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Date : 20231006


Dossier : IMM-1577-22

Référence : 2023 CF 1329

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

MAMADI KEMO CAMARA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] M. Camara est citoyen de la Guinée. En août 2021, il présente une demande de permis d’études, sa seconde, dans laquelle il nomme de nouveaux garants. Le 26 septembre 2021, cette demande est approuvée, sujet au contrôle prévu à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [Loi sur l’immigration] et ses règlements.

[2] Le 8 décembre 2021, M. Camara arrive au Canada et il se présente au bureau de l’Agence des Services Frontaliers du Canada [ASFC] à l’aéroport pour se soumettre au contrôle statutaire et demander son permis d’études. M. Camara est référé pour une entrevue avec un agent de l’ASFC qui n’est pas satisfait que M. Camara démontre qu’il a les ressources financières suffisantes pour acquitter ses frais de scolarité et ses propres besoins pendant ses études au Canada, tel que l’exige l’article 220 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement sur l’immigration].

[3] Étant d’avis que M. Camara est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 20(1)(b) et de l’article 41 de la Loi sur l’immigration puisqu’il ne détient pas les documents requis pour entrer au Canada, l’agent de l’ASFC établit un rapport sous le paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration. Le Délégué du ministre revoit ensuite le rapport pour en évaluer le bien-fondé conformément au paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et, selon la preuve au dossier, explique à M. Camara les options qui lui sont disponibles, soit: (1) un retrait volontaire de sa demande d’entrée au Canada; (2) un prononcé d’une mesure d’exclusion; ou (3) un renvoi de l’affaire devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[4] Selon les éléments du dossier, M. Camara discute longuement et exprime son désaccord avec la suggestion qu’il n’a pas démontré détenir les fonds suffisants. Après plusieurs heures à l’aéroport, M. Camara signe une autorisation à quitter le Canada, qu’il allègue devant la Cour ne pas avoir signé volontairement, et il signe aussi un formulaire BSF 536 Contrôle complémentaire ou enquête lequel prévoit la tenue d’un contrôle complémentaire le lendemain 9 décembre 2021 à 16h00, conformément à l’article 23 de la Loi sur l’immigration.

[5] Cependant, M. Camara ne se présente pas tel que prévu le lendemain, 9 décembre 2021, pour son contrôle complémentaire, et un mandat d’arrestation est émis contre lui. Le 8 janvier 2022, M. Camara dépose une demande d’asile au Canada et, selon les affirmations de M. Camara, cette demande est jugée irrecevable à cause des problèmes liés à son statut au Canada.

[6] Le 18 février 2022, M. Camara dépose une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de ce qu’il qualifie du « Refus d’émettre un permis de travail par l’agent des services frontaliers à son arrivée au Canada ».

[7] Devant la Cour, M. Camara soumet deux affidavits, dont un daté du 10 mars 2022 qui introduit en preuve cinq pièces qu’il n’a pas présentées à l’agent de l’ASFC. Ainsi, et puisqu’aucune exception ne s’applique en l’instance, la Cour ne considérera pas ces pièces dans le cadre du présent contrôle judiciaire. (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20).

II. Position des parties

[8] Le 17 mai 2023, la Cour a entendu les parties dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire de M. Camara. À l’issue de l’audience, la Cour a invité les parties à soumettre des représentations écrites additionnelles afin de déterminer si, vu les circonstances de la présente affaire, une décision de refuser d’émettre un permis d’études a, ou non, été prononcée contre M. Camara de sorte qu’elle puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration. La Cour a pris note de la discussion au sujet de décisions informelles dans Khaniche c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 559 aux paragraphes 49 à 64 [Khaniche], et a demandé aux parties s’il existait d’autres décisions qui appuyaient les conclusions dans cette affaire.

[9] M. Camara et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le Ministre] ont soumis des représentations additionnelles.

[10] M. Camara soutient ainsi que le pouvoir de la Cour de contrôler la décision découle de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration puisque (1) cet article permet à la Cour de contrôler « toute question ou affaire, qui ne prennent pas nécessairement la forme d’une décision, si celles-ci émanent de la Loi sur l’immigration »; (2) les agents de l’ASFC sont chargés d’appliquer les dispositions de la Loi sur l’immigration, notamment lorsqu’ils visent à déterminer, lors d’un contrôle, si quiconque cherchant à entrer au Canada a le droit d’y entrer ou s’il est autorisé, ou peut l’être, à y entrer et à y séjourner (18(1) de la Loi sur l’immigration); et (3) toute affaire/question/décision qui ressortent de l’application d’un agent de l’ASFC en lien avec le contrôle prévu à l’article 18(1) de la Loi sur l’immigration, comme en l’espèce, est susceptible d’un contrôle judiciaire.

