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Date : 20231016


Dossier : IMM-6285-22

Référence : 2023 CF 1377

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

QAMAR JAVEED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Qamar Javeed, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 13 juin 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle il n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] La SAR a confirmé le rejet de la demande d’asile par la SPR au motif que le demandeur manque de crédibilité pour établir les éléments centraux de sa demande.

[3] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas examiné adéquatement la preuve, ce qui rend la décision déraisonnable, et que son droit à l’équité procédurale n’a pas été respecté lors de l’instance de la SAR en raison de l’incompétence de son conseil précédent.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Les faits

A. Le demandeur

[5] Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 47 ans. Il s’identifie comme un musulman chiite.

[6] De façon intermittente entre 2002 et 2019, le demandeur a résidé au Koweït et était muni d’un visa de travail. L’épouse et les quatre enfants du demandeur résidaient au Pakistan, et le demandeur retournait au Pakistan pour leur rendre visite lorsqu’il ne travaillait pas.

[7] Le demandeur allègue que, pendant son séjour au Pakistan, il a généreusement soutenu financièrement sa communauté chiite locale, l’imam Bargah. Il affirme que lors d’un de ses voyages de retour au Pakistan, il a proposé un plan de rénovation pour l’imam Bargah qui comprenait une section pour les enfants, et qu’il a fait un don important pour ce projet. Il allègue que cela a entraîné un afflux de dons, que son nom a été annoncé dans un discours de l’imam et qu’il a été nommé gestionnaire de la construction pour la section des enfants. Le demandeur serait donc devenu bien connu dans la communauté chiite locale.

[8] Le demandeur affirme que, peu de temps après, il a reçu un appel téléphonique de menace d’un homme appelé Hafiz Bilal. Le 12 novembre 2016, le demandeur aurait été agressé et menacé par des membres du Sipah-e-Sauhaba (« le SSP »), un groupe extrémiste sunnite. Il affirme avoir signalé l’agression à la police le lendemain. Le 15 novembre 2016, il aurait fui le Pakistan et serait retourné au Koweït, où il serait resté jusqu’en 2019.

[9] En mai 2019, le demandeur a présenté une demande de visa de résident temporaire pour venir au Canada, craignant que son visa de travail pour le Koweït ne soit révoqué. Cette demande a été rejetée en juin 2019. Le demandeur est retourné au Pakistan en juillet 2019 pour rendre visite à son père malade. Au cours de ce voyage, le SSP a continué de le menacer, puis une attaque contre son domicile familial a été perpétrée le 19 septembre 2019.

[10] Le demandeur aurait fui vers Islamabad, où il se serait caché du SSP et aurait demandé un visa pour les États-Unis (les É.-U.). Le 24 novembre 2019, il a quitté le Pakistan et s’est rendu au Koweït. Le 8 décembre 2019, le demandeur s’est rendu aux É.-U. et a traversé la frontière canado-américaine le lendemain. Il a présenté une demande d’asile dès son arrivée au Canada.

B. La décision de la SPR

[11] Dans une décision datée du 10 janvier 2022, la SPR a conclu que la demande d’asile du demandeur manquait de crédibilité. Elle a admis les éléments de preuve présentés après l’audience concernant l’allégation du demandeur selon laquelle il a continué de faire des dons à l’imam Bargah au Pakistan.

[12] La SPR a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité parce que la preuve du demandeur contenait des incohérences et des omissions concernant les faits qui se seraient passés en novembre 2016. Dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA), le demandeur a déclaré qu’il avait reçu un appel téléphonique de menace de la part d’une personne appelée Hafiz Bilal deux jours après avoir été nommé gestionnaire de la nouvelle section de l’imam Bargah pour les enfants, mais il a par la suite déclaré qu’il avait aussi reçu d’autres appels. La SPR a également souligné que, dans son premier rapport d’information daté du 13 novembre 2016, le demandeur avait mentionné avoir reçu une lettre de menace de la part d’Hafiz Bilal, mais qu’il n’a aucunement fait mention de cette lettre dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et dans son témoignage initial.

