une résolution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

II. Contexte

[3] Les représentants demandeurs sont tous trois membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et allèguent que leur droit à la vie privée a été violé par la GRC et par d’autres personnes dont cette dernière a la responsabilité. Ils réclament ainsi des dommages-intérêts et d’autres réparations à la Couronne fédérale (le Canada).

[4] Le 16 mars 2023, les demandeurs ont déposé leur déclaration dans le cadre du recours collectif envisagé en l’espèce. Ils y allèguent qu’entre octobre 2017 et le début de l’année 2020, des mandataires du Canada ont enregistré 557 jours de conversations audio entre les demandeurs et d’autres membres de la GRC. Ces enregistrements ont eu lieu sans le consentement des demandeurs ou des autres parties aux conversations, et sans ordonnance du tribunal. Ils allèguent aussi que les enregistrements ont ensuite été communiqués à d’autres autorités.

[5] Les demandeurs allèguent que ces activités constituent une violation du paragraphe 184(1) du Code criminel, LRC 1985, c C-46, du droit à la vie privée des demandeurs, des obligations de fiduciaire du Canada et de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[6] Dans la déclaration, les demandeurs proposent l’autorisation d’un recours collectif pour un groupe [le groupe proposé] constitué de :

[traduction]

tous les membres de la GRC vivants en date du 18 mars 2023 qui allèguent que leur droit à la vie privée a été violé par les préposés, les agents contractuels, les mandataires ou les employés du Canada et par les opérateurs, les gestionnaires, les administrateurs, les agents de police et les autres membres du personnel des divers commissariats de police et bureaux locaux de la GRC exploités par le Canada.

[7] Les allégations contenues dans la déclaration se rapportent à une période de référence comprise entre 17 avril 1982 et aujourd’hui [la période couverte par le recours collectif envisagé].

[8] Le recours collectif envisagé n’en est qu’à ses premières étapes. La juge associée Steele et moi-même avons été saisis de cette affaire, et la première conférence de gestion d’instance [CGI] a été fixée au 14 novembre 2023. Dans le cadre de la planification de cette CGI, les avocats des parties se sont consultés en vue de fournir à la Cour une mise à jour de l’état de la présente affaire. Lorsqu’ils ont produit cette mise à jour par lettre en date du 18 juillet 2023, les avocats du défendeur ont fait part de l’intention de ce dernier de demander que le délai pour déposer la défense soit prorogé à une date postérieure à l’audience relative à l’autorisation. Ils ont expliqué que les demandeurs ne consentaient pas à cette mesure et que le défendeur déposerait donc une requête écrite en vertu de l’article 369 en vue d’obtenir une telle prorogation.

[9] Le défendeur a déposé son dossier de requête le 6 septembre 2023 et les demandeurs ont déposé leur dossier de requête en réponse le 18 septembre 2023. Le défendeur n’a pas déposé de dossier de réponse à la requête.

III. La question en litige

[10] Les parties conviennent que la seule question soulevée en l’espèce est de savoir si la Cour devrait accorder au défendeur une prorogation du délai pour déposer une défense jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue quant à la requête en autorisation du recours collectif envisagé.

IV. Analyse

[11] Les observations écrites des parties portent essentiellement sur la jurisprudence applicable de la Cour et celle de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la CSCB), y compris sur l’évolution de cette jurisprudence au sein de la CSCB.

[12] À l’appui de sa requête, le défendeur a expliqué avoir ciblé quatre requêtes ayant été débattues devant la Cour fédérale, et dans lesquelles la partie défenderesse avait demandé une prorogation du délai pour déposer une défense dans le cadre d’un recours collectif envisagé. Dans chacune de ces affaires, la Cour avait accueilli la requête, jugeant que le dépôt d’une défense avant la tenue de l’audience relative à l’autorisation ne conduirait pas à la résolution la plus juste, la plus efficiente et la moins coûteuse du litige (voir Always Travel Inc. c Air Canada, 2003 CFPI 212 aux para 6, 9, 12; ordonnance et autorisation datées du 3 décembre 2012, dans le dossier T-1784-12, Horseman c Canada; Nation Crie Poundmaker c Canada, 2017 CF 447 [Poundmaker], au para 40; Kahnapace c Canada (Procureur général), 2021 CF 543 [Kahnapace]).

