Dossier : T‐917‐21
Référence : 2023 CF 1368
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2023
En présence de monsieur le juge Pamel
ENTRE :
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AKME POULTRY, BUTTER & EGGS DISTRIBUTORS INC
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] La demanderesse, Akme Poultry, Butter & Eggs Distributors Inc [Akme, ou la société] sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 11 mai 2021 [la décision] qu’a rendue un agent principal de l’observation des échanges commerciaux [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. L’agent a rejeté les demandes de drawback de droits qu’Akme avait présentées dans le cadre du Programme de drawback des droits [le PDD] et qui sont régies par les articles 89 et 113 du Tarif des douanes, LC 1997, c 36, ainsi que par le Règlement sur le remboursement et le drawback relatifs aux marchandises importées et exportées, DORS/96‐42, et ce, au motif qu’Akme n’avait pas fourni les livres et les registres que demandait l’ASFC à l’appui de ces demandes.
[2] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] soutient que la présente affaire a trait au vaste pouvoir que confère la loi à l’ASFC pour contraindre un importateur de marchandises à produire les documents et les registres que l’ASFC, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, peut exiger à l’appui d’une demande de drawback en vertu de la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl) [la Loi], de même qu’à la capacité de l’ASFC d’exercer de tels pouvoirs pour examiner tous les documents qui peuvent être utiles pour imposer et percevoir des droits, même s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu un manquement à la Loi. Je suis toutefois d’avis que ce n’est pas de cela dont il est question en l’espèce; la présente demande de contrôle judiciaire n’a pas, non plus, trait au fait de savoir si Akme répondait aux conditions du PDD, de sorte qu’il aurait fallu accorder sa demande de drawback. La présente affaire concerne plutôt le défaut de l’agent de traiter d’aspects fondamentaux qu’Akme a soulevés en réponse à la demande supplémentaire de l’ASFC en vue de l’obtention des livres et des registres de la société, contrairement à ce que, comme la Cour suprême nous l’a une fois de plus, tout récemment, rappelé, les décideurs administratifs doivent faire pour éviter que leurs décisions soient infirmées (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 74). Pour les motifs qui suivent, je ferai droit à la présente demande de contrôle judiciaire.
II. Le contexte
[3] Akme est une entreprise familiale œuvrant dans le domaine de la transformation d’aliments et dont le siège est situé à Saint‐Eustache (Québec); elle transforme de la volaille d’origine nationale et de la volaille importée des États‐Unis en divers produits à base de volaille transformée, dont des poitrines de poulet marinées et surgelées individuellement. Le PDD est un programme administré par l’ASFC qui est conçu pour permettre à l’industrie canadienne de la transformation alimentaire d’être concurrentielle et dont l’objet est d’encourager et de faciliter les activités commerciales des entreprises commerciales qui y prennent part. L’article 89 du Tarif des douanes est le fondement du PDD, et notamment, en l’espèce, l’alinéa 89(1)d). Le PDD comporte un aspect à la fois discrétionnaire et obligatoire, qui représente un avantage ou un privilège pour ceux qui y sont admissibles. Sous le régime du PDD, lorsque des marchandises sont importées au Canada et réexportées, ou si des produits transformés faits à partir de marchandises nationales ou importées de remplacement [les marchandises de remplacement] qui sont de la même catégorie que celles des marchandises importées [les marchandises de la même catégorie] sont exportées, le transformateur est admissible à un remboursement des droits payés sur les marchandises importées, à condition de répondre à certaines exigences prévues par la loi.
[4] Dans le cadre de ses activités, Akme a transformé des poulets importés des États‐Unis et des poulets d’origine nationale en des produits de volaille transformée qui ont ensuite été exportés aux États‐Unis. Entre les mois de décembre 2017 et de février 2018, Akme a présenté dans le cadre du PDD 11 demandes de drawback de droits, représentant environ 45 opérations différentes et totalisant une somme d’environ 5,37 millions de dollars [la première série de demandes de drawback]. En outre, en juin 2019, Akme a présenté à l’ASFC cinq autres demandes de drawback représentant cinq opérations supplémentaires [la seconde série de demandes de drawback].
[5] Par une lettre datée du 23 août 2019 [la décision d’août 2019], l’ASFC a convenu de ne rembourser qu’une somme d’environ 1,8 million de dollars dans le cadre de la première série de demandes de drawback d’Akme, concluant que les marchandises de remplacement qui étaient visées par certaines des demandes d’Akme ne répondaient pas aux exigences du PDD. En particulier, l’ASFC a décidé que neuf opérations ne répondaient pas à l’exigence relative aux marchandises de la même catégorie, c’est‐à‐dire que les marchandises importées d’Akme et ses marchandises de remplacement étaient des produits différents à cause des différences relevées dans les descriptions respectives qui avaient servi à les identifier dans les documents relatifs aux opérations [la question de l’exigence de la même catégorie]; dans le cas de 20 opérations, l’ASFC n’a pas pu déterminer l’origine des marchandises de remplacement qu’Akme avait achetées au Canada [la question de l’origine]; et, dans le cas de cinq opérations, le poids des marchandises importées était supérieur à celui des marchandises de remplacement [la question du poids].
[6] Aucune demande de contrôle judiciaire n’a été déposée à la suite de la décision d’août 2019. Akme y a plutôt répondu en transmettant de longues observations au ministre par une lettre datée du 6 novembre 2019 [les observations de novembre 2019], demandant que la décision d’août 2019, qui portait sur la première série de demandes de drawback, soit annulée et que ses demandes de drawback soient acceptées. En bref, a fait valoir Akme, pour ce qui était de la question de l’exigence de la même catégorie, ses marchandises de remplacement et ses marchandises importées répondaient à l’exigence relative aux marchandises de la même catégorie; pour ce qui était de la question de l’origine, l’origine des marchandises de remplacement n’avait rien à voir avec ses demandes de drawback parce que la totalité des produits de remplacement avaient été achetés auprès d’abattoirs canadiens et que ces produits étaient donc d’origine nationale; et, pour ce qui était de la question du poids, il s’agissait en fait d’une question non litigieuse car elle découlait simplement du fait que le poulet est un produit animal naturel qui peut présenter des différences en matière de rétention d’eau. En cours de route, les parties semblent avoir réglé la question du poids dans le cas de cinq des opérations. Cependant, la question de l’exigence de la même catégorie et celle de l’origine sont demeurées des points litigieux dans le cas de la première série de demandes de drawback; Akme soutient que l’ASFC n’a jamais répondu à ses observations au sujet de ces deux points.
[7] Par une lettre datée du 28 février 2020 [la décision de février 2020], l’agent a rejeté la seconde série de demandes de drawback, indiquant qu’on ne pouvait pas traiter les demandes à cause de certaines [TRADUCTION] « omissions qui empêchent [l’ASFC] de poursuivre [leur] traitement »
et qu’elles avaient donc été jugées invalides. L’ASFC a expliqué en détail les omissions relevées dans les demandes d’Akme et elle a invité la société à représenter ses demandes de drawback une fois que les problèmes précisément mentionnés auraient été réglés et les documents demandés fournis – les renseignements et les documents précis qui étaient demandés avaient censément pour but d’identifier les marchandises importées et d’en faire le suivi depuis leur importation jusqu’à leur exportation ou leur élimination ultimes, en passant par toute transformation, tout transfert ou toute utilisation de marchandises de la même catégorie [le concept de la traçabilité]. C’est donc dire que la question de l’exigence de la même catégorie a continué d’être un point litigieux dans le cas de la seconde série de demandes de drawback; là encore, aucune demande de contrôle judiciaire n’a été déposée au sujet de la décision de février 2020.
[8] Akme a néanmoins continué de faire pression sur l’ASFC. À la suite d’une série d’échanges entre les parties dans le cadre desquels Akme a fourni d’autres observations, le 22 mai 2020 l’agent a envoyé à Akme une lettre [la décision de mai 2020] confirmant le rejet de la seconde série de demandes de drawback; l’agent a déclaré qu’après examen des observations les plus récentes de la société, il avait été [TRADUCTION] « décidé que tous les renseignements demandés [par l’ASFC] n’avaient pas été transmis »
. Il a souligné qu’il incombait à la société d’établir [TRADUCTION] « la traçabilité complète et le respect intégral des exigences du programme, et notamment que la société s’est acquittée de toutes les obligations du programme concernant les marchandises de la même catégorie »
(en italique dans l’original). Et, d’ajouter l’agent :
[traduction]
Cela signifie que le participant doit, en premier lieu, identifier clairement les marchandises (individuellement ou par lot, matière crue, partie ou produit, y compris les quantités) en cause. De plus, il doit consigner tous les renseignements nécessaires pour pouvoir remonter depuis les marchandises exportées, en passant par toute opération de transformation (y compris tous les intrants et extrants) ou de transfert, jusqu’aux marchandises importées ou aux marchandises de la même catégorie qui sont visées par la demande. La traçabilité est donc la capacité d’identifier et de suivre la quantité, l’utilisation et le déplacement des marchandises tout au long du processus.
Sans pouvoir vérifier la traçabilité des marchandises, l’Agence est incapable de certifier si les demandes présentées répondent aux exigences du programme, et il lui est donc impossible de compléter l’examen des demandes.
[En italique dans l’original.]