[13] La SPR a conclu que le formulaire FDA ne faisait aucune mention d’un premier rapport d’information rédigé en novembre 2016; que le demandeur avait déclaré avoir reçu deux lettres de menace de la part du SSP en 2019 alors qu’il n’a mentionné qu’une seule lettre dans son formulaire FDA; qu’il y avait des divergences importantes entre l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur et son témoignage concernant la nature de l’agression qui aurait été commise par quatre membres du SSP, le 12 novembre 2016; et que le formulaire FDA ne faisait mention d’aucun témoin qui serait intervenu pour l’aider pendant l’attaque alléguée, malgré son témoignage à cet effet.

[14] La SPR a souligné que le demandeur a attribué à maintes reprises ces incohérences et omissions dans la preuve à [traduction] « l’intermédiaire » qui a travaillé avec son conseil précédent et qui lui aurait assuré que tout ce que le demandeur lui avait dit serait consigné par écrit dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA. Le demandeur a déclaré qu’il comprenait maintenant que cet intermédiaire n’avait pas fourni beaucoup de détails dans son exposé circonstancié. De plus, la SPR a souligné que le demandeur a également attribué les incohérences et les omissions dans son témoignage à des problèmes de mémoire, mais elle a conclu qu’il avait fourni une preuve médicale peu probante pour étayer cette allégation.

[15] La SPR a également tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité à la suite d’incohérences dans la preuve du demandeur concernant l’endroit où il se trouvait entre le 17 novembre 2016 et le 3 février 2017. Le formulaire FDA du demandeur indiquait qu’il avait fui le Pakistan en novembre 2016 et qu’il n’y était pas retourné avant juillet 2019, alors que les timbres de son passeport expiré montraient qu’il se trouvait au Pakistan entre le 17 novembre 2016 et le 3 février 2017, ce qu’il a confirmé dans son témoignage devant la SPR. À l’audience, le demandeur a même expliqué pourquoi il était retourné là-bas, en précisant ce qu’il y avait fait. Cependant, l’explication du demandeur a évolué de nouveau lorsqu’il a déclaré plus tard que les timbres de son passeport avaient été falsifiés par l’agent.

[16] La SPR a examiné les éléments de preuve supplémentaires que le demandeur a présentés avant la deuxième séance du tribunal afin de démontrer qu’il était effectivement au Koweït pendant la période en question. Il s’agissait d’une lettre de la Federal Investigation Agency (« la FIA ») du Pakistan attestant que le demandeur s’y trouvait de novembre 2016 à juillet 2019, de dossiers médicaux liés à des rendez-vous au Koweït en 2016 et 2017, d’un certificat d’emploi daté de décembre 2016, d’un accord juridique conclu à partir du Koweït pendant la période en question, d’un affidavit souscrit par un ami du demandeur et d’un affidavit souscrit par sa femme.

[17] La SPR a conclu que la crédibilité de la lettre de la FIA avait été minée par la preuve objective et par les divergences dans le témoignage du demandeur, et que la lettre était probablement frauduleuse. Elle a jugé que les documents médicaux étaient insuffisants pour établir que le demandeur se trouvait au Koweït pendant la période en question; que le certificat d’emploi n’établissait pas où se trouvait le demandeur; que l’accord juridique n’avait aucune valeur probante permettant d’établir les allées et venues du demandeur; et que les affidavits souscrits par l’ami et l’épouse du demandeur n’avaient pas dissipé les nombreuses autres préoccupations en matière de crédibilité et n’avaient pas établi que le demandeur était retourné au Koweït pendant la période en question. Pour ces motifs, la SPR a conclu que les nombreuses conclusions défavorables en matière de crédibilité touchaient au cœur de la demande d’asile du demandeur et que, par conséquent, la demande d’asile manquait de crédibilité.

