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Date : 20231016


Dossier : IMM-6771-22

Référence : 2023 CF 1372

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

HELEN KELETA SARIAM

NATHAN BERHANE MUSSIEL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 22 juin 2022 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») a annulé le statut de réfugié des demandeurs en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »).

[2] Les demandeurs soutiennent que la SPR a fondé sa décision d’accueillir la demande du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le « ministre ») visant l’annulation du statut de réfugié des demandeurs sur des facteurs non pertinents, et qu’elle a omis de dûment examiner tous les facteurs cumulatifs du critère juridique s’appliquant à l’annulation au titre de l’article 109 de la LIPR.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. Faits

A. Les demandeurs

[4] Dans leur demande d’asile de 2017, les demandeurs se présentaient comme Helen Keleta Sariam (la « demanderesse principale ») et son fils, Nathan Berhane Mussiel (le « demandeur mineur »), âgés respectivement de 36 et 7 ans. Ils prétendaient être citoyens de l’Érythrée et d’aucun autre pays.

[5] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 7 janvier 2017 et ont présenté une demande d’asile le 1er février 2017. Ils ont affirmé avoir fui la persécution en Érythrée et avoir traversé le Soudan et l’Égypte pour arriver au Canada et présenter une demande d’asile. La demande d’asile des demandeurs portait sur l’emprisonnement allégué de la demanderesse principale à la suite de sa participation à des prières secrètes à son église et de la persécution subséquente à la prison d’Adi Abieto, où elle aurait été détenue du 8 au 25 juillet 2016. Elle a affirmé que, pendant qu’elle était en prison, elle avait été battue, violée et privée d’eau et de nourriture. La demanderesse principale a affirmé que son emprisonnement l’a amenée, avec son fils, à fuir l’Érythrée pour leur sécurité.

[6] À l’appui de la demande d’asile, la demanderesse principale a présenté des actes de naissance érythréens pour elle-même et le demandeur mineur, s’est identifiée ainsi que son fils comme étant érythréens, n’a indiqué aucun autre pays de citoyenneté, a déclaré qu’ils n’avaient pas de passeport ou de pièces d’identité nationale d’un autre pays, a déclaré qu’ils avaient résidé en Érythrée de façon continue au moins de février 2002 à septembre 2016, et n’a révélé aucune tentative de demande d’asile en Suède ni aucun antécédent de résidence en Suède.

[7] Dans une décision rendue de vive voix le 9 mai 2017, la SPR a accueilli la demande d’asile des demandeurs. La SPR a accepté l’identité des demandeurs en tant que citoyens de l’Érythrée en se fondant sur les documents et le témoignage de la demanderesse principale. La SPR a admis que leur crainte de persécution partout en Érythrée était bien fondée.

[8] En février 2019, les autorités suédoises, par l’entremise d’Interpol, ont informé l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ « ASFC ») que les photographies des demandeurs correspondaient aux photographies des ressortissants suédois Semhar Mehari Haile (la demanderesse principale) et Nathan Berhane Mussiel (le demandeur mineur). Dans une autre correspondance reçue le 17 avril 2019, les autorités suédoises ont informé l’ASFC que les demandeurs étaient des ressortissants suédois, que la demanderesse principale avait présenté une demande de passeport suédois pour elle-même et son fils en 2016, et que le demandeur mineur était né à Stockholm. Les passeports suédois des demandeurs ont été utilisés pour entrer au Canada à l’aéroport international Pearson de Toronto le 31 décembre 2016.

[9] Le 10 février 2021, le ministre a présenté une demande d’annulation de la décision ayant accueilli la demande d’asile des demandeurs en vertu de l’article 109 de la LIPR, au motif que les demandeurs ont fait des présentations erronées sur des faits importants au sujet de leur identité, de leur citoyenneté et de leurs antécédents personnels et une réticence sur ces faits, et qu’il ne peut rester suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[10] Dans une décision datée du 22 juin 2022, la SPR a accueilli la demande du ministre visant l’annulation de la décision ayant accueilli la demande d’asile des demandeurs.

[11] La SPR a d’abord examiné les trois éléments à satisfaire en vertu du paragraphe 109(1) de la LIPR, comme il est énoncé dans Canada (Sécurité publique et de la Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181 (« Gunasingam »), au paragraphe 7 :

a) il doit y avoir eu des présentations erronées sur un fait important ou une réticence sur ce fait;

b) ce fait doit se rapporter à un objet pertinent;

c) il doit exister un lien de causalité entre, d’une part, les présentations erronées ou la réticence, et, d’autre part, le résultat favorable obtenu.

