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Date : 20231012


Dossier : T-1608-21

Référence : 2023 CF 1206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

REGROUPEMENT DES PÊCHEURS PROFESSIONNELS

DU SUD DE LA GASPÉSIE INC.

UNION DES PÊCHEURS DES MARITIMES INC.

PRINCE EDWARD ISLAND FISHERMEN’S ASSOCIATION LTD.

GULF NOVA SCOTIA FLEET PLANNING BOARD

demandeurs

et

LISTUGUJ MI’GMAQ GOVERNMENT

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DES PÊCHES

ET DES OCÉANS, LE MINISTRE DES RELATIONS

COURONNE-AUTOCHTONES

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS

(Ébauche confidentielle communiquée aux parties le 7 septembre 2023)

I. Introduction

[1] La Cour est saisie de deux requêtes. Ces requêtes sont soulevées dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs en vue de faire invalider le Rights Reconciliation Agreement on Fisheries (l’Entente de réconciliation et de reconnaissance des droits sur les pêches ou, ci-après, l’Entente) intervenu entre la Première Nation et la Couronne fédérale, défenderesses, le 16 avril 2021.

[2] La première requête a été déposée par le défendeur, le Listuguj Mi’gmaq Government (le LMG), en vue de faire radier l’avis de demande de contrôle judiciaire et donc de faire rejeter la demande, ou, à titre subsidiaire, de faire radier les portions de l’avis de demande qui sont vouées à l’échec. L’autre défendeur, le procureur général du Canada (le PGC) appuie cette requête au nom du ministre des Pêches et des Océans et du ministre des Relations Couronne-Autochtones. Les demandeurs, qui sont les intimés dans la requête en radiation, s’y opposent.

[3] Dans la seconde requête, les demandeurs sollicitent la communication de documents supplémentaires aux termes des articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/96-102 (les Règles). Le LMG et le PGC s’opposent à cette requête.

[4] Pour situer ces requêtes dans leur contexte, il convient de débuter par l’avis de demande de contrôle judiciaire principal, qui soulève quatre questions fondamentales pouvant être résumées de la façon suivante :

  • Le Canada peut‑il conclure des ententes par lesquelles il reconnaît les droits ancestraux et issus de traités visés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 avant que ceux-ci aient été tranchés et reconnus par un tribunal?

  • Le ministre des Pêches et des Océans peut-il participer à des négociations ou signer une entente concernant les droits visés à l’article 35, ou ce pouvoir appartient‑il uniquement au ministre des Relations Couronne-Autochtones?

  • Les lois des Premières Nations qui régissent l’exercice, par leurs membres, des pêches communautaires empiètent-elles sur les pouvoirs dont dispose le ministre des Pêches et des Océans en vertu de la Loi sur les pêches, ou les chevauchent-elles?

  • Le Canada doit-il donner l’occasion à d’autres parties ayant un intérêt dans les pêches de faire connaître leurs points de vue dans le processus menant à la négociation de telles ententes?

[5] Le LMG et le PGC soutiennent que ces questions devraient être radiées parce qu’elles seraient vouées à l’échec si l’affaire devait être instruite. Les demandeurs affirment que leur avis de demande soulève des questions importantes qui méritent d’être examinées sur le fond dans le cadre d’une audience en bonne et due forme.

[6] Dans la deuxième requête, les demandeurs sollicitent la communication de documents supplémentaires auprès des ministres défendeurs, y compris une annexe financière à l’Entente ainsi que des mémoires et courriels internes liés aux efforts de réconciliation et à la gestion d’une zone précise de pêche au homard.

[7] Les parties se sont principalement intéressées à la requête en radiation, et je ferai la même chose dans les présents motifs. Il convient de débuter par la requête en radiation, puisque la requête en communication de documents supplémentaires deviendrait sans objet si l’instance prenait fin à la suite d’une radiation de l’avis de demande.

[8] J’énoncerai d’abord le contexte de l’instance, et ferai notamment état des différentes parties concernées, puis je procèderai à l’analyse de la requête en radiation et aborderai la requête en communication de documents.

[9] Pour les motifs qui suivent, l’allégation des demandeurs concernant le processus suivi dans le cadre des négociations et de la conclusion de l’Entente ne sera pas radiée, car je ne suis pas convaincu qu’elle est entièrement dénuée de fondement et vouée à l’échec. Les autres allégations formulées par les demandeurs seront radiées parce qu’elles sont manifestement irrégulières au point de n’avoir aucune chance d’être accueillies. La contestation relative à l’approche de reconnaissance des droits ayant donné lieu à la négociation de l’Entente est injustifiée et n’est pas étayée par le droit; les allégations relatives aux rôles du ministre et à la délégation prétendument illégale des pouvoirs ne sont pas appuyées par le dossier; les allégations relatives à la reconnaissance du pouvoir du LMG d’édicter des lois quant à l’exercice, par ses propres membres, de leurs droits collectifs dans les pêches surestiment l’étendue des pouvoirs reconnus par l’Entente et sont contraires aux principes juridiques bien établis.

[10] En ce qui concerne la requête en communication de documents, je la rejetterai au motif que l’article 317 des Règles ne s’applique pas et que les documents sollicités ne sont pas requis dans le cadre du contrôle judiciaire.

II. Le contexte

[11] La mesure et les conditions dans lesquelles les peuples autochtones du Canada atlantique ont accès aux pêches sont source de controverses et de litiges depuis de nombreuses années. Des questions ont aussi été soulevées quant à la portée d’autres droits d’exploitation des ressources fauniques dont jouissent les communautés mi’gmaq du Canada atlantique, que ce soit en vertu des Traités de paix et d’amitié ou de droits ancestraux existants. Certains de ces litiges sont survenus entre Autochtones et non-Autochtones dans un contexte où chaque partie cherche à obtenir ce qui constitue selon elle sa juste part d’une ressource limitée. À certains égards, la demande principale en l’espèce, ainsi que la requête en radiation dont la Cour est saisie, constituent un nouveau chapitre de cette saga.

[12] L’avis de demande déposé par les demandeurs comprend 116 pages. Les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire invalidant l’Entente signée le 16 avril 2021 par le LMG et la Couronne. Le contexte et le contenu de l’Entente établissent la toile de fond du litige. Cependant, avant d’examiner ces éléments, il est utile de faire le point sur les diverses parties en l’espèce.

A. Les parties

1) Les demandeurs

[13] Les demandeurs sont des organisations qui représentent des pêcheurs non autochtones. Les descriptions suivantes sont tirées de leur avis de demande.

[14] Le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie Inc. (le RPPSG) a été fondé en 1991 et représente 148 pêcheurs de homard exerçant leurs activités dans les zones de pêches au homard situées sur les côtes de la péninsule gaspésienne. Ses membres sont aussi détenteurs de permis de pêche commerciale pour d’autres espèces.

[15] L’Union des pêcheurs des Maritimes Inc. (l’UPM) a été créée en 1977 et représente environ 1300 pêcheurs côtiers au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Sa mission est de représenter les intérêts de ses membres lorsqu’il s’agit de prendre des décisions importantes qui touchent l’industrie des pêches commerciales dans le Canada atlantique. Ses membres détiennent des permis de pêche commerciale pour diverses espèces, et l’organisation elle-même est détentrice de quotas commerciaux de crabe des neiges.

[16] La Prince Edward Island Fishermen’s Association Ltd. (la PEIFA) a été fondée dans les années 1950, mais s’est constituée en société en 1982. Elle représente près de 1300 pêcheurs commerciaux à l’Île-du-Prince-Édouard, qui sont aussi membres de différentes associations régionales. Ses membres sont titulaires de permis de pêche variés. Elle est aussi détentrice d’un quota commercial de crabe des neiges, qui est réparti entre ses membres.

[17] Le Gulf Nova Scotia Fleet Planning Board (le GNSFPB) a été fondé en 1997 et est formé de six organisations qui représentent plus de 600 pêcheurs de homard dans le golfe de la Nouvelle-Écosse, lesquels sont aussi détenteurs de permis pour d’autres espèces. Le GNSFPB est aussi détenteur d’un quota commercial de flétan, que ses membres pêchent dans le golfe du Saint-Laurent.

[18] Chacune de ces associations défend les intérêts de ses membres, y compris sur les questions de conservation et de gestion. Par exemple, le RPPSG affirme que sa mission est de garantir le développement durable de la pêche en maintenant l’équilibre entre les besoins économiques des pêcheurs et la durabilité des espèces.

2) Les défendeurs

[19] Les défendeurs, le LMG et le PGC, lequel agit pour le compte du ministre des Pêches et des Océans et du ministre des Relations Couronne-Autochtones, sont parties à l’Entente signée le 16 avril 2021.

[20] Le LMG représente la Première Nation de Listuguj, une communauté mi’gmaq de plus de 4000 membres. Le LMG a cité la description suivante tirée du paragraphe 14 de l’arrêt Martin v Province of New Brunswick and Chaleur Terminals Inc, 2016 NBQB 138 :

[traduction]

Listuguj détient divers droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et constitue une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5. La réserve est située sur les berges de la rivière Restigouche, dans la péninsule gaspésienne (Québec), au sein du septième district du territoire des Mi’gmaq, connu sous le nom de « Gespe’gewa’gi ». Sur le plan géographique, Gespe’gewa’gi comprend les territoires qui forment aujourd’hui la péninsule gaspésienne, le nord du Nouveau-Brunswick (y compris Belledune), une partie du Maine, ainsi que les îles situées dans la baie des Chaleurs et leurs zones côtières et marines (notamment une grande partie du golfe du Saint-Laurent).

[21] Le LMG détient divers permis de pêche communautaires des Autochtones pour plusieurs espèces, y compris le homard. Le LMG est l’un des signataires de l’Entente qui est contestée en l’espèce.

[22] Le PGC comparaît au nom des deux ministres ayant signé l’Entente : la ministre des Relations Couronne‑Autochtones (qui portait le nom de « ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien » à la date de la signature de l’Entente) et la ministre des Pêches et des Océans. Ces ministres ont signé l’Entente à titre de représentants de la Couronne, qui était à l’époque Sa Majesté la Reine du chef du Canada.

B. Le contexte entourant l’Entente

[23] L’avis de demande en cause dans la présente affaire vise à faire invalider l’Entente. Il convient de présenter brièvement le contexte de l’Entente ainsi que ses principales caractéristiques avant de procéder à l’analyse des positions des parties concernant la requête en radiation.

[24] Le contexte moderne entourant l’élaboration de l’Entente prend forme dans les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les arrêts R c Marshall, [1999] 3 RCS 456 [Marshall I] et R c Marshall, [1999] 3 RCS 533 [Marshall II] [collectivement, les arrêts Marshall]. Comme je l’expliquerai, la question de l’interprétation de ces arrêts fait l’objet d’un litige entre les parties.

[25] À ce stade, il est suffisant d’observer que, dans les arrêts Marshall, la Cour suprême a reconnu que les Mi’kmaq[1] signataires aux Traités de paix et d’amitié de 1760‑1761 avaient certains droits de pêche, issus de traités, garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[26] Le premier point important soulevé dans l’arrêt Marshall I était que les promesses faites dans le cadre des traités ont donné lieu à des droits protégés par la Constitution. Le deuxième point important, souligné dans l’arrêt Marshall II, était que l’exercice du droit issu d’un traité est restreint. La Cour suprême du Canada a conclu ce qui suit au sujet du droit issu d’un traité : « Le droit issu du traité permet à la communauté mi’kmaq d’assurer sa subsistance en lui accordant un accès continu aux ressources halieutiques et fauniques pour qu’elle puisse en faire le commerce afin de pouvoir se procurer les “choses nécessaires”, notion que la majorité de notre Cour a interprétée comme étant “la nourriture, le vêtement et le logement, complété[s] par quelques commodités de la vie” » (à la p 538, au para 4). Elle a aussi conclu que le droit issu d’un traité était assujetti à des restrictions pouvant être justifiées selon le critère établi dans l’arrêt Badger, citant R c Badger, [1996] 1 RCS 771 (Marshall II, à la p 543, au para 14).

[27] Il convient aussi de signaler que l’arrêt Marshall II faisait intervenir une requête déposée par la coalition West Nova Fisherman’s (une intervenante dans l’arrêt Marshall I), qui était préoccupée par la portée potentielle et les répercussions de cet arrêt quant à la durabilité des pêches et aux intérêts des participants non autochtones. La coalition a déposé une requête devant la Cour suprême par laquelle elle sollicitait une nouvelle audience du pourvoi, un sursis à l’exécution du jugement dans l’attente de la nouvelle audition, ainsi qu’un nouveau procès afin de déterminer si l’application de la réglementation sur les pêches à l’exercice des droits des Mi’kmaq issus de traités pourrait être justifiée pour des motifs liés à la conservation ou autres. La Cour suprême a rejeté la requête, mais le fait même qu’une requête aussi extraordinaire ait été déposée dénote l’intensité des intérêts en cause dans des affaires comme celle dont la Cour est actuellement saisie.

[28] Dans l’arrêt Marshall II, la Cour suprême a fait remarquer que la conservation et la gestion des ressources, ainsi que la répartition des prises autorisées pour chaque espèce, soulèvent des questions d’une complexité considérable, et elle a réitéré sa conclusion, souvent exprimée, selon laquelle « il est préférable de réaliser la prise en compte du droit issu du traité par des consultations et par la négociation d’un accord moderne de participation des Mi’kmaq à l’exploitation de ressources précises plutôt que par le recours aux tribunaux » (à la p 550, au para 22).

[29] La publication des arrêts Marshall I et Marshall II a déclenché une série d’événements. Il n’est pas nécessaire de rappeler la chronologie de ces événements. Les faits les plus pertinents en lien avec le présent litige comprennent des efforts stratégiques déployés par le gouvernement fédéral pour faire de la place aux Premières Nations afin qu’elles puissent pêcher à des fins alimentaires, culturelles et cérémonielles, et les intégrer aux pêches commerciales existantes; une action intentée par le LMG et d’autres parties afin de clarifier l’étendue de l’exercice des droits issus de traités; ainsi que le lancement, en 2007, d’une revendication globale par le LMG et deux communautés mi’gmaq au Québec en vue de faire valoir des droits et titres ancestraux. En 2012, ces groupes ont signé une entente-cadre avec le Canada et le Québec afin d’établir le fondement d’une entente finale.

[30] En juillet 2017, le Canada a publié les Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones, dans le but de « mener à bien la réconciliation avec les peuples autochtones au moyen d’une relation renouvelée de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre la Couronne et les Inuits, axée sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat en tant que fondement d’un changement transformateur » (à la p 3).

[31] En novembre 2018, les deux ministres défendeurs et le chef du LMG ont signé une [traduction] Entente-cadre entre le Canada et le LMG sur la réconciliation et les pêches (l’Entente-cadre). L’objectif de ce document était d’établir un cadre pour la suite des négociations [traduction] « en vue de conclure de nouvelles ententes pour une reconnaissance et une mise en œuvre accrues des droits, responsabilités et rôles du LMG en matière de pêche ».

[32] Toutefois, des litiges perduraient entre le LMG et le Canada et, le 21 octobre 2019, le LMG a présenté une demande de contrôle judiciaire en vue de faire annuler deux décisions par lesquelles la ministre des Pêches et des Océans avait refusé de lui délivrer des permis de pêche commerciale autorisant la vente des homards capturés au cours des pêches des automnes 2019 et 2020 (le « litige relatif au homard »). Deux des demandeurs dans la présente affaire, le RPPSG et l’UPM, ont demandé à intervenir, mais leurs requêtes ont été rejetées (j’aborderai les motifs de cette décision de manière plus approfondie plus loin). Le RPPSG et l’UPM ont interjeté appel de cette décision, mais, avant que l’appel ne soit entendu, le LMG et le Canada ont résolu leurs différends et la Cour a mis fin à la demande de contrôle judiciaire sur consentement des parties dans son ordonnance du 8 novembre 2021. Cette situation a fait en sorte que l’appel interjeté contre la décision à l’égard de la requête en autorisation d’intervenir est devenu théorique, et il a donc été abandonné.

