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Date : 20230929


Dossier : IMM-11420-23

Référence : 2023 CF 1320

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 29 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

BASTIAN RODRIGO SALAS SALAMANQUE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Bastian Rodrigo Salas Salamanca, présente une requête en sursis à son renvoi du Canada, qui doit avoir lieu le 1er octobre 2023.

[2] Le demandeur demande à la Cour de surseoir à son renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente de la décision défavorable de la Section d’appel des réfugiés (la SAR).

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente requête est rejetée. Je conclus que le demandeur n’a pas satisfait au critère à trois volets à remplir pour qu’il soit sursis au renvoi.

II. Faits et décision sous-jacente

[4] Le demandeur est un citoyen du Chili.

[5] Le demandeur est entré au Canada le 29 octobre 2019 et a par la suite demandé l’asile.

[6] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur dans une décision datée du 23 janvier 2023. La SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur dans une décision datée du 8 août 2023.

[7] Le 8 septembre 2023, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR et a sollicité une prorogation du délai pour déposer la présente demande, puisqu’elle a été présentée après la date limite du 30 août 2023. Étant donné que le demandeur a demandé une prolongation, il n’a pas été sursis automatiquement à la mesure d’interdiction de séjour prise contre lui au titre du paragraphe 231(4) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, et la mesure est entrée en vigueur.

[8] Le 22 septembre -2023, le demandeur a reçu signification d’un ordre de se présenter pour son renvoi.

III. Analyse

[9] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF) (Toth); Manitoba (PG) c Metropolitan Stores Ltd, 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (Metropolitan Stores Ltd); RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (RJR-MacDonald); R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 (CanLII), [2018] 1 RCS 196.

[10] Le critère énoncé dans l’arrêt Toth est conjonctif, en ce sens que, pour qu’un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir : (i) l'existence d'une question sérieuse soulevée par la demande de contrôle judiciaire sous-jacente; (ii) le préjudice irréparable qui résulterait du renvoi et (iii) la prépondérance des inconvénients en faveur de l’octroi du sursis.

A. Question sérieuse

[11] Dans l’arrêt RJR-MacDonald, la Cour suprême du Canada a conclu que le premier volet du critère devait être établi suivant un « examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR-MacDonald, à la p 314). La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution est celle de la décision raisonnable (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 (CanLII), [2010] 2 RCF 311 au para 67).

[12] En ce qui concerne ce premier volet du critère à trois volets, le demandeur soutient que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente à l’égard de la décision de la SAR soulève la question sérieuse de l’omission d’examiner dûment la preuve documentaire relative à son risque actuel de préjudice au Chili, en particulier dans l’utilisation de certains éléments de preuve et l’omission d’éléments contradictoires.

[13] Les défendeurs soutiennent qu’aucune question sérieuse n’a été établie, car la SAR a manifestement examiné un éventail d’éléments de preuve documentaire et les éléments de preuve présentés par le demandeur pour arriver à la conclusion qu’il ne courait aucun risque au Chili.

[14] Après avoir examiné les documents des parties, je souscris à la position des défendeurs. Le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants démontrant que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente soulevait une question sérieuse quant à la façon dont la SAR a traité la preuve, en particulier en ce qui concerne le recours à certains éléments de la preuve documentaire. L’avocate des défendeurs souligne à juste titre que la SAR a tenu compte de divers éléments de preuve pour étayer la conclusion selon laquelle la situation au Chili a changé de sorte que le demandeur ne serait plus en danger. Je conclus qu’en contestant la décision de la SAR, le demandeur demande en fait à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve examinés par la SAR, demande à laquelle une cour de révision ne peut généralement pas accéder en contrôle judiciaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 125). Par conséquent, aucune question sérieuse n’a été établie et le demandeur n’a pas satisfait au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Toth.

B. Préjudice irréparable

[15] Pour ce qui est du deuxième volet du critère, les demandeurs doivent démontrer qu’ils subiront un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Le préjudice irréparable ne renvoie pas à l’ampleur du préjudice; il s’agit plutôt d’un préjudice auquel il ne peut être remédié ou qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire (RJR-MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas conjectural, mais elle n’a pas à être convaincue que le préjudice se produira (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF n746, 79 FTR 107 (CFPI); Horii c Canada (CA), [1991] ACF n984, [1992] 1 CF 142 (CAF)).