[9] L’agent a néanmoins confirmé que [TRADUCTION] « [s]i Akme souhaite représenter ses demandes, il lui faudra inclure les renseignements suivants [...] »
(non souligné dans l’original), et il a ensuite fait état, notamment, de copies des bons d’achat, de factures commerciales, de renseignements d’identification des produits, d’une description de divers procédés de production, ainsi que d’une description de la manière dont les procédés et les marchandises répondaient aux conditions relatives aux marchandises de la même catégorie en vue de l’utilisation de marchandises équivalentes. Enfin, l’agent a précisément demandé d’avoir accès aux [traduction] « livres et registres » d’Akme :
[traduction]
En plus de ce qui précède, veuillez noter que l’ASFC aura aussi besoin de consulter des livres et des registres particuliers de la société pour procéder à cette vérification, comme :
• les dossiers/registres servant à faire le suivi des importations et des exportations en provenance et à destination d’établissements de viande agréés par le gouvernement fédéral (une exigence du Manuel des méthodes de l’hygiène des viandes de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA)).
• des registres détaillés particuliers (c.‐à‐d., fournisseurs, inventaires (produits bruts et finis), production, ventes/transferts, etc.);
• des comptes qui incluent les « résidus » de production (c.‐à‐d., certificats de rebuts ou de déchets, facteurs de perte de production, sous‐produits produits);
Nota : Si des sous‐produits sont créés lors du processus et s’ils ne sont pas exportés, un relevé de la valeur décomposée est également requis pour justifier le montant de drawback admissible.
• tout autre document qui permettrait à l’ASFC de confirmer si les marchandises et les quantités réclamées répondent aux conditions du programme.
Ces formulaires K32 – Demande de drawback nouvellement remplis ou modifiés peuvent être représentés à l’ASFC, de pair avec tous les renseignements demandés qui précèdent dans les délais que prescrit la loi, et les demandes présentées au‐delà de ces délais seront rejetées.
[Non souligné dans l’original.]
[10] Le ministre indique que la liste précise d’éléments et de renseignements mentionnés dans la décision de mai 2020 énonçait clairement la preuve à laquelle Akme devait répondre en soumettant de nouveau ses demandes, c’est‐à‐dire les renseignements que les nouvelles demandes devaient comporter pour que l’ASFC puisse réexaminer les demandes rejetées. En d’autres termes, soutient le ministre, le réexamen des demandes de drawback déjà rejetées était subordonné au fait qu’Akme fournisse les renseignements demandés, et, en particulier, ses livres et ses registres. Cela ne veut pas dire qu’Akme ne pouvait pas représenter ses demandes de drawback pour réexamen, mais uniquement qu’il n’existait aucune obligation légale de les réexaminer et que l’ASFC n’était pas tenue de réexaminer de manière continue des observations relatives à des demandes de drawback qu’elle avait déjà rejetées.
[11] Akme fait une distinction entre la question de l’origine et le concept de la traçabilité, et elle fait valoir que l’agent n’a pas exprimé de préoccupations au sujet de la question de l’origine dans la décision de février 2020 ou dans la décision de mai 2020 et que, de ce fait, à son avis, les seules points litigieux qui empêchaient de régler la seconde série de demandes de drawback à ce stade‐là étaient la question de l’exigence de la même catégorie et l’exigence générale d’une démonstration de la traçabilité. Il faudrait également garder à l’esprit, et comme les avocats l’ont expliqué devant moi, que la traçabilité n’est pas, en soi, une exigence législative du PDD; selon Akme, la traçabilité est plutôt un concept qu’emploie l’ASFC comme moyen de confirmer si le produit a été importé et remplacé par le nouveau produit, lequel a ensuite été exporté – essentiellement, une carte illustrant la chaîne de transformation du produit depuis son importation au Canada jusqu’à sa réexportation à l’étranger.
[12] Quoi qu’il en soit, par une lettre datée du 29 septembre 2020 [la nouvelle présentation de septembre 2020] Akme a représenté ses demandes de drawback impayées qui faisaient partie de la première et de la seconde séries de demandes de drawback, regroupées en sept demandes représentant un montant total d’environ 4 millions de dollars – un nouveau départ, pour ainsi dire – et assorties de longues observations qui, dit‐elle, établissent clairement [TRADUCTION] « la traçabilité complète et le respect intégral des exigences du programme, et notamment que la société s’est acquittée de toutes les obligations du programme concernant les marchandises de la même catégorie »
(en italique dans l’original). Les observations présentaient une soi‐disant carte routière dans laquelle Akme expliquait son modèle d’entreprise et ses activités; cette carte comportait une [traduction] « procédure pas‐à‐pas » se rapportant à un exemple d’opération et permettant d’établir la traçabilité, avec des renvois à des documents justificatifs, dont des chiffriers Excel; cette carte expliquait ses produits; elle passait en revue la manière dont ses poulets de remplacement importés et achetés au pays se conformaient à l’exigence relative aux marchandises de la même catégorie; elle expliquait comment l’ASFC pouvait faire le suivi des produits d’Akme depuis l’importation/achat jusqu’à l’exportation/vente; elle présentait un tableau de descriptions de produit pour ses marchandises importées, de remplacement et exportées; et elle répondait aux questions et à la demande de renseignements de l’ASFC qui figuraient dans sa décision de mai 2020. La nouvelle présentation de septembre 2020 comportait également un tableau de questions‐réponses au moyen duquel Akme énumérait, semble‐t‐il, la totalité des questions posées et des demandes formulées antérieurement par l’ASFC en lien avec ses demandes de drawback, et elle donnait des réponses précises. Essentiellement, Akme indique qu’elle cherchait à combler les lacunes des [TRADUCTION] « omissions qui empêchent [l’ASFC] de poursuivre le traitement de ces demandes »
et qu’elle a fourni, à son avis, un ensemble complet de documents de façon à établir que chacune de ses demandes de drawback répondait à toutes les conditions du PDD.
[13] Cependant, d’après l’ASFC, Akme n’a fourni aucun nouveau document; les documents inclus dans la nouvelle présentation de septembre 2020 étaient peut‐être les mêmes qu’Akme avaient présentés antérieurement, mais, selon elle, il y avait de nouvelles explications et de nouveaux outils montrant que les documents répondaient bel et bien aux questions et aux demandes que l’ASFC avait formulées dans le cadre de la décision de mai 2020. Akme n’a pas non plus produit ses livres et ses registres, encore que, en toute équité, il n’a peut‐être pas été clair aux yeux d’Akme si l’ASFC, en [traduction] « exige[ant] d’avoir accès », demandait effectivement la production des livres et des registres dans sa décision de mai 2020. Quoi qu’il en soit, Akme soutient que l’agent avait déjà en main les documents précis qu’il avait demandés – et, en conséquence, le fait de les avoir redemandés témoigne de son défaut de traiter de ce qu’elle avait déjà présenté – ou du fait qu’il avait déjà en main les renseignements pertinents, mais sous une forme différente, produits dans le cadre de présentations antérieures, ce qui lui aurait permis d’évaluer tout point en suspens et de déterminer si les demandes de drawback d’Akme répondaient ou pas à toutes les exigences du PDD.
[14] Akme est également d’avis que sa nouvelle présentation de septembre 2020 réglait vraisemblablement la question de l’exigence de la même catégorie, et elle fait état de la présence dans le dossier d’une lettre interne entre des membres du personnel de l’ASFC, datée du 1er février 2021 [la lettre interne de février 2021], qui indique que [TRADUCTION] « [n]ous maintenons notre position antérieure, à savoir que, du seul point de vue des marchandises de la même catégorie, nous sommes d’avis, d’après les renseignements disponibles, que les marchandises en question répondent à toutes les exigences législatives du Programme de drawback pour être admissibles aux dispositions relatives aux marchandises de la même catégorie. La vérification peut donc se poursuivre en vue de déterminer si la totalité des autres conditions du programme sont remplies »
(non souligné dans l’original). Devant moi, Akme a également signalé que l’agent avait en main la lettre interne de février 2021 lorsqu’il a rendu sa décision, mais rien n’indique qu’il en a tenu compte avant de rejeter les demandes. Le ministre est d’avis que la lettre interne de février 2021 est tout simplement une déclaration faite au pied levé par une personne qui ne participait pas au dossier. Toutefois, il me faut convenir avec Akme qu’il s’agit néanmoins du seul endroit dans le dossier où l’ASFC semble traiter d’une certaine manière du fait de déterminer si les demandes de drawback d’Akme répondent à l’exigence relative aux marchandises de la même catégorie.
[15] Quoi qu’il en soit, le 11 mars 2021, l’agent a écrit à Akme [la demande de mars 2021], demandant précisément, cette fois‐ci, les livres et les registres qui avaient été mentionnés dans la décision de mai 2020, de façon à pouvoir procéder à la vérification des demandes de drawback. L’agent a signalé une fois de plus qu’Akme n’avait fourni aucun nouveau document [TRADUCTION] « concernant la traçabilité des marchandises de manière à pouvoir déterminer l’origine des poulets achetés au Canada »
(non souligné dans l’original), notamment auprès des deux fournisseurs nationaux d’Akme; cela, selon le ministre, concernait la question de l’origine, relativement aux poulets de remplacement achetés au Canada. Si j’ai bien compris les propos des avocats, il ne suffisait pas qu’Akme confirme que les poulets de remplacement avaient été achetés par la société au Canada; l’ASFC cherchait plutôt à déterminer si ce produit était au départ d’origine canadienne – ou étrangère. La lettre indiquait également qu’Akme devait fournir à l’ASFC [TRADUCTION] « sur demande, une quantité suffisante de documents satisfaisants qui établissent la traçabilité complète et le respect intégral des exigences du programme, et notamment que la société s’est acquittée de toutes les obligations du programme concernant les marchandises de la même catégorie »
(en italique dans l’original).