[13] En revanche, les demandeurs renvoient la Cour à une jurisprudence relativement récente de la CSCB, selon laquelle la pratique consistant à permettre le dépôt tardif de dossiers de réponse (similaires aux défenses présentées devant la Cour fédérale) lors de recours collectifs devant la CSCB n’est plus en vogue en Colombie-Britannique, en l’absence d’une bonne raison d’accorder une telle permission (voir British Columbia v Apotex Inc., 2020 BCSC 412 [Apotex] aux para 82-91). Dans l’affaire Shaver v Mallinckrodt Canada ULC, 2021 BCSC 404 [Shaver], au paragraphe 30, la juge Matthews a conclu que, s’il était possible d’observer en Colombie-Britannique une tendance de la jurisprudence ou une utilisation courante de la sanction judiciaire pour retarder le dépôt des réponses à une date ultérieure à l’audience relative à l’autorisation, le vent avait tourné suivant avec le prononcé de la décision Pro-Sys Consultants Ltd v Microsoft Corporation, 2015 BCSC 74 [Pro-Sys].

[14] Le défendeur prend acte de la jurisprudence de la CSCB, et souligne que, conformément à la conclusion de l’affaire Shaver, la présomption est qu’une réponse serait utile (au para 37). Toutefois, le défendeur soutient qu’une telle présomption n’existe pas dans la jurisprudence de la Cour fédérale.

[15] Après avoir examiné cette jurisprudence et d’autres décisions citées en l’espèce, je n’ai pas relevé de divergence fondamentale quant aux principes appliqués par la Cour fédérale et ceux appliqués par la CSCB.

[16] Comme l’explique la juge Strickland dans la décision Poundmaker, rien n’est prévu dans les Règles quant à la possibilité de déposer la défense après le prononcé de la décision sur la requête en autorisation d’un recours collectif envisagé (au para 19). Toutefois, l’article 8 prévoit que la Cour peut proroger tout délai prévu par les Règles, et l’article 3 dispose que les Règles doivent être interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (voir au para 20). En fin de compte, la question de savoir si, dans une situation donnée, il y a lieu de proroger le délai prescrit pour le dépôt de la défense jusqu’au prononcé de la décision sur la requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge (voir au para 21).

[17] De même, la CSCB a le pouvoir discrétionnaire de donner des directives quant au moment auquel les réponses doivent être déposées (voir Apotex, au para 82), et les principes juridiques qui régissent ce pouvoir discrétionnaire comprennent l’objectif primordial des Supreme Court Civil Rules, BC Reg 168/2009 [les Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en matière civile], qui est d’apporter une solution au litige juste et la plus expéditive et économique possible (voir art 1-3).

[18] Pour établir un cadre jurisprudentiel permettant d’appliquer ces principes généraux à la question de savoir s’il faut retarder le dépôt d’une défense à une date ultérieure à l’autorisation d’un recours collectif, la jurisprudence de la Cour fédérale et de la CSCB évoquée par les parties démontre une fois encore qu’il existe des similitudes importantes entre les deux juridictions.

[19] Dans la décision Kahnapace, la plus récente des décisions de la Cour fédérale citées par le défendeur, le juge Fothergill décrit (au para 15) le cadre établi par la juge Strickland dans la décision Poundmaker, et sur lequel il s’appuie lui-même (au para 30) :

15. Dans la décision Poundmaker, la juge Cecily Strickland a fourni le cadre utile suivant qui permet de statuer sur les requêtes en prorogation du délai pour le dépôt d’une défense jusqu’à ce que soit tranchée la requête en autorisation (au para 30, citations omises) :

i) la question de savoir si un défendeur doit présenter une défense avant l’audience [relative à l’]autorisation est [une question qui intéresse purement l’exercice du pouvoir discrétionnaire] judiciaire;

ii) la question de savoir si ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé dépend des faits de l’affaire et doit être [examinée] de manière souple et libérale, en [cherchant à concilier] efficacité et équité;

iii) bien que la prorogation du [délai applicable au] dépôt semble être une pratique ou [un usage courant], elle n’est pas [accordée de façon] automatique et ne [va pas de soi] […] et le fardeau de la preuve incombe à la partie requérante;

