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     IMM-2382-96

OTTAWA (ONTARIO), le jeudi 26 juin 1997.

EN PRÉSENCE DE: Monsieur le juge Heald.

ENTRE:

     PHONG TRAN,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     Darrel V. Heald

     ________________________________

     Juge suppléant

Traduction certifiée conforme:      ________________________________

     Jacques Deschênes

     IMM-2382-96

ENTRE:

     PHONG TRAN,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE HEALD, J.S.

         Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision prise par un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (le représentant) en date du 8 mars 1996, selon qui le présent requérant constituait un danger pour le public au Canada aux termes des dispositions du paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration1.

LES FAITS

         Le requérant est un apatride né au Viêt-nam. Il est arrivé au Canada le 23 janvier 1991 d"un camp de réfugiés en Malaysia. Le 14 avril 1993, il a plaidé coupable à l"infraction de complot en vue de faire le trafic d"héroïne. Il a été condamné à cinq ans de prison et il a obtenu une libération conditionnelle en septembre 1994. En raison de cette condamnation, un arbitre a conclu que le requérant était une personne décrite à l"alinéa 27(1)d ) de la Loi sur l"immigration et une mesure d"expulsion a été prise contre le requérant. La mesure d"expulsion portait la date du 27 janvier 1995.

         Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a informé le requérant par lettre en date du 31 janvier 1995 que le ministre examinait la possibilité de déclarer que le requérant était un danger pour le public au Canada, en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l"immigration. Cette lettre l"informait des documents qui seraient pris en considération par le ministre dans son examen et lui offrait la possibilité de répondre.

         L"avocat du requérant a présenté des observations à CIC en réponse à l"avis du 31 janvier. Il a souligné que le requérant s"était engagé dans une union de fait et que sa compagne était enceinte de leur premier enfant, dont la naissance était attendue en avril 1996. Il a fait observer que le requérant avait pris des mesures pour se réhabiliter et devenir un membre responsable de la société. De nombreuses lettres provenant de diverses personnes respectables étaient jointes à ces observations. Nonobstant ces références, le représentant du ministre a conclu que le requérant était un danger pour le public au Canada.


QUESTIONS EN LITIGE

         La présente demande soulève trois questions:

         (1)      Le représentant a-t-il omis d"appliquer, ou a-t-il mal appliqué, les lignes directrices promulguées pour faciliter la prise des décisions comme celle en cause?
         (2)      La décision du représentant est-elle manifestement déraisonnable?
         (3)      Le représentant a-t-il commis un déni de justice à l"endroit du requérant en omettant de fournir les motifs de sa décision?

ANALYSE

(1)          Non-application ou mauvaise application des lignes directrices

         L"avocat du requérant avance que la décision contestée ne tient pas compte des facteurs énoncés dans les lignes directrices, tels que: la nature et les circonstances de l"infraction, la sentence imposée, la récidive et les raisons d"ordre humanitaire. Je ne suis pas d"accord. Le dossier établit clairement tout le contraire. Une copie de tous les documents examinés par l"agent de réexamen de l"immigration a été jointe à titre de pièce B à l"affidavit déposé par Annika Rose le 13 janvier 1997. Le rapport est rédigé de la façon suivante:

         [TRADUCTION]                 
         Selon son FRP, il a quitté le Viêt-nam en janvier 1989 et résidé dans un camp de réfugiés en Malaysia avant de venir au Canada le 23 janvier 1991.                 
         Dans le FRP, l"intéressé dit que son père était un officier dans l"armé du Viêt-nam du Sud et un catholique fervent. Il était fortement anticommuniste et il est mort dans une prison communiste du Viêt-nam du Nord.                 
         Toute la famille de l"intéressé avait des opinions anticommunistes bien ancrées et elle a quitté le Viêt-nam afin de ne pas avoir à subir la persécution des communistes.                 
         La mère de l"intéressé était constamment harcelée par des agents vietnamiens et elle a fui le Viêt-nam par bateau vers un camp de réfugiés en Malaysia, plutôt que de prendre le risque d"attendre au Viêt-nam un parrainage.                 
         La soeur de l"intéressé a fui le Viêt-nam par bateau et est morte en mer en 1985.                 

