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Date : 20230808


Dossier : T‑1105‑20

Référence : 2023 CF 1083

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 août 2023

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

KELLY MCQUADE

DAVID COMBDEN

GRAHAM WALSH

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

REPRÉSENTANT SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Kelly McQuade, David Combden et Graham Walsh [les demandeurs] sont des membres réguliers de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC]. Ils demandent à la Cour d’autoriser la présente action comme recours collectif en dommages‑intérêts et autres mesures de réparation au nom du groupe envisagé suivant [le groupe] :

[traduction]

Toutes les personnes qui sont ou ont été membres réguliers (selon la définition de cette expression à l’article 1 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014‑281) et qui ont reçu un diagnostic de traumatisme lié au stress opérationnel et/ou souffrent ou ont souffert d’un tel traumatisme. Il est entendu que les membres civils et les fonctionnaires de la Gendarmerie royale du Canada sont exclus du groupe.

[2] Les demandeurs ont chacun reçu un diagnostic de traumatisme lié au stress opérationnel [TSO]. Ils affirment que les membres réguliers de la GRC courent un risque important de développer des TSO en raison des caractéristiques intrinsèques de leurs fonctions professionnelles. Les membres du groupe envisagé sont régulièrement exposés à des situations mettant leur vie en danger, à des blessures graves, à de la violence familiale et à d’autres événements traumatisants. Il y a peu de séparation entre le travail et la vie personnelle, ce qui se traduit par un état de vigilance constante.

[3] La GRC offre à ses membres une gamme de services visant la prévention, la détection, le diagnostic et le traitement des TSO, ainsi que la prise de mesures d’adaptation à l’égard de ceux‑ci. Les demandeurs définissent ces services [les services de santé mentale] comme suit :

[traduction]

[… ] tous les services de soins de santé mentale fournis par la GRC aux membres du groupe en tout temps, y compris, mais sans s’y limiter : les services fournis par l’entremise des bureaux des services de santé et de sécurité au travail (les bureaux des SSST); le Programme de prestations et les droits aux soins de santé; les Cliniques de traitement des traumatismes liés au stress opérationnel (TSO); les évaluations de santé périodiques; le soutien en santé mentale non professionnel, y compris par l’entremise du programme de soutien par les pairs; les efforts de formation et d’éducation, y compris le programme En route vers la préparation mentale […]

[4] Les demandeurs allèguent que la GRC a mis en œuvre les services de santé mentale de façon négligente. Ils allèguent également que les services de santé mentale sont sensiblement différents et de qualité inférieure aux soins de santé fournis par la GRC aux membres qui subissent des blessures physiques dans l’exercice de leurs fonctions. Plus particulièrement, les demandeurs affirment que les membres du groupe envisagé font face à des obstacles systémiques et à des retards en ce qui concerne l’obtention de diagnostics ou de traitements pour les TSO et le retour à un travail valorisant. Les demandeurs allèguent que la mise en œuvre des services de santé mentale par la GRC équivaut à de la discrimination contre les membres du groupe envisagé pour cause d’incapacité mentale, en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 [la Charte].

[5] Le procureur général du Canada [le défendeur] s’oppose à l’autorisation du recours collectif envisagé, principalement au motif que la deuxième nouvelle déclaration modifiée [la déclaration] ne révèle aucune cause d’action valable. Le défendeur soutient que les réclamations du groupe envisagé sont irrecevables par application de l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50 [la LRCECA].

[6] Le défendeur fait remarquer que tous les représentants demandeurs proposés touchent une pension d’invalidité et que la Cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve indiquant qu’un membre du groupe envisagé n’est pas admissible à une pension au sens de l’article 9 de la LRCECA. La déclaration définit un TSO comme [traduction] « persistant » et, par conséquent, potentiellement susceptible d’être indemnisé au moyen d’une pension d’invalidité :

[traduction]

« traumatisme lié au stress opérationnel » ou « TSO » désigne tout état psychologique persistant et attribuable aux fonctions opérationnelles exercées à la GRC qui entraîne une altération du fonctionnement, notamment des troubles médicaux diagnostiqués, comme l’état de stress post‑traumatique, la dépression, l’anxiété et les attaques de panique.

[7] Subsidiairement, le défendeur a présenté à la Cour, au titre de l’article 50 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, une requête en suspension de l’instance au motif que les réclamations formulées, le groupe envisagé et les réparations demandées chevauchent deux recours collectifs déjà autorisés : Greenwood c Canada, 2020 CF 119, décision confirmée par 2021 CAF 186 [Greenwood], et Delisle c R, 2018 QCCS 3855, décision confirmée par 2018 QCCA 1993 [Delisle]. D’après le défendeur :

[traduction]

Les trois causes portent sur la même question : La GRC a‑t‑elle négligé de fournir un milieu de travail sain et sécuritaire exempt de harcèlement et de discrimination, y compris la discrimination fondée sur l’incapacité mentale? Les causes sont fondées sur les mêmes faits, allèguent les mêmes actes fautifs et réclament des dommages‑intérêts contre le même défendeur relativement aux mêmes pertes.

[8] Pour les motifs qui suivent, la déclaration fait état d’une cause d’action valable, soit la négligence systémique. Toutefois, la déclaration ne mentionne pas assez de faits importants pour étayer une allégation de violation de l’article 15 de la Charte.

[9] Dans leurs observations formulées de vive voix, les avocats des demandeurs ont concédé que les poursuites pour négligence systémique des membres du groupe qui sont admissibles à une pension d’invalidité sont irrecevables par application de l’article 9 de la LRCECA. Ils ont néanmoins laissé entendre que ces membres du groupe pourraient faire valoir la réclamation fondée sur la Charte et participer à toute adjudication globale de dommages‑intérêts fondée sur la Charte qui pourrait être accordée par la Cour.

[10] La réclamation fondée sur la Charte formulée dans la déclaration repose sur les mêmes faits que la réclamation fondée sur la négligence systémique. Elle est donc irrecevable par application de l’article 9 de la LRCECA et ne peut donc être présentée par aucun des membres du groupe qui touchent une pension d’invalidité ou qui sont admissibles à en recevoir une. Cela comprend tous les représentants demandeurs proposés, ainsi que la sergente d’état‑major [s.é‑m.] Jennifer Pound, une membre du groupe envisagé qui a présenté un affidavit à l’appui de la demande d’autorisation.

[11] À la lumière de la concession des demandeurs selon laquelle leur réclamation fondée sur la négligence systémique est irrecevable par application de l’article 9 de la LRCECA, et de la conclusion de la Cour selon laquelle leur réclamation fondée sur la Charte est également irrecevable, il n’y a pas de représentant demandeur pour défendre les intérêts du groupe. La Cour ne dispose pas non plus d’éléments de preuve permettant de satisfaire aux autres critères d’autorisation énoncés au paragraphe 334.16(1) des Règles, à savoir : b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes; c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre; d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs.