[33] L’ordonnance sur consentement ayant mis fin au litige relatif au homard faisait référence au processus suivi dans le cadre de l’Entente signée par le LMG et la Couronne, qui sont représentés par les deux ministres défendeurs en l’espèce. J’examinerai l’Entente en détail dans mon analyse des observations des parties relatives à la requête en radiation. Le résumé qui suit se limite à une présentation générale des principales caractéristiques de l’Entente.

[34] Le préambule énonce plusieurs éléments clés de l’Entente :

[traduction]

ATTENDU QUE le Canada reconnaît et affirme le droit inhérent de la Première Nation des Mi’gmaq de Listuguj à l’autodétermination, y compris le droit à l’autonomie gouvernementale;

ATTENDU QUE les Mi’gmaq de Gespe’gewa’gi, y compris la Première Nation des Mi’gmaq de Listuguj, possèdent déjà des droits ancestraux et issus de traités en matière de pêche;

ATTENDU QUE les droits ancestraux et issus de traités des Mi’gmaq, que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme, sont de nature communautaire et sont exercés par les Mi’gmaq sous l’autorité de la communauté mi’gmaq à laquelle ils appartiennent;

ATTENDU QUE le gouvernement de la Première Nation des Mi’gmaq de Listuguj a adopté des lois LMG qui régissent sa relation avec ses pêches;

ATTENDU QUE le Canada reconnaît que la reconnaissance de la compétence inhérente et des ordres juridiques des nations autochtones, y compris les Mi’gmaq, est le point de départ des discussions visant les interactions entre les compétences et les lois fédérales, provinciales, territoriales et autochtones;

[35] La disposition énonçant l’objet prévoit que l’Entente vise à garantir [traduction] « la reconnaissance et la mise en œuvre des droits ancestraux et des droits issus de traités du LMG en matière de pêche et de gouvernance des pêches », ainsi que la prévisibilité concernant la gestion et la pratique de la pêche du LMG. L’Entente vise également à accroître l’accès du LMG aux pêches ainsi qu’à renforcer sa capacité de gouvernance pour lui permettre d’exercer sa gouvernance et ses droits en matière de pêche.

[36] L’Entente définit les pêches du LMG de la façon suivante :

[traduction]

« pêche du LMG » désigne la gouvernance des pêches et les activités de pêche entreprises par le LMG et les membres de la Première Nation des Mi’gmaq de Listuguj, que ce soit à des fins alimentaires, sociales, rituelles ou commerciales, à l’égard de toute espèce pour laquelle le MPO délivre au LMG un permis communautaire des Autochtones, à l’exclusion du saumon;

[37] L’Entente confirme la reconnaissance, par le Canada, du fait que le LMG détient certains droits ancestraux et issus de traités en matière de gouvernance des pêches et de pêche qui sont protégés par l’article 35 de la partie II de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, c 11 (R‑U) [LRC 1985, appendice II, no 44] (ci‑après désigné article 35). Elle prévoit que le LMG peut lancer ou appuyer une procédure judiciaire contre le Canada en rapport avec un manquement présumé de l’Entente, sous réserve de la procédure de recherche de consensus et de règlement des différends établie par ses modalités.

[38] Des sujets tels que l’accès aux pêches, les fonds pour les pêches, ainsi que le financement relatif à la gouvernance et à la gestion collaborative des pêches du LMG sont ensuite couverts. Il n’est pas nécessaire d’examiner ces éléments en détail; il est suffisant de constater que cette partie de l’Entente porte essentiellement sur les mécanismes visant à prévenir ou à régler les litiges relatifs à l’accès aux pêches par le LMG ainsi qu’à l’application des lois et politiques fédérales concernant les pêches. L’Entente comprend aussi une liste de facteurs dont le ministre doit tenir compte lorsqu’il établit les conditions liées aux permis de pêche communautaires des Autochtones au regard des pêches du LMG.

[39] Ensuite, l’Entente décrit l’obligation du LMG de désigner chaque personne autorisée à pratiquer la pêche au titre d’un permis de pêche communautaire des Autochtones, et énonce une approche en matière de conformité et d’application de la loi qui comprend des consultations entre le ministère des Pêches et des Océans et le LMG. Une partie subséquente de l’Entente traite des processus de recherche de consensus et de règlement des différends, confirmant ainsi la nature collaborative de la relation que les parties souhaitent entretenir. L’Entente se conclut par des dispositions relatives aux processus par lesquels elle peut être examinée, modifiée ou résiliée.

[40] À la lumière de ce qui précède, j’examinerai maintenant les questions en litige et analyserai le bien-fondé des deux requêtes.

III. Les questions en litige

[41] Les requêtes dont la Cour est saisie soulèvent trois questions :

  1. La Cour devrait-elle accorder aux demandeurs la qualité pour agir dans l’intérêt public?

  2. L’avis de demande devrait-il être radié?

  3. La communication de documents supplémentaires devrait-elle être ordonnée?

[42] Comme je l’ai déjà mentionné, il convient d’examiner chacune de ces questions à tour de rôle.

IV. Analyse

A. La Cour devrait-elle accorder aux demandeurs la qualité pour agir dans l’intérêt public?

[43] Les demandeurs sollicitent la qualité pour agir dans l’intérêt public afin de défendre leur demande de contrôle judiciaire. Ils soutiennent qu’ils satisfont au critère énoncé dans la jurisprudence pertinente et citent les arrêts Finlay c Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 RCS 607 aux p 610, 626 et 630-634; et Harris c Canada (CA), [2000] 4 CF 37 aux para 49-50. Ces arrêts confirment un critère en trois volets : 1) l’existence d’une question sérieuse à trancher; 2) l’intérêt véritable de la partie qui demande la qualité pour agir quant à la question dont le tribunal est saisi; 3) l’inexistence d’autres manières raisonnables de soumettre la question au tribunal.

[44] En l’espèce, les demandeurs font valoir qu’ils satisfont au critère :

  • Les questions qu’ils soulèvent font intervenir des questions sérieuses quant à la validité de l’exercice des pouvoirs des ministres en vertu de leur loi habilitante respective : la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14; la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, LRC 1985, c I‑6; et la Loi sur le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, LC 2019, c 29 [la Loi sur le ministère des Relations Couronne-Autochtones];

  • Les demandeurs représentent des pêcheurs commerciaux dont les droits sont et seront touchés par les conséquences découlant de l’Entente;

  • Il n’y a pas d’autre moyen pratique de soumettre l’affaire à la Cour étant donné que les parties à l’Entente n’ont aucun intérêt à la contester.

[45] Le LMG soutient que les demandeurs ne devraient pas se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public. Ses observations comprennent deux composantes connexes : il affirme que les arguments des demandeurs sont de nature politique et qu’ils ne sont donc pas justiciables, et il fait valoir que l’avis de demande de contrôle judiciaire ne soulève aucune question justiciable sérieuse.

[46] Le cadre actuel qui s’applique à la qualité pour agir dans l’intérêt public a été clarifié au paragraphe 2 de l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45 [Downtown Eastside] :

[2] Lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire en matière de qualité pour agir, les tribunaux soupèsent trois facteurs à la lumière de ces objectifs sous‑jacents et des circonstances particulières de chaque cas. Ils se demandent si l’affaire soulève une question justiciable sérieuse, si la partie qui a intenté la poursuite a un intérêt réel ou véritable dans son issue et, en tenant compte d’un grand nombre de facteurs, si la poursuite proposée constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour : Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, p. 253. Les tribunaux exercent ce pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir de façon « libérale et souple » (p. 253).

[47] Comme je l’expliquerai, je suis convaincu que l’une des allégations des demandeurs n’est pas manifestement dépourvue de fondement ou vouée à l’échec au point qu’elle devrait être radiée à ce stade préliminaire; toutefois, plusieurs autres allégations seront radiées. Compte tenu de cette conclusion, les demandeurs satisfont au premier volet du critère : l’avis de demande soulève une question justiciable sérieuse.

[48] Je suis aussi convaincu que les demandeurs ont un intérêt véritable dans l’issue de l’affaire compte tenu de leur participation de longue date aux pêches. Ils ne sont pas des « trouble‑fête », et la tenue d’une audience sur le fond devant la Cour permettra aux principaux intéressés de faire valoir contradictoirement leurs points de vue (Downtown Eastside, au para 1).

[49] Pour conclure sur ce point, l’avis de demande par lequel les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire constitue un moyen raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour. Leur argument repose sur une question presque purement juridique, et il n’est pas nécessaire de tenir un procès en bonne et due forme sur des questions factuelles contestées.

[50] Pour ces motifs, la qualité pour agir dans l’intérêt public est accordée aux demandeurs en l’espèce.

B. L’avis de demande devrait-il être radié?

[51] Les parties ne contestent pas le principe juridique général régissant les requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour. Leurs arguments sont plutôt axés sur l’application du critère aux faits.

1) Le droit applicable aux requêtes en radiation

[52] L’arrêt de principe portant sur le critère relatif aux requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour est JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 [JP Morgan], dans lequel la Cour d’appel fédérale a décrit l’approche à suivre de la façon suivante :

[47] La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[48] Il existe deux justifications d’un critère aussi rigoureux. Premièrement, la compétence de la Cour fédérale pour radier un avis de demande n’est pas tirée des Règles, mais plutôt de la compétence absolue qu’ont les cours de justice pour restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires : David Bull, précitée, à la page 600; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance‑vie RBC, 2013 CAF 50. Deuxièmement, les demandes de contrôle judiciaire doivent être introduites rapidement et être instruites « à bref délai » et « selon une procédure sommaire » : Loi sur les Cours fédérales, précitée, au paragraphe 18.1(2) et à l’article 18.4. Une requête totalement injustifiée — de celles qui soulèvent des questions de fond qui doivent être avancées à l’audience — fait obstacle à cet objectif.

[53] Lorsqu’elle examine un avis de demande de contrôle judiciaire, la Cour « doit faire une “appréciation réaliste” de la “nature essentielle” de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (JP Morgan, au para 50, renvois omis). (Voir aussi Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 aux para 33‑34; Bernard c Canada (Procureur général), 2019 CAF 144 au para 33.)

[54] Les affidavits ne sont généralement pas admissibles à l’appui de requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire, essentiellement parce que le vice dans l’avis de demande doit être fondamental et manifeste. « Un vice dont la démonstration nécessite le recours à un affidavit n’est pas manifeste » (JP Morgan, au para 52.) Les faits allégués dans l’avis de demande de contrôle judiciaire sont tenus pour avérés à condition qu’ils puissent être prouvés devant un tribunal (Turp c Canada (Affaires étrangères), 2018 CF 12 au para 20). Puisque le demandeur est tenu de présenter l’ensemble de ses motifs dans son avis de demande, il n’a pas besoin de déposer d’affidavit pour compléter sa version des faits. Constitue une exception relative à l’interdiction de présenter un affidavit le fait que chaque partie peut déposer un affidavit comprenant des renseignements contextuels, lequel est mentionné et incorporé par renvoi à l’avis de demande (JP Morgan, au para 54).

[55] En l’espèce, le LMG a déposé un affidavit comprenant des documents de référence dont il est question dans l’avis de demande ou qui sont nécessaires pour comprendre celui-ci. L’affidavit ne soulevait pas de question factuelle litigieuse, et aucune objection n’a été soulevée à cet égard.

2) L’avis de demande dans la présente affaire

[56] Selon le cadre énoncé dans l’arrêt JP Morgan, il faut d’abord examiner l’avis de demande afin d’obtenir une appréciation réaliste de sa nature essentielle; pour ce faire, il faut adopter une approche pratique qui ne s’attache pas aux questions de forme, mais qui cherche plutôt à repérer les éléments essentiels de l’allégation présentée par le demandeur dans une affaire en particulier.

[57] Comme je l’ai déjà expliqué, l’avis de demande en l’espèce est un document long et complexe. J’examinerai en détail certaines portions de l’avis de demande. À ce stade, ma tâche consiste à réaliser une appréciation globale de ses éléments essentiels. Il importe de souligner que j’effectue une analyse juridique préliminaire qui ne vise pas à devancer ou à écarter des arguments ou des conclusions advenant l’instruction de l’affaire.

[58] Je conclus que les demandeurs soulèvent essentiellement trois allégations principales dans l’avis de demande :

  1. L’approche fondée sur la reconnaissance des droits : Les demandeurs contestent l’approche du gouvernement en ce qui concerne la « reconnaissance des droits », par laquelle les droits ancestraux ou issus de traités sont reconnus avant qu’ils aient été établis par un tribunal. Ils soutiennent que cette approche repose sur une mauvaise interprétation de la jurisprudence contraignante de la Cour suprême du Canada et que les droits garantis par l’article 35 n’ont pas de valeur constitutionnelle avant d’avoir été reconnus par un tribunal.

  2. Les pouvoirs des ministres et les délégations prétendument illégales : Les demandeurs contestent les pouvoirs des ministres respectifs de négocier et de conclure des ententes, ce qui comprend la délégation prétendument illégale des pouvoirs ainsi que la restriction qui serait imposée au pouvoir du ministre des Pêches et des Océans de réglementer les pêches.

  3. Les allégations portant sur le processus de négociation : Les demandeurs contestent le processus par lequel l’Entente a été conclue, notamment le fait qu’ils n’ont pas été consultés à titre de représentants des pêcheurs non autochtones ayant un intérêt dans le processus et le résultat, ainsi que le fait que l’Entente n’a pas été publiée dans la Gazette du Canada.

[59] L’objectif ultime des demandeurs est d’obtenir une déclaration de la Cour invalidant l’Entente.

[60] De son côté, le LMG soutient que la contestation dans son ensemble est politique plutôt que juridique et que tous les arguments des demandeurs sont voués à l’échec. Le PGC est d’accord avec les arguments de fond du LMG selon lesquels la demande devrait être radiée.

[61] À la lumière de ce contexte, j’examinerai maintenant le cœur de la question de savoir si l’avis de demande de contrôle judiciaire des demandeurs devrait être radié, en tout ou en partie. Il sera utile de regrouper les arguments des parties selon les trois catégories énoncées précédemment.

a) L’approche fondée sur à la reconnaissance des droits

[62] Au sous-alinéa 2c)iii. de l’avis de demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soutiennent que les ministres ont outrepassé leurs pouvoirs en reconnaissant que le LMG détient des droits ancestraux et issus de traités en ce qui concerne la pêche à fins alimentaires, sociales, cérémonielles et commerciales. Les demandeurs fondent cette affirmation sur deux allégations connexes :

  • Les ministres se sont fondés sur une interprétation erronée des principes énoncés dans les arrêts clés de la Cour suprême du Canada en la matière, notamment les arrêts R c Gladstone, [1996] 2 RCS 723 [Gladstone]; R c Van der Peet, [1996] 2 RCS 507 [Van der Peet]; Marshall II; Bande indienne des Lax Kw’alaams c Canada (Procureur général), 2011 CSC 56 [Lax Kw’alaams]; et R c Desautel, 2021 CSC 17 [Desautel].

  • Les droits ancestraux et issus de traités n’ont de valeur constitutionnelle, selon le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, que s’ils ont été revendiqués et que leur existence a été démontrée devant les tribunaux supérieurs et reconnue par ceux-ci selon le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Van der Peet et reconnu par les arrêts Lax Kw’alaams et Desautel, dans le cadre d’une action déclaratoire de nature civile au cours de laquelle toutes les parties sont entendues de manière complète et équitable.

(i) Les observations des parties

[63] Le LMG soutient que cet argument est voué à l’échec pour deux motifs : il vise, à tort, à appliquer le critère énoncé dans l’arrêt Van der Peet pour établir les droits ancestraux aux droits issus de traités existants (et déjà reconnus) que le LMG détient; il ne reconnaît pas le fait que l’article 35 protège les droits potentiels intégrés dans des revendications de droits ancestraux n’ayant pas encore été prouvés.

