Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230831


Dossier : T‑1227‑22

Référence : 2023 CF 1181

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

COLLINS NJOROGE

demandeur

et

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il faut décourager fortement les allégations sans fondement selon lesquelles les fonctionnaires judiciaires sont partiaux. Il en va de même pour les appels sans fondement, comme celui dont la Cour est actuellement saisie. La requête du demandeur en appel de l’ordonnance du juge adjoint Trent Horne, à titre de juge responsable de la gestion de l’instance, datée du 31 juillet 2023 (2023 CF 1047) [l’ordonnance du 31 juillet], est rejetée, et les dépens sont payables immédiatement par le demandeur au défendeur au montant de 1 500 $.

II. Contexte de l’appel

(1) La requête sous‑jacente

[2] En novembre 2022, le demandeur a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance déclarant le juge responsable de la gestion de l’instance inhabile à participer à quatre affaires dont la Cour est saisie par le demandeur, au motif d’une crainte raisonnable de partialité [la requête en déclaration d’inhabilité].

[3] En présentant la requête en déclaration d’inhabilité, le demandeur prétendait s’appuyer sur les faits énoncés dans deux appels qu’il avait déposés d’autres décisions du juge responsable de la gestion de l’instance. Dans l’un de ces appels, le demandeur a allégué un manquement à l’équité procédurale. Dans l’autre, il a allégué un parti pris de la part du juge responsable de la gestion de l’instance.

[4] Ces deux appels ont été rejetés par le juge Lafrenière en décembre 2022 : Njoroge c Canada (Procureur général) (9 décembre 2022), dossier no T‑1417 (CF) [Njoroge no 1]; (Njoroge . Canada (Procureur général), 2022 CF 1769 [Njoroge no 2]. Dans cette dernière décision, le juge Lafrenière a directement abordé les allégations de partialité du demandeur, concluant qu’il ne s’agissait que de [TRADUCTION] « simples allégations de partialité » qui ont été faites [traduction] « en l’absence de toute preuve » : Njoroge no 2, au para 68. Le demandeur a interjeté appel de la décision Njoroge no 1 devant la Cour d’appel fédérale, mais l’appel a été rejeté le 25 juillet 2023, avant une audience sur le bien‑fondé. Le demandeur n’a pas interjeté appel de la décision Njoroge no 2.

[5] Après la décision du juge Lafrenière dans l’affaire Njoroge no 2, le juge responsable de la gestion de l’instance a émis une directive donnant au demandeur la possibilité de présenter d’autres observations sur la requête en déclaration d’inhabilité. Bien que le juge Lafrenière ait conclu qu’il n’y avait pas de preuve à l’appui des allégations de partialité du demandeur, celui‑ci a poursuivi sa requête et [TRADUCTION] « s’est opposé » à la directive pour les motifs sans fondement de [traduction] « manque de compétence et d’équité procédurale », refusant de déposer d’autres observations de fond.

(2) L’ordonnance du 31 juillet

[6] Dans ses motifs de l’ordonnance du 31 juillet, le juge responsable de la gestion de l’instance a traité de l’historique procédural, des allégations de partialité du demandeur et du droit applicable. Après avoir examiné la preuve, le droit et les arguments, il a conclu que le critère de la crainte raisonnable de partialité n’avait pas été rempli. Le juge responsable de la gestion de l’instance a conclu, tout comme le juge Lafrenière, que le demandeur n’avait déposé aucun élément de preuve pour étayer ses allégations de partialité.

[7] Le juge responsable de la gestion de l’instance a donc rejeté la requête. Il a également conclu que la situation justifiait des dépens élevés, accordant 1 870 $ en faveur du défendeur.

III. Norme de contrôle

[8] La Cour examinera l’ordonnance du 31 juillet selon les normes de contrôle applicables en appel, à savoir la décision correcte dans le cas des questions de droit, et l’erreur manifeste et dominante dans le cas des questions et mixtes de fait et de droit : Commanda c Algonquins de Pikwakanagan Première Nation, 2019 CAF 76, au para 9, citant Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33; Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au para 79.

IV. Analyse

[9] Le demandeur présente des arguments limités en l’espèce. Ils ne méritent qu’une analyse limitée.

[10] Les observations écrites du demandeur sur l’appel sont de quatre paragraphes. Le premier précise la nature de l’appel et la décision faisant l’objet du contrôle. Le deuxième indique que le demandeur [traduction] « s’appuie sur les faits et le droit tirés » de trois lettres que le demandeur a écrites à la Cour et de deux directives verbales émises par le juge responsable de la gestion de l’instance. Le troisième affirme que [traduction] « les allégations d’erreurs de compétence et de droit sont, ou devraient être, apparentes » et fait référence de façon générale à diverses décisions faisant autorité. Le dernier reformule l’ordonnance demandée.