[12] Il est possible que ces lacunes soient corrigées au moyen d’une déclaration modifiée et d’une nouvelle demande d’autorisation. Par conséquent, la demande d’autorisation sera rejetée, mais avec autorisation de la modifier.

[13] Compte tenu des modifications importantes à la déclaration qui doivent être apportées avant que le recours collectif envisagé puisse être autorisé, il est prématuré de trancher la demande du défendeur de surseoir à l’instance en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les cours fédérales.

II. Contexte

[14] Les demandeurs allèguent que, entre le 17 avril 1985 et le 1er novembre 2021, 41 069 membres réguliers de la GRC ont travaillé au moins une journée.

[15] Les demandeurs affirment que les membres réguliers de la GRC sont confrontés à un ensemble unique de risques professionnels. Leur travail est intrinsèquement stressant, complexe et dangereux. L’exposition régulière à des événements traumatisants est associée à un risque plus élevé de développer un trouble de stress post‑traumatique (TSPT), un trouble dépressif majeur, un trouble panique, un trouble anxieux généralisé et un trouble d’anxiété sociale, ainsi qu’à des problèmes de consommation d’alcool et autres substances, des problèmes conjugaux, des douleurs chroniques, des troubles du sommeil et des taux de suicide beaucoup plus élevés.

[16] Une étude sur les symptômes des troubles mentaux parmi le personnel de la sécurité publique menée en 2018 a révélé que la prévalence du TSPT au cours de la vie pour la population canadienne en général est d’environ 9 %; cependant, la prévalence du TSPT à la GRC a été estimée à 30 %. (Dr Nicholas Carleton et coll., Mental Disorder Symptoms among Public Safety Personnel in Canada (Les symptômes du trouble mental chez le personnel de la sécurité publique au Canada) (2018) 63:1 The Canadian Journal of Psychiatry (Revue canadienne de psychiatrie) 55). D’après l’étude, les membres de la GRC ont affirmé présenter des symptômes de dépression cliniques dans une proportion de 31,7 %, d’anxiété dans une proportion de 23,3 %, de trouble d’anxiété sociale dans une proportion de 18,7 % et de troubles lié à la consommation d’alcool dans une proportion de 3,9 %. Au total, 50,2 % des personnes de l’échantillon étudié ont obtenu un résultat positif au dépistage d’un trouble de santé mentale. L’étude portait sur des membres réguliers et civils de la GRC. Les demandeurs affirment que ces pourcentages seraient probablement plus élevés si l’étude avait été limitée aux membres réguliers, étant donné leur rôle de maintien de l’ordre de première ligne.

[17] Les demandeurs allèguent que la GRC est consciente depuis des décennies des problèmes uniques en matière de santé mentale auxquels sont confrontés les membres de la GRC et de la stigmatisation associée à la maladie mentale. Selon les statistiques publiées par Anciens Combattants Canada [ACC] en septembre 2009, 1 711 membres de la GRC souffraient de troubles psychiatriques, y compris le TSPT, les troubles anxieux, les troubles paniques et la dépression. De ce nombre, 1 051 membres ont été licenciés, tandis que 660 ont continué de travailler.

[18] Par le passé, les membres de la GRC n’avaient accès qu’au Programme d’aide aux employés [le PAE] régulier offert dans l’ensemble de la fonction publique fédérale. Le soutien était offert pendant une courte période de temps et n’était pas spécifiquement adapté aux besoins complexes des membres de la GRC, y compris ceux qui souffrent de TSO.

[19] En 2010, la GRC a annoncé un projet pilote pour aider à gérer les symptômes de la maladie mentale liée au service, qui s’inspire d’un programme mis en œuvre par les Forces armées canadiennes. L’initiative n’est jamais devenue pleinement opérationnelle et a été annulée en 2012. La GRC a continué d’offrir les programmes génériques de santé mentale existants.

[20] En 2013, les statistiques d’ACC indiquaient que le nombre de demandes de prestations d’invalidité présentées par des membres de la GRC atteints de TSPT avait doublé au cours des cinq années précédentes. En 2014, 41,7 % des demandes de prestations d’invalidité de longue durée présentées par des membres qui ne faisaient plus partie de la GRC découlaient de problèmes de santé mentale. Les demandeurs affirment que ces chiffres ne représentent qu’une fraction du nombre total de membres réguliers qui souffrent d’un TSO, car ils excluent ceux qui ont choisi de ne pas divulguer leurs TSO ou qui n’ont pas atteint le seuil d’admissibilité à une pension d’invalidité.

[21] En mai 2014, la GRC a annoncé une stratégie quinquennale en matière de santé mentale et a affirmé ceci : [TRADUCTION] « Il est très important de s’occuper de nos employés pour veiller à ce qu’ils puissent contribuer et être des membres sains et équilibrés de l’organisation. Nous pouvons et nous devrions faire davantage pour s’attaquer au problème de la santé mentale en milieu de travail. » Les demandeurs affirment que, à bien des égards, la Stratégie en matière de santé mentale était une reformulation des services existants, c’est‑à‑dire un accès continu au PAE, complété par un programme de soutien par les pairs et des évaluations de santé périodiques triennales. La stratégie comprenait également les soins continus fournis par les bureaux des Services de santé et de sécurité au travail (SSST) de la GRC, ainsi que la couverture existante pour les médecins de l’extérieur offerte dans le cadre du Programme de prestations et des droits aux soins de santé.

[22] En 2016, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a publié un rapport sur la prévalence des TSO et des TSPT chez les agents de la sécurité publique et les premiers répondants. Le Comité permanent a insisté sur la nécessité de reconnaître le milieu de travail particulier et unique des divers agents de la sécurité publique et le fait que les agents de la GRC [traduction] « sont déployés au pays dans un environnement d’incertitude constante, souvent pendant des décennies ». Le Comité permanent a souligné la nécessité de recueillir et de conserver des données sur la santé mentale des agents réguliers de la GRC et a souligné la nécessité de mener d’autres recherches exhaustives sur la prévention, l’éducation, le dépistage, l’intervention et le traitement, ainsi que l’importance d’un diagnostic précoce.

[23] En 2017, le Bureau du vérificateur général a publié les conclusions d’une vérification intensive des services de santé mentale et de la Stratégie en matière de santé mentale de la GRC pour la période de janvier 2012 à décembre 2016 [le Rapport du vérificateur général]. L’objectif de la vérification était d’évaluer « si les membres de la GRC avaient eu accès à des services de santé mentale qui répondaient à leurs besoins » et d’examiner si la Stratégie en matière de santé mentale de la GRC permettait la détection et l’intervention précoces ou l’amélioration continue de la gestion des problèmes de santé mentale en milieu de travail. La vérification a permis d’évaluer si les services de santé mentale suivants étaient mis en œuvre comme prévu dans l’ensemble des divisions :

le programme En route vers la préparation mentale;

le programme de soutien par les pairs;

les évaluations périodiques de santé;

les bureaux des SSST (admission et évaluation, recommandation ou aiguillage vers des fournisseurs de soins externes, examen et approbation des plans de traitement, évaluations de l’aptitude au travail);

le programme de prestations et de soins de santé (traitement extérieur, notamment dans les cliniques pour traumatismes liés au stress opérationnel);

la gestion des cas d’invalidité (congé de maladie, retour au travail et renvoi pour des raisons médicales).