         L"intéressé n"a pas d"autres proches au Viêt-nam, et, s"il y retournait, il pourrait être emprisonné et même mis à mort.                 
         Selon le rapport circonstancié établi en vertu de l"article 27, ses parents résident au Viêt-nam.                 
         Vu les renseignements donnés dans son FRP, il apparaît n"y avoir aucune raison pour que l"intéressé soit en danger à son retour au Viêt-nam. Bien qu"il affirme qu"il pourrait être emprisonné ou mis à mort, il ne fournit aucun motif. Il n"a donné aucun renseignement qui indiquerait qu"il serait persécuté en raison de sa situation personnelle. Par ailleurs, les incohérences dans les renseignements concernant ses parents font surgir un doute quant à sa crédibilité (selon le rapport préparé en vertu du paragraphe 27(1), ses parents résident au Viêt-nam; dans le FRP, sa mère réside en Malaysia et son père est décédé).                 
         Selon le Country Report on Human Rights Practices de 1994, le gouvernement a poursuivi les réformes économiques de marché entreprises en 1986 afin de moderniser et de développer son économie à prédominance agricole. Les réformes ont eu la plus grande incidence dans les régions urbaines, où le nombre des entreprises privées augmente, et dans les régions agricoles fertiles, où les agriculteurs sont encouragés à cultiver et à mettre en marché leur production. Bien que le Viêt-nam demeure un pays très pauvre, particulièrement dans les zones rurales marginales, les réformes ont contribué à hausser le niveau de vie de la plupart des gens. De plus, l"expansion du secteur privé a fait qu"il est plus difficile pour le Parti et le gouvernement, particulièrement dans les régions urbaines, de dominer la vie des gens autant qu"ils le faisaient auparavant.                 
         Vu la déclaration de culpabilité à une grave infraction en matière de drogue et les effets terribles des drogues sur la société canadienne, l"intéressé est un danger pour le public. Il ne devrait pas non plus être jugé admissible à présenter une demande d"obtention du statut de réfugié.                 
         Vu les renseignements fournis par l"intéressé, il apparaît que les risques qu"il courrait à son retour seraient minimes.                 
         Les risques que court la société canadienne l"emportent sur les risques que le retour de l"intéressé pourrait lui faire courir.                 

         Le gestionnaire M. Harvey a souscrit à cette évaluation le 6 mars 1996 et il a fait observer:

         [TRADUCTION]                 
         " personne ayant le statut de résident depuis peu de temps déclarée coupable d"un crime très grave;                 
         " aucune preuve de risques à son retour.                 

         Vu cette preuve, il semble clair que les agents de CIC ont accordé toute l"attention nécessaire aux facteurs d"ordre humanitaire. Il est clair aussi que le représentant a fait de même en ce qui concerne la gravité du crime dont le requérant a été déclaré coupable, étant donné qu"il disposait de toute la documentation pertinente. Dans l"arrêt Williams c. M.C.I.2, la Cour d"appel fédérale a statué que, sauf preuve du contraire, il faut présumer que le décideur a agi de bonne foi, compte tenu de la documentation dont il disposait. Appliquant cette opinion sur la question aux circonstances de l"espèce, je conclus de la même façon que le représentant a agi de bonne foi et qu"il a correctement appliqué les lignes directrices dont il disposait.

2.      Le caractère manifestement déraisonnable

         Le requérant allègue de plus qu"il était manifestement déraisonnable pour le représentant de conclure que le requérant est un danger pour le public, étant donné que ce dernier n"a été déclaré coupable qu"une fois et qu"il n"y a aucune preuve d"activités ou d"habitudes criminelles antérieures. Le critère établi par le juge Strayer dans l"arrêt Williams , précité, à la p. 23, qualifie l"erreur susceptible de contrôle judiciaire comme étant l"erreur commise dans une affaire "lorsque la décision discrétionnaire d'un tribunal est manifestement absurde ou lorsque les faits qui ont été soumis au tribunal exigeaient manifestement un résultat différent [...]".

         Selon moi, la preuve en l"espèce n""exige[] [pas ] manifestement un résultat différent". Le fait que le requérant n"ait été déclaré coupable que d"une infraction et le fait qu"il ait obtenu une libération conditionnelle qui n"a pas été révoquée jouent en sa faveur. Il affirme aussi craindre d"être persécuté s"il retourne au Viêt-nam.

