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Date : 20230920


Dossier : IMM-1184-22

Référence : 2023 CF 1261

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

Sukhpreet KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Sukhpreet Kaur demande le contrôle judiciaire du rejet de la demande de résidence permanente et de permis de travail qu’elle a présentée dans le cadre du Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial du gouvernement du Canada. Un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a conclu que son offre d’emploi pour travailler en tant qu’aide familiale auprès d’une famille comprenant deux enfants, âgés de 9 et 13 ans à la date de la décision, n’était pas authentique. Mme Kaur soutient que l’agent n’a pas suffisamment motivé sa décision, qu’il n’a pas pris en compte la situation de la famille et le rôle que Mme Kaur devait jouer auprès de la famille et qu’il a injustement omis de lui donner l’occasion de dissiper ses doutes.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent, même si elle est brève, est raisonnable et a été prise de manière équitable. En particulier, il était raisonnable pour l’agent de tenir compte de l’âge des enfants et du fait que la famille n’avait pas embauché d’aides familiaux par le passé, compte tenu des renseignements limités qui lui avaient été fournis. De plus, quand l’agent a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, [traduction] « l’offre d’emploi [n’était] pas authentique et [visait] principalement à faciliter l’entrée [de la demanderesse] au Canada », il s’agissait simplement d’une déclaration quant au fait que l’admissibilité au programme n’avait pas été établie, et non d’une conclusion en matière de crédibilité au regard de laquelle il était nécessaire d’accorder à Mme Kaur une autre occasion de démontrer son admissibilité.

[3] La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. Questions en litige et normes de contrôle

[4] Mme Kaur conteste à la fois le fond de la décision de l’agent et le caractère équitable de la procédure suivie par l’agent. Les parties conviennent que la décision sur le fond est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Pour appliquer cette norme, la Cour doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25, 99. La question relative à l’équité procédurale, quant à elle, est susceptible de contrôle selon une norme assimilable à celle de la décision correcte, mais qui ne fait intervenir aucune norme de contrôle à proprement parler. La Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54.

[5] Mme Kaur se fonde sur un affidavit qu’elle a déposé devant la Cour pour contester la décision. Le ministre soutient que l’affidavit de Mme Kaur est inadmissible puisqu’il contient de nouveaux éléments de preuve importants qui n’ont pas été présentés à l’agent. Ainsi, les principales questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. L’affidavit que Mme Kaur a déposé dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est-il inadmissible, en tout ou en partie?

  2. La décision de l’agent était-elle déraisonnable en raison du fait qu’elle n’était pas suffisamment motivée ou que l’agent n’a pas pris en compte les circonstances relatives à l’offre d’emploi de Mme Kaur?

  3. L’agent a-t-il injustement omis de donner la possibilité à Mme Kaur de dissiper ses doutes concernant l’authenticité de l’offre d’emploi?

III. Analyse

A. L’affidavit de Mme Kaur est en grande partie inadmissible

[6] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour joue un rôle de supervision; elle doit évaluer la légalité et le caractère raisonnable d’une décision administrative, mais ne doit pas rendre une nouvelle décision sur le fond : Vavilov, aux para 23-24, 75, 82-83; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 18. Par conséquent, le dossier de preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite à celui dont disposait le tribunal administratif : Access Copyright, au para 19; Vavilov, aux para 125-126. Sauf quelques exceptions reconnues, les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : Access Copyright, aux para 19-20.

[7] En l’espèce, Mme Kaur a déposé un affidavit à l’appui de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans lequel elle expose son histoire personnelle, le processus qui a mené à l’offre d’emploi en cause, la situation et la famille de son employeur et les tâches qui lui incomberaient en tant qu’aide familiale.

[8] Au moment où elle a souscrit son affidavit, Mme Kaur ne disposait pas d’une copie complète de sa demande de résidence permanente présentée à IRCC, car son consultant en immigration n’en avait pas conservé de copie et sa demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 n’avait pas abouti. Elle a demandé que le ministre lui fournisse une copie du dossier certifié du tribunal avant de mettre sa demande de contrôle judiciaire en état, et elle a présenté une requête à cet effet. Le ministre s’y est opposé. Dans une ordonnance datée du 31 mai 2022, la Cour a rejeté la requête, mais a néanmoins mentionné qu’à son avis, le défendeur ne subirait « aucune difficulté ou aucun préjudice s’il fournissait officieusement à Mme Kaur une copie de sa propre demande ». Malheureusement, et étonnamment, malgré le commentaire de la Cour, le ministre a maintenu son refus de fournir à Mme Kaur une copie de sa demande.