[12] La SPR a souligné qu’elle doit d’abord rendre une décision au sujet du paragraphe 109(1) de la LIPR avant de passer au paragraphe 109(2), qui autorise la SPR à rejeter une demande d’annulation lorsqu’il reste « suffisamment d’éléments de preuve », parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile. Il incombe au ministre d’établir le critère d’annulation.

[13] La SPR a examiné le témoignage de vive voix des demandeurs et leurs observations après l’audience pour déterminer que les trois éléments du critère du paragraphe 109(1) sont respectés, et qu’il ne reste pas « suffisamment d’éléments de preuve » pour justifier l’asile en vertu du paragraphe 109(2).

[14] Au premier examen de la question de savoir s’il y a eu présentation erronée sur des faits importants ou une réticence sur ces faits, la SPR a conclu qu’il y avait des éléments de preuve crédibles et dignes de foi selon lesquels la demanderesse principale avait fait une présentation erronée au sujet de sa véritable identité, ce qui est d’une importance capitale pour la demande d’asile des demandeurs. La SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse principale concernant les mesures qu’elle a prises pour venir au Canada était vague et contradictoire. La demanderesse principale a déclaré qu’elle ne se souvenait pas des pseudonymes qu’elle avait utilisés pour entrer au Canada, qu’elle ne s’est rappelé ces noms que lorsqu’elle a reçu la demande d’annulation du ministre et qu’elle avait seulement suivi les conseils du passeur qui l’aurait aidée à venir au Canada. La SPR a conclu qu’il ne s’agit pas d’une explication raisonnable du manque d’honnêteté de la demanderesse principale au sujet des noms et des pseudonymes qu’elle a utilisés. La SPR a également noté la confirmation de la demanderesse principale selon laquelle elle a fait une présentation erronée quant à la date à laquelle son fils et elle sont entrés pour la première fois au Canada.

[15] En réponse à l’allégation du ministre selon laquelle la demanderesse principale a également fait une présentation erronée au sujet de son itinéraire vers le Canada, la demanderesse principale a déclaré qu’elle avait suivi les conseils du passeur et qu’elle lui faisait confiance, car elle craignait pour sa vie. La SPR a conclu que, peu importe si la demanderesse principale a subi ou non des pressions de la part du passeur pour faire des présentations erronées ou une réticence sur ces faits, des faits importants essentiels à sa demande d’asile ont quand même fait l’objet d’une présentation erronée ou d’une réticence.

[16] La SPR a pris note de l’observation du ministre selon laquelle la demanderesse principale n’a pas fourni de renseignements exhaustifs et complets dans sa demande d’asile concernant les détails des documents qu’elle a utilisés pour entrer au Canada en décembre 2016, ce qui constitue une autre présentation erronée. La SPR a reconnu que, bien que le niveau de scolarité de la demanderesse principale et le stress associé à la demande d’asile expliquent pourquoi elle n’a pas fourni ces renseignements importants, une conclusion en vertu du paragraphe 109(1) ne tient pas compte de l’intention d’une personne, du motif de ses actes ou d’une négligence de sa part. La question pertinente est plutôt celle de déterminer si la personne protégée a fait une présentation erronée sur des faits importants ou une réticence sur ces faits, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Pearce, 2006 CF 492 (« Pearce »).

[17] La SPR a conclu qu’une observation approfondie des traits faciaux des demandeurs pendant l’audience et une comparaison des photographies fournies par le ministre démontrent que la demanderesse principale et Semhar Mehari Haile sont la même personne, et que le demandeur mineur et Nathan Berhane Mussiel sont la même personne. La SPR a conclu qu’elle a le pouvoir de statuer sur ce genre de questions et qu’elle n’est pas tenue de recourir au témoignage d’un expert, citant Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 377 (« Liu »), au paragraphe 10, et Olaya Yauce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 784 (« Yauce »), au paragraphe 9. À la lumière de cette conclusion, la SPR conclut que la demanderesse principale a par conséquent fait une présentation erronée quant à la date de naissance véritable du demandeur mineur, qui est le 13 août 2015, comme l’indique son passeport suédois.

[18] La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuve contraire crédible permettant de réfuter la preuve du ministre concernant leurs présentations erronées; la SPR a jugé que la preuve du ministre était convaincante. Par conséquent, la SPR a accordé peu de poids au témoignage et à la preuve des demandeurs concernant leur identité respective, tels qu’ils ont été présentés dans leur demande d’asile initiale.