[16] Devant moi, le ministre a fait valoir que la traçabilité ne concerne pas simplement l’origine des poulets canadiens, mais aussi le besoin qu’a l’ASFC de faire le suivi des déplacements du produit depuis, en l’occurrence, l’achat de marchandises équivalentes par la voie du processus de transformation, jusqu’à leur exportation; le ministre soutient qu’il y a plusieurs conditions qu’Akme avait à remplir pour établir son admissibilité au PDD et qu’une preuve de traçabilité permet à l’ASFC de faire le suivi du produit le long de la chaîne de transformation et de corroborer les affirmations d’Akme selon lesquelles elle a répondu aux exigences du PDD. De l’avis du ministre, et contrairement à la position adoptée par Akme, la demande de mars 2021 ne liait pas la traçabilité uniquement à la question de l’origine, mais à toutes les conditions du PDD. Cependant, de mon point de vue, je comprends certes comment Akme a pu avoir considéré que la demande de mars 2021 liait l’exigence de la traçabilité à la question de l’origine, vu que l’agent affirmait simplement que, sans vérification de la traçabilité des marchandises (de façon à pouvoir examiner la question de l’origine), l’ASFC [TRADUCTION] « est incapable de certifier si les demandes présentées répondent aux exigences du programme »
.
[17] En tout état de cause, le ministre fait valoir que la demande de mars 2021 était la dernière chance qu’avait Akme – la dernière parmi de nombreuses autres antérieures – pour produire les [traduction] « livres et registres » de la société de façon à pouvoir corroborer les observations qu’elle avait faites antérieurement au sujet de sa conformité aux exigences du PDD. Toutefois, il est clair que la demande de mars 2021 ne traite pas de l’affirmation d’Akme selon laquelle l’ASFC avait bel et bien reçu la totalité des documents nécessaires pour déterminer si la société s’était conformée aux exigences du PDD. En particulier, la demande de mars 2021 ne traite pas des observations antérieures d’Akme sur la question de l’exigence de la même catégorie (y compris la lettre interne de février 2021) ou sur la question de l’origine, pas plus qu’elle ne fait état de toute autre exigence du programme qui constituait encore un point litigieux qu’il était nécessaire de vérifier par la voie de la traçabilité, ou qu’elle n’indique où, dans les échanges antérieurs, on peut voir que l’ASFC a traité des observations d’Akme sur ces questions. Selon le ministre, l’ASFC n’avait pas à traiter de ces aspects, car l’examen des observations d’Akme a été fait dans le cadre de la décision de mai 2020, où était énoncée la preuve à laquelle Akme devait répondre.
[18] Par une lettre datée du 26 mars 2021 [les observations de mars 2021], Akme a répondu à la demande de mars 2021 en faisant référence à sa nouvelle présentation de septembre 2020 et en indiquant que l’ASFC avait [TRADUCTION] « déjà reçu la totalité des documents requis pour confirmer que les conditions [du PDD] quant à l’importation, l’interchangeabilité de marchandises de remplacement, la transformation et l’exportation, ont été remplies »
(non souligné dans l’original); la nouvelle présentation de septembre 2020 expliquait en détail, semble‐t‐il, de quelle façon Akme répondait à l’exigence relative aux marchandises de la même catégorie. Il est vrai qu’Akme n’a pas fourni à l’ASFC de nouveaux documents avec les observations de mars 2021. Akme a plutôt déclaré que la demande d’ASFC concernant les livres et les registres de la société est fondée sur la détermination de l’origine des marchandises de remplacement, mais que l’origine de n’importe quel produit de remplacement acheté au Canada n’a rien à avoir avec les demandes de drawback de la société parce qu’Akme n’a pas demandé de drawback de droits sur les poulets achetés au Canada, mais uniquement sur les produits importés depuis les États‐Unis; selon Akme le ministre aurait pu tout aussi bien demander des livres et registres pour établir que les poulets étaient éclos un lundi plutôt qu’un mercredi.
[19] Quoi qu’il en soit, Akme a expliqué que, peu importe la pertinence de la demande de documents, elle avait tenté d’obtenir les documents d’origine demandés auprès des fournisseurs canadiens à qui elle avait acheté le produit, mais sans succès. Cependant, du point de vue du ministre, la question de l’origine n’est pas seulement liée aux poulets importés, mais aussi aux poulets achetés au Canada, car il est impératif que l’ASFC puisse déterminer si les poulets achetés au Canada eux‐mêmes venaient d’ailleurs et avaient peut‐être déjà bénéficié du PDD après avoir été importés, des États‐Unis, par exemple.
[20] Du point de vue du ministre, Akme aurait pu – et aurait dû – fournir simplement les livres et les registres que l’agent demandait; au contraire, avec la nouvelle présentation de septembre 2020 et les observations de mars 2021, la société s’était lancée dans une tentative ardue pour expliquer à l’ASFC qu’elle avait déjà en main tous les documents dont elle avait besoin pour examiner les demandes. En fait, Akme dit que ses observations sont allées plus loin que cela, en ce sens qu’elles indiquaient à quel endroit, dans la trousse de demande, l’agent aurait trouvé un grand nombre des documents et une bonne partie des renseignements que l’ASFC demandait maintenant, mais que la demande relative aux [traduction] « livres et registres », en vue de déterminer l’origine des marchandises de remplacement, était tout simplement irrégulière dans les circonstances, car elle n’avait aucun rapport avec ses demandes de drawback.
[21] Dans la décision datée du 11 mai 2021, l’agent a rejeté les demandes de drawback qu’Akme avait présentées de nouveau, et ce, au seul motif que la société n’avait pas fourni les [traduction] « livres et registres » demandés, sans faire état de l’affirmation d’Akme que l’ASFC avait déjà en main certains des documents et que, néanmoins, l’ASFC disposait d’un nombre suffisant de documents et de renseignements pour évaluer et accepter les demandes. L’agent a indiqué que, selon le paragraphe 40(1) de la Loi et de l’alinéa 113(3)a) du Tarif des douanes, Akme était tenue de [TRADUCTION] « fournir à l’ASFC les documents requis en vue de déterminer l’admissibilité »
et que, essentiellement, l’omission de le faire – dans ce cas‐ci, l’omission de fournir les livres et registres précis qui étaient demandés – justifiait que l’on rejette ses demandes. En d’autres termes, les demandes de drawback d’Akme n’ont pas été rejetées à cause d’une omission explicite de répondre aux conditions ou aux exigences mentionnées du PDD, mais parce que la société n’avait pas fourni les [traduction] « livres et registres » particuliers que l’agent avait demandés.
III. Analyse
A. Les questions préliminaires
[22] À titre de question préliminaire, le ministre fait valoir que les pièces A, B, C et E de l’affidavit de Spyros Plessas, daté du 14 janvier 2022, devraient être radiés pour cause d’inadmissibilité parce que ces documents n’ont pas été fournis à l’agent dans le cadre des demandes de drawback et ne faisaient pas partie du dossier certifié du tribunal, ainsi que l’exige l’article 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106; les paragraphes 6, 10 à 13 et 15 correspondants de l’affidavit devraient être radiés pour la même raison. Je rejette la demande du ministre. Il ne fait aucun doute que, en général, seuls les éléments de preuve qui ont été effectivement soumis au décideur sont admissibles lors d’un contrôle judiciaire. Cependant, et en faisant abstraction du fait que l’agent avait semble‐t‐il en main la pièce E au moment où il a rendu sa décision, les paragraphes et les pièces contestés tombent sous le coup de l’exception des « renseignements généraux » – l’une des rares exceptions à la règle générale – à titre d’informations susceptibles d’aider la Cour à comprendre l’historique et la nature de l’affaire soumise au décideur administratif et les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire (Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 aux para 41–46; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20). Par conséquent, je considère uniquement ces paragraphes et ces pièces comme de pures et simples observations, propres à guider la réflexion; je dirais toutefois que même si les mots [TRADUCTION] « [u]ne fois de plus, Akme a dû s’en remettre à un recours juridique et solliciter le contrôle judiciaire du refus de 2018 »
, que l’on trouve au paragraphe 13 de l’affidavit de M. Plessa, poussent peut‐être cette exception jusqu’à sa limite, rien ne repose sur ce qui peut n’être vraisemblablement, à tort ou à raison, qu’une manifestation de contrariété de la part de l’auteur de l’affidavit.
[23] De plus, même si Akme sollicite dans son avis de demande que, notamment, la Cour annule les avis de cotisation de pénalité qui ont été établis contre elle, les parties ont confirmé devant moi qu’aucun avis de cette nature n’avait été établi à l’encontre de la société.
B. La norme de contrôle applicable
[24] Pour ce qui est de la décision elle‐même, les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique au fond de la décision est celle de la décision raisonnable; la question déterminante consiste à savoir si l’agent a fourni des motifs qui répondent aux questions fondamentales qu’Akme a soulevées dans ses observations et si ces motifs sont transparents, intelligibles et justifiés (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 15, 81, 94, 127 et 128).