iv) sur ce point, la requête doit être fondée sur des motifs [valables] qui doivent généralement [être étayés par des éléments de preuve], même si la Cour peut recourir au contenu de la déclaration lorsque les circonstances l’y autorisent;

v) voici quelques facteurs à prendre en compte dans l’examen d’une requête de ce genre :

a. la question de savoir si [la] défense servira à la Cour à ce stade de la procédure. En d’autres termes, [la] défense est‑[elle] essentiel[le] pour trancher les questions [qui doivent être examinées dans le cadre] de la requête en autorisation ou est‑[elle] susceptible d’être utile à la Cour;

b. la question de savoir si [la réparation demandée permettra d’]apporter une solution au litige qui [soit] juste et la plus expéditive et économique possible;

c. la pertinence des facteurs contextuels que sont la nature des actes de procédure et les droits revendiqués;

d. la complexité de l’affaire;

e. le temps et le travail nécessaires à la préparation [de la] défense;

f. la possibilité que [la] défense [doive] être entièrement reformulé[e] en fonction de l’issue de l’audience [relative à l’]autorisation;

g. l’existence d’un préjudice évident à l’égard du demandeur.

[20] Dans la décision Shaver, la juge Matthews a examiné les facteurs dégagés dans la décision Poundmaker et est parvenue aux conclusions suivantes quant à la relation entre ces facteurs et la jurisprudence de la CSCB (au para 37) :

[traduction]

37. Ces facteurs peuvent être appliqués conformément à la décision du juge Myers dans l’affaire Pro‑Sys et à celle de la juge Griffin dans l’affaire [Shaver v British Columbia, 2017 BCSC 108] pour trancher la question de savoir s’il existe une « bonne raison » de ne pas exiger que les réponses soient déposées avant la remise des documents relatifs à l’autorisation, et si cette « bonne raison » l’emporte sur les avantages de disposer d’un ensemble complet d’actes de procédure pour orienter la décision quant à l’autorisation, la détermination des questions liées à l’autorisation et l’analyse de ces questions. À cet égard, je n’appliquerais pas le facteur a) de la manière décrite par la juge Strickland dans la décision Poundmaker. Il ne s’agit pas de savoir si la réponse à l’action civile est « essentielle » pour trancher les questions qui doivent être examinées dans le cadre de la requête en autorisation. Il suffit qu’elle soit utile pour déterminer les questions à trancher lors du traitement de la requête en autorisation. La présomption est qu’elle sera utile. Il appartient aux défendeurs, en leur qualité de parties requérantes, de convaincre la Cour qu’elle devrait accorder la réparation demandée : Poundmaker, au para 21.

[21] Dans ce passage, la juge Matthews conclut qu’une cour de justice doit évaluer si une défense ou une réponse serait utile, plutôt qu’essentielle, pour trancher les questions qui doivent être examinées dans le cadre de la requête en autorisation. Cependant, le facteur a) tel qu’énoncé dans la décision Poundmaker inclut l’examen de la question de savoir si la défense servira à la Cour à ce stade de la procédure. Ainsi, à mon avis, il est probable qu’il y ait peu de divergences dans l’application du facteur a) tel qu’il a été formulé dans les décisions Poundmaker et Shaver. En outre, en énonçant la présomption relative au caractère utile de la réponse ou de la défense, la juge Matthews (au para 37) renvoie à la conclusion de l’arrêt Poundmaker (au para 21) selon laquelle il appartient aux défendeurs d’établir que, compte tenu des circonstances, le dépôt d’une réponse ne devrait pas être nécessaire au moment où celle-ci est exigible aux termes des règles de procédure applicables.

[22] La similarité dans la jurisprudence des deux juridictions est également manifeste si l’on considère le fait que les facteurs de la décision Poundmaker ont été décrits dans la décision Shaver comme étant applicables à une évaluation globale quant à la question de savoir s’il existe une « bonne raison » de ne pas exiger que les réponses soient déposées avant la remise des documents relatifs à l’autorisation, et à savoir si cette « bonne raison » l’emporte sur les avantages de disposer d’un ensemble complet d’actes de procédure pour orienter la décision quant à l’autorisation, la détermination des questions liées à l’autorisation et l’analyse de ces questions. En ce qui concerne les observations spécifiques des parties sur les faits en l’espèce, je suis d’avis que les facteurs de la décision Poundmaker et l’exercice de mise en balance décrit dans la décision Shaver peuvent être utiles à la Cour dans l’examen de ces observations.