[11] M. Camara soumet que, même si la Cour accepte la position du Ministre selon laquelle aucune décision finale quant au refus du permis d’études du demandeur n’a été prise par l’agent de l’ASFC ou par le Délégué du ministre, car le contrôle n’était pas terminé, la Cour conserve néanmoins toujours un pouvoir de contrôle judiciaire.

[12] M. Camara ajoute que la décision dans l’esprit des agents de l’ASFC, qu’il n’avait pas les ressources financières pour payer ses frais d’études, était finale, malgré le fait que le contrôle, pour des fins administratives, n’était pas terminé.

[13] De plus, M. Camara insiste que la décision de l’agent de ne pas émettre le permis d’études est sujet au contrôle judicaire car (1) le contrôle judiciaire de toute mesure prise en vertu de la Loi sur l’immigration est expressément prévu le paragraphe72(1) de la Loi sur l’immigration; (2) il n’y a aucun mécanisme de révision ou d’appel ou les mêmes questions peuvent être soulevées (paragraphe 72(2) de la Loi sur l’immigration; article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7; Somodi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288); et (3) la décision n’était pas interlocutoire (Zündel c Canada (Commission des droits de la personne) (CA), [2000] 4 CF 255 au para 10).

[14] Enfin, M. Camara attire l’attention de la Cour sur la décision Reyes Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 66 [Reyes Garcia] dans laquelle la Cour a conclu qu’elle avait la compétence pour contrôler la décision de l’agent de l’ASFC d’annuler l’autorisation de voyage électronique alors qu’aucune décision formelle quant au renvoi du demandeur n’avait été prise dans ce cas, car il avait volontairement signé une autorisation de quitter.

[15] Le Ministre répond que le contrôle judiciaire est prématuré puisque la fin du contrôle selon les modalités prévues à l’article 37 du Règlement sur l’immigration, n’a jamais eu lieu. Le Ministre indique qu’en principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours permises par le processus administratif et M. Camara n’a soulevé aucune circonstance exceptionnelle pour justifier le non-respect de ce principe (CB Powell Limited c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61 aux para 31-32 [CB Powell]; Budlakoti c MCI, 2015 CAF 139 aux para 57-58, 61).

[16] En réplique, M. Camara indique que, contrairement à la position du Ministre il n’y a aucune indication dans le dossier du tribunal que le Délégué du ministre allait lui donner l’occasion de parfaire sa preuve le 9 décembre 2021, et qu’au contraire, les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC] indiquent que les démarches de son départ étaient entamées et prêtes à être exécutées. M. Camara répond également qu’il a saisi la Cour fédérale car il n’avait pas d’autres voies appropriées et efficaces pour obtenir la mesure qu’il recherche.

III. Analyse

A. Dispositions législatives pertinentes

[17] Le paragraphe 18(1) de la Loi sur l’immigration prévoit que quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se soumettre au contrôle visant à déterminer s’il a le droit d’y entrer ou s’il est autorisé, ou peut l’être, à y entrer et à y séjourner.

[18] Le paragraphe 37(1) du Règlement sur l’immigration prévoit quant à lui quand le contrôle statutaire prend fin (sujet à certaines exemptions qui ne sont pas en jeu en l’instance).

[19] L’article 23 de la Loi sur l’immigration prévoit par ailleurs qu’un agent peut autoriser l’entrée au Canada d’un étranger en vue d’un contrôle complémentaire, notamment lorsque le contrôle n’a pu être terminé le jour même. Cela permet à la personne de pouvoir quitter le point d’entrée lorsque l’agent n’a aucun motif raisonnable de croire que la personne se soustraira au contrôle, à l’enquête ou au renvoi ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration. Cette autorisation d’entrée est toutefois soumise aux conditions imposées en vertu du Règlement sur l’immigration qui prévoit entre autres conditions, que l’étranger a l’obligation de se présenter en personne aux dates, heures et lieu indiqués pour le contrôle complémentaire (paragraphe 43(1) du Règlement sur l’immigration).

[20] Par ailleurs, l’alinéa 20(1)(b) de la Loi sur l’immigration prévoit que l’étranger qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver, pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visas ou autres documents requis par règlement et qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[21] Ainsi, l’étranger est assujetti au contrôle à son arrivée; le défaut de prouver qu’il détient les visas et documents nécessaires pourra constituer un manquement à la loi et rendre l’étranger interdit de territoire selon l’article 41 de la Loi sur l’immigration.

[22] Le paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration décrit quant à lui le rapport que peut établir un agent s’il estime qu’un étranger ou résident permanent est interdit de territoire, lequel rapport est transmis au Délégué du ministre qui doit décider s’il estime ledit rapport bien fondé.