C. Le caractère raisonnable de la décision
[25] J’ai annexé à ma décision les dispositions législatives et réglementaires applicables. Je tiens aussi à mentionner qu’Akme soulève un certain nombre de questions, dont chacune à elle seule, fait valoir la société, rend la décision de l’ASFC déraisonnable. Cependant, compte tenu de ma décision concernant la faiblesse de l’examen effectué par l’agent, ainsi que de son manque de réponse, relativement aux questions fondamentales que la société a soulevées dans ses observations, il n’est nul besoin, selon moi, de traiter de ces autres questions.
[26] L’essentiel de l’argument qu’invoque le ministre a trait aux vastes pouvoirs que lui confère la Loi pour ce qui est d’exiger d’avoir accès aux dossiers d’un importateur et de les examiner, ainsi qu’à l’obligation qu’a l’importateur de conserver des dossiers à cette fin; ces pouvoirs sont d’une vaste portée car, soutient le ministre, le régime établi par la Loi, le Tarif des douanes et les programmes d’encouragement commercial qu’ils prévoient reposent sur un système douanier d’auto‐déclaration volontaire dont l’efficacité dépend de l’obligation légale qu’a l’importateur de tenir des livres et des registres adéquats ainsi que du pouvoir qu’a le ministre de vérifier la conformité à la loi en procédant à l’inspection, à la vérification ou à l’examen de ces dossiers (Martineau c Ministre du Revenu national, [2004] 3 RCS 737 aux para 25 et 26). Le ministre compare et met en contraste les articles 230, 231.1 et 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR], avec les articles 40, 42 et 43 de la Loi et il soutient qu’il existe des obligations semblables quant aux dossiers que doivent tenir les contribuables – dans le contexte des vérifications fiscales, fait valoir le ministre, la Cour suprême du Canada a conclu que le ministre du Revenu national dispose de vastes pouvoirs pour l’application et l’exécution de la LIR et qu’il doit être en mesure d’exercer ces vastes pouvoirs pour inspecter tout dossier par voie de vérification et examiner les dossiers qui peuvent être pertinents pour la cotisation et la perception des taxes et des impôts, qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu un manquement à la LIR (R c McKinlay Transport Ltd, [1990] 1 RCS 627 aux p 648–650; R c Jarvis, 2002 CSC 73 aux para 47–53).
[27] Pour appliquer le PDD, soutient le ministre, l’ASFC se fonde sur les dossiers financiers des importateurs pour s’assurer qu’ils se conforment au paragraphe 89(1) du Tarif des douanes, et la tenue de livres et de registres n’aiderait pas à surveiller la conformité à la Loi si le ministre n’était pas en mesure de consulter ces documents; en fait, ajoute‐t‐il, un importateur qui souhaite tirer avantage d’un programme d’encouragement commercial prévu par la Loi perd le droit d’exclure un examen de la part du ministre pour vérifier la conformité au programme (Fondation Redeemer c M.R.N. (C.A.F.), 2006 CAF 325 aux para 31 et 39 (conf par Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), 2008 CSC 46)). En conséquence, Akme devait forcément produire les livres et les registres qui permettraient à l’ASFC de faire le suivi de chaque opération d’importation en passant par toute transformation, tout transfert ou toute utilisation de marchandises de la même catégorie, et en fin de compte, jusqu’à l’exportation de la même quantité de marchandises que celle des marchandises importées au départ. Ces dossiers devaient être présentés d’une manière qui permette à l’ASFC de procéder à une vérification détaillée et de déterminer le montant des droits à rembourser (Règlement sur les documents relatifs à l’importation de marchandises, DORS/86‐1011, art 4 [le Règlement]).
[28] Le ministre soutient que l’ASFC peut demander n’importe quel document que lui‐même, et non Akme, croit nécessaire pour évaluer une demande de drawback, tant que cette demande est liée à l’« exécution et [au] contrôle d’application » de la Loi; le ministre souligne l’alinéa 113(3)a) du Tarif des douanes, lequel dispose qu’une demande de drawback, aux termes du paragraphe 113(1), « doit comport[er] les justificatifs exigés par [le ministre] »
(non souligné dans l’original). Selon le ministre, cela est lié au paragraphe 40(1) de la Loi, qui prévoit que toute personne « qui importe ou fait importer des marchandises [...] est tenue de conserver [...] les documents réglementaires relatifs aux marchandises et, à la demande de l’agent et dans le délai qu’il précise, de lui communiquer ces documents [...] »
(non souligné dans l’original). Aux termes du paragraphe 40(2) de la Loi, « [l]e ministre peut demander à la personne qui, selon lui, a manqué à ses obligations prévues au paragraphe (1) quant à la conservation de documents de se conformer à ce paragraphe quant aux documents »
.
[29] Le ministre souligne également le paragraphe 2(1) du Règlement à l’appui de sa thèse selon laquelle toute personne tenue par le paragraphe 40(1) de la Loi de conserver des documents relatifs à des marchandises commerciales doit conserver tous les documents qui se rapportent à une liste précise d’éléments énumérés dans cette disposition du Règlement. Quoi qu’il en soit, dit le ministre, les articles 42 et 43 de la Loi – qui se rapportent certes au pouvoir de vérification du ministre – habilitent celui‐ci à exiger que toute personne fournisse n’importe quel document à toute fin liée à l’exécution ou au contrôle d’application de la Loi. C’est donc dire qu’il incombe à l’agent, et non à Akme, de décider quels renseignements et quels documents doivent être produits pour qu’une demande de drawback soit acceptée, et le défaut de produire de tels documents justifie à lui seul le rejet de cette demande.
[30] Akme admet que l’ASFC jouit du vaste pouvoir de demander la production de documents pour la poursuite de l’exécution de la Loi. Cependant, elle indique que la portée du pouvoir que la Loi confère au ministre est néanmoins assujettie aux paramètres que la Cour suprême a fixés dans l’arrêt Vavilov. Selon l’argument qu’Akme a invoqué dans ses observations à l’agent, et qu’il invoque devant moi, le paragraphe 40(1) de la Loi exige seulement qu’un importateur conserve des documents relatifs aux marchandises importées – et non aux produits d’origine nationale, lesquels constituent les marchandises de remplacement dont il est question en l’espèce – qui sont pertinents pour les demandes de drawback de droits de la société. Le ministre interprète le paragraphe 40(1) de la Loi de manière plus large, et considère que celui‐ci fait référence aux documents relatifs à toutes les marchandises d’un importateur : pas seulement les produits importés, mais aussi les produits d’origine nationale. Il s’agit là, bien sûr, d’une question discutable, d’une question que l’agent semble avoir commodément évitée en rendant sa décision. En fait, soutient Akme, l’agent n’a jamais traité des questions qu’elle a soulevées en rapport avec les documents demandés, à savoir que la demande concernant les [traduction] « livres et registres » qui se rapportaient à l’origine des marchandises de remplacement n’avait rien à voir avec les demandes de drawback de la société et n’était donc rattachée à aucune fin législative; que l’agent avait déjà en main certain des documents qu’il demandait ou, du moins les renseignements demandés quoique sous une forme différente; ou qu’elle avait déjà fourni tous les documents nécessaires pour confirmer la question non réglée de l’exigence relative aux marchandises de la même catégorie.
[31] Akme déclare que le paragraphe 2(1) du Règlement est de peu d’utilité pour le ministre dans le présent contexte car l’exigence qui y est énoncée est néanmoins liée au paragraphe 40(1) de la Loi, et se limite donc aux documents relatifs à des marchandises importées et ne vise pas ceux qui sont liés à des biens d’origine nationale. De plus, Akme fait valoir que les articles 42 et 43 – des dispositions qui, le ministre l’admet, ont trait à ses pouvoirs de vérification – sont eux aussi de peu d’utilité, car nous n’avons pas affaire ici à une situation dans laquelle le ministre procède à une vérification d’Akme et l’oblige à produire des documents à l’appui de cette vérification.
[32] Akme fait valoir que l’agent est tenu par la loi d’évaluer la demande de drawback de droits de la société, et s’il existe déjà une preuve de communication de nombreux documents (en l’occurrence, plus de 3 000 pages de documents portant sur chacune des exigences législatives prévues par le PDD et plus de 40 pages d’observations explicatives), il faut qu’il y ait un lien entre la demande supplémentaire et continue de documents et l’objet de cette demande. Akme ajoute que l’agent était tenu de justifier sa décision de rejeter ses demandes et que, ce faisant, il lui fallait traiter des aspects fondamentaux des arguments d’Akme quant au caractère approprié de la demande de livres et de registres; tout pouvoir discrétionnaire de demander en vertu de l’alinéa 113(3)a) du Tarif des douanes des documents dans le contexte de l’examen d’une demande présentée dans le cadre du PDD ne peut pas être exercé arbitrairement.