[24] Dans son rapport, le vérificateur général a relevé des lacunes dans la mise en œuvre des services de santé mentale par la GRC et il a conclu en ces termes :

Nous avons conclu que, dans l’ensemble, les membres de la GRC n’avaient pas accès à des services de santé mentale qui répondaient à leurs besoins. La GRC a pris une importante mesure en lançant la Stratégie en matière de santé mentale. Elle n’a cependant pas accordé la priorité à la mise en œuvre des programmes et services de santé mentale, ni affecté les ressources nécessaires pour les soutenir. […]

[25] Le rapport du vérificateur général a révélé que la GRC n’accordait pas la priorité aux soins de santé mentale et que les objectifs déclarés de détection et d’intervention précoces n’étaient pas appuyés par des mesures efficaces. Plus particulièrement, certains programmes et services n’ont été mis en œuvre que partiellement. Il y a eu des arriérés et un manque d’intervention nécessaire de la part des superviseurs, aucune norme de service n’a été appliquée pour guider ou évaluer la rapidité des services de SSST et la tenue des dossiers a été inadéquate. D’autres échecs ont été constatés dans les politiques sur les congés de maladie mentale ainsi que dans l’accessibilité et le délai d’accès aux services de santé mentale. Les préoccupations suivantes ont été soulevées : une surveillance inadéquate, une mauvaise communication et un soutien inefficace pour les membres de la GRC qui n’étaient pas en service et qui étaient en congé de maladie.

[26] L’honorable Ralph Goodale, alors ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, a répondu au rapport du vérificateur général en déclarant ce qui suit : « Les employés et les membres de la GRC doivent bénéficier d’un accès approprié aux ressources et aux services dont ils ont besoin pour leur santé mentale et leur mieux‑être. » Il a donné l’assurance que la GRC avait déjà pris des mesures pour donner suite aux recommandations du vérificateur général et a déclaré que la GRC s’était engagée à cerner les besoins en ressources en ce qui concerne sa stratégie en matière de santé mentale, à renforcer la mesure du rendement et la responsabilisation en matière de santé mentale et à offrir de meilleurs outils et une meilleure formation à la direction et aux employés.

[27] À l’hiver 2018, la GRC a fait le point sur ses progrès dans la mise en œuvre des recommandations du vérificateur général. Les demandeurs reconnaissent qu’il s’agissait d’un pas dans la bonne direction. Cependant, ils soutiennent qu’il faut en faire davantage pour traiter les TSO chez les membres de la GRC et pour mettre en œuvre efficacement les services de santé mentale de manière à éliminer les obstacles systématiques et structurels à l’obtention de soins de santé mentale en temps opportun.

[28] Les demandeurs allèguent que les membres réguliers de la GRC doivent composer avec des retards et des obstacles en ce qui concerne l’accès au traitement, le soutien, et le retour au travail. Ils disent que ce fait est illustré par les expériences des représentants demandeurs proposés et par la sergente d’état‑major Pound, une éventuelle membre du groupe. Ils soutiennent que les éléments de preuve déposés à l’appui de la présente requête en autorisation indiquent qu’il y a des lacunes systémiques en ce qui concerne la mise en œuvre des services de santé mentale et la prévention des TSO visant à permettre le retour au travail des membres du groupe.

[29] Les demandeurs affirment que la négligence dans la mise en œuvre des services de santé mentale par la GRC peut être catégorisée de la façon suivante :

la prévention des TSO n’est pas prise au sérieux;

les superviseurs et les autres membres de la chaîne de commandement n’encouragent pas l’identification et le traitement des TSO;

les retards dans la prestation des services;

la recherche d’aide est découragée;

les membres en congé de maladie pour des raisons de santé mentale ne sont pas soutenus en ce qui concerne leur retour au travail.

[30] Les demandeurs soutiennent que les lacunes dans la mise en œuvre par la GRC des services de santé mentale constituent une négligence systémique et une violation des droits des membres du groupe en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte.

III. Questions en litige

[31] Les questions soulevées par les présentes demandes sont les suivantes : a) la question de savoir si l’instance devrait être autorisée comme recours collectif; b) la question de savoir si l’instance devrait être suspendue au motif qu’elle chevauche les recours collectifs déjà autorisés dans les affaires Greenwood et Delisle.

IV. Requête en autorisation

[32] À l’étape de l’autorisation, l’analyse ne porte pas sur le bien‑fondé des réclamations, mais plutôt sur la question de savoir s’il convient de présenter les réclamations dans le cadre d’un recours collectif. Le critère applicable à l’autorisation d’un recours collectif envisagé figure au paragraphe 334.16(1) des Règles :

334.16(1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies:

(a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

(b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

(c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

(d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

(e) il existe un représentant demandeur qui:

i. représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

ii. a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

iii. n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

iv. communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

334.16(1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

i. would fairly and adequately represent the interests of the class,

ii. has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceedings on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

iii. does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

iv. provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff of application and the solicitor of record.

[33] Il incombe aux demandeurs d’établir le fondement probatoire de l’autorisation. Plus particulièrement, les demandeurs doivent établir, selon un certain fondement factuel, chacune des conditions d’autorisation, à l’exception de la condition que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable (Canada (Procureur général) c Jost, 2020 CAF 212 [Jost] au para 28). Le fardeau de la preuve n’est pas lourd. Seul un « fondement probatoire minimal » est requis (Condon c Canada, 2015 CAF 159 au para 10).

[34] L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée (Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227 [Mancuso] au para 16). Les actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher. La Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action. Si la Cour autorisait les parties à avancer de simples affirmations de fait, ou de simples conclusions de droit, les actes de procédure ne rempliraient pas le rôle qui leur revient, soit celui de cerner les questions en litige (Mancuso, aux para 16 et 17).

[35] Le demandeur doit énoncer, avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé. L’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée. Le demandeur ne peut déposer des actes de procédures qui ne sont pas suffisants et ensuite compter sur le défendeur pour présenter une demande de précisions, pas plus qu’il ne peut les compléter au moyen de précisions visant à les rendre suffisants (Mancuso, aux para 19 et 20).

[36] Les règles normales des actes de procédure s’appliquent avec la même force à un recours collectif envisagé. La Cour doit considérer l’acte de procédure tel qu’il a été rédigé, et non tel qu’il pourrait l’être. L’ouverture d’un recours collectif envisagé est une affaire très sérieuse qui peut affecter les droits d’un grand nombre des membres du groupe ainsi que les responsabilités et les intérêts des défendeurs. La conformité aux Règles n’est pas sans importance ou optionnelle, elle est en vérité obligatoire et essentielle (Merchant Law Group c Agence du revenu du Canada, 2010 CAF 184 au para 40).

