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Date : 20231016


Dossier : IMM-2711-22

Référence : 2023 CF 1375

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ALI HASSAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Ali Hassan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 24 février 2022, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la « SAR ») a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») selon laquelle le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »).

[2] La SAR a confirmé le rejet par la SPR de la demande d’asile au motif que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (« PRI ») à Islamabad, au Pakistan.

[3] Le demandeur soutient que la SAR a négligé et écarté des éléments de preuve importants liés à la viabilité de la PRI dans la situation du demandeur, rendant ainsi la décision déraisonnable.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Les faits

A. Le demandeur

[5] Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 20 ans. Il s’identifie comme un musulman chiite.

[6] Le demandeur résidait à Wazirabad avec ses parents et ses cinq sœurs, et il fréquentait une école privée à Wazirabad nommée Collège du Panjab. Il affirme que son père, Azmat Ullah (M. « Ullah »), est un homme d’affaires, un philanthrope et un membre renommé de la communauté chiite à Wazirabad.

[7] Le demandeur soutient qu’en janvier 2019, son père a reçu un appel téléphonique d’une personne prétendant être membre du Lashkar-e-Jhangvi (le « LJ »), un groupe extrémiste sunnite au Pakistan. La personne qui appelait aurait exigé des fonds extorqués d’un montant de 5 000 000 roupies. Lorsque M. Ullah a informé cette personne qu’il n’avait pas les fonds, celle-ci aurait menacé d’enlever et de tuer son fils, le demandeur, s’il ne payait les fonds dans un délai d’une semaine, et l’aurait averti de ne pas contacter la police. M. Ullah et la mère du demandeur ont signalé l’incident à la police. Le responsable de poste de police leur aurait conseillé de prendre des précautions pour leur sécurité et les aurait informés que la police enquêterait sur l’affaire.

[8] Le demandeur affirme qu’avant l’expiration du délai d’une semaine, M. Ullah a reçu un autre appel téléphonique. La personne au téléphone aurait injurié M. Ullah et l’aurait informé que sa famille et lui seraient punis pour avoir contacté la police. M. Ullah se serait de nouveau adressé à la police pour informer le responsable de poste de police que la personne qui l’avait appelé menaçait de faire du tort à sa famille et à lui, et pour demander au responsable d’enregistrer un rapport de premier cas contre les coupables. Le responsable de poste de police aurait refusé cette demande.

[9] Le demandeur soutient que, en tant que seul fils de sa famille, il était responsable de quitter la maison pour certaines activités et que ses sœurs n’avaient pas cette responsabilité. Il affirme que, pour cette raison, ses parents avaient particulièrement peur qu’il soit exposé au LJ. Les sœurs du demandeur auraient également été escortées à destination et en provenance de leur école par un voisin.

[10] Le demandeur allègue que le 27 janvier 2019, M. Ullah retournait à son domicile lorsque deux personnes l’ont arrêté sous la menace d’une arme, l’ont tiré de la voiture et l’ont agressé physiquement. Les individus l’ont averti que s’il ne payait pas l’argent de l’extorsion dans les cinq jours suivants, ils tueraient sa famille et lui. Lorsque M. Ullah est retourné chez lui, le demandeur et sa famille ont décidé de ne pas signaler l’incident à la police, étant donné que celle-ci n’avait pas aidé auparavant.

[11] Le 16 février 2019, le demandeur, son père et un garde de sécurité que son père avait embauché rentraient à la maison après un rendez-vous chez le dentiste du demandeur lorsqu’ils ont entendu des coups de feu. L’un des coups de feu aurait atteint le pare-chocs de la voiture. Les agresseurs ont disparu. Le demandeur affirme que M. Ullah a immédiatement contacté la police, qui a pris en note les détails de l’incident et a informé M. Ullah qu’elle effectuerait un suivi auprès de lui le lendemain concernant son enquête. Le demandeur allègue que, la même nuit, M. Ullah a reçu un autre appel téléphonique l’informant que les coups de feu avaient simplement été un avertissement et que, si la demande d’extorsion n’était pas satisfaite, les prochains coups de feu tueraient le demandeur.

[12] Le demandeur affirme que la police n’a déployé aucun effort soutenu pour poursuivre les agresseurs. Il soutient que le lendemain des coups de feu, sa famille et lui se sont rendus à Gujranwala pour rester avec son oncle. M. Ullah aurait communiqué avec un passeur pour prendre des mesures afin que le demandeur se rende au Canada pour sa sécurité. Le passeur aurait fait en sorte que le demandeur se déplace au Canada dans le cadre d’un tournoi de baseball.

