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Date : 20231003


Dossier : IMM-5750-21

Référence : 2023 CF 1324

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MUHAMMAD SUBHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 27 juillet 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et a rejeté l’appel interjeté par le demandeur [la décision contestée].

II. Contexte factuel

[2] Le demandeur est un citoyen pakistanais qui a demandé l’asile par crainte des groupes militants sunnites Jaish-e-Mohammed (le JeM) et Sipah‑e‑Sahaba Pakistan (le SSP) en raison de son activisme en tant que musulman barelvi.

[3] Alors qu’il travaillait aux Émirats arabes unis, le demandeur s’est rendu au Pakistan en mars 2018. Il allègue qu’au cours de cette visite il a pris connaissance des souffrances des musulmans barelvis démunis et a commencé à collecter des fonds pour un organisme de bienfaisance au service de la communauté musulmane barelvie à Lahore et dans les environs, et à verser une contribution personnelle à cet organisme.

[4] Le demandeur a affirmé que le JeM et le SSP avaient appris qu’il soutenait financièrement l’organisme de bienfaisance et l’avaient menacé. Par la suite, il déclare avoir été contraint de fuir Lahore et de se cacher à deux autres endroits dans la province du Pendjab, où il a été retrouvé par des personnes qui scandaient des slogans du SSP.

[5] Le demandeur allègue qu’à son retour aux Émirats arabes unis, son contrat de travail avait été résilié en raison d’appels téléphoniques que ces extrémistes adressaient à son employeur. Il s’est ensuite enfui aux États‑Unis, puis finalement au Canada, et a demandé le statut de réfugié le 17 septembre 2019.

III. Décisions de la SPR et de la SAR

[6] La SPR a conclu que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Hyderabad ou à Islamabad, au Pakistan, et que, par conséquent, il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Elle a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour démontrer que le JeM ou le SSP aurait eu les moyens ou la motivation de suivre la trace du demandeur jusqu’à Hyderabad ou à Islamabad.

[7] Le seul argument concernant la PRI que le demandeur a présenté à la SAR est que, s’il devait retourner au Pakistan, il devrait vivre caché et rompre la communication avec sa famille et ses amis pour que les endroits proposés comme PRI soient raisonnables.

[8] La SAR a estimé que cet argument était inintelligible, car la mention de membres de la famille au Nigéria se rapportait à des faits différents de ceux du demandeur.

[9] La SAR a souligné que le demandeur avait déclaré que lui‑même, sa sœur et ses amis n’avaient pas été contactés par le JeM ou le SSP depuis son départ du Pakistan en juin 2019. Il a également cessé de communiquer avec l’organisme de bienfaisance, grâce auquel le JeM et le SSP avaient obtenu son nom et son emplacement.

[10] La SAR a conclu que la preuve dont disposait la Commission n’indiquait pas que l’entourage du demandeur était en contact avec le JeM ou le SPP et que, par conséquent, il n’aurait pas à rompre la communication avec sa famille et ses amis ou à vivre caché dans les endroits proposés comme PRI.

[11] La SAR a conclu que même si l’argument du demandeur se rapportait à sa situation personnelle, il contredisait son propre témoignage.

[12] La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle aucun élément de preuve n’étayait l’argument du demandeur concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI, à savoir qu’il devrait rompre la communication avec sa famille et ses amis ou vivre caché dans les endroits proposés comme PRI.

[13] La SAR a expressément conclu, après avoir examiné les éléments de preuve, qu’elle n’avait pas relevé d’erreur dans les motifs de la SPR se rapportant à l’analyse relative à la PRI.

[14] La SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

IV. Questions en litige

[15] Le demandeur soutient que l’évaluation par la SAR de son témoignage personnel était déraisonnable et incorrecte et qu’elle portait atteinte à l’équité procédurale.

[16] Il soutient également qu’il était déraisonnable de confirmer la conclusion de la SPR relative à la PRI, ainsi que de ne pas examiner la demande d’asile sollicitée par le demandeur au titre de l’article 97 de la LIPR.

[17] Le défendeur allègue que les observations présentées par le demandeur dans le cadre de l’appel devant la SAR contredisent son témoignage devant la SPR selon lequel personne n’a contacté sa sœur et sa famille au sujet de son emplacement depuis le 10 juin 2019.

[18] Le demandeur a également fait valoir que ni la SPR ni la SAR n’ont tenu compte de son activisme dans l’avenir et de ses convictions religieuses au Pakistan.

V. Norme de contrôle

[19] La Cour d’appel fédérale a établi que la norme de contrôle que doit appliquer la Cour à une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 aux para 30, 35 [Huruglica].

[20] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a examiné en profondeur le droit relatif au contrôle judiciaire des décisions administratives. Elle a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle judiciaire d’une décision administrative, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas au vu des faits en l’espèce, et qu’il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 23,

[21] Citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême du Canada a également confirmé dans l’arrêt Vavilov qu’une décision raisonnable est une décision qui est justifiée, transparente et intelligible, et que la cour de révision doit centrer son attention sur la décision même qui a été rendue, notamment sur sa justification. Pour infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, au para 100.

[22] Dans l’ensemble, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 15 et 85.

VI. Analyse

[23] Lorsqu’elles ont conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, la SPR et la SAR ont toutes deux estimé que la question déterminante était l’existence d’une PRI.