[19] En ce qui concerne les autres éléments du paragraphe 109(1) de la LIPR, la SPR a conclu que les mensonges et les présentations erronées des demandeurs concernant leur identité, leur citoyenneté et leur profil de citoyens érythréens minent la totalité de leur demande d’asile et la crédibilité de la déclaration de leur besoin de protection. La SPR a donc conclu que les présentations erronées sur des faits importants du demandeur sont déterminantes et qu’elles ont un lien de causalité avec la décision initiale de la SPR d’accueillir sa demande d’asile.

III. Question en litige et norme de contrôle

[20] La demande soulève une seule question, soit celle de savoir si la décision de la SPR est raisonnable.

[21] La norme de contrôle n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25) (« Vavilov »). Je suis du même avis.

[22] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, y compris eu égard à son raisonnement et à son résultat (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si la décision est raisonnable dépend du contexte administratif en cause, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[23] Pour qu’une décision soit considérée comme déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Ce ne sont pas toutes les erreurs ni toutes les préoccupations à l’égard d’une décision qui justifient une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100).

IV. Analyse

[24] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur des facteurs non pertinents pour en arriver à la décision portant annulation de la décision ayant accueilli leur demande d’asile, et qu’elle n’a pas dûment examiné la question de savoir s’il restait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile. Je suis en désaccord avec les demandeurs sur ces deux points et je conclus que la décision de la SPR d’accueillir la demande du ministre est raisonnable.

[25] Les demandeurs renvoient à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Camayo, 2022 CAF 50 (« Camayo ») de la Cour d’appel fédérale (la CAF) pour faire valoir que, bien que les directives énoncées dans l’arrêt Camayo s’appliquent dans le contexte d’une demande de constat de perte d’asile, les mêmes principes s’appliquent à une demande d’annulation en vertu de l’article 109 de la LIPR, y compris l’obligation de tenir compte de la gravité des conséquences d’une décision d’annulation et de la situation personnelle du demandeur d’asile.

[26] Les demandeurs soutiennent que leurs identités, telles qu’elles sont alléguées dans leur demande d’asile initiale, sont établies, selon la prépondérance des probabilités, par la majorité des éléments de preuve documentaire fournis, y compris les actes de naissance, un formulaire d’enregistrement de naissance, et des lettres d’appui attestant de leur citoyenneté érythréenne. Les demandeurs font remarquer que le ministre ne conteste pas la véracité de ces documents.

[27] Les demandeurs soutiennent en outre que la SPR a omis de prendre en compte le fait que le ministre n’a pas fourni d’éléments de preuve, autres que les renseignements fournis par Interpol ainsi que leurs photographies, pour démontrer qu’ils sont des ressortissants suédois. Les demandeurs notent que le ministre a présenté des observations après l’audience dans lesquelles il présente une analyse comparative détaillée des traits faciaux observés sur les photographies des demandeurs dans leur demande d’asile, et de ceux observés dans la documentation fournie par Interpol en Suède. Les demandeurs soutiennent que le ministre n’est pas un expert de la physionomie et que, compte tenu des conséquences graves d’une décision d’annulation, cette analyse n’aurait pas dû être entreprise sans l’aide d’un expert. Les demandeurs soutiennent que le ministre aurait dû fournir d’autres éléments de preuve de leur nationalité suédoise, comme les empreintes digitales fournies lorsqu’ils auraient demandé leur passeport suédois, ou l’acte de naissance suédois du demandeur mineur.

[28] Les demandeurs soutiennent en outre que la SPR a caractérisé à tort toutes les erreurs ou omissions de la demanderesse principale comme étant pertinentes ou essentielles à la demande d’asile. Les demandeurs font remarquer, par exemple, que la différence observée quant à la date à laquelle ils sont entrés au Canada est sans importance quant au bien-fondé de leur demande d’asile.

[29] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SPR a omis d’examiner adéquatement le dernier élément du paragraphe 109(1), qui consiste à déterminer s’il existe un lien de causalité entre la présentation erronée ou la réticence et l’issue favorable de la demande d’asile. Toutefois, les observations des demandeurs à cet égard sont vagues.

[30] Le défendeur soutient que la décision de la SPR portant annulation de la décision ayant accueilli la demande d’asile des demandeurs est raisonnable au vu des éléments de preuve et des considérations pertinentes. D’entrée de jeu, le défendeur soutient qu’il n’était pas approprié pour les demandeurs d’invoquer l’arrêt Camayo, lequel ne peut être appliqué dans le contexte différent d’une demande d’annulation.