[33] Akme estime avoir répondu à toutes les exigences législatives qui permettent de tirer avantage du PDD; cependant, l’ASFC refuse d’examiner ses observations et d’évaluer ses documents, ou de relever les lacunes afin qu’elles puissent être rectifiées, mais elle continue sans relâche de demander plus de documents. Selon Akme, ce à quoi l’on assiste, essentiellement, c’est une ASFC irritable qui ne suit pas sa pratique antérieure, laquelle consiste à déterminer quelles conditions du PDD ont été remplies et lesquelles sont encore en suspens et de donner ainsi au demandeur une idée de la preuve à laquelle il lui faut répondre, qui refuse d’exercer le pouvoir que la Loi lui délègue et qui renonce au rôle que le législateur lui a confié en refusant d’évaluer comme il faut les observations de la société et d’analyser les documents que celle‐ci a fournis à l’appui de ses demandes de drawback. En bref, sous l’angle de la société, l’ASFC n’a pas examiné les renseignements et les documents qu’elle a déjà fournis à l’appui de ses demandes de drawback, ni traité des aspects fondamentaux de sa réponse à la demande de documents supplémentaires de l’ASFC; au contraire, celle‐ci continue simplement à enfouir la tête dans le sable et à demander obstinément de plus en plus de documents. Sous l’angle de la société, l’agent semble avoir cherché des motifs fallacieux pour éviter d’avoir à examiner les nombreuses observations de la société, dans l’unique but de rejeter ses demandes de drawback; les demandes constantes de documents de l’ASFC ne sont tout simplement pas fondées sur une analyse rationnelle (Vavilov, aux para 85 et 103), notamment parce que ces demandes se rapportent à une question – celle de l’origine – qui n’est pas importante pour les demandes de drawback d’Akme. Il faut garder à l’esprit qu’Akme, dans ses observations de mars 2021, fait valoir que l’origine des poulets de remplacement importe peu et que la demande de documents visant à vérifier l’origine de ces poulets est donc déraisonnable, et cette question – fondamentale pour la position d’Akme – n’a jamais été examinée par l’agent. Comme la décision de l’ASFC ne traite pas d’aucune façon des questions fondamentales que la société a soulevées dans sa réponse à la demande de documents supplémentaires de l’ASFC, cette décision n’est ni transparente, ni intelligible, ni justifiée, aux dires d’Akme.
[34] La société allègue également que rien dans le texte des paragraphes 89(1) et 113(3) du Tarif des douanes ou dans le paragraphe 40(1) de la Loi n’accorde à l’ASFC le pouvoir discrétionnaire de rejeter des demandes en se fondant uniquement sur l’omission de fournir sur demande des documents relatifs à des marchandises d’origine nationale. En fin de compte, Akme fait valoir qu’elle ne sait plus à quelle preuve elle doit répondre; du point de vue de la société, elle se trouve à bord d’un carrousel tournant sans fin avec l’ASFC dans ses efforts pour obtenir le remboursement d’environ 4 millions de dollars de droits qui ont déjà été payés et qu’elle a le droit de recevoir en vertu de la disposition législative en vigueur; pourtant l’ASFC ne cesse de déplacer les limites en demandant sans cesse de plus en plus de documents, sans examiner ce que la société a déjà fourni.
[35] Du point de vue du ministre, les questions que soulève Akme ont été examinées en quelque sorte dans la demande de mars 2021 quand l’agent a décrété qu’après [TRADUCTION] « examen des documents et des explications fournies avec la nouvelle présentation [...] nous avons constaté qu’aucun nouveau document n’a été présenté [...]. Sans pouvoir vérifier la traçabilité des marchandises, l’ASFC est incapable de certifier si les demandes présentées répondent »
aux exigences du PDD. Quoi qu’il en soit, fait valoir le ministre, il a le droit d’exiger la justification ou la corroboration des renseignements qu’Akme a déjà fournis, et bien qu’il ne conteste pas nécessairement les renseignements que la société a fournis, le ministre fait valoir qu’il a le pouvoir de corroborer les renseignements qu’un demandeur présente en consultant ses livres et ses registres, en particulier les documents comptables, surtout si, comme c’est le cas en l’espèce, des divergence ont été relevées dans les documents présentés. Dans le cas présent, soutient le ministre, l’ASFC avait besoin des documents supplémentaires parce que ceux qu’Akme avait fournis plus tôt ne lui permettaient pas de tirer une telle conclusion; le ministre cite la décision Gugliotti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 71 [Gugliotti] aux paragraphes 36 et 37 à l’appui de la thèse portant qu’une partie peut s’attendre à ce que le réexamen de sa demande soit rejeté si elle omet de fournir les renseignements que demande un décideur pour évaluer la fiabilité d’éléments de preuve déjà produits.
[36] Tout d’abord, je n’interprète pas la demande de mars 2021 de la même façon que le ministre. Il n’y a aucune explication, en réponse aux observations d’Akme, quant à la raison pour laquelle la question de l’origine est pertinente, alors qu’Akme n’a pas demandé de drawback de droits en lien avec des poulets achetés au Canada. De plus, qu’Akme ait eu raison ou pas dans son argument relatif à la question de l’origine, il me semble que la société avait droit à une réponse de l’ASFC sur la question, car celle‐ci était directement liée à la demande de l’agent concernant les livres et les registres de la société, la non‐fourniture desquels était la seule raison qui expliquait le rejet des demandes de la société et la décision rendue. Le raisonnement qui sous‐tend la simple demande de documents sans autre justification, indépendamment des observations d’Akme, ne peut pas être considéré comme intrinsèquement cohérent. Le raisonnement de l’agent est simplement le suivant : l’ASFC a demandé des documents, qu’Akme ne lui a pas fournis, et, de ce fait, il était justifié de rejeter la demande. Je trouve cette approche indéfendable. Il est clairement indiqué dans l’arrêt Vavilov : «
[l]es motifs qui [traduction] “ne font que reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler ensuite une conclusion péremptoire” permettent rarement à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui justifie une décision, et “ne sauraient tenir lieu d’exposé de faits, d’analyse, d’inférences ou de jugement” »
(Vavilov, au para 102; voir aussi Osun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 295 au para 26). Dans la présente affaire, nous ne disposons même pas d’un résumé des arguments qu’Akme a invoqués. De plus, bien que les décideurs ne soient pas tenus de répondre à tous les arguments soulevés, le fait de ne pas s’attaquer de façon significative aux questions fondamentales formulées par les parties, et de fournir des motifs qui y répondent, permet de se demander si le décideur était attentif et sensible à la question qui lui était soumise (Vavilov, aux para 127–128).
[37] Selon Akme, nous n’avons pas affaire à une situation dans laquelle la société fait l’objet d’une vérification et où l’ASFC cherche à la contraindre à communiquer des documents afin de pouvoir déterminer si elle s’est acquittée des droits de douane appropriés (comme ce serait le cas dans le cadre d’une vérification fiscale effectuée sous le régime de la LIR); les articles 42 et 43 de la Loi ne s’appliquent donc pas. Au contraire, ayant déjà payé près de 4 millions de dollars en droits de douane, Akme cherche à profiter d’un programme d’encouragement d’origine législative et elle demande le remboursement de ses droits. De deux choses l’une : la société a répondu aux conditions du programme ou elle n’y a pas répondu, et, dans l’affirmative, il incombe à Akme d’en faire la preuve (9058‐3956 Québec inc. c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CAF 363 [9058‐3956 Québec inc.] et Sebag c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 310 [Sebag]).
[38] De mon point de vue, le ministre n’est guère à la merci du régime d’auto‐déclaration volontaire – comme ce le serait dans le cas d’une vérification effectuée sous le régime de la LIR – et il essaie maintenant de voir si, par exemple, des retenues ont été déclarées à juste titre. Il incombe au ministre d’évaluer, au moyen des renseignements qu’il demande, si la demande de remboursement des droits est justifiée. Quoi qu’il en soit, de mon point de vue, la question de savoir si les articles 42 et 43 de la Loi s’appliquent dans le présent contexte est moins importante. Je considère que l’alinéa 113(3)a) du Tarif des douanes est d’une portée suffisamment large pour englober les documents et les renseignements dont l’agent croit raisonnablement, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, avoir besoin pour évaluer les demandes de drawback d’Akme. Cependant, cette dernière ne conteste pas les pouvoirs qu’a l’agent de demander les documents justificatifs qui peuvent être exigés conformément à l’alinéa 113(3)a) du Tarif des douanes, mais plutôt le caractère raisonnable de cette demande au vu des observations qu’elle a fournies, notamment en ce qui a trait aux livres et aux registres, dans le but d’évaluer la question de l’origine, et le fait que l’omission d’Akme de produire ces documents a mené au rejet de ses demandes de drawback.
[39] Quoi qu’il en soit, je me dois d’être d’accord avec Akme : comment la demande de documents de l’agent peut‐elle être raisonnable si celui‐ci n’a pas examiné les observations qui établissent censément que certains des documents ont déjà été produits, que les renseignements nécessaires figurent dans le dossier, mais juste pas sous la forme que demande l’agent, ou que la demande elle‐même qui se rapporte aux [traduction] « livres et registres » est indéfendable en droit? Rien n’est dit sur le fait de savoir si les livres et les registres d’Akme étaient pertinents ou non pour satisfaire à l’exigence relative aux marchandises de la même catégorie (mentionnée dans la décision de mai 2020 et dans la demande de mars 2021) ou pour examiner la question de l’origine (mentionnée dans la demande de mars 2021). Les vastes pouvoirs d’examen du ministre et son pouvoir d’exiger la production de documents ne sont pas un laissez‐passer qui permet à l’ASFC d’éviter d’avoir à se conformer aux principes que la Cour suprême a énoncés dans l’arrêt Vavilov quand vient le temps de rendre une décision définitive sur le fait de savoir si Akme a répondu ou non aux conditions du PDD. Il me semble que lorsque l’ASFC exige une preuve à l’appui des demandes de drawback de droits d’un importateur, cette requête doit concorder avec la nature de la demande elle‐même et être raisonnablement liée au respect des exigences législatives du programme pour lequel les demandes ont été présentées; sans cela, comme l’a dit Akme, l’agent aurait pu tout aussi bien demander des documents montrant à quel jour les poulets étaient éclos.