[11] J’ai examiné l’ordonnance du 31 juillet, les arguments écrits des parties, ainsi que les lettres et les directives auxquelles le demandeur fait référence. Je ne vois aucune erreur dans l’ordonnance du 31 juillet. Le juge responsable de la gestion de l’instance a énoncé de façon exhaustive et exacte les principes juridiques et la jurisprudence applicables en ce qui concerne les allégations de crainte raisonnable de partialité et les requêtes en récusation. Il a examiné et analysé les arguments et les éléments de preuve limités présentés par le demandeur. Ses conclusions selon lesquelles le demandeur n’avait pas démontré une crainte raisonnable de partialité et qu’il ne devait donc pas se récuser n’étaient pas erronées. En fait, elles étaient inévitables d’après le dossier.

[12] Comme le juge responsable de la gestion de l’instance l’a déclaré à juste titre, le fardeau d’établir une partialité apparente incombe à la personne qui l’allègue, et le seuil est élevé : ABB Inc c Hyundai Heavy Industries Co, Ltd, 2015 CAF 157, au para 55. Le demandeur n’a déposé aucun élément de preuve et n’a fait aucune référence à la conduite ou aux décisions du juge responsable de la gestion de l’instance qui pourraient satisfaire le moindrement à ce fardeau. Il s’appuie plutôt sur de simples affirmations qui n’ont aucun fondement en droit ou en fait. La requête du demandeur et le présent appel sont tout à fait sans fondement.

[13] Le demandeur ne relève aucune erreur dans l’énoncé de droit du juge responsable de la gestion de l’instance ou dans son application. Dans la mesure où le demandeur croit qu’il y a des erreurs de compétence ou de droit qui [traduction] « sont ou devraient être apparentes », il se trompe. Aucune erreur de ce genre n’est apparente à la Cour.

[14] Il incombe à l’appelant de relever et de démontrer une erreur dans la décision faisant l’objet de l’appel : Southpark Estates Inc. c Canada, 2006 CAF 153, au para 58. Il ne suffit pas de déclarer que les erreurs dans la décision sont [traduction] « apparentes ». Le demandeur n’a relevé aucune erreur de la part du juge responsable de la gestion de l’instance, encore moins une erreur qui justifierait une intervention en appel.

[15] Bien que la Cour ait rendu deux décisions soulignant la gravité des allégations de partialité contre les membres de la magistrature, le demandeur a continué de faire valoir ses allégations injustifiées et non fondées. La Cour doit donc répéter ses conclusions le plus clairement possible. Il n’y a aucune preuve d’une crainte raisonnable de partialité de la part du juge responsable de la gestion de l’instance. Ce dernier n’a commis aucune erreur en refusant de se déclarer inhabile ou de se récuser. Le fait qu’un fonctionnaire judiciaire prenne une ou plusieurs décisions qui vont à l’encontre d’une partie ne signifie pas qu’il a des préjugés contre cette partie. Les allégations selon lesquelles un fonctionnaire judiciaire a un parti pris contre une partie sont des allégations graves qui ne doivent être faites que lorsqu’elles sont justifiées.

[16] L’appel du demandeur est donc rejeté.

V. Dépens

[17] Lorsqu’elle examine l’adjudication des dépens, la Cour peut tenir compte de divers facteurs, notamment le résultat de l’instance, la conduite des parties, la question de savoir si une mesure prise était inappropriée, vexatoire ou inutile, et toute autre question pertinente : Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, art 400(1) et 400(3)a), i), k)(i), o). Le demandeur a été débouté en l’espèce. Il n’y a aucune raison de ne pas appliquer la règle habituelle selon laquelle les dépens devraient être adjugés au défendeur qui a eu gain de cause.

[18] Les allégations injustifiées de partialité constituent une attaque contre la Cour et le système judiciaire lui‑même : Abi‑Mansour c Canada (Affaires Autochtones), 2014 CAF 272, aux para 12 et 23. De telles allégations peuvent donner lieu à un abus de procédure et méritent d’être sanctionnées par la Cour par l’adjudication de dépens élevés : Rodney Brass c Papequash, 2019 CAF 245, aux para 17-19; Abi‑Mansour, aux para 12-15 et 23. Même si la requête du demandeur n’était pas longue ou particulièrement complexe, elle nécessitait une réponse de la part du défendeur. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire et de la nature tout à fait injustifiée de l’appel, j’estime que l’adjudication de dépens de 1 500 $ est juste et appropriée en l’espèce.

[19] Le paragraphe 401(2) des Règles prévoit que, si la Cour est convaincue qu’une requête n’aurait pas dû être présentée, elle ordonne que les dépens afférents à la requête soient payés sans délai. La présente requête en appel tombe carrément dans la catégorie d’une requête qui n’aurait pas dû être présentée. Les frais susmentionnés seront payables immédiatement.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑1227‑22

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête du demandeur en appel de la décision du juge adjoint Horne datée du 31 juillet 2023 est rejetée.

  2. Le demandeur doit payer sans délai au défendeur le montant de 1 500 $ à titre de dépens.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1227‑22

 

INTITULÉ :

COLLINS NJOROGE c GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 août 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Collins Njoroge

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Akkila Thirukesan

 

Pour le défenseur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défenseur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.