[9] L’affidavit de Mme Kaur, auquel elle a joint les parties de sa demande dont elle disposait, décrit ce contexte factuel, en plus de fournir des renseignements supplémentaires sur ses antécédents ainsi que sur la situation et les besoins de la famille pour laquelle elle souhaitait travailler. Comme il ressort clairement du dossier certifié du tribunal, produit après que l’autorisation de déposer la présente demande a été accordée, l’agent ne disposait pas de la plupart de ces renseignements quand il a rendu sa décision. Ces renseignements ne sont pas admissibles : Access Copyright, aux para 19-20. En outre, comme le souligne le ministre, la plupart des renseignements contenus dans l’affidavit constituent du ouï-dire : il s’agit de renseignements au sujet de la situation de la famille qui ont été transmis à Mme Kaur par la mère de la famille.

[10] Lors de l’audience relative au contrôle judiciaire, Mme Kaur n’a pas insisté sur les renseignements supplémentaires contenus dans l’affidavit. Elle s’est plutôt fondée à juste titre sur les renseignements contenus dans le dossier certifié du tribunal et a reconnu que ce dossier comportait l’ensemble des renseignements dont disposait l’agent et qu’il s’agissait par le fait même des seuls renseignements que la Cour pouvait examiner dans le cadre du contrôle judiciaire.

[11] Je ne tiendrai donc pas compte des parties de l’affidavit de Mme Kaur qui portent sur le fond de l’affaire et qui contiennent des renseignements qui ne figurent pas dans le dossier certifié du tribunal.

B. La décision de l’agent était raisonnable

(1) Cadre du programme

[12] Mme Kaur a présenté sa demande dans le cadre du Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial en mars 2020. Ce programme a été créé en 2019 par des instructions ministérielles au titre de l’article 14.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le paragraphe 14.1(7) de la LIPR dispose qu’un agent « est tenu de se conformer aux instructions » pendant le traitement d’une demande.

[13] À l’époque où Mme Kaur a présenté sa demande, les instructions ministérielles relatives au programme prévoyaient deux catégories de demandeurs : ceux qui possédaient au moins 24 mois d’expérience de travail à temps plein au Canada acquise au cours des trois années précédentes dans une profession admissible, et ceux qui ne possédaient pas cette expérience de travail au Canada. Mme Kaur appartenait à la deuxième catégorie de demandeurs. Pour être admissibles au titre de cette catégorie, les candidats devaient démontrer, entre autres, qu’ils avaient reçu une offre d’emploi respectant certaines conditions, dont le fait d’être « authentique ».

[14] Pour évaluer si une demande respecte les conditions énoncées dans les instructions ministérielles, les agents s’appuient sur le manuel intitulé « Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial et Programme pilote des aides familiaux à domicile : Évaluation d’une demande en fonction des critères de sélection ». Comme l’explique Mme Kaur, ce manuel contient des conseils pour déterminer si une offre d’emploi est authentique. Le manuel précise que, pour évaluer l’authenticité d’une offre d’emploi, les agents peuvent tenir compte du « besoin réel d’un aide familial (par exemple, une preuve de présence au foyer d’un enfant d’âge scolaire ou d’une personne ayant des besoins médicaux, ou de la date prévue de la naissance d’un enfant) ». Il précise également que les agents peuvent demander des renseignements complémentaires et utiliser les renseignements fournis dans l’offre d’emploi pour en évaluer la validité.

(2) Demande de résidence permanente et de permis de travail de Mme Kaur

[15] Conformément aux critères d’admissibilité du programme, la demande de Mme Kaur était accompagnée d’une offre d’emploi présentée au moyen du formulaire normalisé d’IRCC pour les offres d’emploi dans le cadre du Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial. Le formulaire d’offre d’emploi rempli, signé par le père de la famille et Mme Kaur en décembre 2019, contenait des renseignements sur la famille pour laquelle Mme Kaur se proposait de travailler, sur l’hébergement chez l’employeur et sur les deux enfants de la famille, âgés de 7 et 11 ans au moment de l’offre.