[23] Le guide « ENF 6 – Examen des rapports en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR » précise les possibilités offertes au Délégué du ministre, lesquelles incluent: déférer le cas pour enquête; prendre une mesure de renvoi; permettre à la personne de quitter le Canada; délivrer un permis de séjour temporaire; et envoyer une lettre d’avertissement (résidents permanents/personnes protégées) (ENF 6, pièce A de l’affidavit de François Leduc, page 17).

[24] Par ailleurs, un rapport contenant un manquement à l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi sur l’immigration constitue l’une des circonstances dans lesquelles l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration aux termes du paragraphe 228(1) du Règlement sur l’immigration.

[25] L’agent qui effectue le contrôle peut permettre à l’étranger de retirer sa demande d’entrée et de quitter le Canada (paragraphe 42(1) du Règlement sur l’immigration). Par ailleurs, si un rapport a été établi en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration à l’égard de l’étranger qui fait savoir qu’il désire retirer sa demande d’entrée au Canada, « l’agent ne lui permet ni de la retirer ni de quitter le Canada, sauf si le ministre décide de ne pas prendre de mesure de renvoi » (paragraphe 42(2) du Règlement sur l’immigration).

[26] Enfin, tel que le souligne le demandeur, le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration permet le contrôle judiciaire de « toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi » et l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit la compétence de la Cour.

B. Décision

[27] D’abord, M. Camara n’a pas fait la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que ses signatures des différents formulaires n’ont pas été apposées volontairement bien qu’il ait visiblement discuté et exprimé son désaccord avec les préoccupations des agents de l’ASFC quant à la preuve de sa capacité financière.

[28] Ensuite, dans sa demande de contrôle judiciaire amendée, M. Camara demande bien toujours le contrôle du « [r]efus d’émettre un permis d’études par l’agent des services frontaliers à son arrivée au Canada » datée du 8 décembre 2021.

[29] La Cour est d’accord avec les parties qu’un refus de délivrer un permis d’étude est effectivement une décision révisable par la Cour au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales et de l’article 72 de la Loi sur l’immigration. Cependant, en l’espèce, et selon la preuve au dossier, aucun tel refus n’a encore été émis par les autorités canadiennes puisque le contrôle statutaire de M. Camara n’a pas encore pris fin.

[30] Ainsi, je souscris à la position du Ministre et conclus que la Cour ne peut être saisie du présent contrôle judiciaire puisque de deux choses; l’une, soit (1) il n’y a plus de demande d’entrer au Canada – i.e. de demande de permis d’étude - considérant que M. Camara a bien signé une demande d’être autorisé à quitter le Canada; soit (2) il n’y a pas non plus de refus de permis d’études puisque le contrôle statutaire n’a pas encore pris fin; la demande de contrôle judiciaire est prématurée.

[31] Dans le cas de M. Camara, bien que l’agent se soit montré insatisfait de son admissibilité en tant qu’étudiant, le formulaire BSF 536 Contrôle complémentaire ou enquête que M. Camara a signé prévoit clairement la tenue d’un contrôle complémentaire le lendemain 9 décembre 2021 à 16h00, conformément à l’article 23 de la Loi sur l’immigration. Au surplus, et puisqu’aucune des circonstances prévues au paragraphe 37(1) du Règlement sur l’immigration n’est rencontrées, il faut conclure que le contrôle statutaire n’a pas pris fin.

[32] En principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours permises par le processus administratif. Ainsi, à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours (CB Powell Limited c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61 au para 31). Le seuil pour reconnaître une circonstance comme étant exceptionnelle est très élevé (CB Powell aux para 31-33; Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 aux para 35-36; Black c Canada (Procureur général), 2013 CAF 201 aux para 7-10; Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 aux para 37-38).

[33] La règle générale faisant obstacle au droit de s’adresser immédiatement à la juridiction réformatrice joue en l’espèce. En outre, il n’existe ici aucun motif d’assouplir cette règle générale (Budlakoti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139 au para 60).

[34] Le processus suivi par les agents de l’ASFC n’est pas limpide, mais force est de constater qu’une demande de contrôle judiciaire du refus d’émettre un permis d’études est prématurée puisqu’aucun refus n’a encore été prononcé.

[35] La Cour ne certifiera pas de questions puisque les questions proposées ne transcendent pas les intérêts des parties au litige.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1577-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question ne sera certifiée.

  3. Aucun dépens n’est octroyé.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-1577-22

INTITULÉ :

MAMADI KEMO CAMARA c MSPPC

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 MAI 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

Le 6 octoBRE 2023

COMPARUTIONS :

Me Annabel Busbridge

Pour le demandeur

Me Sherry Rafai Far

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kilongozi Law Office

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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