[13] Le demandeur allègue qu’en mars 2019, deux individus armés avaient demandé des renseignements sur l’endroit où se trouvaient son père et sa famille. M. Ullah a réinstallé la famille dans le domicile de son cousin à Rawalpindi, où ils résident encore et où le demandeur résidait jusqu’à ce qu’il quitte le Pakistan.

[14] Le demandeur a obtenu un visa de résident temporaire le 2 juin 2019 et s’est rendu au Canada le 28 juin 2019, à l’âge de 16 ans. Étant donné qu’il était mineur à l’époque, le père du demandeur a pris des dispositions pour qu’un membre de sa famille vivant à Toronto agisse à titre de tuteur du demandeur et lui fournisse un toit. Le demandeur a présenté une demande d’asile en octobre 2019, en alléguant qu’il craignait le LJ.

B. La décision de la SPR

[15] Dans une décision datée du 22 septembre 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il disposait d’une PRI viable à Islamabad.

[16] La SPR a d’abord examiné les éléments de preuve et les témoignages concernant l’identité du demandeur en tant que musulman chiite. Elle a conclu que le demandeur était un [traduction] « jeune chiite ordinaire », mais que rien dans la preuve ne démontrait que son père ou lui-même avaient le profil de chiites ciblés au Pakistan.

[17] La SPR a ensuite soulevé plusieurs doutes en matière de crédibilité au sujet des allégations du demandeur. Premièrement, elle a jugé que ses réponses concernant le contexte dans lequel il était arrivé au Canada étaient évasives. Bien que le demandeur ait soutenu être arrivé avec plusieurs autres garçons qui faisaient partie de l’équipe de baseball à son école privée et avoir séjourné dans un hôtel avec ces étudiants et l’entraîneur, il a affirmé qu’il n’avait pas eu de contact avec celui-ci après son arrivée au Canada et qu’il n’était pas en mesure d’identifier les autres garçons ou l’entraîneur.

[18] Deuxièmement, la SPR a conclu que la preuve du demandeur n’étayait pas l’allégation selon laquelle son père était un homme d’affaires éminent ou un philanthrope chiite bien en vue. Elle a convenu que le demandeur et sa famille étaient chiites, mais a conclu que l’affirmation du demandeur concernant le profil de son père manquait de crédibilité.

[19] Troisièmement, la SPR a examiné les éléments de preuve et le témoignage du demandeur concernant le LJ et les menaces proférées contre sa famille et lui. Elle a conclu que, à la lumière de ces renseignements, bien que le père du demandeur ait pu être victime d’extorsion, rien dans la preuve ne démontrait qu’il était extorqué par des membres du LJ. Pour ces motifs, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi une crainte fondée d’être persécuté par le LJ.

[20] En ce qui concerne la PRI proposée, la SPR a jugé que le demandeur disposait d’une PRI viable à Islamabad. Le critère pour déterminer l’existence d’une PRI viable exige : 1) qu’il n’y ait pas de possibilité sérieuse de persécution ou de risque de préjudice dans le lieu proposé comme PRI, et 2) qu’il soit raisonnable, dans la situation du demandeur, de se réinstaller dans l’endroit désigné comme PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706). La deuxième étape du critère impose au demandeur un lourd fardeau de preuve pour démontrer que la réinstallation dans le lieu désigné comme PRI serait déraisonnable (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1367).

[21] Pour le premier volet du critère relatif à la PRI, la SPR a apprécié la preuve objective pour conclure que, bien qu’il exerçait ses activités dans différentes parties du pays, le LJ n’avait pas une position dominante partout au Pakistan; qu’Islamabad ne semblait pas être un bastion du LJ; qu’aucune preuve ne démontrait qu’une personne chiite y serait visée, même si elle n’était pas bien en vue; que la preuve ne démontrait pas que le LJ avait la capacité, au-delà d’attaques aveugles [traduction] « faisant un grand nombre de victimes » contre une communauté ou du ciblage particulier de personnes bien en vue, de commettre des attaques ciblées contre des personnes qui se faisaient discrètes et qui étaient situées dans des régions éloignées de celles qui sont le plus souvent touchées par de tels actes de violence.