[64] Le LMG soutient que le critère visant à établir les droits ancestraux aux termes de l’article 35 est énoncé au paragraphe 46 de l’arrêt Van der Peet : « pour constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question ». Le LMG soutient que la jurisprudence canadienne a confirmé que ce critère ne s’applique pas aux droits issus de traités, et qu’il concerne plutôt l’existence des traités, le sens de leurs modalités, ainsi que la question de savoir si la personne dispose d’un motif pour revendiquer le droit en raison de son ascendance ou de tout autre lien avec le groupe autochtone qui est signataire du traité.

[65] Le LMG renvoie à l’ensemble des principes d’interprétation qui s’appliquent aux droits issus de traités dans des affaires comme l’arrêt Marshall I, notamment l’exigence voulant que l’interprétation des traités tienne compte de la perspective autochtone dans la recherche d’un sens commun relativement aux promesses énoncées dans le document. Ces principes ressemblent peut-être à l’exigence énoncée dans l’arrêt Van der Peet, qui vise à comprendre un droit autochtone du point de vue du groupe qui le fait valoir, mais il n’est aucunement question d’incorporer le critère de l’arrêt Van der Peet pour établir un droit ancestral dans l’interprétation des traités.

[66] Le LMG soutient que le droit issu de traité, qui a été reconnu dans les arrêts Marshall, puis confirmé dans des arrêts subséquents tels que R c Marshall et R c Bernard, 2005 CSC 43 au paragraphe 13, comprend le droit de pêcher, et de vendre toutes les espèces de poisson. Ce droit a été confirmé au paragraphe 5 de l’arrêt Anglehart c Canada, 2018 CAF 115 [Anglehart CA], où la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une des conséquences des arrêts Marshall était que « le MPO doit donc désormais intégrer les Premières Nations à la pêche commerciale de toutes les espèces ». Le LMG soutient que l’Entente ne fait que reconnaître ce que les lois édictent déjà et que l’argument des demandeurs n’est donc pas fondé.

[67] Selon le LMG, la deuxième lacune fatale dans l’argumentaire des demandeurs pour ce qui est de la reconnaissance des droits est l’omission de reconnaître que l’article 35 protège les droits ancestraux et issus de traités avant même que leur existence n’ait été confirmée par un tribunal. La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit dans l’arrêt Ktunaxa Nation c Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54 [Ktunaxa Nation] :

[78] La garantie constitutionnelle de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne vise pas uniquement les droits issus de traités ou les revendications prouvées ou réglées de droits ancestraux et de titre ancestral. L’article 35 protège aussi les droits éventuels inhérents aux revendications autochtones qui n’ont pas encore été formellement établies et il peut obliger la Couronne à consulter les Autochtones et à prendre en compte leurs intérêts [...]. Lorsque, comme en l’espèce, on demande un permis pour utiliser ou aménager des terres qui font l’objet d’une revendication autochtone dont le bien‑fondé n’a pas été démontré, le gouvernement est tenu de consulter le groupe autochtone touché et, s’il y a lieu, de tenir compte de la revendication du groupe en attendant son règlement définitif. Cette obligation découle de l’honneur de la Couronne et est constitutionnalisée à l’art. 35.

[Renvois omis.]

[68] Le LMG soutient que, dans les cas où, comme en l’espèce, la Couronne a connaissance de l’existence potentielle de droits ancestraux, elle a l’obligation constitutionnelle de prendre des mesures pour garantir que ceux‑ci sont respectés. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que cette obligation découle du principe de l’honneur de la Couronne, et le LMG soutient que l’approche fondée sur la reconnaissance des droits qui se reflète dans l’Entente met cette doctrine en pratique. Dans leurs observations écrites, le LMG décrit comment il perçoit les conséquences possibles de l’argument des demandeurs :

[traduction]

51. Si l’on donne raison aux demandeurs, la réconciliation par la négociation serait impossible, et la mise en œuvre des droits ancestraux et issus de traités serait interrompue le temps que chaque groupe autochtone au pays se tourne vers les tribunaux pour faire établir ses droits.

[69] Le LMG soutient que l’approche préconisée par les demandeurs est incompatible avec l’obligation de négocier. La Cour d’appel du Québec a reconnu ce qui suit au paragraphe 446 du Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2022 QCCA 185 : « [C]’est à la Couronne, tant fédérale que provinciale, qu’incombe la tâche de déterminer comment les droits ancestraux interagissent avec les droits individuels et collectifs de l’ensemble de la population ». Le LMG soutient que l’Entente traduit l’engagement du gouvernement fédéral à respecter ses obligations constitutionnelles telles qu’elles sont reconnues par la jurisprudence. Pour ce motif, le LMG fait valoir que l’argument des demandeurs sur ce point est voué à l’échec.

[70] Le PGC soutient que la signature de l’Entente a constitué une étape importante dans la mise en œuvre des droits ancestraux et issus de traités reconnus par l’article 35. Il appuie la requête en radiation du LMG au motif que la contestation est vouée à l’échec. Le PGC est d’avis que l’allégation des demandeurs repose sur une contestation du pouvoir ayant permis aux ministres de conclure l’Entente. Cette allégation est vouée à l’échec, car les ministres agissaient au nom de la Couronne, qui a clairement le pouvoir de conclure des ententes avec le LMG en ce qui concerne les droits ancestraux et issus de traités.

[71] Le PGC fait valoir que l’Entente est le fruit d’une collaboration entre les parties en vue de reconnaître les droits protégés par l’article 35. Cette affirmation est juste, car, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, les tribunaux ne reconnaissent pas les droits ancestraux et issus de traités; c’est plutôt le rôle de la Constitution, qui, par l’intermédiaire du paragraphe 35(1), « reconnaît et affirme » ces droits. Dans le cas où la Couronne et les groupes autochtones ne s’entendent pas sur la nature, la portée ou les répercussions des droits, les tribunaux doivent jouer un rôle dans la résolution des différends. Toutefois, le PGC se demande pourquoi il serait nécessaire, en droit, de forcer les parties à aller devant les tribunaux avant que les droits puissent être reconnus et mis en œuvre au moyen d’une entente dans le cas où la Couronne et le groupe autochtone s’entendent à ce sujet.

[72] Les demandeurs soutiennent que leur allégation ne devrait pas être radiée à ce stade préliminaire et soulignent qu’une telle réparation serait exceptionnelle. Les demandeurs sont d’avis que les arguments du LMG et du PGC portent sur le fond de l’affaire et devraient être présentés dans le contexte du contrôle judiciaire plutôt qu’à cette étape préliminaire. Ils évoquent la longueur du dossier déposé par le LMG dans le cadre de sa requête pour faire valoir que les arguments avancés portent sur le fond de l’affaire et ne devraient pas être tranchés dans le cadre d’une requête préliminaire.

[73] En l’espèce, les demandeurs affirment que plusieurs facteurs appuient leur argument selon lequel l’allégation ne devrait pas être radiée. Premièrement, ils affirment que le seuil déjà très élevé pour faire radier un avis de demande de contrôle judiciaire devrait l’être encore davantage dans le contexte en constante évolution du droit relatif aux droits ancestraux et issus de traités : Shubenacadie Indian Band c Canada (Procureur Général), 2001 CFPI 181 au para 5. L’évolution du droit ne devrait pas être entravée par la radiation d’actes de procédure faisant intervenir des questions nouvelles ou émergentes, ou qui contestent les nouvelles approches adoptées par les gouvernements ou les groupes autochtones.

[74] Les demandeurs font valoir que l’essentiel de leur contestation porte sur les différences d’interprétation de la jurisprudence applicable, en particulier les arrêts Marshall et d’autres arrêts de la Cour suprême du Canada, qui traitent des droits ancestraux et issus de traités. Ils soulignent que la Cour d’appel fédérale a expressément conclu qu’il n’était pas approprié de radier une allégation dans le cas où le litige porte sur des interprétations divergentes de la portée des arrêts Marshall : Canada (Procureur Général) c Bande indienne de Shubenacadie, 2002 CAF 249 au para 7.

[75] Selon les demandeurs, l’Entente repose sur une grave erreur d’interprétation quant à la portée des droits reconnus dans les arrêts Marshall, et ils affirment que cet argument devrait être examiné par le juge qui sera saisi de la demande de contrôle judiciaire. Les droits que l’Entente est censée reconnaître n’ont jamais été établis devant une cour de justice, et la reconnaissance de ces droits a des conséquences importantes pour les tierces parties, notamment les autres groupes autochtones et non autochtones qui partagent la ressource, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada : Marshall II, au para 42; voir aussi la discussion dans l’arrêt Desautel.

[76] Les demandeurs font aussi valoir que l’Entente ne se limite pas à la reconnaissance des droits établis précédemment, mais qu’elle présume aussi de leur existence. Cet argument met l’accent sur la portée du droit de pêche issu d’un traité et sur l’existence des droits ancestraux en matière de gouvernance des pêches dont il est question dans l’Entente. Selon les demandeurs, cette présomption est contraire à la jurisprudence bien établie qui exige une démonstration claire quant à l’existence des droits propres à un groupe autochtone en particulier : R c Sundown, [1999] 1 RCS 393 au para 25.

[77] De plus, les demandeurs soutiennent que la reconnaissance présumée des droits protégés par la Constitution peut avoir de graves conséquences sur d’autres parties, notamment les autres groupes autochtones et les groupes non autochtones qui partagent la même ressource. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que l’Entente risque de mettre en place un régime de pêches complètement différent pour les pêcheurs autochtones et les pêcheurs non autochtones, et que ce phénomène se multiplierait si les ministres reconnaissaient les droits ancestraux ou issus de traités d’autres groupes.

[78] Les demandeurs reconnaissent le fait que l’article 35 protège les droits ancestraux de deux façons distinctes : la Couronne a l’obligation de consulter et d’accommoder lorsque les droits sont revendiqués, mais qu’ils n’ont pas été établis; la Couronne a l’obligation constitutionnelle d’interférer le moins possible avec les droits déjà établis : Gladstone; Marshall II; R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075 à la p 172 [Sparrow]; Nation Tsilhqot’in c Colombie‑Britannique, 2014 CSC 44 au para 125. Les demandeurs soutiennent que la Couronne est allée plus loin dans l’Entente en reconnaissant des droits avant qu’ils n’aient été établis et en y donnant effet sur la base d’une interprétation erronée du droit.

[79] En réponse à l’argument du LMG selon lequel le critère énoncé dans l’arrêt Van der Peet ne s’applique pas aux droits issus de traités, les demandeurs font valoir que l’Entente reconnaît les droits ancestraux, et pas uniquement les droits issus de traités, et que la thèse avancée par le LMG devrait donc être rejetée.

[80] Les demandeurs soutiennent que le fond et la forme de cette affaire sans précédent requièrent la tenue d’une audience complète sur le fond.

(ii) Analyse

[81] Sur ce point, je souscris aux observations du LMG et du PGC. L’allégation des demandeurs selon laquelle les ministres ont outrepassé leurs pouvoirs en concluant une entente est vouée à l’échec. Les demandeurs font abstraction du fait que les ministres ont signé l’Entente au nom de la Couronne fédérale, et ils se sont fondés sur une interprétation erronée de la jurisprudence.

[82] Premièrement, il importe de souligner que l’Entente a été signée par le LMG et la Couronne du chef du Canada. Les ministres ont signé l’Entente à titre de représentants de la Couronne, mais l’Entente en tant que telle lie la Couronne du chef du Canada. Je conviens avec le PGC qu’il s’agit d’un élément fondamental de l’Entente, et que cela constitue une lacune fatale dans la contestation des demandeurs. J’examinerai en détail les arguments relatifs à des pouvoirs précis que les ministres possèdent ainsi que la délégation prétendument illégale des pouvoirs plus loin dans les présents motifs. Le point qui nous occupe est plus fondamental : les ministres ont signé l’Entente au nom de la Couronne du chef du Canada et à titre de représentants de cette dernière.

[83] Les demandeurs n’ont soulevé aucun argument pour contester le pouvoir des ministres de lier la Couronne. L’avis de demande de contrôle judiciaire ne comprend aucune allégation selon laquelle les ministres n’étaient pas en mesure d’agir en cette qualité; ils n’ont pas été remplacés par des imposteurs, et nul n’affirme que leurs signatures ont été contrefaites. L’argumentaire des demandeurs sur ce point porte entièrement sur les pouvoirs de chacun des ministres. Je l’examinerai plus loin. Peu importe les pouvoirs précis attribués par la loi aux ministres, il ne fait aucun doute que ces derniers étaient autorisés à agir au nom de la Couronne du chef du Canada et que la Couronne fédérale avait le pouvoir de conclure une entente avec le LMG relativement aux droits ancestraux et issus de traités.

[84] Le deuxième problème majeur que renferme l’allégation des demandeurs à cet égard concerne la portée du pouvoir de la Couronne de reconnaître les droits ancestraux et issus de traités et d’y donner effet. Les demandeurs présentent deux arguments principaux à ce sujet : un droit ne peut être reconnu avant d’être confirmé par un tribunal au moyen d’une déclaration de droit dans le contexte d’une procédure civile réunissant l’ensemble des parties concernées; l’Entente repose sur une interprétation erronée de la jurisprudence pertinente, notamment les arrêts Marshall. Je suis d’avis que les deux arguments sont voués à l’échec.

[85] Les demandeurs n’ont cité aucune jurisprudence qui vise à limiter la capacité de la Couronne à négocier ou à conclure des accords avec les peuples autochtones relativement à leurs droits et intérêts. À mon avis, la question de savoir si l’interprétation, par la Couronne, de la portée des arrêts Marshall est juste ou non sur le plan juridique n’est pas pertinente, du moins en ce qui concerne sa capacité à négocier le règlement d’un différend sur ces questions avec le LMG. Les demandeurs soutiennent que la portée juridique des droits de pêche du LMG, telle qu’elle a été établie dans les arrêts Marshall et la jurisprudence subséquente, agit en quelque sorte comme une limite à la portée du pouvoir de négociation de la Couronne. À cet égard, ils soulignent les répercussions possibles des négociations sur les droits ou les intérêts d’autres groupes autochtones et non autochtones qui participent également aux pêches ou souhaitent y participer. J’examinerai l’aspect procédural de cette question plus loin dans mes motifs. Dans la mesure où l’argument des demandeurs repose sur une limite présumée du pouvoir légitime de la Couronne de négocier des ententes avec les peuples autochtones au sujet de leurs droits avant que ces derniers aient été formellement reconnus par un tribunal, je ne puis convenir qu’une telle limite existe.

[86] Plusieurs considérations étayent ma conclusion sur ce point. Premièrement, le libellé de l’article 35 prévoit que « [l]es droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés ». La Constitution « reconnaît » et « confirme » ces droits, et l’approche fondée sur la reconnaissance des droits qui est contestée par les demandeurs est conforme au libellé de la disposition.

[87] Deuxièmement, le droit établit très clairement que l’article 35 protège les droits n’ayant pas encore été reconnus ou confirmés par un tribunal. Par exemple, dans l’arrêt Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 [Nation haïda], la Cour suprême du Canada a rejeté l’argument selon lequel la Couronne n’avait aucune obligation de reconnaître les droits potentiels des groupes autochtones avant même qu’ils aient été formellement établis. La Cour a expliqué les motifs pour lesquels elle a rejeté cet argument ainsi que les conséquences pratiques de cette approche :

27 […] Si [la Couronne] entend agir honorablement, elle ne peut traiter cavalièrement les intérêts autochtones qui font l’objet de revendications sérieuses dans le cadre du processus de négociation et d’établissement d’un traité. Elle doit respecter ces intérêts potentiels mais non encore reconnus. [...] Le fait d’exploiter unilatéralement une ressource faisant l’objet d’une revendication au cours du processus visant à établir et à régler cette revendication peut revenir à dépouiller les demandeurs autochtones d’une partie ou de l’ensemble des avantages liés à cette ressource. Agir ainsi n’est pas une attitude honorable.