[37] Le demandeur satisfait à la condition de la cause d’action raisonnable, à moins qu’il ne soit « évident et manifeste » qu’il n’existe aucune réclamation (Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 [Hunt] à la p 979; Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68 au para 25). Le seuil est peu élevé et la Cour doit lire l’acte de procédure de manière aussi libérale que possible afin de tenir compte de toute lacune dans les allégations (Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19 [Loteries de l’Atlantique] au para 88, citant Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441 (CSC) à la p 451; Canada c M. Untel, 2016 CAF 191 [M. Untel] au para 51).

[38] Les réclamations qui ne contiennent pas de « vice fondamental » devraient passer à l’étape de l’instruction. Il ne faut pas empêcher un demandeur d’intenter une poursuite en raison de la longueur ou de la complexité des questions en litige, de la nouveauté d’une cause d’action ou de la possibilité de présenter une défense solide (Loterie de l’Atlantique, au para 89, citant Hunt, à 980). De plus, il n’est pas nécessaire qu’un demandeur plaide avec succès toutes les causes d’action alléguées. Il suffit que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable (Tippett c Canada, 2019 CF 869 au para 34, citant Gay et al v Regional Health Authority 7 and Dr Menon, 2014 NBCA 10 au para 36).

[39] Les faits allégués sont présumés vrais, sauf s’ils ne peuvent manifestement pas être prouvés et qu’aucun élément de preuve ne puisse être pris en considération (Loterie de l’Atlantique, au para 87; M. Untel, au para 23). Malgré cela, les demandeurs doivent invoquer clairement des faits, et non faire de simples affirmations ou formuler des conclusions, pour appuyer les éléments de chaque cause d’action (M. Untel, au para 23).

[40] La déclaration des demandeurs énonce deux causes d’action : a) une négligence systémique; b) une violation du paragraphe 15(1) de la Charte. Le défendeur soutient que les deux causes d’action sont irrecevables par application de l’article 9 de la LRCECA pour tous les membres du groupe envisagé.

A. Négligence systémique

[41] Les demandeurs allèguent que le défendeur a fait preuve de négligence systémique dans la mise en œuvre des services de santé mentale. Ils prétendent que le défendeur avait envers les membres du groupe envisagé l’obligation de prendre des précautions raisonnables dans la mise en œuvre des services de santé mentale et que le défendeur a manqué à cette obligation, ce qui a occasionné des dommages, des blessures et des pertes aux membres du groupe.

[42] Les tribunaux ont pris acte des allégations de négligence systémique dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Nasogaluak, 2023 CAF 61 [Nasogaluak], la décision Davidson v Canada (Attorney General), 2015 ONSC 8008 (CSJ Ont) et dans l’arrêt Rumley c Colombie‑Britannique (2001 CSC 69 (CSC). Également, dans la décision Merlo c Canada, 2017 CF 533, et la décision Tiller c Canada, 2019 CF 895 (voir Greenwood au para 81), les allégations de harcèlement systémique au sein de la GRC ont été jugées conformes à la condition de la cause d’action. Les demandeurs doivent établir les mêmes éléments pour toutes les réclamations pour négligence, qu’elles soient fondées ou non sur une négligence systémique (Greenwood, au para 153).

[43] Dans l’arrêt Greenwood, la Cour d’appel fédérale a décrit les éléments du délit de négligence comme suit (au para 154, citant Saadati c Moorhead, 2017 CSC 28 [Saadati], au para 13) :

Pour établir la responsabilité du défendeur dans une action en négligence, le demandeur doit prouver (i) que le défendeur avait envers lui une obligation de diligence pour empêcher un préjudice de la nature de celui allégué, (ii) que le défendeur a manqué à son obligation en n’observant pas la norme de diligence applicable, (iii) que le demandeur a subi un préjudice et (iv) que ce préjudice est imputable, en fait et en droit, au manquement du défendeur.

[44] En ce qui concerne le premier élément, les tribunaux déterminent s’il existe une obligation de diligence en appliquant le critère à deux volets établi dans la décision Anns v Merton London Borough Council, [1977] 2 All ER 492 (HL), et plus tard précisé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cooper c Hobart, 2001 CSC 79 [critère d’Anns/Cooper]. Bien qu’il ne soit généralement pas nécessaire de passer au deuxième volet du critère pour les allégations qui sont analogues à une obligation de diligence établie, le critère complet à deux volets s’applique lorsque l’obligation de diligence alléguée est nouvelle (Nelson (City) c Marchi, 2021 CSC 41 [Marchi], aux para 17 à 18). En l’espèce, les demandeurs admettent que l’obligation de diligence qu’ils avancent est nouvelle, et le critère de l’arrêt Anns/Cooper doit être appliqué au complet.

[45] Le premier volet du critère de l’arrêt Anns/Cooper consiste à déterminer si le défendeur avait envers le demandeur une obligation de diligence prima facie. Cette obligation est établie par une relation de proximité entre le demandeur et le défendeur, de sorte que le défaut du défendeur de prendre des précautions raisonnables pourrait vraisemblablement causer une perte ou un préjudice au demandeur. Une fois qu’une obligation de diligence prima facie est établie, le deuxième volet de l’analyse consiste à se demander s’il existe des considérations de politique résiduelles étrangères au lien existant entre les parties qui sont susceptibles d’écarter l’obligation de diligence prima facie (Marchi, aux para 17 à 18).

[46] Les demandeurs soutiennent que la négligence dans la mise en œuvre des services de santé mentale par le défendeur a causé un préjudice prévisible aux membres du groupe. Dans la déclaration, les demandeurs soutiennent que le défendeur avait accès à des éléments de preuve empiriques d’une crise de santé mentale au sein de la GRC, qu’il connaissait les risques susceptibles de donner lieu à des TSO liées au service et que les membres du groupe avaient déjà fait part d’expositions à des traumatismes. Les demandeurs affirment que le défendeur a négligé de modifier ou d’améliorer sa mise en œuvre des services de santé mentale, ce qui a entraîné la prolifération et l’exacerbation prévisibles des TSO.

[47] Les demandeurs prétendent également qu’il y a un lien de proximité entre les parties. Il y a un lien de proximité lorsqu’il existe entre les parties un lien à ce point « étroit et direct », qu’il serait « juste et équitable en droit d’imposer une obligation de diligence au défendeur » (Marchi, au para 17). Dans l’arrêt R c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42, la Cour suprême du Canada a cerné deux situations distinctes qui peuvent établir l’existence d’un lien de proximité (aux para 43 à 46) :

Il est possible de distinguer deux situations. Dans la première, l’obligation de diligence revendiquée découlerait explicitement ou implicitement du régime législatif. Dans la seconde, l’obligation de diligence découlerait des rapports entre le demandeur et le gouvernement et n’est pas exclue par la loi.