[18] Malgré la conclusion selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité en ce qui a trait à son allégation selon laquelle il était exposé à de la persécution aux mains du SSP, la SPR a examiné si le demandeur avait un profil résiduel suffisant pour appuyer une demande d’asile au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. Elle a renvoyé au cartable national de documentation (« le CND »), qui indique que les musulmans chiites du Pakistan sont victimes de violence sectaire, qu’il arrive que des militants chiites soient pris pour cible et que, dans certaines circonstances, les musulmans chiites sont exposés à un risque accru. Cependant, la SPR a conclu qu’à la lumière des éléments de preuve et du témoignage du demandeur, celui-ci n’avait pas établi qu’il était un musulman chiite et qu’il courrait un risque accru de persécution de la part d’extrémistes sunnites comme le SSP au Pakistan.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[19] Dans une décision datée du 13 juin 2022, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et a jugé qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[20] La SAR a accepté une note médicale du psychiatre du demandeur comme nouvel élément de preuve en appel, concluant qu’elle satisfaisait aux exigences relatives aux nouveaux éléments de preuve énoncées au paragraphe 110(6) de la LIPR et qu’elle était suffisamment nouvelle, pertinente et crédible. Elle a rejeté l’observation du demandeur selon laquelle ce nouvel élément de preuve explique pourquoi il n’a pas présenté certains renseignements centraux à la SPR. La SAR a conclu que la note médicale ne permettait pas de dissiper les doutes soulevés par la SPR au sujet de la crédibilité.

[21] La SAR a jugé que les incohérences dans la preuve du demandeur concernant le nombre d’appels de menace qu’il a reçus concernaient une question importante et qu’elles justifiaient une conclusion défavorable quant à la crédibilité. En appel, le demandeur a soutenu que la liste complète des événements qu’il a racontés à son ancien conseil n’avait pas été incluse dans son exposé circonstancié du formulaire FDA. La SAR a conclu que, malgré les allégations d’incompétence à l’égard de son ancien conseil, le demandeur n’a pris aucune des mesures prévues dans les procédures de l’Avis de pratique – Allégations à l’égard d’un ancien conseil, établi par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[22] En ce qui concerne l’incohérence entre le témoignage du demandeur et l’exposé circonstancié du formulaire FDA au sujet de la lettre de menace qu’il aurait reçue d’Hafiz Bilal, et le témoignage évolutif du demandeur selon lequel il a également reçu des lettres et des appels de menace d’un homme appelé Adil Malik, le demandeur a fait valoir que la SPR n’avait pas tenu compte du fait que ces deux personnes sont toutes deux membres du SSP et travaillent ensemble. La SAR a conclu que le premier rapport d’information indique explicitement que Hafiz Bilal a envoyé une lettre de menace au demandeur et que les affirmations de ce dernier selon lesquelles les deux personnes travaillent ensemble sont conjecturales et ne sont pas étayées par la preuve.

[23] La SAR a pris acte de la conclusion de la SPR selon laquelle la production d’un premier rapport d’information se distingue de la consignation d’une plainte dans le registre quotidien du poste de police, ce que le demandeur affirme avoir fait dans son exposé circonstancié du formulaire FDA, malgré le premier rapport d’information présenté en preuve. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR et a pris note du témoignage du demandeur selon lequel la police ne voulait pas accepter son rapport après l’incident de novembre 2016.

[24] La SAR a souligné les éléments de preuve contradictoires du demandeur concernant la nature de l’attaque alléguée contre lui en novembre 2016. Elle a conclu que cette divergence ne tenait pas seulement à l’ajout de détails et que les deux récits de ce qui s’était prétendument passé en novembre 2016 étaient différents.