[23] Les demandeurs soutiennent que, si aucune défense n’est produite, ils n’auront pas d’autre choix que de deviner les moyens de défense que présentera le défendeur. Les demandeurs notent que le défendeur soulève dans ses observations écrites quant à la présente requête la question de l’application de l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50 [la LRCECA]. Le défendeur précise qu’il est allégué dans la déclaration que les personnes inscrites au recours collectif envisagé ont souffert d’une atteinte à leur santé mentale et émotionnelle équivalant à une invalidité grave et permanente. Dans ce contexte, le défendeur allègue que l’article 9 de la LRCECA proscrit toute poursuite à l’encontre du Canada pour toute perte – notamment décès, blessure ou dommage – ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité. Les demandeurs soutiennent que, sans savoir si le défendeur invoquera cette disposition dans sa défense, ils devront consacrer du temps et des ressources à la préparation de documents relatifs à l’autorisation pour traiter de questions qui pourraient ne pas être pertinentes.

[24] J’admets que cet argument constitue un exemple d’un élément de la jurisprudence de la CSCB, à savoir que le dépôt d’une défense avant l’audience relative à l’autorisation aide à clarifier les questions en litige entre les parties (voir Apotex, au para 90), notamment la détermination des questions communes et de leur possibilité à contribuer à l’évaluation des critères applicables à l’autorisation (voir Shaver, aux para 31 et 32). En appliquant les facteurs décrits dans l’arrêt Poundmaker, je conclus qu’il serait utile d’obtenir la défense avant l’audience relative à l’autorisation et que, en l’absence d’une défense, l’incertitude quant aux questions en litige pourrait être préjudiciable aux demandeurs.

[25] En ce qui concerne les observations du défendeur, je suis d’avis que son argument le plus convaincant découle du fait que, bien que les trois représentants demandeurs prétendent que leurs communications ont été enregistrées entre 2017 et 2020, la déclaration fait état d’un recours collectif envisagé reposant sur des allégations visant l’ensemble de la GRC, et la période visée par le recours collectif envisagé commence en avril 1982. Le défendeur fait valoir que, puisque la déclaration ne renferme aucun fondement factuel ou juridique en ce qui a trait à une réclamation visant une période antérieure à 2017, il est peu probable que la période couverte par le recours collectif envisagé soit autorisée.

[26] Le défendeur affirme que, telle qu’elle est actuellement formulée, la déclaration soulève des questions de fait à propos de la mesure dans laquelle les communications ont été enregistrées dans l’ensemble de la GRC pendant près de 40 ans et les membres de la GRC avaient connaissance de ces enregistrements, ainsi que de la prise en compte des motifs professionnels et d’intérêt public pouvant justifier l’enregistrement de ces communications. Ainsi, la préparation de la défense nécessiterait une collecte d’information considérable et une recherche des faits approfondie. Le défendeur soutient qu’avant de savoir si les demandeurs parviendront à obtenir l’autorisation du recours collectif envisagé selon les modalités actuellement proposées, il ne devrait pas être contraint de consacrer d’importantes ressources pour conduire les recherches et les vérifications nécessaires à la préparation d’une défense à l’encontre d’allégations d’une telle portée géographique et temporelle.

[27] Je conclus, après avoir appliqué les facteurs décrits dans la décision Poundmaker, qu’en raison de la portée des allégations invoquées, le défendeur soulève des préoccupations légitimes concernant la complexité de l’affaire et la question de savoir si la défense pourrait devoir être reformulée en fonction de l’issue de la requête en autorisation, notamment en ce qui a trait aux temps et aux efforts devant être consacrés à la préparation de la défense. Pour ce qui est du dernier des facteurs en question, j’insiste sur le fait que ce n’est pas tant le temps et les efforts consacrés à la rédaction de l’acte de procédure lui-même, mais plutôt le travail de recherche qui sera nécessaire pour cibler les faits qui pourront servir à étayer cet acte de procédure, qui constitue la principale préoccupation. Je reconnais que le défendeur n’a présenté aucune preuve permettant d’évaluer l’ampleur des efforts qui devront être déployés ou leur coût. Toutefois, la déclaration, sous sa forme actuelle, nous permet de constater que les proportions du recours collectif envisagé et de la période couverte par le recours collectif envisagé sont considérablement plus étendues que celles des allégations des représentants demandeurs concernant les atteintes à la vie privée dont ils ont été victimes. À mon avis, ces considérations sont suffisantes pour appuyer l’argument du défendeur.