[16] La section « Description du poste » du formulaire d’IRCC comportait notamment la question « Que fera l’employé au quotidien? Fournissez des descriptions détaillées des tâches (exemple : préparation des repas, magasinage, conduite automobile, entretien ménager, soins aux animaux domestiques, etc.) ». À cette question, la réponse fournie dans le formulaire d’offre d’emploi de Mme Kaur était la suivante : [traduction] « Voir détails dans le contrat de travail (feuille supplémentaire jointe) ». La feuille supplémentaire en question est reproduite en totalité ici :

[traduction]

TÂCHES PRINCIPALES DE L’EMPLOYÉE :

Donner le bain aux bébés et aux enfants, les habiller et les nourrir; discipliner les enfants en employant les moyens indiqués par les parents; tenir un registre des activités quotidiennes des enfants ainsi que de leur état de santé; veiller au bien-être émotionnel des enfants; initier les enfants à l’hygiène personnelle et appuyer leur développement social; prévoir des activités telles que des jeux et des sorties pour les enfants; préparer et servir des repas nutritifs; surveiller et prendre soin des enfants; aider les enfants avec leurs devoirs.

[17] La demande de Mme Kaur ne contenait aucune autre information sur la situation de la famille ou sur les enfants, ni sur les tâches qu’elle serait tenue d’effectuer. Comme le soulignent les deux parties, la liste des tâches principales ci-dessus semble tirée, en grande partie textuellement, de la liste des fonctions principales énumérées pour la profession de « Gardiens/gardiennes d’enfants en milieu familial » dans la Classification nationale des professions.

(3) Décision de l’agent

[18] Un agent d’IRCC a évalué la demande de Mme Kaur en janvier 2022 et l’a rejetée, concluant que l’offre n’était pas authentique. Les notes complètes de l’agent saisies dans le Système mondial de gestion des cas font partie de ses motifs et indiquent ce qui suit :

[traduction]
Le dossier a été examiné.

La demanderesse a présenté une demande de [résidence permanente] et de permis de travail à titre d’aide familiale auprès d’une famille comprenant deux enfants âgés de 10 et de 14 ans.

L’employeur n’a pas embauché d’aides familiaux par le passé et rien n’indique que les enfants ont des handicaps ou des besoins particuliers.

J’ai examiné attentivement les raisons pour lesquelles la famille souhaite embaucher un aide familial, mais je ne suis pas convaincu que des enfants de 10 et 14 ans, sans handicap ni besoins particuliers, nécessitent un aide familial à temps plein. Je suis d’avis que les enfants sont suffisamment âgés et tout à fait capables de s’occuper eux-mêmes des tâches de soins personnels qui seraient autrement accomplies pour eux par un aide familial. Je ne suis donc pas convaincu que la famille présente un besoin raisonnable d’un aide familial. Je ne suis pas convaincu que l’intéressée est une aide familiale, car ses fonctions principales ne seraient pas liées à la prestation de soins.

Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’offre d’emploi n’est pas authentique et visait principalement à faciliter l’entrée de l’intéressée au Canada.

La demande est rejetée, le permis de travail est annulé parce qu’il n’est pas nécessaire, le processus de remboursement a été lancé.

(4) La décision était raisonnable

[19] Mme Kaur soutient que l’agent a manqué à son devoir d’équité puisqu’il n’a pas fourni de motifs adéquats pour justifier le rejet de la demande. Cependant, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que, même si les principes d’équité dictent les contextes dans lesquels un tribunal administratif aura l’obligation de fournir des motifs, lorsque des motifs sont nécessaires et ont été fournis, le bien-fondé ainsi que le caractère suffisant ou adéquat de ces motifs doivent être examinés selon la norme du caractère raisonnable : Vavilov, aux para 76-81, 95-98, 127-128, 136. J’appliquerai donc les principes du contrôle selon la norme du caractère raisonnable à mon évaluation des arguments de Mme Kaur au sujet du caractère adéquat de la décision de l’agent. Ce contrôle permet d’évaluer si les motifs, lus dans leur ensemble et interprétés à la lumière du dossier et du contexte administratif dans lequel ils sont fournis, sont transparents, intelligibles et justifiés : Vavilov, aux para 15, 91-96, 99-101. Comme le souligne Mme Kaur, les motifs doivent être compréhensibles et expliquer à la partie pourquoi sa demande a échoué : Rudan v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 429 au para 10.