[88] Troisièmement, l’obligation de la Couronne de chercher des solutions négociées aux différends en matière de droits ancestraux ou issus de traités revêt une dimension constitutionnelle qui fait intervenir le concept de l’honneur de la Couronne. Le fait d’imposer une restriction préalable à l’étendue du pouvoir de la Couronne de négocier tant et aussi longtemps que les droits n’ont pas été formellement établis par un tribunal va à l’encontre de cette idée. Dans l’arrêt Nation haïda, la Cour suprême a fait remarquer que l’obligation de consulter et d’accommoder les revendications avant qu’elles aient été formellement reconnues et prouvées « fait partie intégrante du processus de négociation honorable et de conciliation qui débute au moment de l’affirmation de la souveraineté et se poursuit au‑delà du règlement formel des revendications » (Nation haïda, au para 32). La Cour suprême a expliqué ce qui suit :

33 Limiter l’application du processus de conciliation aux revendications prouvées comporte le risque que la conciliation soit considérée comme un objectif formaliste éloigné et se voie dénuée du « sens utile » qu’elle doit avoir par suite de l’« engagement solennel » pris par la Couronne lorsqu’elle a reconnu et confirmé les droits et titres ancestraux : Sparrow, précité, p. 1108. Une telle attitude risque également d’avoir des conséquences fâcheuses. En effet, il est possible que, lorsque les Autochtones parviennent finalement à établir le bien-fondé de leur revendication, ils trouvent leurs terres changées et leurs ressources épuisées. Ce n’est pas de la conciliation, ni un comportement honorable.

[89] À cet égard, il est possible d’observer que la délimitation des droits et obligations réciproques, avant qu’ils aient été formellement établis par un tribunal, constitue un élément constant dans les ententes intervenues entre la Couronne et les peuples autochtones depuis les premiers traités de paix et d’amitié, et autres ententes semblables, jusqu’aux traités numérotés et aux traités modernes. Les demandeurs n’ont pas démontré pourquoi il faudrait maintenant revenir en arrière.

[90] Une considération connexe porte sur le fait que ma conclusion relative à ce volet de l’argumentaire des demandeurs ne repose sur aucune caractéristique précise de l’Entente ni sur l’exercice d’un pouvoir en vertu de celle-ci. L’argument des demandeurs sur ce point s’apparente davantage à une question de principe général. Ils soulèvent d’autres arguments relatifs à certaines caractéristiques de l’Entente, dont il sera question plus loin. Toutefois, cet aspect de leur contestation repose sur des affirmations fondamentales à savoir ce que la loi requiert et permet.

[91] Je suis d’accord avec l’observation du LMG selon laquelle la contestation, par les demandeurs, de l’approche fondée sur la reconnaissance des droits est contraire aux nombreuses affaires où les tribunaux ont préconisé une approche négociée plutôt qu’un recours judiciaire. Il est inutile d’essayer de faire la liste complète de ces affaires; un grand nombre de cas récents et pertinents sont énoncés aux paragraphes 87 à 91 de l’arrêt Desautel. Dans cet arrêt, la Cour suprême a examiné une série d’affaires dans lesquelles un tribunal a conclu que l’honneur de la Couronne exige que celle-ci participe aux processus de négociation; que la réconciliation exige que la Couronne et les peuples autochtones collaborent afin de concilier leurs intérêts; et que la négociation peut déboucher sur des résultats accrus en raison des limites en matière de procédure et de preuve qui sont inhérentes aux affaires civiles, réglementaires et criminelles. La Cour cite les observations énoncées au paragraphe 24 de l’arrêt Clyde River (Hameau) c Petroleum Geo‑Services Inc., 2017 CSC 40, selon lesquelles « [o]n ne parvient que rarement, voire jamais, à une véritable réconciliation dans une salle d’audience ».

[92] Même si les demandeurs pourraient vouloir débattre de l’approche fondée sur la reconnaissance des droits adoptée par le gouvernement ou des modalités et de la portée de l’Entente en suivant d’autres voies de recours, sur le plan du droit, je suis convaincu que leur contestation telle qu’elle est exprimée dans l’avis de demande de contrôle judiciaire est vouée à l’échec. Par conséquent, je conclus que la présente affaire fait intervenir des « circonstances exceptionnelles » à la lumière desquelles il n’est pas justifié de tenir une audience concernant ce volet de la contestation. Ainsi, les paragraphes visés de l’avis de demande de contrôle judiciaire seront radiés.

b) Les pouvoirs des ministres et les délégations prétendument illégales

[93] Ce volet de la cause des demandeurs rassemble plusieurs allégations visant les deux ministres. D’abord, les demandeurs affirment que la ministre des Relations Couronne-Autochtones n’a pas exercé sa responsabilité de négocier des ententes aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi sur le ministère des Relations Couronne-Autochtones, et qu’elle a plutôt délégué ces pouvoirs à la ministre des Pêches et des Océans ainsi qu’aux fonctionnaires du MPO de façon illégale.

[94] Ensuite, les demandeurs font valoir que la ministre des Pêches et des Océans a outrepassé sa compétence en omettant d’examiner l’ensemble des critères établis à l’article 2.5 de la Loi sur les pêches (notamment les alinéas a), b), c), e), f), g) et h)), avant de conclure l’Entente. Un argument plus ou moins connexe est celui voulant que la ministre des Pêches et des Océans ait outrepassé ses pouvoirs en déléguant de façon illégale certains de ses pouvoirs en matière de réglementation ainsi qu’en omettant de respecter l’obligation de conserver et de protéger le poisson et son habitat, qui est énoncée à l’article 2.1 de la Loi sur les pêches.

(i) Les observations des parties

[95] Le LMG soutient que ces arguments sont voués à l’échec, car aucun pouvoir n’a été délégué. La ministre des Relations Couronne-Autochtones a signé l’Entente-cadre en 2018, laquelle a mis en place le processus de négociation de l’Entente. La ministre des Relations Couronne-Autochtones a également signé l’Entente, tout comme la ministre des Pêches et des Océans, et le LMG soutient qu’aucune loi n’interdit aux ministres de collaborer pour conclure des ententes concernant leurs sphères de compétence respectives. Le LMG soutient que c’est ce qui s’est produit en l’espèce et que la contestation des demandeurs n’a aucun fondement en droit.

[96] Le PGC invoque un argument semblable. Il fait observer que l’article 4 de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, LRC 1985, c F-15, indique clairement que le ministre des Pêches a des responsabilités et des pouvoirs relativement à la pêche côtière et à la pêche dans les eaux internes et que la Loi sur les relations Couronne-Autochtones autorise le ministre à conclure des ententes avec les peuples autochtones et à assumer un rôle de premier plan au sein du gouvernement du Canada en ce qui a trait à la confirmation et à la mise en œuvre des droits garantis par l’article 35, notamment par la négociation de traités et autres ententes. Le PGC soutient que, compte tenu de ces pouvoirs ministériels, l’argument des demandeurs sur ce point est voué à l’échec. Les ministres n’ont pas outrepassé leurs pouvoirs respectifs, et rien ne les empêche de travailler ensemble pour parvenir à un résultat qui favorise l’accomplissement de leurs deux mandats.

[97] En réponse à l’argument des demandeurs selon lequel des dispositions précises de l’Entente restreignent illégalement les pouvoirs du ministre des Pêches et des Océans ou permettent illégalement à ce dernier de déléguer ses pouvoirs, le PGC soutient qu’une lecture attentive du texte de l’Entente démontre que cet argument ne tient pas la route. Par exemple, le PGC renvoie à la formulation du dernier attendu du préambule, qui porte sur les pouvoirs du Canada de négocier d’autres ententes ou accords [traduction] « dans le but de revitaliser et de reconnaître les mécanismes, notamment les lois mi’gmaq, par lesquels le LMG régit et gère ses pêches ». Le PGC souligne que cette clause se limite expressément à la façon dont le LMG gère et régit ses pêches, et non toutes les pêches, et qu’elle ne prévoit aucune délégation générale de pouvoir.

[98] De même, le PGC affirme que d’autres clauses dans l’Entente confirment que le Canada s’engage à soutenir l’accès du LMG à la pêche ainsi que sa capacité à gérer l’accès de ses membres à la pêche communautaire, mais rien dans l’Entente n’empêche le ministre de réglementer l’accès à la pêche au nom de la population canadienne, dans l’intérêt public. Cela est précisément mentionné dans un attendu qui précède, et le PGC soutient que rien dans l’Entente ne lui enlève cette responsabilité.

[99] En ce qui concerne l’étendue des pêches du LMG, le PGC indique que deux facteurs importants viennent atténuer la force des allégations des demandeurs. D’abord, l’Entente définit ainsi l’expression [traduction] « pêche du LMG » :

[traduction]

« pêche du LMG » désigne la gouvernance des pêches et les activités de pêche entreprises par le LMG et les membres de la Première Nation des Mi’gmaq de Listuguj, que ce soit à des fins alimentaires, sociales, rituelles ou commerciales, à l’égard de toute espèce pour laquelle le MPO délivre au LMG un permis communautaire des Autochtones, à l’exclusion du saumon [...]

[100] Le PGC souligne l’importance du fait que la pêche du LMG se limite à [traduction] « toute espèce pour laquelle le MPO [lui] délivre [...] un permis communautaire des Autochtones ». À ce sujet, il soutient que l’Entente limite la portée du pouvoir du LMG d’adopter des lois :

[traduction]

« lois mi’gmaq » désigne les règles, les normes, les traditions et les coutumes, qu’elles soient élaborées par écrit ou par tradition orale, qui régissent les membres, les organismes et les institutions des communautés mi’gmaq en vertu du droit inhérent des communautés mi’gmaq à l’autodétermination, y compris le droit à l’autonomie gouvernementale [...]

[101] Comme le fait observer le PGC, rien n’indique que les lois ou les règlements du LMG l’emportent sur les dispositions de la Loi sur les pêches ou de tout règlement applicable, ou les remplacent. En fait, l’Entente reconnaît le droit du LMG d’adopter des lois qui régissent l’exercice par ses membres de leurs droits communautaires. Conformément à l’Entente, le ministre continuera de délivrer des permis de pêche, ce que le LMG n’est pas autorisé à faire. Le PGC reconnaît que l’Entente s’ajoute à la liste de facteurs dont le ministre doit tenir compte lorsqu’il prend des décisions concernant les pêches du LMG. Rien dans l’Entente ne limite ou ne remplace le pouvoir ultime du ministre.

[102] Le PGC se fonde sur tous ces arguments pour soutenir que les allégations des demandeurs concernant les pouvoirs des ministres et les délégations illégales ne peuvent être retenues et doivent donc être radiées.

[103] De leur côté, les demandeurs affirment que leurs allégations soulèvent plusieurs questions qui devraient être examinées par le juge chargé d’instruire la demande de contrôle judiciaire au fond. Par exemple, la question de savoir si la ministre des Relations Couronne-Autochtones a délégué illégalement son pouvoir au ministre des Pêches et des Océans exige de procéder à un examen complexe, fondé sur les faits, pour déterminer la portée de la délégation ministérielle et si la loi autorise la délégation implicite. Les demandeurs citent les arrêts suivants : Procureur général du Québec c Lamontagne, 2020 QCCA 1137 aux para 38-39 et 48; Ramawad c Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1978] 2 RCS 375 aux pp 380-381. Ils soutiennent que ces questions ne devraient pas être tranchées dans le cadre d’une requête préliminaire en radiation, mais que la Cour devrait plutôt les examiner en ayant accès au dossier factuel complet et aux observations des parties sur le fond.

[104] Les demandeurs font valoir que la Loi sur les relations Couronne-Autochtones impose des limites précises au pouvoir du ministre des Relations Couronne-Autochtones de fournir des services et de déléguer ses pouvoirs. Suivant les articles 8 et 9 de cette loi, la prestation de services et les délégations de pouvoirs peuvent uniquement avoir lieu entre le ministre des Relations Couronne-Autochtones et le ministre des Services aux Autochtones. Compte tenu de ces dispositions précises, les demandeurs affirment que la participation du ministre des Pêches et des Océans dans la négociation et la signature de l’Entente était invalide.

[105] En outre, les demandeurs affirment que le ministre des Pêches et des Océans a le pouvoir de conclure des ententes avec les peuples autochtones concernant les pêches, mais ce faisant, il doit tenir compte des critères précisément énumérés à l’article 2.5 de la Loi sur les pêches. L’article 2.1 impose également des obligations au ministre concernant la gestion et la conservation des pêches et l’habitat du poisson. Cette disposition incarne la compétence fédérale exclusive visée au paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 à l’égard des pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur.

[106] Les demandeurs soutiennent que la ministre a outrepassé ses pouvoirs en négociant une entente qui reconnaît le droit du LMG de gérer ses pêches, en particulier au moyen de ses propres lois. Selon les demandeurs, la reconnaissance d’un pouvoir autonome de réglementer les pêches est contraire aux obligations et pouvoirs que les lois confèrent au ministre. Ils affirment que cela contrevient également à la compétence fédérale exclusive à l’égard des pêches visée au paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[107] À cet égard, les demandeurs font valoir que la question de savoir s’il est permis de reconnaître et d’accroître l’autonomie gouvernementale autochtone à l’égard des pêches en concluant des accords plutôt qu’en adoptant des lois est une question importante qui devrait être tranchée par le juge chargé d’instruire la demande de contrôle judiciaire au fond. Ils affirment qu’adopter une loi supposerait un débat public et permettrait à toutes les parties intéressées de donner leur avis, alors que les négociations ayant mené à l’Entente se sont déroulées en privé sans une participation plus large du public.

[108] Les demandeurs font valoir que la ministre des Pêches et des Océans n’avait pas le pouvoir de négocier l’Entente-cadre ni l’Entente dans la mesure où celles-ci portent sur les questions des droits ancestraux du LMG sur le poisson, y compris tout droit connexe relatif à l’autonomie gouvernementale, car ce pouvoir appartient exclusivement au ministre des Relations Couronne-Autochtones. Dans l’avis de demande de contrôle judiciaire en l’espèce, les demandeurs relatent l’historique des mandats de négociation, des déclarations politiques et des documents d’information émis par le MPO et soutiennent que ceux‑ci reflètent une délégation illégale de pouvoirs à l’égard des droits des Autochtones. Ils affirment que cette même erreur se manifeste dans diverses lettres de mandat ministérielles, qui donnent au ministre des Pêches et des Océans la responsabilité de négocier des ententes pour mettre en œuvre le droit ancestral de pêcher.

[109] Les demandeurs soutiennent enfin que le ministre des Pêches et des Océans est tenu de gérer les pêches dans l’intérêt de toutes les parties concernées, y compris les divers groupes autochtones qui ont le droit ancestral ou issu de traités de pêcher à des fins alimentaires, culturelles, rituelles ou commerciales, et les pêcheurs non autochtones : Gladstone, aux para 65‑67; Marshall II, aux para 40‑42.

(ii) Discussion

[110] Après avoir examiné les observations des parties et la jurisprudence applicable, je ne vois aucun avantage à ce que cette allégation soit examinée dans le cadre d’une audience. Elle devrait être radiée, car aucun pouvoir n’a été délégué, et le pouvoir de délivrer des permis et de gérer les pêches dans l’intérêt public revient en dernier ressort au ministre des Pêches et des Océans.

[111] Je souscris à bon nombre des arguments présentés par le LMG et le PGC. Premièrement, à la lecture de l’Entente et de l’Entente-cadre, aucun pouvoir ministériel n’a été délégué – que ce soit entre les deux ministres défendeurs ou entre l’un d’eux et le LMG. La collaboration des deux ministres et de leurs fonctionnaires ministériels respectifs aux négociations ayant mené à l’Entente ne signifie pas qu’il y a eu délégation illégale de pouvoirs. Dans la mesure où ces pourparlers concernaient des questions de droits ancestraux et issus de traités, il convient de répéter que l’obligation de chercher à négocier sur de telles questions repose sur la Couronne et ne peut être l’apanage d’un seul ministre.

