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Date : 20231013


Dossier : T-203-23

Référence : 2023 CF 1364

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2023

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

CHRISTOPHER LILL

demandeur

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Christopher Lill conteste sur appel en vertu de l’article 51 des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], la décision rendue par Mme la juge adjointe Steele le 10 août 2023.

[2] Le demandeur, M. Lill, est un détenu résidant au pénitencier de Cowansville. Il a présenté le 30 janvier dernier une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 27 novembre 2022 relative à un grief (V30R00065317) où le demandeur s’est vu refuser une demande de correction d’un rapport de renseignements de sécurité [RSS du 10 décembre 2020] et de l’évaluation de la fiabilité des sources qui y sont citées.

[3] Les décisions sur grief par des détenus font l’objet de décision par des fonctionnaires supérieurs du Service correctionnel du Canada [SCC].

[4] À l’évidence, le litige sur contrôle judiciaire n’en est qu’à sa phase préliminaire en ce que le demandeur ne se plaint à ce stade que de la constitution du dossier certifié du tribunal, soit le dossier dont il a demandé la constitution en vertu de la règle 317 des Règles. C’est la règle 318 qui crée une obligation de la constituer.

[5] Une seconde décision contestée devant notre Cour est celle de la juge adjointe de refuser de proroger le délai par le demandeur pour produire l’affidavit prévu à la règle 306. Cette règle se lit ainsi :

306 Dans les trente jours suivant la délivrance de l’avis de demande, le demandeur signifie les affidavits et pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de la demande et dépose la preuve de signification. Ces affidavits et pièces sont dès lors réputés avoir été déposés au greffe.

 

306 Within 30 days after issuance of a notice of application, an applicant shall serve its supporting affidavits and documentary exhibits and file proof of service. The affidavits and exhibits are deemed to be filed when the proof of service is filed in the Registry.

C’est de ces deux questions dont appel est présenté devant notre Cour.

I. Les appels en vertu de la règle 51

[6] Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est utile de rappeler en quoi consistent les paramètres d’un appel en vertu de la règle 51.

[7] Depuis l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 RCF 331, il est établi que les appels de décisions rendues par des juges adjoints de cette Cour suivent la norme de contrôle comme toute décision en matière civile (au para 79). Il s’agit de la norme exposée par la Cour suprême dans Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235.

[8] Pour ce qui a trait à une question de droit, la norme de contrôle en appel sera la norme de la décision correcte. Pour reprendre les mots de la Cour d’appel dans Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 RCF 344 [Mahjoub], « s’il y a une erreur, la Cour peut substituer son opinion à celle de la Cour fédérale » (au para 58).

[9] Pour les questions de fait ou celles qui sont mixtes (de fait et de droit), la norme est plutôt celle de l’erreur manifeste et dominante (ou déterminante) à moins que, pour une question mixte, il puisse être dégagée une question de droit isolable (Mahjoub, au para 74). C’est évidemment au demandeur de satisfaire à la norme appropriée.

[10] Dans Benhaim c St‐Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 RCS 353, la Cour acceptait la description de ce en quoi consiste une erreur manifeste et dominante présentée par la Cour d’appel fédérale et la Cour d’appel du Québec :

[38] Il est tout aussi utile de rappeler ce qu’on entend par « erreur manifeste et dominante ». Le juge Stratas décrit la norme déférente en ces termes dans l’arrêt South Yukon Forest Corp. c. R., 2012 CAF 165, 4 B.L.R. (5th) 31, par. 46 :

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue [. . .] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[39] Ou, comme le dit le juge Morissette dans l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 77 (CanLII), « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions. »

[11] La règle déférente a continué d’être appliquée. Il ne me semble pas inutile de présenter l’articulation supplémentaire de la norme d’erreur manifeste et dominante qu’on peut lire à l’arrêt Mahjoub, malgré la longueur de la citation :

[60] En l’espèce, un grand nombre des arguments de M. Mahjoub se concentrent sur la recherche de faits de la Cour fédérale et son application axée sur les faits des normes juridiques aux faits, en particulier sur la question du caractère raisonnable du certificat de sécurité. Ces affaires ne peuvent être assujetties qu’à la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[61] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : arrêts Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, et H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. Voir l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 46, cité avec l’approbation de la Cour suprême dans l’arrêt St-Germain, précité.

[62] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente. Bien des choses peuvent être qualifiées de « manifestes ». À titre d’exemples, mentionnons l’illogisme évident dans les motifs (notamment les conclusions de fait qui ne vont pas ensemble), les conclusions tirées sans éléments de preuve admissibles ou éléments de preuve reçus conformément à la doctrine de la connaissance d’office, les conclusions fondées sur des inférences erronées ou une erreur de logique, et le fait de ne pas tirer de conclusions en raison d’une ignorance complète ou quasi complète des éléments de preuve.

[63] Cependant, même si une erreur est manifeste, le jugement de l’instance inférieure ne doit pas nécessairement être infirmé. L’erreur doit également être dominante.

[64] Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure.

[65] Il peut également y avoir des situations où une erreur manifeste en soi n’est pas dominante, mais lorsqu’on la prend en considération avec d’autres erreurs manifestes, la décision ne peut plus être maintenue. Pour ainsi dire, l’arbre est tombé non pas après un seul coup de hache déterminant, mais après plusieurs bons coups.

