Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20230929

Dossier : IMM-7899-22

Référence : 2023 CF 1315

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2023

En présence de madame la juge Turley

ENTRE :

AVTAR SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent des visas [l’agent] a refusé de rétablir son statut d’étudiant. Je rejette la demande au motif que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne fournissant pas au demandeur un avis et la possibilité de répondre à ses réserves concernant l’insuffisance des ressources financières. Il incombait au demandeur d’établir qu’il avait satisfait à l’ensemble des exigences législatives, y compris les exigences financières prévues dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

[2] De plus, il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur n’avait pas suivi activement son programme d’études étant donné que ce dernier avait interrompu ses études pendant un an et qu’il ne disposait pas des ressources financières suffisantes pour assumer le coût des études qu’il envisageait.

I. Contexte

[3] Le demandeur, un citoyen de l’Inde, est venu au Canada au moyen d’un permis d’études qui était valide du 8 janvier 2018 au 30 novembre 2019. Il a obtenu un autre permis d’études, lequel était valide du 11 janvier au 30 septembre 2020. Le demandeur a terminé ses études au Collège Mohawk en mai 2020.

[4] Neuf mois après la fin de ses études, le demandeur a demandé un permis de travail postdiplôme. Sa demande a été rejetée parce qu’elle n’avait pas été présentée dans les 180 jours suivant la fin de son programme d’études au Collège Mohawk. En avril 2021, le demandeur a cherché à rétablir son statut d’étudiant de manière à pouvoir fréquenter le collège Evergreen de mai 2021 à octobre 2022.

[5] La demande de rétablissement du demandeur a été rejetée pour deux raisons. Premièrement, l’agent a conclu que, puisqu’il avait interrompu ses études pendant un an entre mai 2020 et mai 2021, le demandeur n’avait pas suivi activement son programme d’études, contrairement à l’exigence prévue à l’article 220.1 du RIPR. Deuxièmement, le demandeur ne disposait pas de ressources financières suffisantes pour acquitter les frais de scolarité et subvenir à ses propres besoins, conformément à l’alinéa 220a) du RIPR.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[6] En tant que question préliminaire, le défendeur conteste l’admissibilité de l’affidavit du demandeur souscrit le 26 octobre 2022, car il fournit des éléments de preuve qui n’étaient pas à la disposition de l’agent.

[7] Le demandeur soulève les questions suivantes :

1) La question de savoir si l’agent a manqué à l’équité procédurale en n’avisant pas le demandeur qu’il ne respectait pas les exigences financières énoncées à l’alinéa 220a) du RIPR.

2) La question de savoir si la décision de l’agent est déraisonnable du fait qu’il a conclu que le demandeur :

i) n’avait pas respecté les conditions de son permis d’études étant donné qu’il avait interrompu ses études;

ii) ne disposait pas de fonds suffisants pour acquitter les frais de scolarité et subvenir à ses propres besoins.

[8] Les allégations de manquement à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique] au para 54. La Cour de révision doit évaluer si la procédure suivie par le décideur était juste et équitable dans les circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35.

[9] Comme l’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Pour résister à l’examen, une décision doit posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » : Vavilov, au para 99.

III. Analyse

A. L’affidavit n’est pas admissible

[10] La jurisprudence est claire : dans le cadre d’un contrôle judiciaire, les nouveaux éléments de preuve ne peuvent être admis que : i) lorsqu’ils contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider à comprendre les questions pertinentes; ii) lorsqu’ils font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée; ou iii) lorsqu’ils soulèvent des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du décideur : Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 8; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20b).

[11] Bien que le demandeur conteste la décision pour des raisons d’équité procédurale, les nouveaux éléments de preuve ne soulèvent aucun vice de procédure au dossier. Selon l’avocat du demandeur, l’affidavit vise à démontrer quels éléments de preuve auraient pu être produits pour dissiper les doutes de l’agent au sujet du caractère adéquat des ressources financières du demandeur.

[12] Toutefois, ces éléments de preuve ne sont pas utiles à la Cour pour déterminer si l’agent a manqué à l’équité procédurale parce qu’il n’aurait pas donné au demandeur la possibilité de répondre à ses réserves concernant le caractère suffisant des ressources financières : Asagba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1528 au para 15; Abdulai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 173 au para 18. Si la Cour conclut que l’agent a commis une erreur du fait qu’il n’a pas avisé adéquatement le demandeur, la réparation appropriée consisterait à renvoyer l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision. Le demandeur aurait la possibilité de produire des éléments de preuve à ce moment-là. L’affidavit du demandeur n’est donc pas admissible aux fins de la demande et est rayé du dossier.

B. Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale

[13] L’argument du demandeur concernant l’équité procédurale est dépourvu de fondement. L’agent n’était pas tenu de fournir au demandeur un avis et la possibilité de répondre à ses réserves quant au caractère suffisant de ses ressources financières.