Selon l’argument avancé dans la première catégorie de cas, la loi elle‑même crée un rapport de proximité de nature privée qui donne lieu à une obligation de diligence prima facie. Il peut être difficile d’arriver au constat qu’une loi crée un lien suffisamment étroit pour donner lieu à une obligation de diligence. Certaines lois peuvent imposer à des représentants de l’État des obligations envers des demandeurs en particulier, mais plus souvent, les lois visent des objectifs d’intérêt public, tels la réglementation d’une industrie (Cooper), ou le retrait d’un enfant d’un milieu qui lui est préjudiciable (D. (B.)). Dans ces circonstances, il peut être difficile d’inférer que le législateur entendait créer des obligations de droit privé envers des demandeurs. […]

Dans la deuxième catégorie de cas, on prétend que le lien étroit essentiel à l’obligation de diligence de nature privée tire son origine d’une série de rapports précis entre le gouvernement et le demandeur. On fait valoir dans ces cas que le gouvernement, de par sa conduite, a tissé avec le demandeur un lien suffisamment spécial pour établir la proximité nécessaire à une obligation de diligence. […]

Enfin, il est possible d’imaginer une action mettant en cause un lien étroit qui se fonde à la fois sur les rapports entre les parties et sur les obligations imposées au gouvernement par la loi.

[48] Les demandeurs affirment que la proximité découle de la responsabilité de la GRC d’établir et de maintenir des normes de santé et de sécurité au travail en vertu du Code canadien du travail, LRC, 1985, c L‑2 [le Code]. L’article 124 du Code impose à l’employeur l’obligation générale de veiller « à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail ». Bien que le défaut de se conformer à une obligation légale ne donne pas lieu à une faute pouvant faire l’objet de poursuites, il peut servir de preuve de négligence (Kahnapace c Canada (Procureur général), 2023 CF 32 au para 128, citant Apotex Inc c Syntex Pharmaceuticals International Ltd, 2005 CAF 424 aux para 15 à 16).

[49] De plus, les demandeurs soutiennent que la proximité découle de nombreuses interactions entre le défendeur et le groupe. La déclaration fait état de faits substantiels tirés des expériences personnelles des représentants demandeurs envisagés, chacun d’entre eux racontant les difficultés qu’il a dû surmonter pour obtenir l’accès aux services de santé mentale et reprendre un travail valorisant. Les demandeurs soutiennent également que la GRC a présenté des observations au groupe, y compris une reconnaissance que [traduction] « davantage peut et devrait être fait pour régler la question de la santé mentale en milieu de travail ».

[50] En supposant que les faits allégués sont vrais, la déclaration énonce suffisamment de faits pour établir la prévisibilité et la proximité entre le défendeur et le groupe envisagé en fonction de leur conduite et de leurs interactions. Il n’est ni évident ni manifeste que les demandeurs ne peuvent pas satisfaire au procès au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Anns/Cooper.

[51] En ce qui concerne le deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Anns/Cooper, les demandeurs acceptent que les décisions de politique « fondamentales » ou « véritables » qui comportent la mise en balance de facteurs économiques, sociaux et politiques concurrents, ainsi que la réalisation d’analyses contextualisées de données n’entraînent pas de responsabilité pour négligence (citant Marchi aux para 44, 50 et 51). Toutefois, les activités qui ne relèvent pas de ce domaine protégé peuvent exposer une autorité publique à une responsabilité si elles comportent « la mise en œuvre pratique des politiques ainsi formulées » ou « l’exécution ou l’implantation d’une politique » (Brown c Colombie‑Britannique (Ministre des Transports et de la Voirie), [1994] 1 RCS 420, à 441).

[52] En l’espèce, les demandeurs affirment que le défendeur avait une obligation de diligence consistant à mettre en œuvre sans négligence les services de santé mentale antérieurement adoptés. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Just c Colombie‑Britannique, [1989] 2 RCS 1228, à la page 1243 :

[…] si la décision est prise d’inspecter les phares, le système d’inspection mis en place doit être raisonnable et les inspections doivent être effectuées convenablement. [Renvoi omis.] Ainsi, une fois prise la décision de politique de procéder à des inspections, la cour peut, aux fins de déterminer si l’organisme gouvernemental a exercé la diligence requise, examiner le programme d’inspection pour s’assurer qu’il est raisonnable et qu’il a été raisonnablement exécuté à la lumière de toutes les circonstances, y compris la disponibilité des fonds.

[53] Dans le même ordre d’idées, en ayant choisi de fournir les services de santé mentale, les demandeurs affirment que la GRC a assumé l’obligation envers les membres du groupe de les fournir de façon raisonnable. Les demandeurs affirment que la façon dont ils ont fait valoir leur allégation de négligence systémique est semblable à celle qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nasogaluak.

[54] La déclaration soutient que les membres du groupe envisagé ont subi des dommages pécuniaires et non pécuniaires, des préjudices et des pertes, et que ces préjudices ont été causés par les actes de négligence et les omissions du défendeur. Les demandeurs allèguent que le défendeur savait, ou aurait dû savoir, que sa négligence causerait aux membres du groupe des dommages, y compris des dommages émotionnels, physiques et psychologiques, comme l’exacerbation des TSO.

[55] Les dommages‑intérêts pour préjudice psychologique imputé à la négligence sont recouvrables (Saadati, aux para 23 à 24). Il n’est pas nécessaire que le préjudice psychologique atteigne le niveau d’un « trouble psychiatrique reconnaissable », mais il doit être grave et de longue durée, et il ne doit pas s’agir simplement des désagréments, angoisses et craintes ordinaires qui découlent de la vie quotidienne.

[56] Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Greenwood, « l’on ne peut affirmer qu’il est évident et manifeste qu’il n’existe aucune cause d’action fondée sur la négligence pour harcèlement en milieu de travail subi par un membre de la GRC » (au para 162). Dans la même veine, la Cour devrait être « circonspecte » en concluant à cette étape préliminaire que le défendeur n’a aucune obligation de diligence envers le groupe envisagé pour s’assurer que les services de santé mentale ont été mis en œuvre sans négligence (voir Sauer v Canada (Attorney General), 2007 ONCA 454). La déclaration des demandeurs révèle une cause d’action valable.

B. Charte canadienne des droits et libertés, article 15

[57] Le paragraphe 15(1) de la Charte est ainsi libellé :

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Equality before and under law and equal protection and benefit of law

15 (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[58] Pour établir qu’il y a eu violation prima facie du paragraphe 15(1), le demandeur doit démontrer que la loi contestée ou l’acte de l’État : a) crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; b) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage (Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28 au para 27). L’analyse est fondée sur les faits et est très contextuelle et comparative.

[59] Dans l’arrêt Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 [Withler], la Cour suprême du Canada a rejeté la nécessité de désigner un « groupe de comparaison » et a conclu que les demandeurs n’ont qu’à établir l’existence d’un traitement distinct fondé sur un motif de distinction illicite (aux para 62 et 63). En l’espèce, les demandeurs affirment que le groupe de comparaison est formé des membres réguliers de la GRC qui subissent des blessures physiques dans l’exercice de leurs fonctions. La différence dans la nature de la blessure subie par les deux groupes entraîne un traitement différentiel.

