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Date : 20230912

Dossier : IMM-8246-21

Référence : 2023 CF 1228

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

MOHAMED SALAHELDIN MOHAMED ELHALWANY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Mohamed Salaheldin Mohamed Elhalwany, a demandé l’asile au Canada parce qu’il craint d’être persécuté par les autorités égyptiennes en raison de ses opinions politiques antigouvernementales. M. Elhalwany allègue qu’il a travaillé comme policier en Égypte pendant environ 18 ans et que, pendant cette période, il a refusé d’obéir à des ordres qui violaient sa conscience. Il prétend avoir été menacé et muté de façon punitive en conséquence dans des régions dangereuses.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile de M. Elhalwany. Elle a jugé qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait été complice de crimes contre l’humanité et qu’il ne pouvait donc avoir qualité de réfugié au titre de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Elle s’interrogeait plus précisément sur la contribution de M. Elhalwany aux opérations de sécurité menées à Suez et dans le Sinaï Nord pendant qu’il y travaillait comme policier.

[3] M. Elhalwany a interjeté appel à la Section d’appel des réfugiés [la SAR], où il a demandé l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve. La SAR a rejeté son appel. À l’instar de la SPR, elle était d’avis qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que M. Elhalwany avait été complice de crimes contre l’humanité lorsqu’il était policier à Suez et dans le Sinaï Nord.

[4] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Il fait valoir que la SAR a commis une erreur en n’admettant pas de nouveaux éléments de preuve, qu’elle n’a pas fait preuve d’équité procédurale à son endroit en raison de la mauvaise qualité audio de l’enregistrement de l’audience de la SPR et qu’elle a appliqué de manière déraisonnable le critère relatif à la complicité énoncé dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40.

[5] Je suis d’accord avec le requérant pour dire que la SAR a commis une erreur en n’admettant pas les parties de son affidavit relatives à son témoignage devant la SPR. Ces éléments de preuve auraient pu être pertinents lorsqu’il s’agissait de déterminer si la mauvaise qualité audio de l’enregistrement d’une journée d’audience de la SPR constituait un manquement à l’équité procédurale. Il est inutile que j’examine les autres arguments de M. Elhalwany parce que la question de l’équité procédurale doit être réévaluée compte tenu de la pertinence possible des nouveaux éléments de preuve que souhaite présenter M. Elhalwany.

[6] Pour les motifs énoncés ci-après, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

II. La question en litige et la norme de contrôle

[7] La question déterminante en l’espèce concerne la décision de la SAR d’exclure la preuve par affidavit présentée par M. Elhalwany relativement à son témoignage devant la SPR. J’ai examiné l’analyse et la décision de la SAR sur cette question en appliquant la norme de la décision raisonnable (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 [Singh] aux para 29, 74; Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1145 au para 9).

[8] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a décrit une décision raisonnable comme étant « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [...] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Le décideur administratif doit s’assurer que l’exercice de son pouvoir public est « justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

III. Le refus d’admettre la preuve par affidavit

[9] Un demandeur ne peut présenter de nouvelle preuve à la SAR que s’il s’agit d’éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande par la SPR ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, que le demandeur n’aurait pas normalement présentés au moment du rejet (art 110(4) de la LIPR). La SAR a estimé que l’essentiel de l’affidavit de M. Elhalwany ne satisfaisait pas aux conditions légales régissant l’admission de nouveaux éléments de preuve par la SAR. Le raisonnement de la SAR sur cette question se limite à l’énoncé suivant : « Le reste de l’affidavit contient des explications et des arguments au sujet du témoignage présenté à l’audience, de sorte qu’il ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR ».

[10] M. Elhalwany a fait valoir devant la SAR qu’il y avait eu iniquité procédurale en raison du caractère incomplet du dossier. L’audience de M. Elhalwany devant la SPR a duré deux jours. Il y avait une transcription pour la première journée d’audience, mais pas pour la deuxième, à cause de la piètre qualité audio de l’enregistrement. Dans les observations qu’il a présentées à la SAR, M. Elhalwany a soutenu que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité ne pouvaient être confirmées en raison du dossier incomplet dont disposait la SAR. En l’espèce, M. Elhalwany s’est reporté à l’affidavit qu’il a déposé en tant que nouvel élément de preuve à la SAR. Dans cet affidavit, il souligne les parties de son témoignage que la SAR, selon lui, n’a pas pris en considération ou a mal interprétées.

[11] C’est devant la SAR que M. Elhalwany a invoqué pour la première fois l’atteinte à l’équité procédurale attribuable au fait que le dossier était incomplet. La SAR n’explique pas comment, dans ces circonstances, M. Elhalwany aurait pu présenter plus tôt cet élément de preuve au sujet de son témoignage. Elle n’analyse pas le nouvel élément de preuve appuyant l’allégation d’iniquité procédurale qui a été formulée en appel. Cette omission n’était pas raisonnable.

[12] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune des parties n’a soulevé de question grave de portée générale à certifier, et j’estime que la présente affaire n’en soulève aucune.


LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvelle décision.

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

Vide

« Lobat Sadrehashemi »

Vide

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8246-21

 

INTITULÉ :

MOHAMED SALAHELDIN MOHAMED ELHALWANY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 12 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Monique Ann Ashamalla

POUR LE DEMANDEUR

 

James Todd

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ashamalla LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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