Je note également Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72, [2021] 3 RCF 294, au para 134.

[12] M. Lill devait donc identifier les questions de droit pour que la norme de la décision correcte soit appliquée. Autrement, il était soumis à la norme de l’erreur manifeste et dominante qui veut qu’il ne suffit pas de tirer sur les feuilles et les branches, mais plutôt qu’il faut démontrer que l’arbre tout entier tombe, même si plusieurs coups de hache sont nécessaires.

II. Le litige dans lequel s’insère la décision dont appel

[13] Ce demandeur agit seul, sans l’assistance d’un avocat. Il s’est lancé dans une demande de contrôle judiciaire. Pour les fins d’un appel de la décision de la juge adjointe, il est préférable de connaître le contexte dans lequel la décision est rendue, sans pour autant qu’il soit nécessaire d’entrer dans tous les recoins où le demandeur cherche à aller.

[14] Ce demandeur, M. Lill, mène de nombreux litiges devant plusieurs instances. Son dossier de demande en notre espèce répertorie des litiges devant notre Cour, la Cour d’appel fédérale, la Cour supérieure du Québec, la Cour d’appel du Québec et des tribunaux administratifs fédéraux. Ce qui amène M. Lill devant notre Cour est un incident relatif au contrôle judiciaire qu’il a lancé dans un avis de demande daté du 19 janvier 2023, mais dont la signification et le dépôt n’ont été réalisés que le 30 janvier.

[15] La demande de contrôle judiciaire est d’une décision prise par un haut fonctionnaire au sein du SCC au sujet d’un grief déposé (V30R00065317) par M. Lill. La décision est venue le 22 novembre 2022, alors que le grief recherchait une demande de correction d’un rapport de renseignements de sécurité [RSS du 12 octobre 2020]. Voici comment sont résumés, aux pages 1 et 2 de 6 dans la décision du 22 novembre 2022, les allégations qui ont fait l’objet du grief :

Dans vos présentations aux paliers précédents, vous contestiez le refus de votre demande de corrections aux Évaluations en vue d’une décision (ÉVD) datées du 2020-12-15 et du 2021-01-13. Comme vous l’expliquiez, les renseignements que vous contestiez seraient issus d’un RRS daté du 2020-12-10 produit par l’agent du renseignement de sécurité (ARS). Vous étiez d’avis que des renseignements suffisants ne vous avaient pas été partagés pour appuyer le refus de votre demande et que les renseignements compilés au RRS de l’ARS ne l’ont pas été conformément aux dispositions de l’annexe B de la Directive du Commissaire (DC) 568-2, Consignation et communication de l’information et des renseignements de sécurité. D’une part, vous remettiez en cause la fiabilité des sources de renseignements utilisées dans ce rapport et, d’autre part, vous croyiez que les critères prévus au paragraphe 6 de la DC 568-2 n’avaient pas été respectés au moment de le compléter. Vous étiez donc d’avis que ces renseignements ne devraient pas être rapportés dans d’autres rapports à votre dossier. Au final, vous demandiez que votre demande de corrections soit traitée conformément aux lois et politiques, qu’on rappelle à l’ARS de les respecter et qu’on réponde à tous les points soulevés dans vos plaintes et griefs.

Dans votre présentation finale, vous contestez les réponses reçues aux paliers précédents en expliquant que l’ensemble des points soulevés dans vos présentations n’ont pas été abordés. Vous remettez en doute l’allégation de la directrice de l’établissement selon laquelle vous faisiez référence dans vos griefs à des renseignements qui ne figuraient pas au RRS du 2020-12-10. Le renseignement en question se rapportait à votre implication auprès d’autres détenus que vous auriez encouragés à avoir recours au processus de plaintes et de griefs pour porter plainte sur divers sujets dont le port de masque à la cantine et les Permissions de sortie sans escorte (PSSE). Vous maintenez que ces renseignements doivent se trouver au RSS en question puisqu’ils sont référés dans les 2 ÉVDs du 2022-12-15 et du 2021-01-13. Au final, vous demandez à ce qu’on mette en place l’ensemble des mesures correctives demandées aux paliers précédents.

Dans l’addendum en date du 2022-08-14, vous avez fait parvenir des courriels obtenus à la suite d’une demande d’accès à l’information, et vous êtes d’avis que ces courriels démontreraient des intentions malveillantes et des tentatives de représailles de la part des membres du personnel du Centre Fédéral de Formation (CFF) afin de mettre fin aux démarches que vous avez entreprises auprès de la Commission Canadienne des Droits de la Personne, du Bureau de l’Enquêteur Correctionnel du Canada et de vos avocats. Au final, vous demandiez que vos demandes de corrections soient acceptées et qu’on mettre en place l’ensemble des mesures correctives demandées aux paliers précédents.

[16] L’importance pour le demandeur dudit RSS semble bien provenir du fait qu’une recommandation de transfèrement et d’un changement à la cote de sécurité du détenu a suivi le RSS du 10 décembre 2020. Ce rapport était fondé, du moins en partie, sur de l’information obtenue de « sources » dont la fiabilité est mise en doute par le demandeur. Au final, M. Lill a été envoyé à l’Établissement de Cowansville, un établissement à sécurité moyenne. Cet établissement a un niveau de sécurité supérieur à l’établissement où il était détenu précédemment, avec une cote de sécurité aussi changée au niveau de modérée/moyenne.