[22] La SPR a également rejeté l’observation du demandeur voulant que le LJ puisse utiliser les médias sociaux pour le retrouver dans la ville proposée comme PRI, puisqu’elle n’a trouvé aucun élément de preuve documentaire à l’appui de la conclusion selon laquelle des groupes extrémistes utilisaient les médias sociaux pour retrouver des personnes au Pakistan. La SPR a souligné que le fait que des éléments de preuve démontraient qu’un groupe extrémiste utilisait les médias sociaux pour défendre une idéologie haineuse ne signifiait pas que les mêmes moyens étaient utilisés pour retrouver des personnes dans tout le pays.

[23] Compte tenu de ces informations et de l’absence de preuve démontrant que le père du demandeur était un chiite bien en vue ou que ses activités futures au sein de la communauté chiite feraient en sorte qu’il aurait un type de profil qui le mettrait en danger, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait exposé à une possibilité sérieuse de préjudice à Islamabad aux mains du LJ.

[24] Pour le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SPR a noté que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi un déménagement à la ville proposée comme PRI serait déraisonnable dans sa situation. La SPR a également souligné qu’Islamabad était une grande ville multiethnique; que le demandeur parlait l’ourdou, le pendjabi et un peu l’anglais, qui sont tous parlés à Islamabad; que le demandeur avait de l’expérience relative au déménagement dans un nouvel endroit, compte tenu de sa réinstallation au Canada; que le demandeur avait dix ans de scolarité; et que le demandeur avait une certaine expérience de travail depuis son arrivée au Canada.

[25] La SPR n’a trouvé aucune preuve démontrant que les problèmes que poserait le LJ s’étendaient au-delà de la communauté locale du demandeur à Wazirabad, et a jugé que les musulmans chiites pratiquaient ouvertement leur foi dans tout le pays, dont beaucoup vivaient en sécurité dans les grandes et petites villes. Pour ces motifs, la SPR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau élevé de démontrer que la réinstallation dans le lieu désigné comme PRI serait déraisonnable. Par conséquent, la SPR a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[26] Dans une décision datée du 24 février 2022, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SAR a jugé que la question déterminante était l’existence d’une PRI à Islamabad.

[27] En appel, le demandeur a soutenu que la SPR n’avait pas tenu compte du fait que les musulmans chiites étaient la cible de groupes extrémistes comme le LJ dans tout le Pakistan; que le demandeur avait été personnellement ciblé en raison de sa foi et de ses activités chiites; et que sa famille avait continué de recevoir des menaces après avoir déménagé à Rawalpindi pour leur sécurité. Le demandeur a en outre soutenu que le LJ pouvait utiliser la technologie informatique pour le retrouver et que la SPR avait commis une erreur en concluant que le groupe n’avait pas de réseau national avec lequel il pouvait retrouver et cibler des personnes dans l’ensemble du Pakistan.

[28] La SAR a fait référence au Cartable national de documentation (« CND ») concernant la situation des musulmans chiites au Pakistan et leur persécution aux mains de groupes extrémistes sunnites. Elle a relevé les éléments de preuve démontrant que, bien que les musulmans chiites soient exposés à des menaces et à des attaques ciblées de groupes extrémistes comme le LJ, qui considère les chiites comme des non-croyants, le ciblage des chiites n’est pas uniforme dans tout le pays et cette violence est considérée comme étant moins répandue à Islamabad. La SAR a également relevé le fait que les musulmans chiites représentent 10 à 15 p. cent de la population pakistanaise, qu’ils vivent partout au pays dans des centres urbains comme la ville proposée comme PRI, et que la violence sectaire a touché un pourcentage relativement faible de cette population au cours des dernières années. Sur la base de cette preuve, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait exposé à plus qu’une simple possibilité de risque aux mains du LJ à Islamabad.

[29] La SAR a conclu qu’aucun des éléments de preuve objectifs du CND invoqués par le demandeur ne contredisait ou ne minait la conclusion de la SPR selon laquelle il ne serait pas personnellement ciblé étant donné qu’il se faisait discret, et que cette preuve ne démontrait pas non plus que le LJ ou d’autres groupes extrémistes cibleraient particulièrement des personnes se faisant discrètes. La SAR a fait référence à des éléments de preuve du CND démontrant que les chiites bien en vue sont exposés à un risque modéré de violence, alors que la plupart des chiites sont exposés à un faible risque de violence, qui varie selon le lieu et la communauté. Elle a conclu que, bien que le père du demandeur ait pu être suffisamment visible en tant qu’homme d’affaires chiite éminent à Wazirabad, attirant ainsi l’attention du LJ, rien dans la preuve ne permettait de croire que le demandeur lui-même était visible au point d’être exposé à un risque à Islamabad.