[40] Cela est particulièrement le cas lorsqu’une décision défavorable signifie que le demandeur a dépassé le délai prescrit pour solliciter un réexamen, comme c’est présentement le cas d’Akme. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés est un élément clé de l’évaluation du caractère raisonnable de la décision (Vavilov, au para 77). Souscrire à l’argument du ministre selon lequel il suffisait qu’Akme ne se conforme pas à la demande de livres et de registres de l’agent, et qu’il n’incombait pas à celui‐ci d’examiner en détail les affirmations d’Akme avant de rejeter ses demandes de drawback, reviendrait à conférer à l’agent le pouvoir discrétionnaire absolu de demander n’importe quel document qu’il souhaite obtenir, peu importe la pertinence ou la valeur probante d’un tel document par rapport aux conditions du programme, faisant ainsi du simple fait de se conformer à la demande de documents de l’agent une condition du programme lui‐même. Comme il a été indiqué plus tôt, la décision de rejeter les demandes d’Akme repose non pas sur le fond de la demande de la société, mais plutôt uniquement sur son omission de fournir les livres et les registres demandés par l’agent. Il me semble que si une telle demande de la part de l’agent pour les livres et les registres d’Akme était bel et bien appropriée dans ces circonstances, et se serait soldée par le rejet pur et simple des demandes de drawback d’Akme, il serait tout simplement trop facile pour les organismes fédéraux de contourner leurs obligations légales en prétextant un manque de documents.
[41] Il n’est pas question en l’espèce, comme le fait valoir le ministre, d’Akme qui ne fait que représenter de demandes qui ont déjà été rejetées, sans rien ajouter d’autre (Gugliotti, aux para 36–37); dans le cas présent il y a nettement plus, peut‐être pas du point de vue de nouveaux documents, mais certainement du point de vue d’établir la carte routière servant à comprendre (sous l’angle d’Akme, du moins) les documents déjà présentés, de façon à combler les lacunes relevées par l’agent après la première présentation des demandes. Comment une demande de documents peut‐elle être considérée comme raisonnable – même à l’extrémité inférieure de l’échelle de la raisonnabilité – si l’agent n’a pas passé en revue les documents à travers le prisme qu’Akme a fourni, en traitant notamment des arguments juridiques concernant le bien‐fondé de la requête elle‐même en lien avec les questions censément en suspens. Il était certes loisible à l’agent de rejeter les déformations de ce prisme, parce qu’il les considérait comme trompeuses, et de ne pas souscrire aux conclusions qui se trouvaient au bout de la route qu’Akme souhaitait lui faire prendre au moyen des explications, des justifications et de la « carte routière » fournie. Il était également loisible à l’agent de repousser l’allégation d’Akme au sujet du caractère irrégulier de la nécessité de produire des documents supplémentaires sur la question de l’origine ou au sujet de l’application du paragraphe 1 de l’article 303 de l’Accord de libre‐échange nord‐américain (la règle du « moins élevé [des] montants »). J’admets également que l’alinéa 113(3)a) du Tarif des douanes exige de la personne qui demande un drawback d’assortir sa demande des justificatifs exigés par le ministre. Mais je ne vois pas comment on peut dire, sans évaluer ce qui a été fourni à travers le prisme des arguments qui ont été invoqués, que la demande supplémentaire de documents peut être raisonnable, indépendamment de la portée possible du droit d’examen.
[42] Il me semble que le pouvoir du ministre d’examiner, ou de forcer à produire, des documents d’un importateur sur demande afin qu’il puisse exercer ses pouvoirs de supervision sur le régime de réglementation – que le ministre ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un importateur particulier a enfreint la Loi – ne devrait pas être confondu avec l’obligation de l’ASFC d’examiner les observations du demandeur et d’évaluer, de manière raisonnable, si l’importateur a répondu aux conditions d’un programme prévu par la Loi avant de rejeter la demande. De plus, même si la disposition susmentionnée permettait effectivement à l’ASFC de demander des documents concernant les marchandises non importées d’Akme ou si elle conférait effectivement à l’ASFC le pouvoir discrétionnaire de rejeter des demandes de drawback parce que ces documents n’avaient pas été fournis – le ministre ne va pas plus loin qu’admettre qu’une demande de documents doit être liée à une fin qui se rapporte à l’application et au contrôle d’exécution de la Loi – il faudrait quand même qu’un tel pouvoir discrétionnaire soit exercé d’une manière conforme aux principes énoncés dans l’arrêt Vavilov.
[43] Il n’est pas question de la production, par Akme, de nouveaux documents; elle ne l’a clairement pas fait. Ce qu’elle a fait c’est présenter sous un angle nouveau les documents déjà produits pour essayer de dissiper toute confusion possible quant à la manière dont ces documents permettaient à l’ASFC de conclure qu’ils étaient suffisants. Il est important que je voie que tout document à l’origine de la décision de l’ASFC a été demandé de manière raisonnable, conformément aux exigences de la Loi, après que l’agent a examiné les observations d’Akme. Si l’on se fonde sur la longue nouvelle présentation de septembre 2020 d’Akme et sur les efforts que celle‐ci a faits par la suite pour faire en sorte que l’agent se concentre sur cette présentation, le caractère adéquat de certaines réponses et la pertinence d’autres pourraient être très certainement discutables, mais là encore, il n’est pas suffisant pour les avocats de tenter de justifier la décision après le fait.
[44] Le ministre soutient qu’Akme, dans le cas des observations de mars 2021, fournissait à l’agent simplement ce dont Akme pensait que ce dernier avait besoin, et non pas ce que l’agent demandait et que, en tout état de cause, même si les renseignements secondaires permettaient de déterminer que les demandes de drawback d’Akme répondaient à toutes les conditions du PDD, le ministre a néanmoins le pouvoir de demander les documents principaux de la société pour justifier ou corroborer de tels renseignements. En mettant de côté pour le moment la question de savoir si ce qu’Akme avait produit n’était en fait que des renseignements secondaires, je ne suis pas persuadé que l’agent, sans avoir examiné les observations d’Akme, était en mesure de savoir si l’une quelconque des conditions du PDD devait être validée ou corroborée. Essentiellement, l’agent ignore ce qu’il ne sait pas jusqu’à ce qu’il examine les observations de fond d’Akme dès que le bouton « réinitialisation » a été enfoncé; il me semble que pour chercher à valider des renseignements produits, il faut d’abord comprendre la nature des renseignements et les explications déjà données. Il est fort possible qu’avec l’avantage du prisme des observations nouvelles et de indications fournies par Akme dans la nouvelle présentation de septembre 2020 quant à l’endroit où trouver les renseignements nécessaires, l’agent aurait été satisfait des documents d’Akme. Je ne dis pas que l’agent était obligé d’accepter les observations d’Akme, mais juste qu’il était déraisonnable de sa part de ne pas les avoir examinées avant de rejeter les demandes de drawback parce que les livres et les registres n’avaient pas été produits.
[45] De plus, je ne puis convenir avec le ministre qu’il y a une distinction à faire entre le caractère raisonnable de la décision et celui de la demande, par l’agent, des livres et des registres d’Akme. La décision de rejeter les demandes d’Akme reposait uniquement sur le fait que les livres et les registres n’avaient pas été produits. Enfin, le ministre fait valoir que dans le contexte d’une décision de réexamen, comme c’est le cas en l’espèce, je ne devrais pas examiner les décisions en cause (Canadian Airport Workers Union c Sécurité préembarquement Garda inc., 2013 CAF 106 au para 3; Aliments Sofina inc. c Canada (Procureur général), 2015 CF 47 au para 50; Complexe Enviro Progressive Ltée c Canada (Transports), 2018 CF 1299 aux para 31‐33), d’autant plus qu’Akme n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de ces décisions antérieures. Je suis d’accord, et c’est la raison pour laquelle je me suis limité à la décision de l’ASFC et aux motifs sur lesquels celle‐ci était fondée.
[46] Il me faut aussi mentionner que la présente affaire diffère des situations dont il était question dans les affaires 9058‐3956 Québec Inc et Sebag. Il n’est pas question en l’espèce du fait qu’Akme n’a pas produit un document qui est précisément considéré comme une condition requise du PDD. En l’espèce, l’ASFC demande des documents supplémentaires censément, comme l’a fait valoir le ministre devant moi, pour corroborer les renseignements déjà reçus d’Akme et pour répondre à une lacune qui, d’après l’ASFC, existe dans les observations fournies. Cependant, il ne semble pas que l’agent ait examiné l’une quelconque de ces observations; il semble plutôt qu’il ait simplement rejeté les demandes de drawback parce que Akme n’avait pas fourni les [traduction] « livres et registres » qui étaient demandés, une demande qu’Akme a directement contestée sans obtenir de réponse de l’agent.
[47] La présente affaire n’est pas non plus, comme je l’ai indiqué plus tôt, semblable à la situation dont il était question dans l’affaire Gugliotti, que le ministre a citée à l’appui de la thèse qu’une demande raisonnable de renseignements supplémentaires en vue de soupeser ou d’évaluer les éléments de preuve produits devrait être respectée, sous peine de rejet de la demande (Gugliotti, au para 36); en l’espèce, aucun doute n’a été exprimé par l’agent quant à la fiabilité des documents qu’Akme avait produits, et même s’il y avait eu des doutes non exprimés, toute demande de documents supplémentaires doit être raisonnable – je suis porté à croire qu’avant que l’on puisse demander raisonnablement des documents justificatifs, il faut d’abord s’attaquer aux questions que le demandeur a soulevées. En l’espèce, le fait de ne pas avoir traité systématiquement de ces questions, en dépit du fait qu’Akme les a soulignées de manière constante, donne à penser que l’agent ne l’a tout simplement pas fait.