[17] Le grief a été rejeté. Il n’y a aucune correction faite. Le décideur aura conclu « que des explications suffisantes vous ont été fournies pour justifier le refus de votre Demande de corrections » (décision du 22 novembre 2022, p 5 de 6). Par ailleurs, bien qu’aucune correction quant au contenu du RSS ne soit accordée, le fait que le demandeur a demandé des corrections à son dossier doit être reflété à celui-ci. La décision sur grief indique qu’une mesure corrective est nécessaire : « la direction du Centre Fédéral de Formation [où M. Lill était détenu avant son transfèrement à Cowansville en début de janvier 2023] s’assurera que les évaluations en vue d’une décision datée du 2020-12-15 et du 2021-01-13 soient déverrouillées afin de refléter qu’une Demande de corrections a été formulée relativement à certains renseignements inclus dans le rapport et afin de diriger le lecteur vers la Note de service #37 » (décision du 22 novembre 2022, p 6 de 6).

[18] La demande de contrôle judiciaire, déposée le 30 janvier, est un court document où le demandeur prétend à une décision déraisonnable au sujet de laquelle il voudrait que soit radiée toute information déposée à son dossier carcéral « en lien avec le rapport de renseignement de sécurité du 10 décembre 2020 ». Le demandeur y allègue une série d’erreurs ou de contraventions à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [Loi] (on y réfère aux articles 24 et 27) et aux Directives du Commissaire.

[19] Le demandeur y fait aussi une demande qui mènera au litige incident dont il est question ici. Il est écrit à la demande de contrôle judiciaire :

Le demandeur demande à l’office fédéral Service Correctionnel du Canada de lui faire parvenir et d’envoyer au greffe une copie certifiée des documents suivants qui ne sont pas en sa possession, mais qui sont en la possession de l’office fédéral :

1. Une copie de toute la documentation, renseignements ainsi que les informations lesquels ont été prise en considération ou qui ont été consulté par le Service Correctionnel du Canada aux fins de l’analyse du Grief Final no# V30R00065317 pour sa prise de décision.

2. Le nom de tous les membres du personnel du Service Correctionnel du Canada qui ont été rencontré où [sic] consulté ainsi que les note découlements de ses rencontres ou consultations aux fins de considération dans l’analyse du Grief Final no# V30R00065317 pour sa prise de décision.

[Reproduction telle quelle.]

[20] Les règles prévoient les mesures qui doivent être prises par le décideur administratif dont la décision est contestée. La règle 317, dont le texte suit, oblige l’office fédéral (le décideur administratif) à transmettre les documents pertinents à la demande :

317 (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

317 (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

(2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

(2) An applicant may include a request under subsection (1) in its notice of application.

(3) Si le demandeur n’inclut pas sa demande de transmission de documents dans son avis de demande, il est tenu de signifier cette demande aux autres parties.

(3) If an applicant does not include a request under subsection (1) in its notice of application, the applicant shall serve the request on the other parties.

C’est la règle 318 qui, dans un délai vingt jours suivant la signification de la demande de transmission, requiert l’office fédéral de transmettre une copie certifiée conforme des documents en cause. La règle 318 prévoit aussi l’opposition à la demande de transmission.

[21] En notre espèce, la demande de transmission n’a pas fait l’objet d’une opposition. De fait, un dossier certifié, comptant 193 pages, aura été transmis le ou vers le 17 février 2023. On retrouve au certificat que « la copie certifiée conforme des documents ayant été considérés dans la décision rendue le 22 novembre 2022 dans le grief final no V30R00065317 » était transmise. Pour ce qui était de la seconde demande sous la règle 317 se retrouvant à même l’avis de demande de contrôle judiciaire selon laquelle le demandeur recherchait « le nom de tous les membres du personnel du Service correctionnel du Canada qui ont été rencontré [sic] ou consulté [sic] », le certificat déclare que cette liste n’existe pas, mais « cette information est contenue à même le dossier » ».

III. Les décisions dont appel

[22] La juge adjointe Steele était saisie de deux questions. La première, sur requête déposée le 20 juin 2023, recherchait une ordonnance visant à forcer le SCC à fournir l’information qui était requise en vertu de la demande de contrôle. La seconde, sur requête déposée le 12 juillet dernier, recherchait une prorogation de délai permettant ainsi d’être relevé du défaut de respecter la règle 306 et ce, jusqu’à ce que le défendeur transmette à M. Lill la documentation qu’il disait avoir demandé dans sa demande de contrôle judiciaire. Quoique le demandeur ait fait par requête deux demandes distinctes, la juge adjointe a choisi de rendre jugement dans une seule ordonnance en date du 10 août. Le demandeur porte en appel les deux décisions contenues dans cette même ordonnance. J’en ferai autant en rendant un seul jugement disposant des deux questions soulevées.

[23] La première question, relative au contenu du dossier certifié du tribunal, est résolue par la juge adjointe en rappelant que « seuls les éléments qui étaient à la disposition du décideur au moment de rendre une décision sont considérés comme pertinents aux fins de la Règles 317 » (Ordonnance, au para 8). La juge adjointe y cite la jurisprudence suivante : Habitations Ilot St-Jacques Inc. c Canada (Procureur Général) 2017 CF 147; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Office des transports), 2019 CAF 257 [Compagnie des chemins de fer nationaux]; Canadian Constitution Foundation c Canada (Procureur général), 2022 CF 1232.