[30] En ce qui concerne la capacité du LJ à utiliser la technologie pour retrouver le demandeur, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il manquait des éléments de preuve documentaire pour établir que les groupes extrémistes utilisaient les médias sociaux pour retrouver des personnes au Pakistan. La SAR a fait remarquer que la Cour fédérale a jugé raisonnable de conclure qu’un demandeur d’asile pouvait ne pas dévoiler les renseignements sur son emplacement sur les médias sociaux et que cela ne s’apparentait pas au fait de vivre comme un fugitif, citant la décision Rizwan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 456.

[31] En examinant le deuxième volet du critère relatif à la PRI, à savoir si la réinstallation dans l’endroit proposé comme PRI serait déraisonnable dans la situation du demandeur, la SAR a pris acte des éléments de preuve du demandeur démontrant que sa famille avait été poursuivie par le LJ après son déménagement à Rawalpindi. Elle a néanmoins conclu que le demandeur serait en mesure de déménager à Islamabad en n’étant pas exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté par le LJ, étant donné l’absence de preuve démontrant qu’il ne serait pas en mesure de rendre visite à sa famille ou de mener une vie normale dans cette ville. La SAR a donc conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait objectivement déraisonnable pour lui de déménager dans la ville proposée comme PRI.

[32] La SAR a finalement conclu que le demandeur disposait d’une PRI viable à Islamabad, et qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[33] La seule question que soulève la présente demande est de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[34] La norme de contrôle n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (« Vavilov ») aux para 16, 17, 23-25). Je suis du même avis.

[35] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12, 13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[36] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision, ou les doutes qu’elle soulève, ne justifient pas toutes une intervention. Les cours de révision doivent s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doivent pas modifier les conclusions de fait tirées par celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » (Vavilov au para 100). Bien qu’un décideur ne soit pas tenu de répondre à tous les arguments ou de mentionner chaque élément de preuve, le caractère raisonnable d’une décision peut être remis en question lorsque la décision ne « réussi[t pas] à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux » (Vavilov, au para 128).

IV. Analyse

[37] Le demandeur soutient que la SAR a déraisonnablement fait fi d’éléments de preuve importants concernant la viabilité de la PRI, rendant ainsi la décision déraisonnable dans son ensemble. À mon avis, le demandeur n’a pas soulevé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR qui justifierait l’intervention de la Cour.

[38] Le demandeur soutient que la SAR a fait abstraction d’extraits clés du CND qui démontrent que quelqu’un ayant le profil du demandeur ne dispose de PRI viable nulle part au Pakistan. Il renvoie à une réponse à une demande d’information qui mentionne que le LJ est lié à d’autres groupes extrémistes sunnites partout au Pakistan, créant un « réseau peu structuré » qui travaille ensemble et qui « bénéficie parfois de la protection de la police ». Le demandeur soutient que cet élément de preuve contredit la conclusion de la SAR selon laquelle il n’existe aucune preuve objective démontrant que le LJ pourrait le retrouver à Islamabad. Il affirme que cela reflète le défaut de la SAR d’examiner l’ensemble de la preuve pour arriver à sa décision, ce qui rend celle-ci déraisonnable.

[39] Le demandeur soutient en outre que la SAR a rejeté de manière déraisonnable son observation selon laquelle le LJ pourrait utiliser les médias sociaux pour le retrouver dans la ville proposée comme PRI. Il affirme qu’il serait illogique d’exiger une preuve pour étayer cette proposition alors que la majorité de la population mondiale utilise les médias sociaux, ce qui est, selon lui, un fait généralement reconnu.