[25] La SAR a également souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle, compte tenu des éléments de preuve contradictoires et des différents témoignages du demandeur, celui-ci n’était pas au Koweït pendant la période du 17 novembre 2016 au 3 février 2017. Elle a souligné que le demandeur avait d’abord raconté un voyage qu’il avait fait au Pakistan au cours de cette période, avant de se rétracter et de prétendre que les timbres sur son passeport étaient frauduleux. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de documents médicaux qui expliqueraient ces réponses « très contradictoires » et que les documents présentés à l’appui de sa demande n’établissaient pas qu’il n’était pas allé au Pakistan de novembre 2016 à février 2017.

[26] En ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas établi qu’il a un profil résiduel tel qu’il risquerait d’être persécuté en raison de son identité chiite, le demandeur a soutenu qu’il continue de faire des dons à l’imam Bargah, que la situation des musulmans chiites au Pakistan ne s’est pas améliorée, et qu’il y a une augmentation de la violence sectaire contre les musulmans chiites. La SAR a pris acte de la preuve objective démontrant l’existence de tels actes de violence contre les musulmans chiites, mais a conclu que le témoignage du demandeur en appel est le même que celui qu’il a fait devant la SPR, et que la SPR avait conclu à juste titre que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’en tant que musulman chiite, il serait exposé à un risque accru.

[27] Pour ces motifs, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demande d’asile du demandeur manque de crédibilité.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[28] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision de la SAR est-elle raisonnable?

  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[29] Les parties conviennent que la première question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25) (Vavilov). Je suis du même avis.

[30] La question relative à l’équité procédurale, elle, doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (Chemin de fer Canadien Pacifique) aux para 37-56; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[31] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle qui commande la retenue, mais elle demeure rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13; 75; 85). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, notamment le résultat et le raisonnement, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision qui est raisonnable dans son ensemble doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[32] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les réserves qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100).

[33] En revanche, le contrôle selon la norme de la décision correcte ne commande aucune retenue. La cour appelée à statuer sur une question d’équité procédurale doit essentiellement se demander si la procédure était équitable compte tenu de toutes les circonstances, y compris les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 21‑28 (Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54).

IV. Analyse

[34] Le demandeur soutient que la décision de la SAR est déraisonnable et qu’elle constitue un manquement à l’équité procédurale. Je ne suis pas de cet avis. Je juge que le demandeur n’a ni soulevé une erreur susceptible de contrôle ni relevé un manquement à l’équité procédurale qui justifie l’intervention de la Cour.

A. La norme de la décision raisonnable

[35] Les observations du demandeur à l’égard du caractère raisonnable de la décision de la SAR sont limitées et sont en grande partie non étayées par des renvois à la décision. Le demandeur soutient que la SAR n’a pas examiné et évalué de façon indépendante tous les éléments de preuve au dossier, en particulier le rapport médical qu’il a présenté comme nouvel élément de preuve en appel, et que la SAR [traduction] « n’a pas examiné suffisamment » chaque erreur présumée dans la décision de la SPR et soulevée par le demandeur en appel.

[36] Le défendeur affirme que la décision de la SAR est raisonnable et que les arguments limités du demandeur ne démontrent aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision. Il qualifie ces observations de [traduction] « simples affirmations » qui ne soulèvent aucune question de droit défendable.

[37] Je suis d’accord avec le défendeur. La Cour ne peut intervenir lors de l’examen du caractère raisonnable d’une décision en l’absence de preuve ou sur la base d’allégations non fondées. Elle doit plutôt examiner les motifs afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable et, ce faisant, si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, au para 99). Je conclus que les motifs de la SAR démontrent qu’elle a procédé à une évaluation indépendante et approfondie des éléments de preuve et du témoignage du demandeur devant la SPR pour en arriver à la conclusion raisonnable que la demande d’asile du demandeur manque de crédibilité. Je conviens avec le défendeur que le demandeur n’a pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR.