[24] La juge adjointe Steele a noté que le dossier certifié peut dans certains cas comporter plus que la seule information qui était devant le décideur administratif pour rendre sa décision. La juge indique bien qu’une allégation de crainte raisonnable de partialité ou d’atteinte à l’équité procédurale pourrait permettre d’amplifier le dossier sur contrôle judiciaire. Trouvant appui sur Canada (Commissaire à l'intégrité du secteur public) c Canada (Procureur général), 2014 CAF 270, la juge statue que « le demandeur doit invoquer un motif de contrôle qui permettrait à la Cour d’examiner des éléments de preuve dont le décideur n’avait pas connaissance » et « le motif de révision doit reposer sur une base factuelle étayée par des preuves appropriées » (Ordonnance, au para 9). Ce n’était pas présent en l’espèce.

[25] Ici, la demande en vertu de la règle 317 a donné lieu à un dossier de 193 pages qui a été certifié comme complet. Le demandeur prétend que d’autres documents auraient dû s’y trouver; mais, en cela, le demandeur confond l’obligation de transmettre et les arguments potentiels au sujet du mérite de la demande de contrôle judiciaire.

[26] La juge adjointe Steele conclut que M. Lill ne se décharge pas de son fardeau de démontrer que le SCC est en possession d’autres documents que ceux déjà transmis et qu’il est en droit de réclamer en vertu de la règle 317. Elle déclare que le demandeur a toute l’information en mains pour faire avancer son dossier. Il pourra au mérite plaider les faits ou l’absence de faits, selon sa théorie de la cause (Ordonnance, au para 15). Ainsi, l’office fédéral a rempli son obligation en vertu de la règle 317 : aucune autre transmission n’était requise.

[27] La seconde question était le refus d’accorder une prorogation de délai pour que M. Lill puisse recourir à la règle 306. En vertu de celle-ci, dans un délai de 30 jours suivant la délivrance de l’avis de demande, les affidavits et pièces documentaires à utiliser doivent avoir été signifiés. Cela n’a pas été fait.

[28] La juge adjointe Steele a refusé de proroger ce délai qui prenait fin le 1er mars 2023. Elle note que le principe fondamental guidant la discrétion de proroger est l’intérêt de la justice. Dans l’examen qui doit avoir lieu, on reconnaît généralement quatre critères depuis la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur Général) c Hennelly, 1999 CanLII 8190 (CAF) [Hennelly]. Ils sont :

1. démonstration de l’intention constante de poursuivre la demande;

2. la demande a un certain mérite;

3. le défendeur ne subira pas de préjudice en raison du délai; et

4. la justification du délai est raisonnable.

[29] La décision sous appel indique que l’intention constante de poursuivre la demande peut être inférée des démarches et communications du demandeur depuis février 2023. De plus le défendeur n’a pas soulevé un préjudice dont il souffrirait si la prorogation devait être accordée. Par ailleurs, ni la justification du délai ni le mérite de la demande, qui constituent les deux autres critères, n’ont été satisfaits. Ainsi, la preuve est silencieuse sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire. La demande de contrôle judiciaire n’apporte aucun éclairage puisqu’elle ne fait qu’énumérer des conclusions et des erreurs alléguées. Quant à la justification du délai, non seulement la règle 306 est-elle claire mais le dépôt des affidavits et des pièces n’est pas conditionnel au dépôt du dossier certifié en vertu des règles 317 et 318 (Pfeiffer c Mayrand, 2004 CAF 192, au para 20). La juge adjointe note que si une prorogation aurait pu être accordée, encore aurait-il fallu que ce soit demandé de façon diligente. Une directive prévenait le demandeur qu’il lui fallait une requête pour obtention d’une prorogation, sa demande informelle du 8 février étant inadéquate. Le demandeur dit n’avoir reçu la directive qu’un mois plus tard, le 16 mars. Or, même si c’était le cas, cela n’explique en rien pourquoi la requête en prorogation n’a été déposée que le 12 juillet 2023 (quatre mois plus tard). M. Lill devait agir avec célérité. Il ne l’a pas fait.

[30] Sous-pesant les quatre facteurs, la juge adjointe Steele en vient à la conclusion que le poids favorise le refus de la prorogation recherchée. Les deux critères qui ne sont pas rencontrés pèsent davantage et ils ont un poids déterminant. La demande de prorogation est rejetée, avec des dépens situés à 250 $ ordonnées en faveur du défendeur.

IV. Arguments et analyse

[31] Comme indiqué plus haut, qui en appelle d’une décision d’un juge adjoint est soumis au fardeau de démontrer que la décision souffre d’une erreur manifeste et dominante. L’erreur sera manifeste si elle est évidente. Il faudra aussi démontrer que l’erreur a une incidence déterminante. Comme le notait notre Cour dans Lessard-Gauvin c Canada (Procureur général), 2020 CF 730, cette norme force le tribunal d’appel à un degré élevé de retenue (au para 43, avec l’abondante jurisprudence qui y est répertoriée). Pour reprendre la métaphore de la Cour d’appel fédérale utilisée à répétition depuis South Yukon Forest Corp. c R, 2012 CAF 165, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches de l’arbre pour satisfaire à la norme de « manifeste et dominante ». Il faut que l’arbre au complet tombe. La même norme de contrôle vaut pour les deux décisions rendues et qui sont maintenant devant cette Cour pour décision.