[20] Mme Kaur soutient que les motifs invoqués par l’agent ne répondent pas à ce critère. Elle soutient qu’ils ne fournissent pas suffisamment de détails pour expliquer comment ou pourquoi l’agent a décidé que les enfants pouvaient effectuer leurs propres [traduction] « tâches de soins personnels » et que l’agent n’a pas tenu compte des autres tâches de soins que les enfants ne seraient pas en mesure d’effectuer par eux-mêmes. Je ne suis pas du même avis. L’agent évaluait l’authenticité d’une offre d’emploi pour un poste d’aide familial auprès d’une famille comprenant de jeunes enfants, pas des bébés. L’offre indiquait que les tâches de l’aide familial consisteraient à donner le bain, à habiller et à nourrir les enfants, ainsi qu’à les initier à l’hygiène personnelle. Il était raisonnable que l’agent mette en doute le « besoin réel d’un aide familial » compte tenu de l’information qui lui avait été fournie. Contrairement à l’argument de Mme Kaur, je ne vois pas en quoi l’agent aurait besoin d’expliquer davantage sa conclusion selon laquelle des enfants sans besoins particuliers et de l’âge de ceux en l’espèce ne requièrent pas les types de soins décrits.

[21] Comme le souligne Mme Kaur, l’offre d’emploi fait également référence à d’autres tâches, notamment l’organisation d’activités et l’aide aux devoirs. Toutefois, à mon avis, pour évaluer l’authenticité d’une offre, il n’est pas nécessaire de procéder à l’évaluation détaillée de chaque tâche énumérée en fonction des besoins des enfants. Il faut plutôt évaluer si la description des principales fonctions de l’employé correspond raisonnablement à ce qui serait exigé dans les circonstances connues. À cet égard, l’absence de toute autre information sur les besoins et la situation de la famille a considérablement réduit la capacité de l’agent à évaluer si la description de tâches correspondait à celle qui se retrouverait dans une offre d’emploi authentique. Le peu de renseignements que contenait la demande de Mme Kaur au sujet de l’emploi offert a mis en évidence l’absurdité de l’idée selon laquelle elle donnerait le bain à des enfants de 8 et 11 ans et les habillerait.

[22] Mme Kaur soutient également que le manuel du programme fait référence à la « preuve de la présence […] d’un enfant d’âge scolaire », sans exiger que l’enfant ait un âge précis. Elle mentionne que les deux enfants sont d’âge scolaire et soutient que l’agent a essentiellement laissé entendre, dans ses motifs, que seuls les enfants de moins de 10 ans ou les enfants handicapés ou ayant des besoins particuliers ont besoin de soins. Encore une fois, je ne suis pas d’accord. L’agent n’a pas rejeté la demande simplement en raison de l’âge des enfants ou parce qu’il avait conclu que les enfants plus âgés n’avaient pas besoin de soins. Pour conclure que l’offre d’emploi en l’espèce n’était pas authentique, l’agent a plutôt pris en compte la description de tâches qui lui avait été présentée, les renseignements relatifs à l’âge des enfants, le fait que la famille n’avait pas eu d’aide familial auparavant et l’absence de toute autre information concernant la situation. Il était loisible à l’agent de tirer cette conclusion au vu du dossier, et l’agent a justifié sa conclusion de manière adéquate et intelligible dans ses motifs.

[23] Les autres arguments de Mme Kaur, notamment l’argument selon lequel l’agent n’a pas tenu compte de la situation familiale réelle, reposent sur les explications et les renseignements supplémentaires concernant la famille qui figurent dans son affidavit, mais qui n’ont pas été fournis à l’agent. Ces arguments ne peuvent être examinés, car les éléments de preuve sur lesquels ils se fondent sont inadmissibles.

[24] Je ne suis donc pas convaincu que Mme Kaur s’est acquittée de son fardeau d’établir que la décision de l’agent était déraisonnable.

C. La décision de l’agent était équitable

[25] Mme Kaur soutient que l’agent a manqué à son devoir d’équité procédurale en ne l’informant pas de ses doutes et en ne lui donnant pas la possibilité de les dissiper. En particulier, elle soutient que l’agent a injustement tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité sans lui donner l’occasion de dissiper ses doutes.