[31] Le défendeur soutient que la SPR a, à juste titre, accordé peu de poids aux actes de naissance, au formulaire d’enregistrement de naissance et aux autres documents fournis par les demandeurs à l’appui concernant leur nationalité érythréenne. La SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’ont pas d’éléments de preuve crédibles pour réfuter la preuve du ministre, qui était convaincante quant aux nombreuses présentations erronées de la demanderesse principale au sujet de son identité et de ses antécédents. Le défendeur soutient que les observations des demandeurs sur ce point équivalent à un désaccord quant au poids accordé à ces documents, ce qui n’est pas un motif valable de contrôle judiciaire.

[32] Le défendeur soutient en outre que la SPR a raisonnablement conclu que la demanderesse principale avait intentionnellement fait des présentations erronées sur des renseignements ou avait eu une réticence sur ceux-ci devant la formation initiale de la SPR au sujet des pseudonymes des demandeurs lorsqu’ils sont venus au Canada, et de leurs voyages en possession de passeports suédois. Le défendeur soutient que la SPR fournit une analyse intelligible et transparente des éléments de preuve à l’appui de cette conclusion et explique pourquoi et comment les faits visés par la présentation erronée ou par la réticence sont pertinents et importants pour la demande d’asile des demandeurs. Le défendeur soutient que les demandeurs contestent encore une fois le poids accordé à la preuve et ont accusé à tort la SPR de conclure que l’intention ou la négligence de la demanderesse principale n’est pas pertinente, conclusion qui cadre avec la jurisprudence de la Cour. En réponse à l’affirmation des demandeurs selon laquelle le ministre aurait dû fournir, comme preuve supplémentaire de leur nationalité suédoise, les empreintes digitales habituellement requises pour les demandes de passeport suédois, l’avocat du défendeur a souligné, dans ses observations orales, qu’une fois que les passeports suédois sont délivrés, les empreintes digitales sont supprimées des dossiers, et donc que les observations des demandeurs sur ce point sont sans fondement.

[33] En ce qui concerne l’évaluation par la SPR des photographies des demandeurs, le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que les photographies des demandeurs contenues dans la demande d’asile initiale correspondent à celles fournies par les autorités suédoises. Le défendeur soutient que la SPR a le pouvoir d’établir si un demandeur est — ou n’est pas — la personne dont la photographie figure sur une pièce d’identité, comme l’ont démontré les sources faisant autorité auxquelles il est fait référence dans la décision, et qu’elle n’est pas tenue de recourir au témoignage d’un expert pour se prononcer à ce sujet. Le défendeur soutient que l’inspection visuelle des photographies est conforme à la jurisprudence récente de la Cour, renvoyant à la décision AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 29, et que cette reconnaissance faciale était accompagnée d’une évaluation du dossier dans son ensemble.

[34] Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu qu’il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve pour rejeter la demande du ministre, et l’observation des demandeurs selon laquelle la SPR aurait également pu rejeter la demande du ministre est sans fondement.

[35] Je suis d’accord avec le défendeur. À mon avis, les demandeurs n’ont pas soulevé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SPR d’annuler la décision ayant accueilli leur demande d’asile.

[36] D’entrée de jeu, j’estime que la jurisprudence dans le contexte particulier d’une demande de constat de perte d’asile ne peut s’appliquer au contexte entièrement distinct d’une demande d’annulation, laquelle comporte des considérations juridiques et factuelles différentes. Par conséquent, je conclus que les principes énoncés dans l’arrêt Camayo ne s’appliquent pas en l’espèce.

[37] La décision de la SPR démontre une évaluation approfondie de la preuve à la lumière des critères énoncés à l’article 109 de la LIPR. Les motifs tiennent compte des contraintes factuelles et juridiques pertinentes liées à la décision (Vavilov, au para 99). Contrairement aux observations des demandeurs, qui semblent en grande partie contester le poids accordé à certains éléments de preuve, il ne revient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur en ce qui concerne l’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 125).

[38] En ce qui concerne la première considération au titre du paragraphe 109(1), comme il est indiqué dans Gunasingam, la SPR a raisonnablement conclu que la demanderesse principale avait fait des présentations erronées sur des renseignements concernant les aspects suivants de son identité et de ses antécédents personnels ainsi que ceux de son fils ou une réticence sur ces renseignements :

  1. La demanderesse principale a utilisé un pseudonyme pour elle et son fils lorsqu’elle est entrée au Canada, mais elle n’a pas fourni ces noms au tribunal initial de la SPR dans sa demande d’asile.