[112] En ce qui concerne les facteurs énoncés dans la Loi sur les pêches que le ministre doit prendre en considération dans la prise de décision, la loi comprend plusieurs dispositions pertinentes. L’article 2.3 dispose que la Loi maintient les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35, et l’article 2.4 oblige le ministre à tenir compte des effets préjudiciables sur ces droits lorsqu’il prend une décision sous le régime de la Loi.

[113] L’article 2.5 énumère plusieurs facteurs que le ministre « peut » prendre en considération, y compris la durabilité des pêches (art b)), les connaissances autochtones (art d)), les connaissances des collectivités (art e)), ainsi que les facteurs sociaux, économiques et culturels (art g)). À la lecture de l’Entente, il n’y a aucune raison de croire que le ministre a « cédé » son pouvoir de tenir compte des facteurs pertinents lorsqu’il prend une décision sous le régime de la Loi.

[114] Comme l’a fait remarquer le PGC, c’est au ministre que revient le pouvoir final de délivrer des permis au titre de l’Entente. Dans l’exercice de ce pouvoir, il doit tenir compte des recommandations formulées dans le cadre de l’approche fondée sur la gestion commune prévue dans l’Entente, mais c’est le ministre qui a le dernier mot. Il n’est pas valable de soutenir qu’en ajoutant aux contributions et facteurs que le ministre doit considérer, que le ministre a en quelque sorte abrogé ou abandonné les pouvoirs, les responsabilités et les obligations qui lui incombent en vertu de la Loi sur les pêches.

[115] Les demandeurs soulèvent deux autres préoccupations générales concernant les modalités de l’Entente. Premièrement, ils s’inquiètent de la création d’un régime de gestion des pêches « parallèle », étant donné qu’il s’agit d’une ressource limitée et partagée. Ils s’opposent à la reconnaissance des lois du LMG (ou mi’gmaq) concernant la gestion des pêches. Dans le même ordre d’idées, les demandeurs sont préoccupés par les effets de l’Entente sur la durabilité des pêches dans son ensemble, à titre de ressource partagée. Je ne suis pas convaincu que l’un ou l’autre de ces arguments a une chance de succès, compte tenu des modalités mêmes de l’Entente.

[116] Premièrement, comme l’a souligné le PGC, les pouvoirs de gestion reconnus par l’Entente sont limités aux pêches du LMG. Ainsi, en vertu de l’Entente, le Canada a accepté que le LMG, dans l’exercice du droit collectif ou communautaire de pêcher en vertu d’un permis communautaire délivré par le ministre, puisse adopter des lois qui régissent la manière dont les membres de la communauté peuvent participer à cette pêche. Il ne fait aucun doute que le droit de pêche ancestral ou issu de traités dont il est question en l’espèce est un droit collectif ou communautaire : Sparrow, à la p 1112; Marshall II, aux para 13‑14. Un des aspects des droits collectifs ancestraux ou issus de traités est le droit de la collectivité de contrôler la façon dont ses membres exercent ces droits : R c Sundown, [1999] 1 RCS 393 au para 36; Bernard c La Reine, 2017 NBCA 48 au para 58; Metallic v Listuguj Mi’gmaq Government (19 juin 2013), Bonaventure no 105-17-000357-120 (QCSC) aux para 9-12; Canadian National Railway Company c Brant, 2009 CanLII 32911 (ONSC) aux para 48-51.

[117] Bien que les demandeurs puissent être préoccupés par les effets de l’Entente sur leurs intérêts de participer à la pêche, rien en droit ne permet de remettre en question le pouvoir des ministres de conclure l’Entente, et je conclus que leurs arguments sur ce point sont voués à l’échec. Compte tenu de cette conclusion, cet aspect de leur demande sera radié.

c) Les allégations portant sur le processus

[118] Dans leurs arguments sur le processus, les demandeurs abordent différents aspects, qui se résument à deux points principaux. Premièrement, ils contestent le fait qu’ils n’ont pas été consultés au sujet des négociations ayant mené à l’Entente ou qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’y participer. Deuxièmement, ils affirment que la ministre des Pêches et des Océans aurait dû publier les modalités de l’Entente dans la Gazette du Canada avant qu’elle ne soit finalisée, puis une autre fois après sa signature. S’il l’avait fait, le public aurait eu la possibilité d’être consulté et de donner son opinion.

[119] Le premier argument figure au sous‑alinéa 2c)vi. de l’avis de demande de contrôle judiciaire des demandeurs :

DÉCLARER que, en reconnaissant l’existence de droits ancestraux et issus de traités ainsi qu’un droit à l’autonomie et l’autogestion dans les pêches, sans avoir consulté et entendu de manière équitable l’ensemble des intéressés, la ministre des Pêches et Océans et la ministre des Relations Couronne-Autochtones n’ont pas rempli leur devoir d’agir dans l’intérêt public, au bénéfice de tous les Canadiens, dans le but d’atteindre et de préserver l’équité sur les plans économique et régional, contrairement aux principes énoncés dans les arrêts [Gladstone et Lax Kw’alaams].

[120] Deuxièmement, les demandeurs allèguent que diverses dispositions de la Listuguj Mi’gmaq First Nations Law on the Lobster Fishery and Lobster Fishing Law No. 2019-01 [Loi sur le homard du LMG] reprennent certaines dispositions de la Loi sur les pêches ou du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS 93-53. Les demandeurs sollicitent un jugement déclarant que l’Entente donne à la loi du LMG un effet équivalent à ces dispositions législatives ou réglementaires. Selon les demandeurs, plusieurs conséquences découleraient d’un tel jugement déclaratoire : le pouvoir exclusif du ministre des Pêches et des Océans aurait été usurpé et/ou limité et la ministre aurait outrepassé ses pouvoirs en ne publiant pas les modalités de l’Entente dans la Gazette du Canada tant avant qu’après sa conclusion, comme l’exigent les paragraphes 4.1(5) et 4.1(8) de la Loi sur les pêches.

(i) Les observations des parties

[121] Le LMG formule deux arguments principaux contre les allégations des demandeurs. Premièrement, il soutient que les demandeurs tentent d’élever leur privilège limité de participer à la pêche à quelque chose qui s’apparente à l’obligation de consulter les Premières Nations. Deuxièmement, il fait valoir que les arguments des demandeurs concernant le processus sont essentiellement politiques et ont déjà été rejetés par notre Cour dans le litige relatif au homard et par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Marshall II.

[122] Selon le LMG, il faut commencer par reconnaître la nature et le statut différents des droits de la communauté de participer à la pêche par rapport aux droits revendiqués par les demandeurs. Tandis que la participation du LMG repose sur les droits ancestraux et issus de traités reconnus par la Constitution, les droits des demandeurs sont assujettis au pouvoir discrétionnaire du ministre. À l’appui de cette affirmation, le LMG renvoie aux décisions ayant reconnu exactement cet argument, dont la décision Potlotek First Nation v Canada (Attorney General), 2021 NSSC 283 [Potlotek]. De plus, le LMG se fonde sur des décisions où les tribunaux ont reconnu que les pêcheurs non autochtones n’ont aucun intérêt propriétal sur les quotas de pêche non attribués ou sur les poissons non pêchés (Canada c 100193 PEI INC, 2016 CAF 280 au para 15) et qu’il n’y a aucun droit acquis à une part de quota donnée pour des espèces en particulier, car l’attribution annuelle est conférée au ministre, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire très vaste (Anglehart c Canada, 2018 CAF 115 [Anglehart CA] au para 44 (autorisation de pourvoi à la CSC rejetée : 2019 CanLII 21181)).

[123] Sur la foi de cette jurisprudence bien établie, le LMG affirme que l’argument des demandeurs en ce qui concerne le processus est essentiellement politique et devrait donc être rejeté. À cet égard, le LMG souligne que, dans l’avis de demande, les demandeurs soutiennent que l’Entente aura pour conséquence que le ministre prendra des décisions contraires au principe de la conservation des pêches, et ils affirment qu’ils auraient dû être entendus avant que le document soit finalisé. Le LMG souligne que le RPPSG et l’UPM ont formulé des arguments très semblables dans leur requête en autorisation d’intervenir dans le litige relatif au homard, qui ont été rejetés au motif qu’ils étaient politiques plutôt que juridiques : Listuguj Mi’gmaq Government c Canada (Attorney General and Minister of Fisheries, Oceans, and the Canadian Coast Guard), non publiée, 4 octobre 2021, no de dossier : T-1722-19. Qui plus est, l’idée qu’il y a une espèce d’équivalence entre les droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution et les droits des pêcheurs commerciaux non autochtones a été carrément rejetée dans l’arrêt Marshall II, au paragraphe 45.

[124] Le LMG soutient que le ministre des Pêches et des Océans peut tenir compte des intérêts des pêcheurs non autochtones, mais n’y est pas tenu. Au vu des faits en l’espèce, rien n’indique que la ministre ne l’a pas fait, et la jurisprudence reconnaît clairement que le ministre peut favoriser un groupe au détriment d’un autre lorsqu’il prend des décisions concernant les permis et l’attribution de quota : Anglehart c Canada, 2016 CF 1159 au para 162; conf par Anglehart CA, au para 47.

[125] En ce qui concerne l’argument sur la Gazette du Canada, le LMG affirme qu’il est voué à l’échec, car l’Entente n’est pas le genre d’accord qui est visé aux articles 4.1 et 4.2 de la Loi sur les pêches, et l’Entente ne prévoit pas que les lois du LMG sont équivalentes aux dispositions de la Loi sur les pêches ou de ses règlements. En effet, l’Entente prévoit expressément que [traduction] « le Canada ne prend pas position au sujet du contenu des lois du LMG » et qu’« [aucune] disposition de l’Entente n’a d’incidence sur l’application des lois ou des règlements fédéraux » (aux articles 6.3 et 9.7).

[126] Pour tous ces motifs, le LMG soutient que ces allégations dans l’avis de demande de contrôle judiciaire devraient également être radiées, car elles n’ont aucune chance de succès à l’audience sur le fond.

[127] Le PGC est d’avis que la ministre avait le pouvoir discrétionnaire de consulter d’autres groupes, mais qu’aucune loi ni aucun principe constitutionnel ne l’obligeait à le faire. La ministre n’a pas consulté d’autres groupes autochtones, car la portée de l’Entente est limitée aux droits et intérêts du LMG.

[128] Le PGC fait valoir que les droits reconnus par l’article 35 existent déjà et sont confirmés par la Loi constitutionnelle de 1982, et que l’arrêt Marshall II confirme que la définition de la portée et du sens de ces droits ne dépend pas de l’effet sur d’autres groupes. Ni la Constitution ni tout autre texte de loi n’oblige le ministre à consulter des groupes non autochtones. Le PGC affirme que l’argument des demandeurs sur ce point ne tient pas compte du fait qu’il y a une énorme différence entre ce que la Constitution exige et ce qui pourrait être souhaitable d’un point de vue politique.

[129] Les demandeurs soutiennent que cet aspect de leur allégation est fermement ancré dans la jurisprudence actuelle de la Cour suprême du Canada, qui a conclu que lorsque la reconnaissance ou la mise en œuvre de droits ancestraux ou issus de traités a pour effet de porter atteinte à d’autres droits, ces autres droits doivent être pris en considération dans le processus de négociation : citant Marshall II, aux para 40-41; Gladstone, aux para 73‑75; Lax Kw’alaams, aux para 11-12. Les demandeurs affirment que les ministres n’ont pas respecté leurs obligations d’équité procédurale, car les négociations ayant mené à l’Entente se sont déroulées en secret, aucune ébauche n’a été publiée à l’avance et aucune autre partie intéressée n’a été consultée, y compris les personnes représentées par les demandeurs.

[130] Les demandeurs soutiennent que, dans le contexte de négociations menant à la reconnaissance par le Canada d’un droit de pêche ancestral et issu de traités, à durée indéterminée, l’équité exige qu’ils soient consultés ou aient la possibilité de donner leur avis. La première obligation du ministre des Pêches et des Océans est de conserver les ressources halieutiques et, suivant l’article 2.5 de la Loi sur les pêches, ce dernier devait tenir compte de plusieurs facteurs, notamment la durabilité des pêches, l’information scientifique et les connaissances des collectivités. Pour respecter cette obligation, la ministre devait faire preuve d’équité procédurale envers les demandeurs, ce qu’elle n’a pas fait.

[131] À cet égard, les demandeurs rappellent les faits : les négociations se sont déroulées en secret; il n’y a eu ni consultation publique à plus grande échelle ni possibilité de présenter des observations; les modalités de l’Entente n’ont été rendues publiques que des mois après sa signature. Cette façon de procéder soulève une question d’équité procédurale qui devrait être examinée par le juge chargé d’instruire la demande de contrôle judiciaire.

[132] À titre subsidiaire, et dans le cas où la Cour conclut que la ministre avait le pouvoir de négocier et signer les ententes, les demandeurs affirment que la ministre n’a pas respecté l’exigence prévue à l’article 4.2 de la Loi sur les pêches de publier l’entente proposée dans la Gazette du Canada. Les demandeurs affirment que l’objectif de cette mesure est de permettre aux autres personnes qui ont un intérêt dans l’affaire de formuler des observations avant que les modalités de l’entente soient finalisées. Les demandeurs soutiennent que l’Entente est visée par cette disposition, parce qu’elle reconnaît les lois adoptées par le LMG relativement aux pêches et que les modalités prévoyant une gestion commune reflètent la volonté et l’intention du ministre de respecter les lois du LMG. Malgré les dispositions « de sauvegarde » indiquant que rien dans l’Entente ne peut être interprété comme ayant une incidence sur le pouvoir du ministre conféré par la Loi sur les pêches, il est évident que bon nombre des dispositions de la Loi sur le homard du LMG ainsi que de la Law to Make Provision for an Aboriginal Ranger Service for the Listuguj Mi’gmaq Ranger Law First Nation (Loi prévoyant le Service de garde-pêche autochtone de la Première Nation mi’gmaq de Listuguj) ont des effets qui sont semblables au régime législatif et réglementaire fédéral. Dans l’avis de demande, les demandeurs énumèrent une série de dispositions qui selon eux reproduisent ou chevauchent celles de la Loi sur les pêches et de ses règlements.

[133] Sur ce fondement, les demandeurs affirment que la ministre a outrepassé ses pouvoirs en ne publiant pas l’entente proposée dans la Gazette du Canada avant qu’elle soit finalisée. Ils affirment qu’en ne publiant pas l’ébauche d’entente, les pêcheurs non autochtones et les organisations qui les représentent n’ont pas eu la possibilité de formuler des observations sur les modalités de l’Entente. Les demandeurs soutiennent que ce manquement à la Loi sur les pêches a pour effet de rendre l’Entente nulle et sans effet juridique.

[134] Pour clore ce point, les demandeurs font valoir que leurs arguments concernant le processus et le défaut de publier dans la Gazette du Canada soulèvent des questions de fond qui devraient être tranchées par le juge chargé d’instruire la demande de contrôle judiciaire. Selon eux, ces allégations ne sont pas vouées à l’échec et ne devraient pas être radiées.

(ii) Discussion

[135] Je ne suis pas convaincu que l’argument des demandeurs au sujet du processus suivi pour négocier l’Entente est voué à l’échec, pour les motifs que j’expliquerai ci‑dessous. Toutefois, l’argument concernant le défaut de publier l’ébauche d’entente dans la Gazette du Canada n’a aucun fondement et sera radié.

[136] Je suis d’accord avec le LMG pour dire qu’il est extrêmement important pour l’évaluation de cette allégation de commencer par reconnaître que ses droits ancestraux et issus de traités sont complètement différents des droits revendiqués par les demandeurs. Toutefois, je ne suis pas convaincu que l’argument des demandeurs sur ce point repose sur une quelconque fausse équivalence. En fait, de ce que je comprends de leur argument, les demandeurs affirment que l’Entente a des répercussions importantes et d’une grande portée et que la Couronne devait donner la possibilité à toute personne touchée par l’Entente de donner son avis. À l’appui, les demandeurs se fondent sur la jurisprudence qui reconnaît que les droits ancestraux et issus de traités au Canada ne doivent pas être pris isolément, mais doivent plutôt être exercés dans le contexte de la société dans son ensemble et que, dans certaines circonstances, l’intérêt du public en général peut l’emporter sur le droit garanti par l’article 35 revendiqué.