[32] Si, par ailleurs, le demandeur identifiait une question de droit ou une question mixte de droit et de faits et que, dans ce dernier cas, il isolait la question de droit, la norme de contrôle ne serait plus déférente mais serait plutôt la norme de la décision correcte.

A. Accès à de la documentation non présente au dossier certifié du tribunal

[33] Le demandeur se déclare non satisfait du dossier certifié du tribunal.

[34] La position adoptée par le demandeur dans son mémoire des faits et du droit, et amplifiée dans sa longue plaidoirie lors de l’audition des appels, se résume à prétendre que la décision sur grief se devait d’avoir été rendue par de nombreux fonctionnaires parce que de nombreux fonctionnaires auront fourni des avis, selon le demandeur, au décideur ultime, la personne désignée par la Commissaire du SCC. Cela expliquera la demande expresse qu’on trouve à la demande de contrôle judiciaire du 30 janvier dernier. Selon celle-ci, le nom de tous les membres du personnel du SCC ayant été rencontrés ou consultés devait être remis en vertu de la règle 317. Le certificat accompagnant le dossier certifié déclarait que telle liste n’existe pas mais que les noms de fonctionnaires se trouvent à la divulgation. Quant au contenu du dossier certifié, il était composé des documents se trouvant au dossier du SCC pertinents à la décision sur le grief final. Le certificat ajoute que « les documents ayant été considérés dans la décision rendue le 22 novembre 2022 » s’y trouvent. « Le dossier complet est 193 pages ».

[35] Pour le demandeur, le dossier certifié ne respecte pas l’obligation créée par les règles 317 et 318. Il eut fallu que les échanges entre fonctionnaires qui ont pu avoir lieu, même s’ils ne se sont pas retrouvés au dossier sur lequel le Commissaire adjoint ayant décidé le grief final s’est penché, lui soient transmis.

[36] Essentiellement, le grief portait sur de l’information mise au dossier du demandeur par les autorités correctionnelles, et tout particulièrement au rapport de renseignements de sécurité du 10 décembre 2020, alors que celui-ci alléguait que cette information (provenant de sources) y était sans avoir été colligée conformément à la Loi et à certaines Directives du Commissaire. Le décideur administratif a rejeté le grief, concluant que l’information avait été colligée selon la Loi et les Directives et que ce qui avait été divulgué au demandeur quant à des sources de renseignements était conforme au paragraphe 27(3) de la Loi.

[37] J’ouvre une parenthèse pour favoriser la compréhension. Le paragraphe 27(1) de la Loi prévoit l’obligation de divulguer ce genre d’information au détenu et le paragraphe 27(3) permet de limiter la divulgation là où il existe des motifs raisonnables de croire « que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite ». La décision sur grief concluait que des explications avaient été fournies justifiant le refus d’apporter des corrections.

[38] M. Lill veut de l’information afin de contester la fiabilité des sources d’information. Il est dans une certaine mesure à la pêche. Il soutient que la juge a conclu erronément qu’il a toute l’information pour faire avancer son dossier parce que, dit-il, il devrait y en avoir plus. Ainsi, ou bien M. Lill doit alléguer et démontrer en quoi il y aurait une erreur de droit par la juge adjointe. Cela n’a pas été fait. Ou bien il faudrait qu’il démontre que la détermination de la question mixte de faits et de droit dont la juge adjointe était appelée à disposer constitue une erreur manifeste et dominante de sa part. Je n’ai pu retrouver dans les présentations de M. Lill en quoi consisterait l’erreur, et encore moins en quoi elle serait manifeste et dominante d’autant que les questions qui se posaient à la juge l’étaient sous forme d’une plainte relative à la composition du dossier certifié. C’est de cela dont il était question et non pas des longs plaidoyers de M. Lill quant au traitement dont il se plaint et qui fait l’objet de sa demande de contrôle judiciaire.

[39] Je ne puis voir en quoi la décision de la juge adjointe de déterminer la portée de la règle 317 comme s’appliquant aux seuls « éléments qui étaient à la disposition du décideur au moment de rendre une décision sont considérés comme pertinents aux fins de la Règle 317 » (Ordonnance, au para 8) constituerait une erreur manifeste et dominante. Cela constitue l’état du droit. Les auteurs Letarte, Veilleux, et al, dans leur Recours et procédure devant les Cours fédérales (LexisNexis, 2013) me semblent bien résumer la portée de l’obligation. Ils écrivent au no 5-67 :

5-67. Objet — Le régime des Règles 317 et 318 a pour but de permettre aux parties de mettre en preuve, dans l'instance de contrôle judiciaire, les documents qui étaient devant l'office fédéral au moment où celui-ci a rendu la décision contestée, de manière à ce que la Cour puisse connaître la base factuelle sur laquelle la décision contestée a été rendue. Il n'a pas pour objet d'offrir ou de faciliter la communication de tous les documents pouvant se trouver en la possession d'un office fédéral. Il ne s'agit pas d'un régime de communication préalable aussi large que celui applicable dans le cadre d'une action. Dans l'affaire Atlantic Prudence Fund Corp. c. Canada, le juge Hugessen faisait état de cette différence en termes sans équivoque :