[40] Le défendeur soutient que la décision de la SAR est raisonnable. Il fait valoir que les conclusions de la SAR étaient clairement justifiées à la lumière de la preuve et que l’observation du demandeur selon laquelle la SAR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve clés du CND est mal fondée. Le défendeur soutient que la SAR n’était pas tenue de faire référence à tous les documents dont elle était saisie et que, quoi qu’il en soit, la preuve du CND invoquée par le demandeur décrit les conditions générales dans le pays et ne mine pas la conclusion principale de la SAR, à savoir que le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour établir qu’il avait le profil d’une personne qui serait personnellement ciblée par le LJ s’il vivait à Islamabad. Le défendeur affirme que le demandeur sollicite essentiellement de la Cour qu’elle apprécie à nouveau la preuve dont était saisie la SAR, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[41] Contrairement à l’observation du demandeur selon laquelle la SAR a commis une erreur en concluant que le LJ n’utiliserait pas raisonnablement les médias sociaux pour le retrouver, le défendeur souligne qu’il s’agit d’une mauvaise interprétation de la conclusion de la SAR. Le défendeur fait remarquer que la SAR a conclu que la preuve ne permettait pas de démontrer que le LJ avait la capacité d’utiliser les médias sociaux ou l’Internet pour déterminer l’endroit exact où se trouve une personne. Le défendeur soutient que le demandeur s’oppose tout simplement à l’issue de la décision de la SAR et qu’il n’a pas soulevé d’erreur susceptible de contrôle dans cette décision.

[42] Je suis du même avis que le défendeur. En ce qui concerne l’appréciation de la preuve par la SAR, je juge que la réponse à une demande d’information invoquée par le demandeur ne mine pas le caractère raisonnable des conclusions de la SAR ou ne démontre pas que celle-ci n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve. La SAR a tiré de nombreuses conclusions raisonnables qui tiennent compte de la preuve objective, notamment le fait qu’il y a beaucoup de musulmans chiites partout au Pakistan qui vivent en toute sécurité dans les centres urbains; que la violence sectaire a touché un nombre relativement faible de ces personnes; que sur la base des statistiques, le demandeur n’était pas exposé à plus qu’une simple possibilité d’être attaqué à Islamabad en raison de son identité chiite; et que ce sont le plus souvent les musulmans chiites bien en vue qui sont personnellement ciblés. La preuve objective invoquée par le demandeur ne porte pas atteinte à la conclusion de la SAR selon laquelle il est peu probable qu’un groupe extrémiste comme le LJ cible personnellement un individu, en particulier si cette personne se fait discrète et vit dans une ville comme Islamabad, où la violence sectaire est moins répandue.

[43] Il est bien établi en droit que la SAR n’est pas tenue de faire référence à chaque élément de preuve ou d’expliquer comment elle les a traités, tant que la décision, lorsqu’elle est examinée de façon globale, tient compte du dossier de preuve (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667, [1998] ACF no 1425 au para 16). Le demandeur n’a pas soulevé d’incohérence entre la preuve dans la réponse à une demande d’information et la preuve à laquelle la SAR a fait référence dans ses motifs qui permettrait à la Cour de conclure que les renseignements dans la réponse à une demande d’information ont été écartés ou négligés (voir Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 1800 au para 24). À mon avis, la SAR démontre dans sa décision un mode d’analyse rationnel entre la preuve objective et ses conclusions ultimes (Vavilov, au para 102).

[44] Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que, dans ses observations, le demandeur a mal interprété les conclusions de la SAR concernant l’utilisation par le LJ des médias sociaux pour le retrouver. Le demandeur soutient que la SAR a conclu que le LJ n’utiliserait pas l’Internet ou les médias sociaux pour retrouver des personnes, et que cela est déraisonnable et illogique parce que la plupart des gens utilisent l’Internet. Cependant, les motifs de la SAR ne remettent pas en question le fait que la plupart des personnes utilisent l’Internet et que le LJ pourrait le faire aussi. La SAR a manifestement jugé que la preuve dont elle disposait était insuffisante pour conclure que le LJ utilisait l’Internet ou les médias sociaux aux fins précises de déterminer l’endroit exact où se trouve une personne, en particulier si celle-ci se fait relativement discrète et ne publie pas son emplacement sur les médias sociaux. Il était loisible à la SAR de conclure que la preuve dont elle disposait était insuffisante pour étayer un élément de la demande d’asile présentée par le demandeur, et que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire n’est pas un motif justifiant l’intervention de la Cour.

[45] Pour ces motifs, je conclus que le demandeur n’a pas soulevé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR, qui possède les caractéristiques d’une décision raisonnable conformément à l’arrêt Vavilov.

V. Conclusion

[46] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de la SPR était justifiée, transparente et intelligible (Vavilov, au para 99). Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2711-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2711-22

 

INTITULÉ :

ALI HASSAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUILLET 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Quinn Campbell Keenan

 

Pour le demandeur

 

Prathima Prashad

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Quinn Campbell Keenan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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