         Toutefois, à l"autre bout de l"échelle, il y a les points suivants: a) la preuve au dossier selon laquelle le requérant ne court que des risques minimes au Viêt-nam; b) l"infraction à laquelle le requérant à plaidé coupable et les circonstances de cette infraction sont vraiment graves: une enquête menée par des agents d"infiltration a établi que le requérant, avec d"autres, a vendu de l"héroïne à des agents d"infiltration à de nombreuses occasions. L"une des ventes portait sur une quantité appréciable, soit 300 grammes3. En prononçant la sentence contre le requérant, le juge Lyon, de la Cour de l"Ontario (Division générale), a fait observer que:

         [TRADUCTION]                 
         Une bonne partie du foisonnement de la criminalité au pays est directement attribuable à la voie illégale suivie par des adolescents et d"autres qui se retrouvent avec une dépendance aux drogues et qui, pour subvenir à leurs habitudes de plus en plus coûteuses, se résolvent à commettre des larcins, des vols qualifiés et même des meurtres. Ces ramifications criminelles et leurs conséquences désastreuses affectent de nombreuses familles respectables, la société en général, et elles sont causées par les revendeurs de drogue comme vous dont le seul motif est l"argent4.                 

         Le juge Lyon a aussi fait observer que même si le requérant n"était pas la tête dirigeante du complot, il n"était pas simplement une "mule" utilisée pour le transport des drogues. Il a conclu que le requérant était, [TRADUCTION] "comme les faits le montrent, impliqué d"une manière beaucoup plus significative"5.

         Par conséquent, l"ensemble de la preuve en l"espèce me convainc que le représentant n"a pas commis d"erreur susceptible de contrôle judiciaire.

3.      L"omission de fournir des motifs

         Les motifs du juge Strayer dans l"arrêt Williams , précité, donnent une réponse définitive à cette allégation. Dans cette affaire, le juge Strayer, s"exprimant au nom de la Cour d"appel fédérale, a statué que, bien qu"il soit habituellement, sinon toujours, préférable que les cours de justice et les tribunaux exposent les motifs de leurs décisions, à moins qu"il n"y ait une obligation légale, l"omission comme telle de fournir des motifs ne viole pas l"article 7 de la Charte ni l"obligation d"équité fondée sur la common law6.

CONCLUSION

         Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire en cause est rejetée.

CERTIFICATION

         Aucun des avocats n"a demandé la certification d"une question grave de portée générale en vertu des dispositions de l"article 83 de la Loi sur l"immigration. Je suis d"accord avec ce point de vue. Par conséquent, aucune question n"est certifiée.

     Darrel V. Heald

     ________________________________

     Juge suppléant

Ottawa (Ontario),

le 26 juin 1997.

Traduction certifiée conforme:      ________________________________

     Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE:                      IMM-2382-96
INTITULÉ DE LA CAUSE:              PHONG TRAN
                             c.
                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE:                  TORONTO
DATE DE L'AUDIENCE:                  LE 12 JUIN 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE RENDUS PAR:      LE JUGE HEALD
DATE:                          LE 26 JUIN 1997

ONT COMPARU:

Mme Arlene Tinkler                  pour le requérant
M. James Brender                  pour l'intimé

PROCUREURS AU DOSSIER:

Jackman & Associates              pour le requérant

Toronto, Ontario

M. George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      Le paragraphe 70(5) est rédigé de la façon suivante: "(5) Ne peuvent faire appel devant la section d"appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a ) ou b), qui, selon la décision d"un arbitre
         a) appartiennent à l"une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c ), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;          b) relèvent du cas visé à l"alinéa 27(1)a .1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;          c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d"une loi fédérale d"un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l"alinéa 27(1)d ) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

2      Cour d"appel fédérale, no du greffe A-855-96, 20 mars 1997.

3      Voir p. 38 du Dossier du tribunal.

4      Voir les pp. 73 et 74 du Dossier du tribunal.

5      Voir p. 75 du Dossier du tribunal.

6      Voir Williams c. M.C.I. , précité, à la p. 29.

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