D. Les divergences dans les documents d’Akme et l’importance de la traçabilité
[48] Le ministre soutient que les documents qu’Akme a fournis au départ comportaient des divergences qui ont été mentionnées à la société, mais jamais corrigées. En particulier, la demande de mars 2021 fait référence à la nécessité de produire des documents [TRADUCTION] « concernant la traçabilité des marchandises de manière à pouvoir déterminer l’origine des poulets achetés au Canada »
. Les parties ont présenté de nombreuses observations sur le concept de la traçabilité. Comme il a été mentionné plus tôt, la traçabilité n’est pas, en soi, une exigence législative du PDD, mais plutôt un concept auquel recourt l’ASFC pour faire le suivi de produits depuis leur importation au Canada (en présumant qu’ils sont d’origine étrangère) jusqu’à leur remplacement par des marchandises semblables et, de là, jusqu’à l’exportation de ces marchandises semblables – essentiellement, une carte illustrant la chaîne que suivent les marchandises depuis leur approvisionnement ou leur importation au Canada jusqu’à leur exportation finale à partir du Canada.
[49] Pour être admissible à un drawback de droits conformément à l’alinéa 89(1)d) du Tarif des douanes, fait valoir le ministre, vu qu’Akme utilise des marchandises équivalentes (marchandises de la même catégorie), il y a un certain nombre de conditions auxquelles il faut répondre avant qu’un drawback de droits soit autorisé; il incombait à Akme de montrer, pour chaque opération d’importation, qu’elle avait satisfait à un certain nombre de facteurs, dont le fait que les marchandises visées par une demande de drawback ont été importées avec les droits payés, que les marchandises importées ont été transformées dans la même installation au Canada que celle où les marchandises de la même catégorie ont été transformées et que la même quantité de marchandises de la même catégorie que la quantité de marchandises initialement importées a été exportée par la suite. De ce fait, soutient le ministre, il est important de montrer la traçabilité des marchandises, en ce sens que l’on peut ainsi faire le suivi des marchandises depuis leur importation, en passant par toute opération de transformation, y compris l’utilisation des produits qui respectent les conditions relatives aux marchandises de la même catégorie, jusqu’à leur exportation ultérieure. Une fois que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’octroi de l’exonération prévue à l’alinéa 89(1)d), le demandeur se voit accorder le remboursement ou le drawback de la totalité ou d’une partie des droits qu’il a payés si les conditions énoncées à l’article 113 du Tarif des douanes sont remplies.
[50] J’admets que l’agent a conclu, à tort ou à raison, qu’il existait des questions en suspens au sujet des demandes de drawback d’Akme, ce qui explique les décisions d’août 2019 et de février 2020. Mais sont apparues ensuite la nouvelle présentation de septembre 2020 et, après, les observations de mars 2021, qui, en particulier, visaient à répondre aux préoccupations que l’agent avait soulevées dans la demande de mars 2021, y compris la nécessité de produire des documents concernant non seulement la traçabilité des marchandises [TRADUCTION] « en vue de déterminer l’origine des poulets achetés au Canada »
, mais aussi la traçabilité des marchandises dans le but de déterminer la conformité aux conditions restantes du programme. Plutôt que de traiter des observations d’Akme au sujet de la question de l’origine et des autres questions qui, pensait Akme, étaient encore en suspens, l’agent a rendu sa décision. Je comprends certes Akme lorsqu’elle dit qu’elle ne comprenait tout simplement plus quelle était la preuve à laquelle elle devait répondre, vu les tentatives constantes qu’elle avait faites pour faire précisément part de sa position sur ce qui était, selon elle, les questions en suspens, notamment celle de l’origine. Si l’on fait abstraction d’un éventuel problème d’équité procédurale, qui, comme je l’ai indiqué aux parties, n’a pas été soulevé par Akme, l’impression, bonne ou mauvaise, est que l’agent n’était pas intéressé à traiter des questions qu’Akme avait soulevées, mais juste résolu à trouver un moyen expéditif de rejeter les demandes, d’autant plus que, pour Akme, il serait alors trop tard pour les présenter de nouveau.
[51] Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le PDD est assorti d’exigences, comme l’a énoncé le ministre, mais la difficulté que me pose sa position est que l’agent ne peut pas savoir si l’une quelconque de ces divergences ont été rectifiées ou expliquées par Akme parce que rien n’indique qu’il a examiné les observations d’Akme qui visaient expressément à régler ces divergences. Akme indique que les observations de mars 2021, de pair avec la nouvelle présentation de septembre 2020, répondent de manière complète à ces divergences, notamment en ce qui a trait à la question de l’origine, à laquelle semble principalement se rapporter la nécessité de la traçabilité, et pourtant, plutôt que de traiter de ce qu’Akme avait présenté, l’agent a simplement rejeté les demandes de drawback d’Akme parce que, essentiellement, aucun nouveau document n’avait été produit. L’agent a fait complètement fausse route et, selon moi, la décision est bien loin de répondre aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification qu’énonce l’arrêt Vavilov, même en tenant compte du contexte et de l’historique des échanges qu’il y a eus entre les parties à l’égard des demandes de drawback et qui figurent dans le dossier.
[52] Il me semble qu’avant que l’agent puisse rejeter une demande en raison de ce qui est, essentiellement, une question de suffisance, il lui faut tout d’abord examiner les observations du demandeur. Cela ne restreint d’aucune manière les vastes pouvoirs de communication obligatoire dont jouit le ministre, pas plus que, comme il a été indiqué, cela veut dire qu’un demandeur peut simplement continuer de soumettre pour réexamen des demandes rejetées antérieurement, sans fournir d’autres documents (voir Gugliotti, aux para 36–37). Ce que cela signifie toutefois, c’est que, même dans le cas d’un réexamen, si un demandeur a invoqué de nouveaux arguments à l’appui de sa demande, même si aucun nouveau document n’a été produit, l’ASFC doit raisonnablement examiner ces arguments avant de rejeter la demande. En fin de compte, l’ASFC est peut‐être parfaitement justifiée de conclure qu’Akme n’a pas répondu aux conditions du PDD mais, sans un examen des questions soulevées et des tentatives faites par Akme pour combler les lacunes, la décision de rejeter les demandes uniquement parce qu’Akme n’a pas fourni de nouveaux documents est déraisonnable.
E. Était‐il interdit à Akme de soulever des questions faisant l’objet de décisions antérieures pour lesquelles aucun contrôle judiciaire n’a été demandé?
[53] Le ministre soutient que si Akme n’était pas satisfaite de la position du ministre sur, par exemple, la question de l’origine – une position censément exprimée par le ministre dans la décision d’août 2019 – elle aurait dû soumettre cette décision à un contrôle judiciaire. Je ne souscris pas à cet argument. À l’évidence, l’ASFC a invité Akme à représenter ses demandes qui avaient été antérieurement rejetées; il continuait donc d’exister une option administrative. De telles nouvelles présentations comporteraient forcément une nouvelle manière de présenter ce que l’ASFC avait considéré plus tôt comme non conforme, relativement aux demandes d’Akme. Le ministre a admis devant moi qu’un réexamen est considéré comme un nouveau départ, mais il soutient que, même lors d’un réexamen, on ne peut pas dissocier la décision du dossier et que, de ce fait, Akme savait quelle était la preuve à laquelle il lui fallait répondre, et que l’ASFC n’était pas tenue d’exprimer simplement, de manière répétée, la même position que celle qu’elle avait adoptée par rapport aux demandes.
[54] Je ne puis souscrire à l’argument du ministre. Je suis conscient qu’il n’existe aucune exigence législative en matière de réexamen des demandes; cependant, autoriser à représenter des demandes pour réexamen, et les rejeter ensuite parce qu’il aurait fallu soumettre antérieurement à un contrôle judiciaire tout argument nouveau – et, par ailleurs, convaincant, – me semble contradictoire; je puis comprendre qu’un demandeur puisse éprouver le sentiment de s’être fait avoir. La raison d’être d’un réexamen est de donner au demandeur la chance d’obtenir un nouvel examen en se basant sur la preuve qu’il fournit en présentant de nouveau ses demandes; en fait, le ministre admet lui‐même que, dans ses observations écrites, l’agent s’est livré à un [traduction] « nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire » en rendant sa décision (Bell Canada c Canada (Procureur général), 2011 CF 1120 aux para 98 et 99; Dumbrava c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1238 au para 15). Considérer maintenant, comme le fait le ministre devant moi, que l’ASFC avait déjà fait état de sa position sur la question de l’origine, la question de l’exigence de la même catégorie ou la question de la traçabilité, et qu’il n’avait donc plus besoin de se répéter, malgré les nouveaux arguments d’Akme, n’est pas convaincant.