[137] La jurisprudence invoquée par les demandeurs donne des exemples utiles. Dans l’arrêt Gladstone, qui portait sur le droit ancestral de vendre de la rogue de hareng sur varech, la Cour suprême du Canada a reconnu ce droit ancestral, a estimé que le régime de réglementation applicable ne le respectait pas, mais a conclu qu’un nouveau procès devait être tenu pour déterminer si le régime de réglementation était justifié. Dans leur décision, les juges majoritaires ont discuté de l’approche fondée sur la justification des restrictions des droits ancestraux et de la pertinence des éléments à considérer relativement à l’intérêt public en général :

73. Les droits ancestraux sont reconnus et confirmés par le par. 35(1) afin de concilier l’existence, en Amérique du Nord, de sociétés autochtones distinctives avant l’arrivée des Européens avec l’affirmation par Sa Majesté de sa souveraineté sur ce territoire. Ils constituent le moyen de préserver les éléments fondamentaux qui font partie intégrante de ces sociétés. Cependant, comme les sociétés autochtones distinctives existent au sein d’une communauté sociale, politique et économique plus large, communauté dont elles font partie et sur laquelle s’exerce la souveraineté de Sa Majesté, il existe des circonstances où, dans la poursuite d’objectifs importants ayant un caractère impérieux et réel pour l’ensemble de la communauté (compte tenu du fait que les sociétés autochtones font partie de celle-ci), certaines restrictions de ces droits sont justifiables. Les droits ancestraux sont un élément nécessaire de la conciliation de l’existence des sociétés autochtones avec la communauté politique plus large à laquelle ces dernières appartiennent. Les limites imposées à ces droits sont également un élément nécessaire de cette conciliation, si les objectifs qu’elles visent sont suffisamment importants pour la communauté dans son ensemble.

[Souligné dans l’original.]

[138] Dans l’arrêt Gladstone, la Cour a également reconnu que, lorsqu’il prend des décisions concernant la répartition des ressources, le gouvernement doit démontrer qu’il a tenu compte de l’existence des droits ancestraux, c’est‑à‑dire que le pouvoir réglementaire a été exercé d’une manière qui respecte le fait que les droits des peuples autochtones ont priorité sur les droits des autres usagers. Au paragraphe 62, la Cour a affirmé que ce droit est à la fois procédural et substantiel.

[139] Dans l’arrêt Marshall II, la Cour suprême a reconnu que l’objectif prépondérant de la réglementation est la conservation de la ressource et que cette responsabilité incombe exclusivement au ministre et non aux personnes autochtones et non autochtones qui exploitent la ressource (au para 40). Dans un passage semblable à celui cité de l’arrêt Gladstone, ci‑dessus, la Cour a affirmé :

41.c) Le pouvoir du ministre s’étend à d’autres objectifs d’intérêt public réels et impérieux, par exemple, la poursuite de l’équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur les ressources halieutiques et participent à leur exploitation. Le pouvoir de réglementation du ministre ne se limite pas à la conservation. Ce fait est reconnu par l’appelant Marshall dans les observations qu’il a présentées en opposition à la requête de la Coalition. Ce dernier reconnaît [traduction] « qu’il est clair que des restrictions peuvent être imposées pour conserver les espèces ou les stocks exploités et pour assurer la sécurité du public ». L’avocat de Marshall poursuit en disant ceci : [traduction] « De même, les préférences des Autochtones en matière de récolte des ressources, ainsi que la dépendance d’une communauté ou d’une région non autochtone vis‑à‑vis d’une ressource donnée peuvent être prises en compte dans l’élaboration des régimes de réglementation » (nous soulignons). Dans Sparrow, précité, à la p. 1119, notre Cour a dit ceci : « Nous ne nous proposons pas de présenter une énumération exhaustive des facteurs à considérer dans l’appréciation de la justification. » Il appartient à l’État d’indiquer quels sont les mécanismes de contrôle ou de surveillance justifiés aux fins de gestion de la ressource, et de préciser pourquoi ils sont justifiés. Dans l’arrêt Gladstone, précité (et mentionné au par. 57 de l’opinion majoritaire du 17 septembre 1999), le Juge en chef a fait des observations sur les différences qui existent entre la pêche de subsistance autochtone et la pêche commerciale autochtone, et il a dit ceci, au par. 75 :

Bien que je n’entende aucunement me prononcer de façon définitive sur cette question, je dirais qu’en ce qui concerne la répartition de ressources halieutiques données, une fois que les objectifs de conservation ont été respectés, des objectifs tels que la poursuite de l’équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur ces ressources et participent à leur exploitation, sont le genre d’objectifs susceptibles (du moins dans les circonstances appropriées) de satisfaire à cette norme. Dans les circonstances appropriées, de tels objectifs sont dans l’intérêt de tous les Canadiens et, facteur plus important encore, la conciliation de l’existence des sociétés autochtones avec le reste de la société canadienne pourrait bien dépendre de leur réalisation.

[Italique et souligné dans l’original.]

[140] Ces passages, ainsi que d’autres conclusions semblables, permettent de dégager plusieurs principes directeurs essentiels qui s’appliquent à l’analyse de l’allégation des demandeurs concernant le processus. Premièrement, il est évident que, dans les décisions antérieures, les tribunaux ont accordé beaucoup d’attention à l’obligation du gouvernement de consulter les titulaires de droits ancestraux ou les personnes qui revendiquent des droits, pour la simple raison que cette obligation n’a souvent pas été respectée et qu’il a fallu une série d’ordonnances judiciaires exigeant que ces personnes soient consultées pour clarifier la nature de l’obligation.

[141] Un deuxième important principe directeur est que, dans la répartition des ressources limitées, la priorité est accordée aux droits protégés par la Constitution des peuples autochtones, ancestraux ou issus de traités. Dans l’arrêt Marshall II et d’autres décisions, les tribunaux ont souligné que les droits protégés par l’article 35 ne doivent pas être jugés équivalents aux droits revendiqués par les personnes qui exploitent les ressources et dont les allégations ne sont pas fondées sur des droits protégés par la Constitution. Dans certains cas, il faut procéder à un examen complexe des revendications de droits qui se chevauchent ou se recoupent parmi différents groupes autochtones. Or, le fait est que les droits garantis par l’article 35 ont la priorité et ne devraient pas être restreints simplement parce que leur donner effet limite d’une quelconque façon les ressources disponibles pour les personnes non autochtones qui l’exploitent.

[142] Bien que cette priorité ait été reconnue, la jurisprudence confirme que les droits garantis par l’article 35 sont exercés dans le contexte d’une société plus large et qu’il y aura souvent de la concurrence pour avoir accès à une ressource limitée. En pareilles circonstances, et compte tenu de l’objectif général de « conciliation de l’existence des sociétés autochtones avec le reste de la société canadienne » (Gladstone, au para 75), il est légitime pour les gouvernements de tenir compte « d’autres objectifs d’intérêt public réels et impérieux, par exemple, la poursuite de l’équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur les ressources halieutiques et participent à leur exploitation » (Marshall II, au para 41).

[143] Dans le cas qui nous occupe, ces principes m’amènent à conclure que les allégations des demandeurs concernant le processus ne sont pas dénuées de fondement au point d’être radiées à cette étape préliminaire. Sur cette question, il est important d’examiner l’argument des demandeurs dans le contexte des négociations ayant mené à l’Entente. J’ai déjà conclu que la contestation fondamentale par les demandeurs des hypothèses qui sous-tendent l’approche du gouvernement fondée sur la reconnaissance de droits devait être radiée. Toutefois, cette conclusion ne diminue pas la force de certains aspects de leur argument sur la façon dont cette approche a été appliquée en l’espèce.

[144] En effet, il est indéniable que la portée des droits reconnus par les arrêts Marshall a fait l’objet de litiges, mais n’a pas été tranchée définitivement : voir, par exemple, R c Marshall; R. c Bernard, 2005 CSC 43; Potlotek First Nation v Canada (Attorney General), 2021 NSSC 283 [Potlotek]; Anglehart CA. Dans certains de ces litiges, des pêcheurs non autochtones ont contesté les mesures prises par le gouvernement fédéral pour favoriser la participation des peuples autochtones dans les diverses activités de pêche. Comme je l’ai déjà indiqué, la présente affaire constitue, à certains égards, un nouveau chapitre de cette histoire.

[145] Cela démontre, à tout le moins, que le gouvernement fédéral savait que les personnes représentées par les demandeurs avaient des intérêts dans la pêche et à l’égard des décisions qui pourraient avoir une incidence sur la répartition des ressources ou accroître l’accès aux ressources pour certains pêcheurs. En l’espèce, le gouvernement savait depuis le début que les groupes demandeurs avaient un intérêt dans la pêche. En tout état de cause, ils ne sont pas de simples badauds ou des parasites qui se mêlent de tout.

[146] Dans le même ordre d’idées, les tribunaux ont reconnu que les droits ancestraux et issus de traités sont propres à un groupe et un lieu. Les droits précis protégés par l’article 35 sont ancrés dans l’histoire d’un groupe particulier, souvent limité à un lieu précis (désigné par les pratiques historiques ou les modalités du traité), et ils doivent être revendiqués et prouvés avant que le tribunal puisse les reconnaître et les protéger : voir, par exemple, Lax Kw’alaams, au para 72; Ktunaxa Nation, au para 84. Bien que j’aie rejeté l’affirmation selon laquelle ces concepts limitent la portée du pouvoir du gouvernement de négocier avec des groupes autochtones en particulier dans le but de régler les revendications de droits, j’estime que ces principes et concepts juridiques sont des éléments dont il faut tenir compte dans l’évaluation du bien-fondé des allégations des demandeurs relativement au processus.

[147] Un des aspects principaux de la plainte des demandeurs au sujet de l’Entente est que le gouvernement a reconnu des droits qui n’ont pas encore été officiellement reconnus par les tribunaux et que, ce faisant, il n’a pas imposé de limites à l’étendue des droits ou à la manière de les exercer comme il aurait été tenu de le faire si les droits avaient été revendiqués et reconnus par les tribunaux. En réponse, le LMG affirme que les arguments des demandeurs sont voués à l’échec, car ils sont essentiellement politiques, font fi du statut protégé par la Constitution des droits du LMG et sont contraires au pouvoir du ministre d’accorder la priorité à certains groupes lorsqu’il répartit l’accès aux ressources halieutiques.

[148] Je ne suis pas convaincu que les allégations des demandeurs devraient être radiées à cette étape au motif qu’elles sont purement politiques. Le LMG soutient que le RPPSG et l’UPM (deux des demandeurs en l’espèce) ont avancé des arguments semblables dans leur requête en autorisation d’intervenir dans le litige relatif au homard, mais que ceux-ci ont été rejetés au motif qu’ils étaient politiques plutôt que juridiques. Il affirme que les allégations en l’espèce devraient subir le même sort. Je ne suis pas convaincu que la décision à l’égard de leur requête en autorisation d’intervenir s’applique aussi clairement en l’espèce. Entre autres, cette affaire concernait la contestation d’une décision prise par la ministre relativement à la délivrance de permis spécifiques. Les arguments invoqués pour intervenir auraient dû viser exclusivement ce processus décisionnel, mais la Cour a plutôt conclu que les intervenants proposés soulevaient des questions et des arguments qui dépassaient le cadre du litige entre les parties.

[149] En l’espèce, à l’inverse, les demandeurs affirment qu’ils ont été injustement et incorrectement exclus du processus ayant mené à la conclusion d’une entente générale entre la Couronne fédérale et le LMG et qui, comme les parties en conviennent, vise à établir et à maintenir une relation de collaboration dans la gestion des pêches du LMG. Il convient de répéter que les demandeurs ne contestent aucune décision prise dans le cadre de l’Entente. Ils contestent plutôt le processus ayant mené à la négociation et la conclusion de l’Entente. Il s’agit d’une contestation complètement différente de celle en cause dans le litige relatif au homard, et les allégations des demandeurs concernant le processus doivent être examinées à la lumière de la nature essentielle de la contestation qu’ils soulèvent.

[150] Le LMG soutient également que l’allégation des demandeurs concernant le processus devrait être rejetée, car la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est ultimement une tentative de maintenir la situation historique – une situation où les droits ancestraux et issus de traités étaient ignorés et où les peuples autochtones étaient exclus des activités de pêche ou avaient seulement un accès minimal aux pêches. Bien que je puisse comprendre pourquoi le LMG a avancé cet argument, compte tenu de la façon dont les demandeurs ont exprimé certains de leurs arguments, j’estime que le LMG interprète mal la nature essentielle de l’allégation des demandeurs concernant le processus.

[151] Selon moi, la nature essentielle de l’allégation des demandeurs concernant le processus est qu’il n’a pas encore été déterminé en droit dans quelle mesure le gouvernement doit consulter et inclure les personnes non autochtones ayant un intérêt dans l’affaire avant de conclure une entente qui reconnaît ou met en œuvre des droits ancestraux ou issus de traités garantis par l’article 35, qui n’ont pas encore été confirmés par les tribunaux. Les demandeurs soutiennent qu’étant donné que les ressources naturelles sont limitées et que des personnes non autochtones participent à l’exploitation de ces ressources, le gouvernement doit faire preuve d’équité procédurale afin que leurs intérêts – aussi limités soient‑ils – puissent être compris et pris en compte.

[152] Un argument similaire a été retenu dans la décision Potlotek, qui portait sur une requête présentée par la Unified Fisheries Conservation Alliance [la UFCA] en vue d’intervenir dans une demande intentée par la Première Nation Potlotek contre le ministre des Pêches et des Océans. Cette affaire s’inscrit dans le cadre des litiges en cours liés à la mise en œuvre des arrêts Marshall. La UFCA a demandé à intervenir dans le litige, car elle était préoccupée par les effets potentiels d’une décision reconnaissant des droits de pêche à la Première Nation Potlotek sur la participation de ses membres dans les pêches. À cet égard, la situation factuelle ressemble quelque peu à celle dont la Cour est saisie en l’espèce.

[153] En accueillant la requête en intervention, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a donné des indications utiles sur les intérêts particuliers des parties et de l’intervenante, ainsi qu’une perspective pratique sur les répercussions à long terme de la reconnaissance des droits :

[traduction]

[53] Je suis convaincu que l’intervention de la UFCA ne portera pas préjudice aux parties à l’instance. Mes raisons sont les suivantes :

1. L’intervention de la UFCA ne sera pas autorisée à servir de chambre d’écho ou de porte-voix pour permettre au procureur général du Canada de répéter ou amplifier injustement sa position au détriment de la Première Nation Potlotek. Je souligne qu’il faut établir une distinction entre les priorités et les fonctions de la UFCA et celles du gouvernement fédéral. Les membres de la UFCA sont engagés dans une entreprise commerciale dont l’objectif principal est d’accéder aux ressources halieutiques, de les protéger et de les monnayer. L’objectif du procureur général du Canada est différent et plus large, concerne des préoccupations politiques plus vastes et vise davantage de sujets, comme l’application de la loi et la gestion des ressources. Les expériences, les priorités et les perspectives de la UFCA sont suffisamment différentes de celles du procureur général du Canada (et du MPO) pour éviter toute duplication ou répétition injuste. En outre, s’il y a des signes d’abus, la Cour garde un certain contrôle pour garantir l’équité procédurale;

2. Les ressources halieutiques sont limitées et devront inévitablement être partagées entre des groupes autochtones, comme la Première Nation Potlotek, et des groupes non autochtones. Cette réalité est renforcée dans les observations écrites de la Première Nation Potlotek, qui confirment qu’elle « ne cherche pas à devenir propriétaire des permis commerciaux détenu par les membres de la UFCA, ni à modifier la loi ou les conditions d’octroi des permis applicables aux membres de la UFCA » (page 18). Cette affirmation concerne la question de savoir si la UFCA peut revendiquer un intérêt économique valable dans l’instance. Cependant, elle confirme également que la pêche commerciale non autochtone restera en place, que les pêcheurs autochtones et non autochtones interagiront sur l’eau et que le partage des ressources halieutiques est inévitable. Cela ne signifie pas que les droits qui permettent à une personne d’accéder à cette ressource sont identiques ou égaux. Les droits issus de traités de la Première Nation Potlotek bénéficient d’une protection constitutionnelle. Ce fait mérite d’être reconnu et respecté. Les droits d’accès à la pêche dont jouissent les membres de la UFCA découlent principalement d’une question de permis ou de privilège, et non de la Constitution. Ils ne sont ni identiques ni égaux, et toute notion d’« équité » doit reconnaître cette distinction. Je suis convaincu que cette distinction sera reconnue à juste titre sans donner lieu à un préjudice grave et être source d’exclusion.