B. L’équité procédurale

[38] D’entrée de jeu, je remarque que les observations du demandeur concernant l’iniquité procédurale alléguée découlant de l’incompétence du conseil portent principalement sur la procédure devant la SPR. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la procédure devant la SAR et sur la question de savoir si la décision de la SAR contrevient à l’équité procédurale. Je n’examinerai donc pas les allégations relatives à l’incompétence alléguée de son conseil à l’audience de la SPR ou avant celle-ci.

[39] Le critère tripartite visant à démontrer que la représentation incompétente a entraîné un manquement à l’équité procédurale est décrit par la Cour dans la décision Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 (« Guadron »). Le demandeur doit établir les éléments suivants : 1) les omissions ou les actes allégués contre le représentant constituaient de l’incompétence; 2) il y a eu déni de justice, en ce sens que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience initiale ait été différent; 3) le représentant a été informé des allégations et a eu une possibilité raisonnable de répondre (Guadron, au para 11, citant Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225 au para 25, et Nagy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 640 au para 25). Dans la décision Guadron, la Cour a également déclaré ce qui suit :

[17] Je répète que, dans les affaires concernant la LIPR, l’incompétence de l’avocat ne constituera un manquement aux principes de justice naturelle que dans des [traduction] « circonstances extraordinaires » et son incompétence ou sa négligence doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise : Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 36. Il incombe à la demanderesse de prouver chacun des éléments du critère de représentation négligente, notamment en réfutant la présomption selon laquelle la représentante a agi de manière compétente et en démontrant qu’il s’est produit un déni de justice : R c GDB, 2000 CSC 22, au paragraphe 27.

[40] Le demandeur soutient que la procédure devant la SAR a été entachée par l’incompétence de son ancien conseil, de sorte que la décision de la SAR contrevient à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur. Il prétend que Masood Ahmad Bhalli (M. « Bhalli ») a affirmé être un [traduction] « mandataire » d’un avocat spécialisé en droit de l’immigration, John Savaglio (M. « Savaglio »). Il affirme qu’il n’a jamais rencontré M. Savaglio et que toute la correspondance et tous les échanges concernant sa demande d’asile se sont faits avec M. Bhalli, à qui il a raconté son histoire en pendjabi. Le demandeur soutient qu’il croyait que tout ce qu’il a raconté à M. Bhalli serait inclus dans son exposé circonstancié du formulaire FDA.

[41] Le demandeur affirme qu’après avoir demandé à plusieurs reprises de rencontrer M. Savaglio, mais sans succès, il a retenu les services d’un autre avocat, Shah Rukh Zahaib Abbas (M. « Abbas »), qui l’a représenté devant la SPR et la SAR. Il affirme qu’il a informé M. Abbas des lacunes dans son exposé du formulaire FDA, notamment du fait qu’un agent avait préparé un faux passeport pakistanais avec de faux timbres, et que M. Savaglio n’avait pas inclus des détails importants concernant l’attaque alléguée contre lui. M. Abbas aurait omis d’informer le demandeur qu’il pouvait modifier son exposé circonstancié du formulaire FDA pour y inclure ces renseignements.

[42] Le demandeur soutient que, dans les observations que M. Abbas a présentées pour son compte en appel devant la SAR, ce dernier a fait preuve d’incompétence en omettant de faire valoir que les omissions dans l’exposé circonstancié du demandeur découlaient de l’incompétence de M. Savaglio. Il soutient également que M. Abbas ne lui a jamais demandé de subir une évaluation de sa santé mentale.

[43] Conformément au Protocole concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (le « Protocole »), le demandeur a avisé M. Abbas de ses allégations. Dans une lettre datée du 2 août 2022, M. Abbas a répondu à ces allégations d’incompétence à son endroit. Il a déclaré qu’au cours des 10 rencontres et plus qu’il a eues avec le demandeur, le demandeur n’a jamais fait part de ses préoccupations au sujet de son exposé circonstancié du formulaire FDA ou de la nécessité de le modifier, et qu’il a toujours affirmé que l’exposé circonstancié était complet, vrai et exact.