[16] Le demandeur soutient qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Chili, ce qui est établi par des éléments de preuve selon lesquels des menaces crédibles de sévices corporels, d’enlèvement ou de mort ont été proférées contre lui. Le demandeur soutient que les agents de préjudice pourraient facilement le trouver et le prendre pour cible.

[17] Les défendeurs soutiennent qu’un préjudice irréparable n’est pas établi, puisque le demandeur s’appuie principalement sur des éléments de preuve dont disposaient la SPR et la SAR, qui ont toutes deux conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il était exposé à un risque de persécution s’il retournait au Chili.

[18] Je suis d’accord avec les défendeurs. Bien que l’omission d’établir l’existence d’une question sérieuse soit déterminante en l’espèce, je ne suis pas d’avis que le demandeur a fourni une preuve suffisante de l’existence d’un risque s’il était renvoyé au Chili. Le demandeur n’a mis en lumière aucun élément de preuve objectif démontrant l’existence d’un risque personnalisé de préjudice au Chili (Barre c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 783), particulièrement à la lumière de la conclusion tirée par la SAR quant à l’amélioration des conditions de vie au Chili depuis que le demandeur a fui le pays. Je conclus en outre que le demandeur n’a présenté que des éléments de preuve conjecturaux pour démontrer qu’il serait facile pour les gens qui le cherchent et qui veulent le prendre pour cible de le retrouver, ce qui contrevient au principe selon lequel un risque équivalant à un préjudice irréparable doit être établi au moyen d’une preuve claire et non conjecturale (Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 31; Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 aux para 15 et 16). Le demandeur n’a pas établi le deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Toth.

C. Prépondérance des inconvénients

[19] Le troisième volet du critère suppose l’appréciation de la prépondérance des inconvénients — consistant à déterminer quelle partie subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR-MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores Ltd, à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 (CanLII) au para 48). Toutefois, la Cour doit aussi prendre en compte l’intérêt public pour assurer la bonne administration du système d’immigration.

[20] Le demandeur soutient que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur, puisqu’il a présenté des éléments de preuve convaincants selon lesquels son retour au Chili mettrait sa sécurité et sa vie en danger imminent, et que le rejet de la présente requête le priverait d’une appréciation approfondie et juste de sa situation conformément aux principes internationaux relatifs aux droits de la personne et à la protection des réfugiés. Le demandeur soutient qu’il est dans l’intérêt public de veiller à ce que les personnes vulnérables ne soient pas exposées à des préjudices lorsque leur affaire est pendante devant la Cour.

[21] Les défendeurs soutiennent que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du ministre, puisque le demandeur a eu la possibilité de faire valoir devant la SPR et la SAR les risques auxquels il serait exposé s’il retournait au Chili, et que les deux tribunaux ont conclu que la situation au Chili avait changé de telle sorte que, faute d’autres éléments de preuve de la part du demandeur, celui-ci ne serait pas en danger à son retour. Les défendeurs soutiennent que ce facteur et le fait que l’intérêt public milite en faveur de la protection de l’administration du système d’immigration canadien, permettent de conclure que la prépondérance des inconvénients penche en faveur du ministre.

[22] L’omission d’établir l’existence d’une question sérieuse et un préjudice irréparable est déterminante eu égard à la présente requête. Il n’y a toutefois pas d’élément de preuve étayant les observations formulées par le demandeur selon lesquelles celui-ci n’a pas bénéficié d’un examen approfondi et juste de sa situation qui justifierait qu’il soit sursis à son renvoi, d’autant plus qu’il n’a pas démontré en l’espèce qu’il subirait un préjudice irréparable s’il retournait au Chili. J’estime que la bonne administration du système d’immigration canadien par l’exécution de cette mesure de renvoi dès que possible (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, par 48(2)) fait pencher la prépondérance des inconvénients en faveur du ministre.

[23] En définitive, le demandeur n’a pas satisfait au critère à trois volets à remplir pour l’obtention d’un sursis au renvoi. Par conséquent, la présente requête est rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-11420-23

LA COUR REND L’ORDONNANCE qui suit :

  1. La requête du demandeur en sursis au renvoi est rejetée.

  2. « Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile » est ajouté à titre de défendeur à la présente requête.

«Shirzad A.»

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11420-23

 

INTITULÉ :

BASTIAN RODRIGO SALAS SALAMANCA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SEPTEMBRE 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 29 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Atif Aziz

Anastasia Vulpe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Suzy Flader

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dominion Law Group

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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