[60] Dans l’arrêt Auton (Tutrice à l’instance de) c Colombie‑Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78, une décision antérieure à l’arrêt Withler, la Cour suprême du Canada a conclu que « le demandeur qui invoque une caractéristique personnelle liée au motif énuméré de la déficience peut rechercher la comparaison avec les personnes souffrant d’un autre type de déficience », par exemple, en comparant « la différence de traitement entre les personnes atteintes de déficience mentale et celles souffrant de déficience physique » (au para 54).

[61] Selon les demandeurs, les services de santé mentale offerts par la GRC peuvent sembler neutres, mais leur prestation a pour effet que les membres du groupe envisagé reçoivent un traitement considérablement différent et de qualité inférieure à celui des membres réguliers de la GRC qui souffrent de blessures physiques. Ces derniers ont accès à de meilleurs services de santé au travail et ne sont pas stigmatisés lorsqu’ils obtiennent ces services, leurs blessures sont traitées rapidement et efficacement et leur retour au travail est facilité. Les handicaps physiques sont souvent évidents, ne nécessitent pas une déclaration volontaire et sont perçus comme « légitimes » plutôt que comme une forme de « faiblesse ».

[62] La déclaration allègue que [traduction] « les personnes ayant une incapacité mentale ont historiquement été désavantagées dans la société canadienne, elles ont des possibilités d’emploi limitées et sont vulnérables et stéréotypées » et que [traduction] « ce désavantage préexistant contribue à l’incidence de la distinction créée par le défendeur et exacerbe le préjudice et l’absence d’égalité réelle subis par le groupe ». Le droit canadien reconnaît depuis longtemps que les personnes ayant une incapacité mentale souffrent d’un désavantage préexistant (Plesner v British Columbia Hydro and Power Authority, 2009 BCCA 188 au para 130).

[63] Le défendeur affirme que la déclaration ne fait état d’aucun fait important à l’appui de la thèse selon laquelle les services de santé mentale offerts au groupe envisagé sont déficients par rapport aux soins de santé offerts aux membres de la GRC qui ont subi des blessures physiques. Il n’y a pas de détails sur les services de santé au travail offerts aux membres qui ont des blessures physiques. L’acte de procédure ne précise pas non plus comment ces services de santé au travail sont mieux adaptés aux besoins des membres qui ont des blessures physiques, ni comment ils sont supérieurs aux services de santé mentale. La déclaration ne fait pas état de faits suffisants pour justifier une analyse fondée sur l’article 15 de la Charte.

[64] Le défendeur s’appuie également sur la décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans KO v British Columbia (Ministry of Health), 2022 BCSC 573, dans laquelle le juge Robin Baird a refusé d’autoriser un recours collectif envisagé en affirmant que le ministère de la Santé n’avait pas traité adéquatement la question de la stigmatisation liée à la maladie mentale dans le cadre de l’administration et du fonctionnement du système public de soins de santé. Le demandeur a allégué que les personnes atteintes d’une maladie mentale recevaient des soins de santé de moindre qualité que celles ayant subi des blessures physiques, ce qui est contraire à l’article 15 de la Charte.

[65] Le juge Baird a conclu que l’acte de procédure du demandeur ne révélait aucune cause d’action raisonnable (aux para 25 et 26) :

[traduction]

Pour la plupart, les « répercussions de la stigmatisation » énumérées dans les actes de procédure sont des variantes d’une allégation selon laquelle le gouvernement sous‑finance les services de santé mentale, ce qui se traduit par des soins inadéquats pour K.O. et les autres. Mais cela ne fait pas partie de la demande de réparations, et le défendeur ne pourrait pas non plus être contraint de financer et de fournir des services ou des avantages sur le plan médical qui ne sont pas déjà prévus par la loi, ou que K.O. devrait recevoir réparation ou compensation pour les décisions budgétaires du gouvernement : voir, à ce sujet, Cirillo v Ontario, 2021 ONCA 353; Tanudjaja v Canada (Attorney General), 2014 ONCA 852 (Tanudjaja C.A.), autorisation d’appel refusée [2015] CSCR no 39; Auton (Tutrice à l’instance de) c Colombie‑Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78.

Il convient de souligner que les demandeurs ne demandent pas un jugement déclaratoire ou une injonction imposant une correction systémique au sein du service de soins de santé. Ils exigent plutôt une indemnisation du Trésor provincial pour le prétendu défaut du défendeur de financer, d’élaborer et de mettre en œuvre une politique d’intérêt public discrétionnaire. Une allégation de sous‑financement ou de défaut de créer ou de concevoir adéquatement des programmes sociaux ne constitue pas une cause d’action.

[66] En l’espèce, les demandeurs ne contestent pas le défaut allégué du défendeur de financer, de concevoir et de mettre en œuvre une politique d’intérêt public discrétionnaire. Les demandeurs contestent plutôt la façon dont le défendeur a mis en œuvre les services de santé mentale que la GRC a choisi de fournir à ses membres. À cet égard, la réclamation fondée sur la Charte est généralement conforme à l’allégation de négligence systémique.

[67] Je suis néanmoins d’accord avec le défendeur pour dire que la déclaration est déficiente, en ce sens qu’elle ne fait pas état de faits importants concernant la prestation de services de soins de santé au groupe de comparaison, c’est‑à‑dire les membres réguliers de la GRC qui ont subi des blessures physiques dans l’exercice de leurs fonctions.

[68] Il est possible que cette lacune puisse être comblée par une modification de la déclaration. Toutefois, dans sa forme actuelle, la déclaration n’énonce pas suffisamment de faits pour révéler une cause d’action raisonnable découlant de la violation alléguée de l’article 15 de la Charte.

C. Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, article 9

[69] L’article 9 de la LRCECA est ainsi libellé :

Incompatibilité entre recours et droit à une pension ou indemnité

9 Ni l’État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte — notamment décès, blessure ou dommage — ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l’État.

No proceedings lie where pension payable

9 No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

[70] L’article 9 vise à empêcher une double indemnisation pour la même réclamation. Dans l’arrêt Sarvanis c. Canada, 2002 CSC 28 [Sarvanis], la Cour suprême du Canada a interprété l’article 9 de la LRCECA comme suit (au para 28) :

À mon avis, bien que libellé en termes larges, l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif n’en exige pas moins que, pour qu’elle fasse obstacle à une action contre l’État, la pension ou l’indemnité payée ou payable ait le même fondement factuel que l’action. En d’autres termes, l’article 9 traduit le désir rationnel du législateur d’empêcher la double indemnisation d’une même réclamation dans les cas où le gouvernement est responsable d’un acte fautif, mais où il a déjà effectué un paiement à cet égard. Autrement dit, cette disposition n’exige pas que la pension ou le paiement soit versé en dédommagement de l’événement pertinent, mais uniquement que le fondement précis de leur versement soit l’existence de cet événement.