[...] La règle 317 n'a pas le même fondement théorique et ne produit pas les mêmes résultats que la communication de documents. Elle n'exige pas (contrairement à ce qui se produit pour un défendeur dans une action) que l'office se lance dans une recherche étendue et exhaustive d'éléments matériels dont la pertinence peut, au mieux, être négligeable et dont le choix nécessite absolument d'exercer son jugement. Je répète que les demanderesses doivent connaître les faits qu'elles se proposent d'invoquer pour soutenir que la Cour devrait annuler les décisions contestées et il ne suffit pas simplement d'espérer qu'il y aura quelque chose de pertinent dans l'ensemble des archives du gouvernement du Canada.167

Des propos similaires ont été tenus par le juge Pelletier de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Access Information Agency Inc. c. Canada :

[...] L'objet de la règle est de limiter la communication de la preuve aux documents qui étaient entre les mains du décideur lors de la prise de décision et qui n'étaient pas en la possession de la personne qui en fait la demande et d'exiger que les documents demandés soient décrits de façon précise. Il n'est pas question, lorsqu'il s'agit de contrôle judiciaire, de demander la transmission de tout document qui pourrait être pertinent dans l'espoir d'en établir la pertinence par la suite. Une telle démarche est tout à fait à l'encontre du caractère sommaire du contrôle judiciaire.

[Je souligne.]

[40] Dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c Pathak (CA), 1995 CanLII 3591 (CAF), [1995] 2 CF 455 [Pathak], la Cour d’appel fédérale met l’emphase sur l’obligation faite en vertu des règles pour le demandeur d’indiquer, dans la demande de contrôle judiciaire, avec précision le redressement recherché, les motifs au soutien de la demande et les dispositions législatives invoquées. Lesdites obligations étaient alors en fonction des règles en vigueur. Les mêmes se retrouvent dans les règles applicables aujourd’hui (règle 301). Or, comme le dit la Cour d’appel, « [c]omme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs du contrôle invoqués par l’intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs du contrôle énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit produit par l’intimé » (à la p 460); voir également Compagnie des chemins de fer nationaux, aux para 12-14. Or, la demande de contrôle judiciaire est laconique là où le demandeur se contente d’alléguer que la décision sur grief est déraisonnable.

[41] À n’en pas douter, il existera des circonstances où la communication sera plus large que la documentation devant le décideur administratif qui a rendu la décision dont contrôle judiciaire est demandé. Par exemple, là où une question de justice naturelle, d’équité procédurale au sens juridique du terme (inéquité sur le plan procédural), de but illégitime ou de corruption est soulevée sur contrôle judiciaire, la règle voulant que seul le dossier devant le décideur administratif fasse l’objet de la requête sous la règle 317 pourrait être élargie (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263). Dans Humane Society of Canada Foundation c Canada (Revenu national), 2018 CAF 66 [Humane Foundation], la Cour a accepté le paragraphe 50 de notre Cour dans Gagliano c Canada (Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2006 CF 720, 293 FTR 108 :

[50] Il est bien établi que, d’une façon générale, seuls les documents dont disposait le décideur au moment où il a pris sa décision sont pertinents aux fins de l’article 317 des Règles. Cependant, la jurisprudence a apporté des exceptions à cette règle. La Commission a écrit dans ses observations écrites : [traduction] « Il existe une exception lorsqu’il est allégué que l’office fédéral a violé l’équité procédurale ou a commis une erreur de compétence : David Sgayias et al., Federal Practice, (Toronto: Thomson, 2005) à la p. 695, reproduit dans le mémoire des faits et du droit de la Commission (Chrétien, T-2118-05) au par. 24. L’observation ci-dessus est clairement étayée par la jurisprudence selon laquelle les documents dont ne disposait pas le décideur peuvent être considérés comme étant pertinents lorsqu’il est allégué que le décideur a violé l’équité procédurale ou lorsqu’il y a une allégation de crainte raisonnable de partialité de la part du décideur : Premières nations Deh Cho, ci-dessus; Friends of the West, ci-dessus; Telus, ci-dessus; Lindo, ci-dessus.

[Souligné dans l’original.]

Comme la Cour le dit dans Humane Foundation, des documents qui n’étaient pas devant le décideur administratif peuvent être pertinents au sens de la règle 317 s’il y a une allégation de manquement à l’équité procédurale ou une crainte raisonnable de partialité. Mais une simple allégation générale serait insuffisante pour permettre ce qui n’est rien d’autre qu’une « expédition de pêche ». Ici, il n’y a même pas une telle allégation, encore moins une allégation fondée sur une certaine preuve.

[42] La Cour dans Humane Foundation reprend à son compte ce passage tiré de Access Information Agency Inc. c Canada (Procureur général), 2007 CAF 22 :

[20] En terminant, la Cour désire exprimer sa désapprobation des demandes de transmission de documents rédigés en termes aussi vagues que celle en cause. La révision judiciaire ne procède pas sur la même base qu'une action en justice; c'est une procédure qui se veut sommaire. Il y a donc une série de limites imposées aux parties en conséquence de cette distinction. La preuve se fait par affidavit et non par témoignage de vive voix. Il y a moins d'ouverture aux procédures préliminaires telles que la communication de la preuve entre les mains des parties et l'examen au préalable. Si de telles procédures s'avèrent nécessaires, les règles permettent qu'une demande de révision judiciaire soit transformée en action.