[44] Le défendeur soutient que les allégations du demandeur ne sont pas étayées et que ce dernier n’a pas satisfait au critère tripartite énoncé dans la décision Guadron. Il fait valoir que la réponse de M. Abbas aux allégations du demandeur confirme qu’il n’a jamais été informé des détails ou des renseignements manquants dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA, et que le demandeur a eu de nombreuses occasions de soulever une telle question, mais qu’il ne l’a pas fait. Le défendeur soutient en outre que les allégations du demandeur concernant la nature de l’incompétence de M. Abbas diffèrent de son témoignage antérieur devant la SPR, dans lequel le demandeur a confirmé que son exposé circonstancié du formulaire FDA était complet, vrai et exact. Il fait remarquer que ce n’est que maintenant que le demandeur allègue que son exposé circonstancié du formulaire FDA est incomplet et que le défaut d’inclure certains détails est la faute de M. Abbas, alors qu’il a précédemment affirmé que les omissions et les incohérences dans son témoignage étaient attribuables aux problèmes décrits dans son rapport médical.

[45] Le défendeur soutient que l’allégation du demandeur concernant le défaut de M. Abbas de lui demander de subir une évaluation de sa santé mentale n’était pas incluse dans la lettre d’avis fournie à M. Abbas et que, par conséquent, le demandeur ne respecte pas le Protocole de la Cour. Il ajoute que, de toute façon, cette allégation n’est pas étayée.

[46] Je suis du même avis que le défendeur et je conclus que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les trois éléments du critère énoncé dans la décision Guadron sont remplis. Les allégations d’incompétence du demandeur à l’égard de son ancien conseil sont pour la plupart des affirmations non fondées, et aucun élément de preuve n’a été fourni pour démontrer la négligence alléguée. Le demandeur ne fournit rien pour étayer ses affirmations selon lesquelles il a avisé M. Abbas des omissions dans son exposé circonstancié du formulaire FDA, mais que M. Abbas n’a pas agi en conséquence; ou qu’il a demandé à M. Abbas de soulever la question de l’incompétence de M. Savaglio devant la SAR.

[47] Si je me fie à la directive de la Cour selon laquelle les allégations d’incompétence d’un avocat ne constituent un manquement aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle que dans des « circonstances extraordinaires » et que l’incompétence alléguée « doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise », le demandeur n’a fourni aucune preuve à l’appui de ses allégations d’incompétence à l’endroit de M. Abbas (Guadron, au para 17). Je souligne que le demandeur a confirmé devant la SPR que son exposé circonstancié du formulaire FDA était complet, vrai et exact. Cette affirmation diffère considérablement de son témoignage et de son allégation actuelle selon laquelle son exposé circonstancié du formulaire FDA ne comportait pas certains éléments essentiels et selon laquelle il aurait soulevé cette question auprès de M. Abbas. Cela veut donc dire que le demandeur était au courant des omissions dans son exposé circonstancié du formulaire FDA pendant l’instance de la SPR, mais qu’il a quand même attesté de la véracité et de la justesse de cet exposé circonstancié. Comme la SAR le souligne dans ses motifs, le demandeur a également attribué certaines omissions dans son exposé circonstancié du formulaire FDA aux problèmes de santé mentale décrits en détail dans la note médicale, qui a été présentée comme nouvel élément de preuve en appel.

[48] La Cour ne peut pas tirer une conclusion grave d’incompétence d’un avocat assimilable à manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle sur la base d’un témoignage changeant et évasif. Pour ces motifs, je conclus que le demandeur ne satisfait pas au critère énoncé dans la décision Guadron et que, par conséquent, il n’a pas établi de manquement à l’équité procédurale.

V. Conclusion

[49] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de la SAR est raisonnable et équitable sur le plan procédural. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6285-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6285-22

 

INTITULÉ:

QAMAR JAVEED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JUILLET 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Sunny Vincent

 

Pour le demandeur

 

Lorne McClenaghan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sunny Vincent Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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