[71] Dans l’arrêt Sarvanis, la Cour suprême a conclu que l’article 9 de la LRCECA ne faisait pas obstacle à la réclamation en responsabilité délictuelle du demandeur parce que sa prestation d’invalidité, accordée en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC), avait un fondement factuel distinct (au para 38) :

Tout simplement, l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif établit l’immunité de l’État lorsque la perte même — notamment décès, blessures ou dommages — qui constitue le fondement de l’action irrecevable est l’événement qui a fondé le paiement d’une pension ou d’une indemnité. La situation est très différente pour ce qui est du RPC, régime contributif dont les avantages sont accordés en fonction non pas de quelque perte — notamment décès, blessures ou dommages —, mais plutôt de l’état de santé du demandeur et du paiement de cotisations suffisantes pendant la période minimale prévue.

[72] Dans l’arrêt Greenwood, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument du défendeur selon lequel les représentants demandeurs envisagés ne représentaient pas convenablement le groupe parce que leurs réclamations n’étaient pas recevables en raison de l’application de l’article 9 de la LRCECA. La Cour a conclu que ce n’était pas clair si les pensions d’invalidité des demandeurs concernaient les mêmes événements que ceux allégués dans la demande, et qu’il était donc prématuré de décider si les réclamations étaient interdites par la loi (Greenwood, aux para 195 et 196).

[73] Dans la décision Marsot c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2002 CFPI 226, décision confirmée dans 2003 CAF 145, le demandeur qui recevait une pension partielle attribuable à un diagnostic de TSPT a demandé des dommages‑intérêts parce qu’il aurait été victime de harcèlement. En refusant la demande de jugement sommaire du défendeur, le juge François Lemieux a relevé plusieurs lacunes en matière de preuve concernant la nature de l’indemnité d’invalidité et de pension du demandeur. Le juge Lemieux a conclu que le défendeur n’avait pas démontré que la pension d’invalidité du demandeur concernait la même blessure, le même dommage ou la même perte que ceux sur lesquels les réclamations du demandeur étaient fondées.

[74] La décision Brownhall v Canada (Ministry of National Defence), [2007] 159 ACWS (3d) 811(Cour divisionnaire de l’Ontario) a un effet semblable. La Cour a refusé de radier une déclaration parce qu’elle ne disposait d’aucune preuve permettant d’évaluer la question de savoir si la pension en litige avait été accordée sur les mêmes bases factuelles que la poursuite civile.

[75] Aucune ambiguïté semblable ne s’applique en l’espèce. Les demandeurs reconnaissent que les réclamations pour négligence des membres du groupe qui sont admissibles à une pension d’invalidité sont irrecevables par application de l’article 9 de la LRCECA. Toutefois, ils laissent entendre que ces membres du groupe peuvent néanmoins faire valoir la réclamation fondée sur la Charte et participer à toute attribution globale de dommages‑intérêts fondée sur la Charte qui pourrait être accordée par la Cour.

[76] La difficulté avec la position des demandeurs est que la réclamation fondée sur la Charte présentée au nom du groupe a le même fondement factuel que la réclamation fondée sur la négligence systémique. Les deux découlent des mêmes blessures, plus précisément de l’infliction et de l’exacerbation des TSO.

[77] Chacun des représentants demandeurs envisagés reçoit une pension en vertu de l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑11 [LPRGRC] et de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6. L’article 32 de la LPRGRC, qui englobe la Loi sur les pensions, accorde des pensions d’invalidité aux membres de la GRC qui ont une invalidité permanente liée à leur service :

Admissibilité à une compensation conforme à la Loi sur les pensions

32 Sous réserve des autres dispositions de la présente partie et des règlements, une compensation conforme à la Loi sur les pensions doit être accordée, chaque fois que la blessure ou la maladie — ou son aggravation — ayant causé l’invalidité ou le décès sur lequel porte la demande de compensation était consécutive ou se rattachait directement au service dans la Gendarmerie, à toute personne, ou à l’égard de toute personne :

a) visée à la partie VI de l’ancienne loi à tout moment avant le 1er avril 1960, qui, avant ou après cette date, a subi une invalidité ou est décédée;

b) ayant servi dans la Gendarmerie à tout moment après le 31 mars 1960 comme contributeur selon la partie I de la présente loi, et qui a subi une invalidité avant ou après cette date, ou est décédée.

Eligibility for awards under Pension Act

32 Subject to this Part and the regulations, an award in accordance with the Pension Act shall be granted to or in respect of the following persons if the injury or disease — or the aggravation of the injury or disease — resulting in the disability or death in respect of which the application for the award is made arose out of, or was directly connected with, the person’s service in the Force:

(a) any person to whom Part VI of the former Act applied at any time before April 1, 1960 who, either before or after that time, has suffered a disability or has died; and

(b) any person who served in the Force at any time after March 31, 1960 as a contributor under Part I of this Act and who has suffered a disability, either before or after that time, or has died.

[78] Lorsque le fondement factuel de la pension et la réclamation en dommages‑intérêts sont les mêmes, il importe peu que les réclamations d’un demandeur soient plus vastes ou soient formulées dans l’optique de dommages‑intérêts fondés sur la Charte. L’article 9 de la LRCECA s’applique à l’ensemble de la situation factuelle (Kift v Canada (Attorney General of), [2002] OJ no5448 (CSJO) au para 9).

[79] Comme l’a fait remarquer le juge Robert Décary dans l’arrêt Prentice c Canada, 2005 CAF 395 [Prentice], au paragraphe 24, afin de déterminer si une affaire découle d’une relation entre un employeur et un employé, c’est aux faits qui donnent naissance au litige qu’il faut s’attarder, et non pas à « la qualité du tort » allégué, sans quoi les « plaideurs innovateurs » pourraient « se soustraire à l’interdiction législative touchant les actions en justice parallèles en invoquant des causes d’action nouvelles et ingénieuses ».

[80] Le juge René LeBlanc a appliqué l’arrêt Prentice dans l’arrêt Lafrenière c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 110, pour confirmer le rejet d’une réclamation fondée sur la Charte qui avait le même fondement factuel que l’octroi par l’appelant d’une pension d’invalidité (aux para 60 et 62) :

Comme le rappelle la Cour dans l’affaire Prentice, il faut s’intéresser ici à la véritable nature du recours entrepris par l’appelant et se méfier des artifices dont sa déclaration d’action peut être revêtue aux fins de contourner, consciemment ou inconsciemment, l’immunité décrétée à l’article 9 de la LRÉ. […]

Sans décider que l’article 9 de la LRÉ constitue, en toutes circonstances, une fin de non‑recevoir à une réclamation contre l’État fondée sur l’article 24 de la Charte, la présente affaire, pour les motifs précités, ne saurait être soustraite aux effets de l’article 9 de la LRÉ sur la base des récriminations de l’appelant, non‑étayées de quelque manière de surcroît, reposant sur la Charte.