  2. La demanderesse principale n’a pas admis avoir utilisé ces pseudonymes pour entrer au Canada ni le fait qu’ils sont effectivement entrés au Canada en décembre 2016 avant que le ministre présente la demande d’annulation de la décision ayant accueilli la demande d’asile des demandeurs.

  3. Dans leurs formulaires d’admission et devant le tribunal initial de la SPR, la demanderesse principale a déclaré que son fils et elle sont entrés au Canada le 7 janvier 2017; cependant, lors de la procédure d’annulation, ils ont déclaré qu’ils sont entrés au Canada le 31 décembre 2016.

  4. La demanderesse principale a fait une présentation erronée sur un fait ou une réticence sur ce fait devant le tribunal initial de la SPR, à savoir qu’ils avaient voyagé au Canada avec un passeport suédois et qu’ils étaient des ressortissants suédois.

  5. Par conséquent, la demanderesse principale a également fait une présentation erronée au sujet de la date de naissance réelle de son fils, qui figure dans son passeport suédois comme étant le 13 août 2015, plutôt que le 12 août 2015, comme il est allégué.

  6. La demanderesse principale a déclaré que, lorsqu’elle est entrée au Canada en décembre 2016, elle a mémorisé les renseignements figurant sur les passeports suédois que les demandeurs utilisaient pour entrer au Canada, mais le formulaire de l’annexe 12 des demandeurs ne contient aucun renseignement sur les passeports délivrés par un autre pays et utilisés pour entrer au Canada.

[39] La SPR a clairement justifié ces renseignements comme étant le fondement de la conclusion selon laquelle la demanderesse principale a délibérément fait des présentations erronées sur son identité et ses antécédents personnels et une réticence sur ceux-ci. La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse principale se fie à un passeur ne change pas le fait que la conclusion selon laquelle elle a fait des présentations erronées sur certains faits essentiels concernant son identité est conforme à la jurisprudence. Comme il est indiqué dans Pearce, « la question de savoir si [les demandeurs ont] la capacité intellectuelle voulue pour comprendre la situation ou celle de savoir [s’ils ont] l’intention de présenter erronément les faits ou de dissimuler des faits importants n’est pas pertinente ». C’est plutôt « c’est le comportement [des demandeurs — leur] réticence sur des faits importants — qui est pertinent quant à la décision qui doit être rendue à l’égard de la demande d’annulation » (aux para 38-39).

[40] En outre, la SPR a raisonnablement accordé peu de poids aux documents d’identité des demandeurs, ce qui ne constitue pas un élément de preuve contraire crédible qui permettrait de réfuter la preuve du ministre selon laquelle la demanderesse principale a fait des présentations erronées sur des faits importants essentiels à sa demande d’asile ou une réticence sur ceux-ci. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les demandeurs sont simplement en désaccord avec le poids accordé à cette preuve, ce qui ne constitue pas un fondement valide pour le contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125).

[41] En ce qui concerne la question de savoir si ces renseignements sont pertinents et importants pour la demande d’asile, la SPR a raisonnablement conclu que la question de l’identité des demandeurs est très pertinente en ce qui a trait à la crédibilité de sa demande d’asile, ainsi qu’elle a été évaluée par le tribunal initial de la SPR. La SPR a également conclu de façon raisonnable que ces présentations erronées sur des faits importants et la réticence sur ces faits ont un lien de causalité avec l’issue de la demande d’asile des demandeurs, d’autant plus que l’analyse complète de la demande d’asile des demandeurs par la SPR dépendait de leur identité, de leur citoyenneté et de leur profil allégués en tant que citoyens de l’Érythrée.

[42] Enfin, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la SPR a commis une erreur en omettant de faire appel à un témoin expert pour évaluer les photographies des demandeurs. La SPR a le pouvoir de procéder à de telles évaluations et n’est pas tenue de recourir au témoignage d’un expert pour exercer ce pouvoir (Liu, au para 10; Yauce, au para 9).

[43] Pour ces motifs, je conclus que les demandeurs n’ont pas soulevé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SPR d’accueillir la demande d’annulation présentée par le ministre.

V. Conclusion

[44] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SPR est raisonnable à la lumière des contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur elle (Vavilov, au para 99). Aucune question n’a été soumise aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6771-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6771-22

 

INTITULÉ :

HELEN KELETA SARIAM ET NATHAN BERHANE MUSSIEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 juillet 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 octobre 2023

 

COMPARUTIONS :

Linda Kassim

 

Pour les demandeurs

 

Nicholas Dodokin

 

Pour lE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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