[14] Il incombe au demandeur de s’assurer qu’il satisfait à toutes les exigences qui découlent directement des règlements ou de la loi. L’agent n’est pas tenu de faire connaître au demandeur ses réserves quant au caractère suffisant des pièces produites à l’appui de sa demande et de lui donner la possibilité d’y répondre : Al Aridi, au para 20; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 219 aux para 24-25; Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 au para 24.

[15] Disposer de ressources financières suffisantes est un critère obligatoire pour la délivrance d’un permis d’études, tel que le prévoit l’article 220 du RIPR. Le demandeur doit établir qu’il dispose, sans qu’il lui soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, des fonds suffisants pour : i) acquitter ses frais de scolarité; ii) subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille qui l’accompagnent durant ses études; et ii) acquitter ses frais de transport pour venir au Canada et en repartir.

[16] Il incombait au demandeur de s’assurer qu’il avait présenté tous les documents pertinents pour s’acquitter de ses obligations financières. L’agent n’a pas commis d’erreur en n’informant pas le demandeur de ses réserves quant à l’insuffisance des ressources financières avant de se prononcer sur son admissibilité.

C. La décision est raisonnable

1) Le demandeur ne s’est pas conformé aux conditions de son permis d’études

[17] Conformément à l’alinéa 220.1(1)b) du RIPR, le titulaire d’un permis d’études est tenu de « sui[vre] activement » son programme d’études pendant son séjour au Canada. Selon la conclusion tirée par mon collègue, le juge Ahmed, l’évaluation de l’agent des visas quant à savoir si un demandeur suivait activement son programme d’études est factuelle et discrétionnaire : Kaur c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1581 au para 23.

[18] Dans la présente affaire, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur n’avait pas respecté les conditions de son permis d’études en raison de l’interruption de ses études pendant un an. Il n’est pas mis en doute que le demandeur n’a pas fréquenté l’école, même à temps partiel, entre mai 2020, date d’achèvement de son programme au Collège Mohawk, et mai 2021, date de début de son nouveau programme, au collège Evergreen.

[19] Le fait qu’un demandeur a interrompu (ou suspendu) ses études constitue un motif légitime et pertinent pour refuser de rétablir son statut d’étudiant. Bien qu’une interruption ou une pause sans conséquence ne saurait nécessairement justifier le rejet d’une demande, une interruption de un an est incompatible avec le principe de poursuite active des études.

[20] Même si cette conclusion suffisait pour statuer sur la demande de permis d’études du demandeur, l’agent a procédé à l’examen du caractère suffisant de ses ressources financières.

2) Le demandeur n’a pas établi qu’il disposait de ressources financières suffisantes

[21] L’article 220 du RIPR ne donne pas à l’agent le pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis d’études si le demandeur ne démontre pas qu’il dispose des fonds suffisants pour acquitter ses frais de scolarité, subvenir à ses propres besoins durant ses études et acquitter les frais de transport pour venir au Canada et en repartir : Animasaun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 923 au para 25; Adekoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1234 au para 9.

[22] En l’espèce, le demandeur ne disposait même pas des fonds suffisants pour acquitter ses frais de scolarité pendant un an, encore moins pour payer ses autres dépenses. Les frais de scolarité pour la première année d’études s’élevaient à 12 950 $, mais, selon le relevé bancaire du demandeur, celui-ci ne disposait que de 7 417,30 $.

[23] Je ne souscris pas à l’argument du demandeur portant que les lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada intitulées « Permis d’études : Évaluation de la demande » [les lignes directrices] confèrent aux agents le pouvoir discrétionnaire de déroger à l’obligation de se conformer aux exigences financières énoncées à l’article 220 du RIPR. Les lignes directrices confèrent plutôt aux agents le pouvoir discrétionnaire de déterminer la nature des documents financiers exigés d’un demandeur pour prouver qu’il dispose de ressources financières adéquates. Les agents peuvent déterminer, par exemple, s’il est nécessaire d’exiger des documents bancaires ou des renseignements financiers plus exhaustifs pour établir si le demandeur dispose de suffisamment de ressources financières dans les circonstances de chaque cas.

[24] Compte tenu de la preuve, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il disposait de ressources financières suffisantes pour assumer le coût de ses études et subvenir à ses propres besoins.

IV. Conclusion

[25] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent de ne pas rétablir le statut d’étudiant du demandeur ne contient aucune erreur susceptible de contrôle. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[26] Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

JUGEMENT dans le dossier IMM-7899-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Anne M. Turley »

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7899-22

INTITULÉ :

AVTAR SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AOÛT 2023

JUGeMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

la JUGE TURLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 29 SEPTEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.