[55] J’admets que la décision de mai 2020 a pu avoir donné à penser que la nouvelle présentation des demandes de drawback dépendait du fait qu’Akme fournisse, notamment, les livres et les registres. Cependant, il me semble qu’en fixant des conditions strictes et rigides pour la nouvelle présentation, l’agent peut fort bien avoir restreint son propre pouvoir discrétionnaire à l’égard d’un nouvel examen des demandes. Quoi qu’il en soit, Akme déclare que la nouvelle présentation de septembre 2020 était en grande partie conforme à la demande de renseignements de l’agent, indiquant que, essentiellement, les renseignements se trouvaient déjà dans le dossier, mais pas forcément sous la forme des livres et registres précisément mentionnés par l’agent. Pour ma part, je ne puis déterminer, d’après le dossier dont je dispose, si le document demandé dans le cadre de la décision de mai 2020 ou de la demande de mars 2021 se rapportait aux conditions du PDD concernant la question de l’origine, pas plus que je ne puis répondre à la question de savoir si les observations juridiques d’Akme sur le caractère raisonnable de ces demandes sont exactes sans disposer de la position du ministre sur les questions qu’Akme a soulevées dans ses observations de mars 2021. Comme je l’ai dit aux parties, il n’incombe pas à la Cour de passer en revue les observations de mars 2021 et de parcourir les milliers de pages de documents justificatifs pour déterminer si Akme a raison et si l’agent avait déjà en main les renseignements qu’il cherchait à obtenir, mais qu’il l’ignorait parce qu’il n’avait pas examiné ces observations, notamment en ce qui a trait au problème juridique concernant la question de l’origine et au bien‐fondé de la demande de l’ASFC en vue d’obtenir les livres et les registres de la société pour pouvoir évaluer l’origine des produits de source nationale. Il suffit de dire que l’exercice n’a semble‐t‐il pas été fait par l’agent, un exercice qu’il lui incombait de faire, je crois, avant de rejeter les demandes de drawback pour la simple raison qu’Akme n’avait pas fourni de nouveaux documents.
[56] Il n’est pas question en l’espèce, comme le soutient le ministre, d’Akme demandant à l’agent d’effectuer son analyse entière à partir de zéro après ne pas avoir reçu les documents qu’il avait demandés. Il est plutôt question du fait que l’agent avait besoin d’examiner les observations d’Akme pour déterminer si l’objet de sa demande de documents était, essentiellement, respecté, ou si cette demande était en fait, comme le soutient Akme, irrégulière en ce qui concernait la question de l’origine. Le ministre fait valoir qu’Akme n’indique pas précisément que les livres et les registres figurent déjà dans le dossier, mais juste que les renseignements nécessaires pour déterminer la conformité aux conditions du PDD se trouvent déjà dans le dossier; en d’autres termes, l’ASFC dispose des renseignements, mais seulement pas sous la forme des livres et des registres. Peut‐être bien, mais si le dossier contenait effectivement tous les renseignements qui auraient permis à l’ASFC de conclure qu’Akme s’était conformée à toutes les conditions requises pour ses demandes de drawback, je ne puis accepter que l’ASFC a pu néanmoins rejeter les demandes juste parce que les renseignements ne se trouvaient pas sous la forme demandée, et ce, même si Akme s’est, semble‐t‐il, donnée beaucoup de mal pour fournir à l’ASFC une carte routière montrant comment faire le suivi de ces renseignements. Par ailleurs, pour ce qui est de la question de l’origine, Akme dit à l’ASFC que sa demande de livres et de registres pour étayer cette question est irrégulière. L’ASFC n’a pas traité du bien‐fondé de sa demande de « livres et registres » – un problème juridique, selon moi –, mais elle rejette simplement les demandes à cause de la non‐production de ces documents. Là encore, il me faut convenir avec Akme que l’ASFC a entièrement omis d’examiner la proposition qu’elle avait mise de l’avant, ce qui fait donc que la décision est déraisonnable. Les efforts qu’ont faits les avocats pour me faire suivre l’historique de la correspondance ne m’ont pas non plus permis de faire les rapprochements nécessaires pour trouver une justification au défaut de l’ASFC de traiter précisément de la question de l’origine dans sa décision.
[57] Il me faut aussi mentionner que nous n’avons pas affaire en l’espèce à un demandeur qui cherche à éviter d’acquitter des droits de douane ou à trouver plus de temps pour le faire. Akme a payé de sa poche environ 4 millions de dollars en droits d’importation et elle souhaite maintenant obtenir un remboursement au moyen de drawbacks correspondants. Pour une entreprise familiale de petite taille comme Akme, les conséquences d’une décision par laquelle le ministre rejette les demandes sont sérieuses. L’arrêt Vavilov indique clairement que plus les conséquences d’une décision sont graves, plus le décideur se doit de s’attaquer à ces conséquences et de veiller à ce qu’elles soient justifiées au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 133–135).
[58] En fin de compte, la décision est déraisonnable non pas parce que l’agent n’avait pas le pouvoir de demander des livres et des registres supplémentaires – nul ne conteste qu’il l’a fait –, mais parce que sa décision ne tenait pas compte sérieusement des questions fondamentales et des préoccupations que soulevait Akme par rapport à cette demande. Comme la Cour suprême nous l’a encore récemment rappelé, les motifs du décideur administratif « tiennent valablement compte des questions centrales soulevées par les parties »
(Mason, au para 74; Vavilov, au para 127), et «
le fait qu’un décideur n’ai pas réussi à ‘s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise’ »
(Vavilov au para 128). En conséquence, « si des motifs sont communiqués, mais que ceux‐ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible [...] la décision sera déraisonnable »
(Vavilov, au para 136). Dans la présente affaire, c’est comme si les parties travaillaient à contresens : l’ASFC soulevait des questions et demandait des documents, et Akme essayait désespérément d’orienter l’agent vers des documents précis, déjà dans le dossier, qui répondaient à ces préoccupations. Plutôt que d’examiner ces observations, l’agent a tout simplement considéré qu’étant donné qu’aucun nouveau document n’avait été produit, il fallait rejeter les demandes. Selon moi, il s’agit là d’une position indéfendable. Sans cela, il serait trop facile pour n’importe quel organisme fédéral de se soustraire à son obligation d’examiner un dossier, certes volumineux et complexe, et d’affirmer que le demandeur aurait dû se conformer à une demande de documents, de façon à éviter d’examiner des questions concernant le caractère approprié d’une telle demande, même si le demandeur insistait pour dire que les documents nécessaires se trouvaient déjà entre ses mains. Cette position est indéfendable, compte tenu surtout de ce qu’implique pour Akme un rejet de ses demandes – dont une interdiction de faire une nouvelle présentation avant quatre ans parce qu’elle se situe en dehors du délai que prévoit la loi pour les demandes au titre du PDD.
IV. La réparation
[59] Pour ce qui est de la réparation appropriée, Akme indique qu’elle a relevé plusieurs problèmes dans la décision, des problèmes qui l’affligent depuis des années dans sa quête pour recevoir le remboursement de droits qu’elle réclame avec raison. Elle laisse entendre que la Cour peut ordonner le remboursement des drawbacks en litige. Cependant, comme je l’ai clairement indiqué à l’audience, il n’appartient généralement pas à la Cour de se mettre à la place de l’agent qui a été chargé par le législateur d’évaluer et de déterminer si les conditions législatives du PDD ont été remplies.
[60] Il est question en l’espèce d’une situation où, comme l’a décrété la Cour suprême, «
le législateur a confié le règlement de l’affaire à un décideur administratif, et non à une cour »
(Vavilov, au para 140). Je ne pense pas non plus qu’il convienne en l’espèce que je renvoie l’affaire à l’ASFC, en lui ordonnant de payer les demandes de drawback d’Akme ou d’arriver à un résultat précis après un réexamen. En général, un tribunal ne devrait pas substituer sa propre décision à celle qu’a rendue un décideur administratif en obligeant ce décideur à tirer une conclusion précise (Catalyst Pharmaceuticals, Inc c Canada (Procureur général), 2022 CF 292 au para 194), surtout, selon moi, si l’évaluation à effectuer est de nature hautement technique et factuelle et devrait être effectuée par le décideur délégué par la loi, avec l’avantage de disposer d’un dossier complet. Dans les circonstances, je renverrai l’affaire pour nouvelle décision à une équipe de vérification tout à fait nouvelle de l’ASFC, qui pourra profiter de mes motifs de jugement et qui devrait sans nul doute rendre une décision conforme aux principes énoncés en l’espèce, tout en examinant comme il faut les observations d’Akme par rapport aux conditions du PDD qui ont été fixées par voie législative, le tout dans un délai raisonnable vu les circonstances.
[61] Les parties ont convenu que si Akme avait gain de cause le ministre paierait des dépens de 4 500 $, et c’est ce que j’ordonnerai.
JUGEMENT dans le dossier T‐917‐21
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
La décision datée du 11 mai 2021 est infirmée et l’affaire renvoyée pour nouvelle décision dans un délai raisonnable à une équipe de vérification différemment constituée de l’ASFC, conformément aux motifs énoncés dans la présente décision.
La somme globale de 4 500 $ est adjugée à Akme au titre des dépens.
« Peter G. Pamel »
Traduction certifiée conforme
Semra Denise Omer
ANNEXE
Tarif des douanes, LC 1997, c 36
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Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl)
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Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106
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Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl)
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Règlement sur les documents relatifs à l’importation de marchandises, DORS/86‐1011
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‐917‐21
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INTITULÉ :
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AKME POULTRY, BUTTER & EGGS DISTRIBUTORS INC c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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OTTAWA (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 8 février 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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le juge PAMEL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 13 OCTOBRE 2023
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COMPARUTIONS :
Erin E. Brown
Jean‐Simon Schoenholz
Alexander Carden
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POUR La demanderesse
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Sarom Bahk
Jessica Pizzoli
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Norton Rose Fulbright Canada
S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Ottawa (Ontario)
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POUR La demanderesse
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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