[154] Je reconnais que la décision Potlotek porte sur une requête en intervention, et qu’elle ne s’applique donc pas directement à l’espèce, mais j’estime que l’analyse exposée présente certains parallèles avec les éléments qui sont d’intérêt pour la question dont je suis saisi.

[155] Comme dans la décision Potlotek, les demandeurs en l’espèce représentent des pêcheurs qui sont engagés dans [traduction] « une entreprise commerciale dont l’objectif principal est d’accéder aux ressources halieutiques, de les protéger et de les monnayer ». Comme dans la décision Potlotek, l’objectif du ministre en l’espèce est différent et plus large, et concerne des préoccupations politiques liées à un objectif général de réconciliation, ainsi qu’un engagement à assumer les responsabilités légales associées à la conservation du poisson et de son habitat et à l’application responsable du régime réglementaire afin d’atteindre ces objectifs. Les demandeurs apportent une expérience et un point de vue différents à la table, et la question de savoir si les ministres avaient l’obligation – constitutionnelle ou autre – de les consulter ou de les faire participer au processus de négociation et à la signature de l’Entente n’a jamais été tranchée par les tribunaux.

[156] Enfin, comme dans la décision Potlotek, il est important de souligner deux mises en garde :

  • S’il existe une obligation pour les ministres de faire participer les demandeurs au processus de négociation, cette obligation n’est en aucun cas équivalente à l’obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones. Ces deux obligations sont complètement différentes et ne devraient pas être comparées ou confondues;

  • Bien qu’il soit inévitable que le LMG et les pêcheurs non autochtones interagiront sur l’eau et partageront une ressource commune, cela ne veut pas dire que les droits de ces deux groupes sont analogues ou équivalents. Les droits revendiqués par le LMG et reconnus dans l’Entente méritent d’être reconnus et respectés. Les intérêts invoqués par les demandeurs reposent sur un permis ou un privilège, et ils dépendent du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[157] Une autre décision pertinente étaye ma conclusion selon laquelle l’allégation concernant le processus ne devrait pas être radiée à cette étape de l’instance. Dans l’arrêt Gladstone, la Cour a donné un sens à la priorité qui doit être accordée aux droits ancestraux en imposant deux différents types d’obligations aux gouvernements :

62. Lorsque le droit ancestral en cause n’est pas assorti de limite intrinsèque, la doctrine relative à l’ordre de priorité n’exige pas que, une fois les objectifs de conservation respectés, l’État répartisse la ressource de façon à ce que ceux qui détiennent un droit ancestral d’exploiter commercialement la ressource se voient accorder le droit exclusif de le faire. Au contraire, cette doctrine commande que l’État démontre que, dans la répartition de la ressource, il a tenu compte de l’existence des droits ancestraux et réparti la ressource d’une manière qui respecte le fait que les titulaires de ces droits ont, en matière d’exploitation de la pêcherie, priorité sur les autres usagers. Il s’agit d’un droit à la fois substantiel et procédural. À l’étape de la justification, l’État doit démontrer que les modalités de répartition de la ressource ainsi que la répartition elle-même reflètent l’intérêt prioritaire des titulaires des droits ancestraux à l’égard de cette pêcherie.

[Non souligné dans l’original.]

[158] Comme je l’ai déjà dit, la discussion sur l’ordre de priorité dans l’arrêt Gladstone et d’autres décisions subséquentes était principalement axée sur la nécessité de veiller à ce que les droits et intérêts des peuples autochtones soient respectés, tout en reconnaissant que les ressources sont utilisées par d’autres personnes. Les parties n’ont renvoyé à aucune décision portant sur la question de savoir si des obligations de procédure ou de fond obligent les gouvernements à prendre en compte les intérêts des personnes non autochtones qui exploitent la ressource, et je ne connais aucune décision dans laquelle cette question a été tranchée.

[159] Par conséquent, je suis d’avis que l’on peut se demander s’il existe des aspects procéduraux à l’obligation imposée aux gouvernements de tenir compte des intérêts des titulaires de droits autochtones et des autres personnes qui utilisent la ressource ou en dépendent lorsqu’ils prennent des décisions sur la répartition. Selon moi, puisque la signature de l’Entente établit un nouveau cadre régissant l’exercice par le ministre des Pêches et des Océans de ses obligations et responsabilités réglementaires, la question de savoir si la Couronne fédérale a l’obligation de consulter les personnes ou groupes non autochtones qui participent à la pêche demeure entière.

[160] Au vu de ces considérations, je ne suis pas convaincu que l’allégation des demandeurs concernant le processus est inévitablement vouée à l’échec. Bien que l’allégation qu’ils formulent soit quelque peu inédite, il ne s’agit pas, en soi, d’un motif pour la radier : R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 [Imperial Tobacco]; Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 à la p 980; Société des loteries de l’Atlantique Inc c Babstock, 2020 CSC 19 [Loteries de l’Atlantique] au para 19. Dans le cas contraire, l’évolution du droit serait paralysée sans raison valable.

3) Conclusion sur la requête en radiation

[161] Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que les éléments suivants de l’avis de demande devraient être radiés, car ils n’ont aucune chance raisonnable de succès :

  • La contestation de l’approche fondée sur la reconnaissance de droits;

  • La contestation visant la délégation illégale de pouvoirs;

  • L’allégation selon laquelle l’Entente est invalide parce qu’elle n’a pas été publiée dans la Gazette du Canada.

[162] Toutefois, je conclus que l’allégation des demandeurs concernant le processus ne devrait pas être radiée à cette étape.

[163] Je me penche maintenant sur la deuxième requête dont je suis saisi, celle que les demandeurs ont déposée et dans laquelle ils sollicitent la communication de documents supplémentaires.

C. La requête en communication de documents supplémentaires du demandeur

1) La requête en communication

[164] La Cour est également saisie de la requête présentée par les demandeurs au titre de l’article 318 des Règles pour obtenir des documents supplémentaires.

[165] Dans leur avis de demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont énuméré 125 documents sur lesquels ils s’appuient et ont également demandé que les ministres leur fassent parvenir des documents classés dans huit catégories, conformément à l’article 317 des Règles. L’article 317 des Règles prévoit que toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande.

[166] Comme le PGC a déposé un avis d’opposition au titre du paragraphe 318(2) des Règles, les demandeurs ont réduit leur demande à quatre catégories de documents, et cette demande fait l’objet de la requête dont la Cour est saisie. Les quatre types de documents demandés par les demandeurs sont les suivants :

  • L’annexe C de l’Entente (qui contient certains renseignements financiers décrits ci‑dessous);

  • Des courriels internes et des notes de service des ministres pour la période comprise entre le 1er janvier 2017 et le 16 avril 2021, qui font référence au processus de réconciliation concernant les pêches dans la région de la Gaspésie, et précisément les notes de service ou autres documents préparés par les représentants des ministres et le directeur général du ministère des Pêches et des Océans pour la région du Québec;

  • Les rapports d’avancement et d’analyse concernant le processus de réconciliation dans les pêches préparés pour la ministre des Pêches et des Océans et la ministre des Relations Couronne-Autochtones pour la période comprise entre le 1er janvier 2017 et le 16 avril 2021;

  • Les rapports concernant la mise en œuvre des mesures de gestion de la pêche au homard dans la zone ZPH 21B, et la reconnaissance des droits ancestraux ou issus de traités pour la pêche au homard, pour la période comprise entre le 1er février 2017 et le 16 avril 2021.

[167] Le PGC s’est opposé à la demande originale pour deux raisons : d’une part, l’article 317 des Règles ne s’appliquait pas et, d’autre part, l’Entente avait déjà été communiquée, mais l’annexe C ne présentait aucun intérêt pour la cause des demandeurs et, quoi qu’il en soit, elle est confidentielle et l’intérêt public justifiait de ne pas la divulguer.

2) Les observations des parties

[168] Dans leur requête, les demandeurs répondent aux deux arguments de l’avis d’opposition. Premièrement, ils reconnaissent la jurisprudence qui établit que l’article 317 des Règles ne s’applique pas en l’absence d’une décision ou d’une ordonnance (Alberta Wilderness Association c Canada (Procureur général), 2013 CAF 190 [Alberta Wilderness] au para 39, et les décisions qui y sont citées), mais font valoir que cette jurisprudence se limite aux situations où la demande de contrôle judiciaire sollicite une ordonnance de mandamus. Comme il est indiqué au paragraphe 39 de l’arrêt Alberta Wilderness : « [E]n matière de mandamus, ce n’est pas la légalité de la décision qui est en cause, mais bien l’absence de décision rendue ». À l’inverse, les demandeurs soutiennent qu’ils sollicitent un jugement déclaratoire et que leur avis de demande porte directement sur la légalité de l’Entente elle‑même.

[169] Les demandeurs se fondent sur deux décisions de notre Cour : Airth c Canada (Revenu national), 2007 CF 415 [Airth], et Renova Holdings Ltd c Commission canadienne du blé, 2006 CF 1505 [Renova Holdings]. Dans la décision Airth, où le demandeur contestait la politique ou la pratique d’adresser aux contribuables des demandes péremptoires en vue d’obtenir des renseignements, la Cour a souligné (au para 6) que l’article 317 des Règles « est clairement plus adapté au contrôle judiciaire de type traditionnel d’une ordonnance ou d’une décision […] [et que] [l]’article 317 des Règles est un outil peu adapté lorsqu’on traite du contrôle judiciaire des actions, conduites ou politiques et pratiques ». La Cour (au para 7) a souscrit au point de vue exprimé dans la décision Renova Holdings selon lequel :

[C]e serait aller à l’encontre du droit de contester les politiques et pratiques administratives [...] que de refuser aux demandeurs l’accès aux documents et aux éléments dont ils ont besoin pour établir leur thèse ou plus précisément pour contester les prétentions du gouvernement portant sur la légitimité sous‑jacente de ses politiques, pratiques ou actions. La question est de savoir la façon dont ces éléments doivent être produits sans que cela donne lieu à un interrogatoire à l’aveuglette ou à un processus semblable à l’interrogatoire préalable.

[170] La Cour a ensuite affirmé ce qui suit : « [I]l s’agit grandement d’une question de forme plutôt que de fond : je n’ai aucun doute que les documents pertinents pour un contrôle judiciaire doivent être divulgués d’une façon ou d’une autre » (au para 8). Finalement, la Cour n’a pas ordonné la communication de documents supplémentaires, car le défendeur dans cette affaire avait affirmé avoir produit tous les documents pertinents.

[171] En ce qui concerne les documents demandés en l’espèce, les demandeurs affirment que l’annexe C est pertinente et non confidentielle; à titre subsidiaire, ils soutiennent que même si l’annexe est confidentielle, l’intérêt public dans la divulgation devrait prévaloir. Pour ce qui est des autres documents, les demandeurs soulignent simplement que le PGC n’a donné aucune raison précise pour s’opposer à leur communication, et ils affirment que les documents sont pertinents et nécessaires aux fins du contrôle judiciaire.

[172] Les demandeurs affirment que leur requête en communication doit être interprétée dans le contexte de l’objectif plus large du contrôle judiciaire en l’espèce, qui concerne des intérêts fondamentaux et la légalité d’une mesure gouvernementale. Ils soulignent la déclaration dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, selon laquelle « le dossier de preuve [...] est essentiel pour que la cour s’acquitte de sa responsabilité de procéder à un véritable contrôle judiciaire » (au para 71) et la communication empêche de mettre les décideurs « à l’abri d’un contrôle judiciaire » (au para 73).

[173] Pour tous ces motifs, les demandeurs soutiennent que leur requête en communication de documents supplémentaires devrait être accueillie.

[174] Le LMG et le PGC s’opposent à la requête au motif que l’article 317 des Règles ne s’applique pas, car les demandeurs ne contestent aucune décision ni ordonnance précise, mais cherchent plutôt à invalider l’Entente. À titre subsidiaire, ils affirment que les autres documents n’ont rien à voir avec la demande des demandeurs; ils continuent d’affirmer que l’annexe C est confidentielle et que l’intérêt public commande de ne pas la divulguer.

[175] Le LMG fait valoir que la Cour devrait rejeter la tentative des demandeurs de limiter aux demandes de mandamus la conclusion tirée dans l’arrêt Alberta Wilderness selon laquelle l’article 317 ne s’applique pas lorsqu’aucune décision n’a été rendue. Le LMG souligne que, dans d’autres décisions, cette approche a été appliquée aux requêtes en jugement déclaratoire (Gaudes c Canada (Procureur général), 2005 CF 351 au para 16), aux requêtes en bref de prohibition empêchant l’application d’une politique ou d’une pratique gouvernementale (Patterson c Gascon, 2004 CF 972 au para 10-17) ou aux requêtes en outrage au tribunal (Lill c Canada (Procureur général), 2020 CF 551 au para 34).

[176] Au vu de ces décisions, le LMG soutient que l’article 317 des Règles ne s’applique pas en l’espèce, car les demandeurs ont choisi de contester la légalité de l’Entente elle‑même plutôt que la décision des ministres de la conclure. L’une des conséquences de la façon dont les demandeurs ont formulé leur demande de réparation est qu’ils n’ont pas eu à la présenter dans le délai de 30 jours énoncé au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Le LMG soutient que, en ayant fait ce choix, les demandeurs ne devraient pas être autorisés à contourner les Règles en forçant la communication de documents.

[177] En ce qui concerne les demandes précises, le LMG affirme que les documents ne sont pas pertinents dans l’évaluation de la légalité de l’Entente. Il fait remarquer qu’une version caviardée de l’annexe C a déjà été communiquée, à l’exception des montants précis, qui selon lui ne sont d’aucun intérêt pour les demandeurs. En ce qui concerne les autres demandes, le LMG affirme qu’elles équivalent à une recherche à l’aveuglette inadmissible qui n’est pas compatible avec la portée limitée de l’article 317.

[178] Le PGC affirme que l’article 317 des Règles ne s’applique pas au motif que les exigences de l’article 317 en matière de communication sont plus limitées que les règles de communication qui s’appliquent dans le cadre d’une action. Le PGC se fonde sur la distinction établie dans la jurisprudence entre les exigences de communication dans le cadre de contestations d’une décision ou d’une ordonnance et les exigences applicables dans d’autres types de contrôle judiciaire. Il affirme que les décisions citées par les demandeurs n’appuient pas leur thèse.

[179] À titre subsidiaire, le PGC soutient que les documents ne sont pas pertinents, car aucun d’entre eux ne pourrait influencer la façon dont la Cour réglera la demande : Maax Bath Inc c Almag Aluminum Inc, 2009 CAF 204 [Maax Bath] au para 9. Le PGC soutient qu’aucun des documents demandés n’est d’utilité pour la contestation de la légalité de l’Entente par les demandeurs. Il affirme également que les détails financiers exposés à l’annexe C sont confidentiels et que l’intérêt public commande qu’ils ne soient pas divulgués.