[21] C'est dans ce contexte que se situe la règle 317 qui traite de la demande de transmission de documents. L'objet de la règle est de limiter la communication de la preuve aux documents qui étaient entre les mains du décideur lors de la prise de décision et qui n'étaient pas en la possession de la personne qui en fait la demande et d'exiger que les documents demandés soient décrits de façon précise. Il n'est pas question, lorsqu'il s'agit de contrôle judiciaire, de demander la transmission de tout document qui pourrait être pertinent dans l'espoir d'en établir la pertinence par la suite. Une telle démarche est tout à fait à l'encontre du caractère sommaire du contrôle judiciaire. Si les circonstances sont telles qu'il s'avère nécessaire d'élargir le cadre de la communication de la preuve, celui qui exige une divulgation plus complète a le fardeau de mettre de l'avant des éléments de preuve qui justifient sa demande. C'est ce dernier élément qui est tout à fait absent en l'instance.

[Je souligne.]

Essentiellement, la règle 317 ne sert pas le même rôle que la communication de la preuve dans une action. En notre espèce, il n’y a aucune raison de croire que l’obligation faite à la règle 317 n’a pas été respectée. Mais des allégations de partialité ou de manquement à l’équité procédurale pourraient ouvrir la porte à une divulgation plus large (Droits des voyageurs c Canada (Procureur général), 2021 CAF 201) dans la mesure où cela peut être justifié, preuve à l’appui. Or, aucune telle allégation, et encore moins une telle preuve, n’a été faite ici.

[43] Par conséquent, la juge adjointe Steele ne commettait pas une erreur manifeste et dominante en limitant la portée de la communication sous la règle 317 à ce qui est communément la règle en l’espèce. À tout le moins, le demandeur n’en a pas fait la démonstration qu’il y avait lieu d’y passer outre comme il en était requis.

[44] Tant dans son mémoire que devant la Cour en révision judiciaire, je crains que le demandeur ne perçoive pas bien la portée de l’obligation sous la règle 317. Il indique rechercher la documentation utilisée ou consultée pour la prise de la décision administrative (mémoire, au para 28), tout autant que celle qui était disponible au décideur administratif (mémoire, au para 51). De fait, il procède à un long exposé de l’obligation faite au SCC en vertu de l’article 27 de la Loi pour, semble-t-il, justifier sa demande de divulgation supplémentaire (mémoire, au para 24). Il déclare qu’il est plus que clair que l’obligation légale en vertu de l’article 27 de la Loi n’a pas été satisfaite (mémoire, au para 38) et, du même souffle, il prétend que la juge adjointe n’a pas suivi la jurisprudence voulant, dit-il, qu’il existe une obligation de fournir la documentation demandée « afin d’assuré [sic] une équité procédural [sic] » (mémoire, au para 39). Le même propos est tenu au paragraphe 48 de son mémoire. On ne sait toujours pas à quelle « équité procédurale » le demandeur pouvait bien référer.

[45] Il s’agit là, selon la juge adjointe Steele, de confusion entre la règle 317 et l’article 27 de la Loi (décision, aux para 11, 13 et 15). D’abord, la notion d’équité procédurale telle que reconnue en droit administratif ne fait pas partie de la demande de contrôle judiciaire. L’arrêt Pathak, je le répète, établit que « la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit produits par l’intimé ». Cela n’a pas été fait en l’espèce. Mais, plus encore, le demandeur confond ce que le défendeur doit produire en vertu de la règle 317 et son argument qui serait que la décision est déraisonnable parce que ne satisfaisant pas aux caractéristiques d’une décision raisonnable, « soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653, au para 99). Son interprétation de l’article 27 de la Loi participe d’un exercice bien différent de l’obligation de transmettre ce qui était devant le décideur administratif lorsque la décision sur grief a été prise. La confusion des genres est inappropriée.

[46] Cela aura probablement fait dire à la juge adjointe que « M. Lill a toute l’information en mains pour faire avancer son dossier » (décision, au para 15). C’est à mon sens ce qui est exprimé au paragraphe 13 de la décision lorsque la juge dit que « M. Lill plaide abondamment que le SCC aurait dû avoir d’autres documents en sa possession, comme le RSS et les rapports d’évaluations qu’il recherche, lorsque la décision en cause a été prise, mais là n’est pas le cœur de la question à déterminer suivant la Règle 317. Plutôt, comme le plaide le défendeur, il s’agit d’arguments liés au mérite de la demande de contrôle judiciaire ». Je partage cet avis.

[47] En définitive, ceci dit avec égards, le demandeur fait fausse route en cherchant à recevoir une communication supplémentaire de renseignements alors même qu’il recherche le contrôle judiciaire sur la seule base que la décision rendue est déraisonnable. Il n’a pas démontré en quoi la décision de la juge adjointe était teintée d’une erreur manifeste et dominante. Tel était son fardeau.