[26] Il est généralement admis que l’obligation d’équité procédurale qu’ont les agents envers les demandeurs de visa se trouve à l’extrémité inférieure du spectre : Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1184 au para 17, citant Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264 au para 23, et Gur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1275 au para 16. Néanmoins, la Cour a jugé que l’obligation d’équité peut exiger de l’agent des visas qu’il accorde au demandeur la possibilité de répondre lorsque subsistent des doutes concernant sa crédibilité ou l’authenticité des documents : Tollerene c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 538 au para 16; Hamza, aux para 25-29; Madadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 716 au para 6; Rezvani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 951 au para 20.

[27] Mme Kaur soutient que l’agent ne s’est pas contenté d’évaluer le caractère suffisant de la preuve, il s’est aussi autorisé à juger de sa crédibilité lorsqu’il a conclu que l’offre d’emploi n’était [traduction] « pas authentique » et qu’elle visait principalement à faciliter son entrée au Canada. Elle soutient qu’il était inéquitable que l’agent tire cette conclusion sans d’abord l’informer de ses doutes et lui donner l’occasion de les dissiper.

[28] Selon la jurisprudence de la Cour, la conclusion selon laquelle une offre n’est pas authentique n’est pas nécessairement une conclusion défavorable en matière de crédibilité au regard de laquelle l’obligation d’équité exige que le demandeur ait la possibilité de répondre : voir Grewal, aux para 1, 7, 19-23; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 509 aux para 26-28; Hakobyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 499 aux para 1, 5-7. En effet, la Cour a jugé qu’une telle obligation n’est pas nécessairement engagée lorsque la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis par le demandeur est en cause, en particulier lorsque les doutes « découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe » : Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542 aux para 17-26, citant Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 au para 24; Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 au para 30; Rezvani, au para 25; Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 au para 32.

[29] L’exigence selon laquelle une offre d’emploi pour un poste d’aide familial doit être « authentique » découle des instructions ministérielles établissant le programme. L’évaluation de l’« authenticité » peut se fonder sur un certain nombre de facteurs, notamment si l’employeur présente un besoin réel d’un aide familial, s’il a la capacité financière de payer le salaire offert et s’il offre des conditions d’hébergement raisonnables : Grewal, au para 19. Ces facteurs ne soulèvent pas toujours des questions quant à la crédibilité auxquelles l’agent doit donner au demandeur l’occasion de répondre. En l’espèce, après avoir examiné les renseignements limités contenus dans la demande, l’agent a déclaré qu’il n’était [traduction] « pas convaincu que la famille présent[ait] un besoin raisonnable d’un aide familial ». Pour cette raison, il a jugé que l’offre d’emploi ne répondait pas à la condition relative à l’authenticité énoncée dans les instructions ministérielles. Dans ces circonstances, je conclus que l’obligation d’équité procédurale n’exigeait pas que l’agent informe Mme Kaur de ses doutes et lui donne la possibilité de les dissiper.

[30] Je tiens à mentionner un dernier point. Mme Kaur a fait valoir que la conclusion selon laquelle l’offre d’emploi n’était pas authentique et visait principalement à faciliter son entrée au Canada est une conclusion défavorable grave qui pourrait nuire à sa capacité d’obtenir un visa dans le futur ou d’être admise dans le cadre du programme. Un argument similaire avait été avancé dans l’affaire Hakobyan, mais a été rejeté par le juge Locke, alors juge à la Cour fédérale, puisqu’il était sans fondement : Hakobyan, aux para 5, 7. Quoi qu’il en soit, comme je l’indique ci-dessus, la conclusion de l’agent quant à l’inauthenticité de l’offre d’emploi était fondée sur les éléments de preuve limités dont il disposait. Rien n’indique que Mme Kaur ne sera pas en mesure de présenter une nouvelle demande d’entrée au Canada, dans le cadre de ce programme ou d’un autre programme, tant qu’elle accompagne sa demande de la documentation requise pour établir qu’elle est admissible au visa qu’elle cherche à obtenir.

IV. Conclusion

[31] Puisque Mme Kaur n’a pas démontré que la décision était déraisonnable ou inéquitable sur le plan procédural, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[32] Aucune partie n’a proposé de question à certifier. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1184-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1184-22

 

INTITULÉ :

SUKHPREET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AVRIL 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Lucinda A. Wong

POUR LA DEMANDERESSE

 

Meenu Ahluwalia

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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