[28] Le facteur de la décision Poundmaker répondant le plus directement aux considérations prévues par l’article 3 des Règles est la question de savoir si le fait d’exiger la présentation d’une défense avant l’audience relative à autorisation favorisera la résolution juste et économique du litige. En l’absence de défense, il est possible que les demandeurs consacrent du temps et des ressources à la préparation de documents relatifs à l’autorisation pour traiter de questions (comme l’application de l’article 9 de la LRCECA) qui pourraient être non pertinentes. Il a été conclu dans la décision Pro-Sys que, même en l’absence de dépôt d’une défense, le demandeur aurait dû soulever, au cours du processus d’autorisation, des questions se rapportant à des délais de prescription applicables (au para 27). De manière plus générale, je suis d’avis que l’absence de défense n’élimine pas la nécessité pour un demandeur d’envisager, dans ses documents relatifs à l’autorisation, les questions susceptibles d’être soulevées par la défense, surtout si ces questions ont été soulevées dans d’autres documents relatifs à l’autorisation. Néanmoins, il se peut que de passer à l’étape de l’autorisation avant que ces questions ne soient éclaircies dans une défense aboutisse à un gaspillage de ressources et d’efforts.

[29] Cependant, je suis d’avis que le risque encouru par les demandeurs de gaspiller leurs efforts est surpassé par ce même risque qu’encourt le défendeur, qui devra mener des recherches au sein de l’ensemble de l’organisation de la GRC pour une période couvrant près de 40 ans, de manière à pouvoir déposer une défense adéquate contre des allégations qui seront avancées dans le cadre d’un recours collectif qui n’a pas encore été autorisé, alors même que la portée de ces allégations dépasse de manière considérable les affirmations factuelles des représentants demandeurs. Compte tenu des facteurs établis dans la décision Poundmaker et des dispositions de l’article 3 des Règles et des circonstances de l’espèce, le fait d’exiger une défense avant l’audience relative à l’autorisation ne permettrait pas d’obtenir une décision qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

[30] D’un autre côté, le problème soulevé par le défendeur, lorsqu’examiné sous la lorgnette de la décision Shaver, constitue une bonne raison de ne pas exiger le dépôt d’une réponse avant la production des documents relatifs à l’autorisation. Bien qu’il y ait des avantages à disposer d’un ensemble complet d’actes de procédure afin d’éclairer la décision quant à l’autorisation, la détermination des questions liées à l’autorisation et l’analyse de ces questions, la bonne raison invoquée par le défendeur l’emporte sur ces avantages.

[31] J’exercerai donc mon pouvoir discrétionnaire d’accueillir la requête du défendeur et je prorogerai le délai de signification et de dépôt de la défense jusqu’à 30 jours après le prononcé de la décision finale sur la requête en autorisation du recours collectif envisagé en l’espèce. Toutefois, conformément à l’approche adoptée par la juge Strickland dans la décision Poundmaker (au para 42), cette prorogation pourra être réexaminée si, au cours de l’affaire, il devient manifeste qu’une conclusion différente est justifiée.

[32] Conformément au paragraphe 334.39(1) des Règles, aucune des parties n’a réclamé de dépens pour cette requête, et aucuns dépens ne sont accordés.


ORDONNANCE DANS T-529-23

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête du défendeur est accueillie et le délai pour la signification et le dépôt de la défense du défendeur dans le contexte du recours collectif envisagé est, sauf décision contraire de la Cour, prorogé à 30 jours après qu’il soit statué sur la requête en autorisation, si la Cour y fait droit.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-529-23

 

INTITULÉ :

PASCAL DUGAS, MARCO VACHON, ET LUC BELLIVEAU c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

 

DATE :

5 octobre 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Rodney J. Gillis, c.r.

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Angela Green

Victor Ryan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gilbert McGloan Gillis

Saint John (Nouveau-Brunswick)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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