3) Discussion

 

[180] Je trancherai sommairement la présente requête. L’article 317 des Règles ne s’applique pas, et les demandeurs n’ont pas démontré que l’un ou l’autre des documents demandés est nécessaire pour permettre à la Cour de procéder au contrôle judiciaire. Par conséquent, la requête sera rejetée.

[181] Le point de départ pour analyser la requête en communication des demandeurs est l’avis de demande de contrôle judiciaire. La portée de la communication, et l’applicabilité de l’article 317, découlent de la nature de la demande que les demandeurs ont choisi de présenter. Comme toutes les parties le reconnaissent, les demandeurs ont décidé de contester la légalité de l’Entente, y compris le processus de négociation. Ils n’ont pas contesté la décision des ministres de signer l’Entente, ni aucune décision prise conformément à l’Entente. Les demandeurs sollicitent plutôt un jugement déclarant l’Entente invalide.

[182] Compte tenu de la jurisprudence applicable en l’espèce, le choix fait par les demandeurs a pour effet d’empêcher l’application de l’article 317 des Règles, car ils ne contestent pas une ordonnance en particulier : voir Alberta Wilderness et la discussion dans les décisions Patterson et Lill. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que les commentaires dans les décisions Airth et Renova Holdings tendent à indiquer que, lorsque le contrôle judiciaire ne porte sur aucune décision en particulier, les documents nécessaires pour permettre à la Cour de procéder à un contrôle judiciaire entier et équitable de la légalité de la politique, de la pratique ou de la mesure doivent être communiqués « d’une façon ou d’une autre ». Toutefois, je ne suis pas d’accord que ces décisions élargissent d’une quelconque façon la portée de l’application de l’article 317.

[183] Il convient également de souligner que les demandeurs ont déposé un nombre important de documents à l’appui de leur avis de demande et, compte tenu de la nature de leurs allégations (comme j’en ai discuté ci-dessus), la majeure partie des arguments est axée sur des points de droit plutôt que sur des faits précis. Je fais remarquer que le LMG a également déposé un nombre important de documents contextuels dans le cadre de la requête en radiation. Il ne semble rien manquer au dossier à cette étape de l’instance. Les demandeurs n’ont pas démontré en quoi les documents supplémentaires qu’ils souhaitent obtenir sont pertinents ou nécessaires pour procéder au contrôle judiciaire sollicité. Je ne suis pas convaincu que le juge chargé d’instruire l’affaire au fond aura besoin de ces renseignements pour statuer sur la demande.

[184] Par conséquent, il n’est pas nécessaire de discuter des observations détaillées formulées sur les documents précis demandés par les demandeurs. J’ajouterai seulement quelques observations sur certains éléments des demandes et sur les observations des demandeurs à l’appui.

[185] Les demandeurs affirment que les détails financiers de l’annexe C sont nécessaires, car le fonds de financement prévu à l’Entente a « rompu l’équilibre socioéconomique et régional » dans les pêches entre, d’une part, les pêcheurs non autochtones représentés par les demandeurs et, d’autre part, le LMG et d’autres communautés mi’gmaq pour qui l’accès aux pêches pourrait augmenter.

[186] Cette affirmation n’est ni convaincante ni étayée par la jurisprudence. Comme le fait remarquer le LMG, dans la mesure où l’argument des demandeurs au sujet de « l’équilibre » qu’ils cherchent à défendre repose sur des politiques et des pratiques qui ne tenaient pas compte des droits ancestraux et issus de traités du LMG ou d’autres communautés mi’gmaq, ou qui n’y donnaient pas véritablement effet, cet argument n’est plus valide, car la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il convient d’accorder de l’importance aux droits ancestraux et issus de traités existants dans les arrêts portant sur la répartition de la ressource : voir, par exemple, Marshall II aux para 44-45; Sparrow, à la p 1119; Gladstone, aux para 61‑62. Par conséquent, et comme je l’ai déjà dit dans le cadre de la requête en radiation, cet argument est voué à l’échec et ne sera pas examiné. Compte tenu de ce qui précède, la demande pour obtenir les détails financiers de l’annexe C ne sert aucun objectif.

[187] J’aimerais formuler un dernier commentaire sur les autres documents demandés par les demandeurs. Compte tenu de la nature de la demande présentée par les demandeurs, je conclus que leur requête en vue d’obtenir des documents d’information et des rapports n’est pas assez précise pour répondre aux exigences de l’article 317 et constitue plutôt une recherche à l’aveuglette inadmissible. La jurisprudence a maintes fois rejeté pareilles requêtes au motif qu’elles étaient contraires à l’objet de l’article 317 : Maax Bath, au para 15; et voir Access Information Agency Inc c Canada (Procureur général), 2007 CAF 224 au para 17; Athletes 4 Athletes Foundation c Canada (Revenu national), 2020 CAF 41 au para 17. Aucun de ces documents n’est nécessaire pour trancher la demande des demandeurs, et ceux‑ci vont bien au‑delà du genre de documents qui serait nécessaire et pertinent selon une lecture même généreuse de leurs actes de procédure.

[188] Pour tous ces motifs, la requête des demandeurs en vue d’obtenir des documents supplémentaires est rejetée.

V. Conclusion

[189] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la requête en radiation sera accueillie en partie. La requête en communication de documents supplémentaires sera rejetée dans son intégralité.

[190] Les requêtes en radiation peuvent souvent soulever des questions complexes qui commandent la mise en balance de deux facteurs parfois opposés. La nécessité de permettre que des demandes nouvelles ou inédites soient instruites peut être un facteur important à examiner, car autrement, l’évolution du droit serait indûment freinée. Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé dans l’arrêt Imperial Tobacco, au paragraphe 21 : « [...] la requête en radiation ne saurait être accueillie à la légère. Le droit n’est pas immuable. Des actions qui semblaient hier encore vouées à l’échec pourraient être accueillies demain. [...] L’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable. »

[191] Le caractère inédit d’une demande n’est pas, en soi, une raison pour la radier ni une raison pour en permettre l’instruction, mais il peut s’agir d’un facteur important à prendre en considération dans une requête en radiation : Hunt c Carey Canada Inc., à la p 980; Loteries de l’Atlantique, au para 19.

[192] De l’autre côté de la médaille, « [l]e pouvoir de radier les demandes ne présentant aucune possibilité raisonnable de succès constitue une importante mesure de gouverne judiciaire essentielle à l’efficacité et à l’équité des procès. Il permet d’élaguer les litiges en écartant les demandes vaines et en assurant l’instruction des demandes susceptibles d’être accueillies » (Imperial Tobacco, au para 19). En plus de servir les intérêts des parties dans le règlement juste et efficace de leur litige, le pouvoir de radier sert également les intérêts du public dans son ensemble, en garantissant « l’accès expéditif et abordable au système de justice civile » (Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 au para 2, cité avec approbation dans l’arrêt Loteries de l’Atlantique, au para 18).

[193] En l’espèce, bien que les demandeurs aient tenté de formuler plusieurs allégations inédites, une seule sera examinée par la Cour, car, tenant pour avérés les faits allégués dans l’avis de demande de contrôle judiciaire, j’ai conclu que la plupart des allégations des demandeurs sont vouées à l’échec. Cela comprend leur contestation de l’approche fondée sur la « reconnaissance de droits » et du pouvoir de la Couronne de conclure des accords reconnaissant les droits ancestraux et/ou issus de traités garantis par l’article 35, leur allégation selon laquelle la ministre des Relations Couronne-Autochtones a délégué illégalement son pouvoir à la ministre des Pêches et des Océans, leur allégation selon laquelle ce dernier a illégalement délégué son pouvoir au LMG relativement à la gouvernance de ses propres pêches, de même que leur allégation selon laquelle l’Entente est invalide parce que le texte n’a pas été publié dans la Gazette du Canada. Ces allégations sont toutes vouées à l’échec et seront radiées.

[194] Toutefois, j’ai conclu que l’allégation des demandeurs concernant le processus n’est pas totalement vouée à l’échec et ne sera donc pas radiée. Il convient de souligner que cela ne signifie pas que je conclus que la demande sera vraisemblablement accueillie à l’issue d’une audience complète; en fait, c’est plutôt l’inverse – je conclus simplement qu’elle n’est pas inévitablement vouée à l’échec.

[195] En ce qui concerne la requête en communication de documents supplémentaires, elle sera rejetée parce que j’ai conclu que l’article 317 des Règles ne s’applique pas, étant donné la façon dont les demandeurs ont formulé leur demande. De plus, je conclus que les documents supplémentaires qu’ils souhaitent obtenir ne sont pas nécessaires pour l’audition complète et juste de la demande de contrôle judiciaire sur le fond.

[196] En ce qui a trait à la question des dépens, comme la requête en radiation est accueillie en partie, et compte tenu de l’ensemble des facteurs énumérés à l’article 400 des Règles, je conclus que chaque partie devrait assumer ses propres dépens relativement à cette requête.

[197] Pour ce qui est de la requête en communication, les demandeurs ont été déboutés, et je ne vois aucune raison de m’écarter de la règle habituelle voulant que les dépens suivent l’issue de la cause. Par conséquent, les demandeurs devront payer au LMG et au PGC des dépens raisonnables. Je souligne qu’à l’audience, les parties n’ont pas accordé beaucoup d’attention à cette requête, et leurs observations écrites étaient également limitées (elles ne faisaient qu’énoncer le contexte du litige et répétaient dans une certaine mesure leurs observations concernant la requête en radiation). Tout cela pour dire que les dépens qui seront adjugés en l’espèce seront relativement modestes.

[198] Si les parties ne peuvent s’entendre sur un montant raisonnable, elles peuvent présenter des observations d’au plus trois (3) pages, dans les dix (10) jours de la présente ordonnance.

[199] Enfin, la Cour reconnaît qu’elle a tardé à rendre la présente ordonnance et s’en excuse auprès des parties.

[200] J’aimerais formuler une remarque quant à la procédure. Comme je l’ai déjà dit, l’avis de demande en l’espèce est détaillé et complexe. Pour veiller à ce que l’ordonnance définitive de la Cour mentionne toutes les parties de l’avis qui doivent être radiées conformément aux motifs exposés précédemment, une version confidentielle de l’ordonnance et des motifs, y compris l’ordonnance proposée, a été communiquée aux parties, qui ont eu la possibilité de formuler des commentaires sur les modalités de l’ordonnance.

[201] Les parties n’ont pu s’entendre pour présenter des observations conjointes sur les modalités de l’ordonnance. Selon moi, les arguments des deux parties vont trop loin. D’une part, le LMG et le PGC ont soumis des paragraphes additionnels à radier ainsi que la liste des documents qui, selon eux, n’ont un lien qu’avec les portions de l’avis de demande qui ont été radiées.

[202] D’autre part, le RPPSG prétend que, selon son interprétation des motifs, les deux questions suivantes n’ont toujours pas été tranchées :

  1. Question de la validité du processus de la reconnaissance par l’[Entente] du pouvoir législatif de LMG en matière de pêches, au regard du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867;

  2. Question de savoir si, en reconnaissant l’existence de droits ancestraux et issus de traités non définis et un droit à l’autonomie et à l’autogestion dans les pêches, sans avoir consulté et entendu de manière équitable l’ensemble des intéressés, la ministre des Pêches et des Océans et la ministre des Relations Couronne-Autochtones, exerçant une fonction exécutive au nom de la Couronne, ont rempli leur devoir d’agir dans l’intérêt public, au bénéfice de tous les Canadiens, dans le but d’atteindre et de préserver l’équité sur les plans économique et régional.

[203] Je ne suis pas convaincu qu’il convienne, dans le cadre d’une requête en radiation, de retirer également les documents que le RPPSG a versés à son dossier. Mieux vaut laisser la question de la pertinence de ces documents au juge qui entendra la demande sur le fond. Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec le RPPSG qu’il reste encore la première question énoncée ci-dessus à trancher. Les seules portions qu’il reste de l’avis de demande original du RPPSG visent le processus qui a donné lieu aux négociations et à la signature de l’Entente.

[204] L’ordonnance qui paraît ci-dessous dans la version publique de l’ordonnance et des motifs tient compte des commentaires des parties.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-1608-21

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

  1. La qualité pour agir dans l’intérêt public :

Les demandeurs ont qualité pour agir dans l’intérêt public en l’espèce.

  1. La requête en radiation :

La requête en radiation est accueillie en partie et, par conséquent, les paragraphes suivants sont radiés de l’avis de demande :

  • L’alinéa 2b), les sous‑alinéas 2c)i. à v. et l’alinéa 2d) figurant aux pages 11 à 16;

  • Les paragraphes contestant l’approche fondée sur la reconnaissance des droits dans l’Entente, y compris les paragraphes 77 à 85; 149 et 150;

  • Les paragraphes contestant la délégation prétendument illégale de pouvoirs des ministres, y compris les paragraphes 87 à 121 et 124 à 143;

  • Les paragraphes alléguant que l’Entente est invalide parce qu’elle n’a pas été publiée dans la Gazette du Canada, y compris les paragraphes 198 à 205.

  • Tout paragraphe concernant la requête en communication de documents supplémentaires, y compris le paragraphe 210.

Les demandeurs doivent signifier et déposer une nouvelle version modifiée de l’avis de demande de contrôle judiciaire qui tient compte de ces modifications. Autrement dit, la nouvelle version ne doit présenter aucune allégation raturée.

  1. La requête en communication de documents supplémentaires :

La requête des demandeurs en vue d’obtenir des renseignements supplémentaires est rejetée.

  1. Les dépens

Les demandeurs paient au LMG et au PGC les dépens qui se rapportent uniquement à la requête en communication de documents supplémentaires. Si les parties ne peuvent s’entendre sur un montant, elles peuvent présenter des observations à la Cour dans les 10 jours de la publication de la version publique de l’ordonnance et des motifs. Ces observations ne doivent pas compter plus de trois pages.

« William F. Pentney »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1608-21

INTITULÉ :

REGROUPEMENT DES PÊCHEURS PROFESSIONNELS DU SUD DE LA GASPÉSIE INC. UNION DES PÊCHEURS DES MARITIMES INC., PRINCE EDWARD ISLAND FISHERMEN’S ASSOCIATION LTD., GULF NOVA SCOTIA FLEET PLANNING BOARD c LISTUGUJ MI’GMAQ GOVERNMENT et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE MINISTRE DES RELATIONS COURONNE-AUTOCHTONES

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 juin 2022

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE pentney

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 OCTOBRE 2023

COMPARUTIONS :

Me Claude Rochon

Me David Ferland

Me Cassandra Iorio

POUR LES DEMANDEURS

REGROUPEMENT DES PÊCHEURS PROFESSIONNELS DU SUD DE LA GASPÉSIE INC., UNION DES PÊCHEURS DES MARITIMES INC., PRINCE EDWARD ISLAND FISHERMEN’S ASSOCIATION LTD., GULF NOVA SCOTIA FLEET PLANNING BOARD

Me Zachary Davis

Me Riley Weyman

POUR LE Défendeur

LISTUGUJ MI’GMAQ GOVERNMENT

Me Ian Demers

Me Stéphanie Dépeault

Me Éloïse Eysseric

POUR LEs DÉFENDEURs

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE MINISTRE DES RELATIONS COURONNE-AUTOCHTONES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stein Monast s.e.n.c.r.l.

Québec (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

REGROUPEMENT DES PÊCHEURS PROFESSIONNELS DU SUD DE LA GASPÉSIE INC., UNION DES PÊCHEURS DES MARITIMES INC., PRINCE EDWARD ISLAND FISHERMEN’S ASSOCIATION LTD., GULF NOVA SCOTIA FLEET PLANNING BOARD

Pape Salter Teillet LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE Défendeur

LISTUGUJ MI’GMAQ GOVERNMENT

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE MINISTRE DES RELATIONS COURONNE-AUTOCHTONES

 


[1] La graphie a évolué au fil du temps. Cette variante est celle utilisée dans les arrêts Marshall et celle qui est utilisée dans les présents motifs lorsque la Cour renvoie à ces arrêts. Autrement, la Cour utilise la variante employée dans les actes de procédure du LMG.

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