A. Le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur

[24] Pour déterminer s’il existe une PRI, la SPR et la SAR doivent appliquer un critère à deux volets.

[25] Premièrement, le tribunal doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI : Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam] au para 13.

[26] Deuxièmement, le tribunal doit également être convaincu que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont propres au demandeur, la situation à l’endroit proposé comme PRI est telle qu’il n’est pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 (CAF) [Ranganathan] au para 15.

[27] Le demandeur doit satisfaire à une norme très rigoureuse pour établir le caractère déraisonnable d’une PRI. Il doit ainsi fournir une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité en tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr : Ranganathan, au para 15.

[28] Le défendeur fait remarquer que, pour qu’une personne ait qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, elle doit être exposée au risque identifié en tout lieu de son pays d’origine. Si une PRI viable satisfait aux deux volets du critère relatif à la PRI, la demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 sera irrecevable, indépendamment du bien‑fondé des autres aspects de la demande : Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7).

[29] Par conséquent, l’argument du demandeur selon lequel la SAR n’a pas apprécié la preuve relative à un risque futur et à la protection de l’État ne fait pas l’objet du contrôle judiciaire par la Cour.

[30] Les observations du demandeur relativement à son appel devant la SAR contredisent le témoignage qu’il a donné lors de l’audition de sa demande d’asile, à savoir que personne n’a contacté sa sœur et sa famille au sujet de son emplacement depuis le 10 juin 2019. Lors de son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il parlait à sa sœur une fois par mois. Lorsqu’on lui a demandé directement si sa sœur ou ses amis avaient été contactés par le JeM ou le SSP, le demandeur a répondu par la négative.

[31] Pour qu’une personne ait qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, elle doit être exposée au risque identifié en tout lieu de son pays d’origine. Si une PRI viable satisfait aux deux volets du critère relatif à la PRI, la demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 sera irrecevable, indépendamment du bien‑fondé des autres aspects de la demande : Olusola au paragraphe 7. Par conséquent, l’argument du demandeur selon lequel la SAR n’a pas apprécié la preuve relative à un risque futur et à la protection de l’État ne fait pas l’objet du contrôle judiciaire par la Cour.

[32] L’on ne peut conclure à une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté que si l’on peut démontrer que les agents de persécution ont les moyens et la motivation de le chercher dans la PRI proposée : Saliu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 167 au para 46, citant Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 au para 43.

[33] L’existence d’une PRI à Hyderabad ou à Islamabad, au Pakistan, était la question déterminante en cause devant la SPR.

[34] À cet égard, la SAR a procédé, au paragraphe 7 de la décision contestée, à un examen indépendant des conclusions suivantes de la SPR, que j’ai quelque peu abrégées.

[35] Le demandeur a pu être retrouvé par le JeM et le SSP dans les deux endroits où il s’était enfui seulement parce que la personne qui dirigeait l’organisme de bienfaisance leur avait révélé l’information sous la menace.

[36] Le JeM n’est pas un groupe disposant d’un réseau bien connecté dans l’ensemble du Pakistan, puisque sa base se trouve essentiellement en Inde et au Cachemire.

[37] Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant que le SSP exploite un réseau bien connecté partout au Pakistan.

[38] Il n’y a pas non plus suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le JeM ou le SSP aurait eu des raisons de suivre la trace du demandeur jusqu’aux endroits envisagés comme PRI, car ni lui ni son entourage n’avaient pas été contactés par ces groupes depuis qu’il avait quitté le Pakistan en juin 2019.

[39] Le demandeur pourrait raisonnablement s’installer dans l’un des endroits envisagés comme PRI puisqu’il a fait des études universitaires, qu’il a réussi à se réinstaller dans deux autres pays avant de venir au Canada et qu’il est membre du groupe religieux majoritaire dans les endroits proposés comme PRI.

[40] Les observations que le demandeur a présentées à la SAR étaient peu étoffées et indiquaient erronément le Nigéria comme son pays de citoyenneté. Le demandeur n’a pas relevé d’erreur dans l’analyse relative à la PRI effectuée par la SPR et a seulement réitéré l’allégation, sans preuve à l’appui, selon laquelle il devra vivre caché dans les endroits proposés.

[41] La SAR a confirmé ces conclusions et a souligné que le demandeur avait déclaré que lui‑même, sa sœur et ses amis n’avaient pas été contactés par le JeM ou le SSP depuis son départ du Pakistan et qu’il avait cessé tout contact avec l’organisme de bienfaisance en question. Par conséquent, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SAR a jugé que rien ne prouve qu’il devra rompre la communication avec sa famille et ses amis ou vivre caché dans les endroits proposés comme PRI.

VII. Conclusion

[42] Vu les motifs qui précèdent, je suis convaincue que la décision contestée est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti : Vavilov, aux para 15 et 85.

[43] Pour tous les motifs qui précèdent et compte tenu du dossier et des observations qui m’ont été présentés, je conclus que la décision contestée est raisonnable.

[44] La présente demande sera rejetée.

[45] Aucune question grave de portée générale n’a été proposée aux fins de la certification et je suis convaincue qu’il n’en existe aucune à la lumière des faits en l’espèce.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5750-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5750-21

INTITULÉ :

MUHAMMAD SUBHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juin 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 3 OCTOBRE 2023

COMPARUTIONS :

Me Birjinder Mangat

Pour le demandeur

Camille N. Audain

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Birjinder P. S. Mangat

Avocat

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

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