[81] Dans la décision Sherbanowski v Canada, 2011 ONSC 177, le juge David Brown de la Cour supérieure de l’Ontario a conclu que les réclamations d’un demandeur étaient irrecevables par application de l’article 9 de la LRCECA parce qu’elles découlaient d’une blessure ou d’une maladie liée au service ou qu’elles y étaient directement liées (aux para 43 et 44) :

[traduction]

Les pertes alléguées par M. Sherbanowski en l’espèce relativement aux demandes fondées sur les événements, et les pertes pour lesquelles des prestations d’invalidité lui ont été accordées et pour lesquelles il a reçu ou est en droit de recevoir un paiement, sont parfaitement identiques. Le fondement factuel qui sous‑tend les demandes en dommages‑intérêts de M. Sherbanowski en l’espèce est le même que celui sur lequel reposaient ses demandes d’indemnité d’invalidité au titre de l’article 45 de la Loi sur les mesures d’indemnisation […] La déclaration de M. Sherbanowski reprend essentiellement les événements qu’il a décrits dans le document de 16 pages annexé à sa demande de prestations pour TSPT.

Bien que M. Sherbanowski soulève, en plus de ses demandes fondées sur la négligence, des causes d’action fondées sur le manquement à une obligation fiduciaire, la violation de contrat, les fausses déclarations et la violation de ses droits garantis par la Charte, elles sont toutes consécutives ou rattachées directement à son service dans les Forces canadiennes et elles visent à obtenir une indemnité pour des invalidités ou des blessures causées par une blessure ou une maladie liée au service : Loi sur les mesures d’indemnisation, par. 2(1) et 45(1). Ces demandes additionnelles sont visées par l’article 9 de la LRCECA, parce que toute perte ou dommage réclamé ouvre droit au paiement d’une pension ou d’une indemnité: Dumont c. Sa Majesté la Reine, 2003 CAF 475, au paragraphe 73.

[82] Dans la décision Lebrasseur c. Canada, 2006 CF 852, décision confirmée dans 2007 CAF 330, la juge Anne Mactavish a conclu que la demande de la demandeure est irrecevable par application de l’article 9 de la LRCECA parce qu’elle avait le même fondement factuel que sa demande de pension. La juge Mactavish a conclu que « même si de nombreuses causes d’action sont avancées, l’action reste essentiellement une action en réparation des préjudices que Mme Lebrasseur dit avoir subis dans son milieu de travail » (au para 31).

[83] La réclamation fondée sur la Charte présentée dans la déclaration repose sur les mêmes faits que l’allégation de négligence systémique. Elle est donc irrecevable par application de l’article 9 de la LRCECA en ce qui concerne tous les membres du groupe qui touchent une pension d’invalidité ou qui sont admissibles à en recevoir une. Cela comprend tous les représentants demandeurs proposés, ainsi que la s.é‑m. Pound.

[84] Les demandeurs soutiennent qu’un certain nombre de membres du groupe envisagé ne seraient pas admissibles à une pension d’invalidité. Ils font remarquer que, comme il est indiqué dans la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux [DSM‑V], les pensions ne sont versées que pour les invalidités ou conditions invalidantes formelles et médicalement diagnostiquées qui causent une « invalidité permanente ». Toute demande de pension d’invalidité doit être étayée par des documents émanant d’un médecin traitant.

[85] Cela est peut‑être vrai. Toutefois, à la lumière de la concession des demandeurs selon laquelle leur réclamation fondée sur la négligence systémique est irrecevable par explication de l’article 9 de la LRCECA, et de la conclusion de la Cour selon laquelle leur réclamation fondée sur la Charte est également irrecevable, il n’y a pas, en ce moment, de représentant demandeur pour défendre les intérêts du groupe. La Cour ne dispose pas non plus d’éléments de preuve permettant de satisfaire aux autres critères du paragraphe 334.16(1) des Règles.

[86] Dans sa forme actuelle, la requête en autorisation doit être rejetée.

V. Autorisation de modifier

[87] Les recours collectifs peuvent être complexes et dynamiques, et il convient que les juges chargés de la gestion de l’instance jouent un rôle actif et souple. Ils doivent toujours être ouverts aux modifications touchant des aspects comme la définition du groupe, les points communs et le plan relatif au litige, et rester des arbitres neutres lorsqu’ils déterminent si les conditions d’autorisation ont été respectées (Buffalo c. Nation crie de Samson, 2010 CAF 165 aux para 12 et 13).

[88] Il est possible que la déclaration puisse être modifiée par la proposition d’une nouvelle définition du groupe qui exclut les membres de la GRC dont les réclamations sont irrecevables par application de l’article 9 de la LRCECA. Il sera également nécessaire d’identifier un ou plusieurs représentants demandeurs afin de favoriser les intérêts du groupe révisé. Un représentant demandeur envisagé doit être membre du groupe en question (Jost, aux paragraphes 103 à 110).

[89] D’autres éléments de preuve seront nécessaires pour établir « un certain fondement factuel » en ce qui concerne les autres critères d’autorisation énoncés au paragraphe 334.16(1) des Règles, à savoir : b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes; c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre; d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs. Dans l’arrêt Salna c. Voltage Pictures, LLC, 2021 CAF 176, la Cour d’appel fédérale (motifs du juge Rennie) a souligné l’importance de la preuve concernant la taille et la forme approximatives du groupe potentiel (au para 119) :

Il est difficile, compte tenu de cette preuve, d’effectuer une analyse significative pour déterminer si un recours collectif est préférable à des actions individuelles ou à une action unique avec plusieurs défendeurs. L’analyse du meilleur moyen variera selon la taille du recours collectif. Pour être clair, un tribunal n’a pas besoin de connaître avec précision le nombre exact de membres du groupe ni les limites ultimes du groupe. Mais il doit y avoir des éléments de preuve sur lesquels un tribunal peut s’appuyer pour conclure qu’un recours collectif est l’approche privilégiée.

VI. Requête en suspension

[90] Compte tenu des modifications importantes qui doivent être apportées à la déclaration avant que le recours collectif envisagé puisse être autorisé, il est prématuré de trancher la demande du défendeur de surseoir à l’instance en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les cours fédérales.

VII. Conclusion

[91] La requête visant à certifier le recours collectif envisagé est rejetée avec autorisation de modification.

[92] Conformément au paragraphe 334.39 des Règles, aucuns dépens ne seront accordés.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête visant à autoriser le recours collectif envisagé est rejetée avec autorisation de modification.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1105‑20

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

KELLY MCQUADE, DAVID COMBDEN ET GRAHAM WALSH c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, REPRÉSENTANT SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 20 au 22 juin 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AOÛT 2023

 

COMPARUTIONS :

Lyndsay Jardine

Madeline Carter

Erin Kennedy

 

Pour les demandeurs

 

Angela Green

Victor Ryan

Sarah Rajguru

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wagners

Avocats

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

Pour le défendeur

 

 

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