B. Prorogation du délai pour soumettre les affidavits et pièces documentaires en vertu de la règle 306

[48] Le même fardeau que pour la première question devant cette Cour repose sur les épaules du demandeur quant à la seconde : il doit établir une question de droit, qui ferait l’objet d’une norme de décision correcte en appel, ou il doit démontrer une erreur manifeste et dominante dans les autres cas, à moins bien sûr qu’il identifie une erreur de droit isolable au cas d’une question mixte de droit et de faits.

[49] L’argumentaire du demandeur repose sur une seule prémisse : il est justifié de ne pas avoir produit les affidavits et pièces documentaires du fait que l’obligation de la règle 317 n’avait pas été satisfaite.

[50] Le défendeur fait remarquer qu’il n’y a aucune démonstration d’une erreur manifeste et dominante dans la décision discrétionnaire de refuser la prorogation. Il s’agissait là du fardeau sur les épaules du demandeur. C’est exact. De fait, ni dans son mémoire ni durant sa longue plaidoirie, le demandeur n’a même tenté de discuter de la pondération des quatre facteurs de l’arrêt Hennelly (la liste n’est pas exhaustive) présentée par la juge adjointe pour justifier sa décision de ne pas accorder de la prorogation demandée. Ce n’est pas le rôle de la Cour siégeant en appel en vertu de la règle 51 de substituer sa discrétion à celle du décideur. En l’absence d’une tentative de démontrer une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante dans l’exercice de la discrétion de la juge Steele, il n’y a d’autre choix que de rejeter l’appel de la décision de la juge adjointe de refuser la prorogation de délai.

[51] La Cour note que le délai prévu par la règle 318 pour la divulgation de l’information mis devant le décideur administratif a été respecté en l’espèce. Le certificat émis pour satisfaire à la règle est daté du 17 février et il accompagne les 193 pages constituant ce qui se trouvait au dossier du SCC et qui étaient considérées pour la décision sur le grief final, décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire. Comme l’a noté la juge adjointe Steele, l’obligation faite au demandeur de produire ses affidavits et pièces en vertu de la règle 306 est totalement indépendante de l’obligation faite au défendeur de produire le dossier certifié du tribunal. L’arrêt Pfeiffer c Mayrand (précité) indique même qu’un demandeur ne serait pas relevé de son obligation sous la règle 306 malgré que le dossier certifié n’aurait pas été produit dans le délai prescrit par le défendeur. Comme les auteurs Saunders, Rennie et Garton le précisent dans Federal Courts Practice (Thomson Reuters, 2023), lors de leur annotation au sujet de la règle 306, le contrôle judiciaire procédant sur la base du dossier devant le tribunal administratif, les parties ne peuvent améliorer le dossier ex post facto (sauf les exceptions reconnues). De toute manière, ici le défendeur aura soumis le dossier certifié à l’intérieur des délais prescrits et un demandeur peut fort bien plaider son recours sur la base du dossier certifié.

V. Dépens et conclusion

[52] Les deux parties ont demandé leurs dépens. Dans le cas de M. Lill, il les situait à hauteur d’une somme forfaitaire de 7 500 $. Le défendeur n’a pas fixé une somme, se contentant de demander ses dépens.

[53] Devant la juge adjointe Steele, celle-ci avait imposé au demandeur des dépens de 250 $ sur la requête en prorogation, n’en adjugeant aucun sur la première requête visant à d’augmenter le dossier certifié du tribunal puisque les dépens n’avaient pas été demandés.

[54] Deux ordonnances ont fait l’objet d’appels. Je n’accorderais pas de dépens sur l’appel de la décision de ne pas augmenter le dossier certifié du tribunal. Par contre, l’appel sur la demande de prorogation où aucun argument n’aura été offert mérite que les dépens à hauteur de 250 $ soient imposés en faveur du défendeur, cette somme incluant les taxes et débours.

[55] Quant aux deux ordonnances faisant l’objet d’appels, ces appels sont rejetés. Le fardeau qui était celui de qui fait appel n’a pas été déchargé par le demandeur dans chacun de ses deux appels. Les deux appels ne peuvent qu’être rejetés.

[56] L’avocate du défendeur a insisté que le rejet de la demande de prorogation quant à la règle 306 ne signifie pas que la demande de contrôle judiciaire du demandeur ne saurait procéder. La Cour signale qu’il serait peut-être indiqué que, si une prorogation relativement à la signification et au dépôt du dossier du demandeur s’avérait nécessaire, vu les circonstances, les parties fassent preuve d’efforts raisonnables pour trouver un terrain d’entente afin que la demande de contrôle judiciaire puisse être entendue.

 


ORDONNANCE au dossier T-203-23

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête pour appel de l’ordonnance de la juge adjointe Steele du 10 août 2023, relative à son refus d’augmenter la communication de documents en vertu de la règle 317, est rejetée, sans adjudication de dépens.

  2. La requête pour appel de l’ordonnance de la juge adjointe Steele du 10 août 2023, relative à l’obtention d’une prorogation de délai pour la présentation d’affidavits et des pièces documentaires, en vertu de la règle 306, est rejetée. Des dépens de 250 $, qui incluent les déboursés et les taxes, sont accordés au défendeur.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-203-23

 

INTITULÉ :

CHRISTOPHER LILL c SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 septembre 2023

 

jugement ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 octobre 2023

 

COMPARUTIONS :

Christopher Lill

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Renalda Ponari

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour l’INTIMÉ

 

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