Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230913


Dossier : T‑1217‑22

Référence : 2023 CF 1238

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE:

MAZDA CANADA INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 24 mai 2022, par laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a rejeté la demande de remboursement de la demanderesse concernant des droits de douane qu’elle a payés sur des pièces de véhicule importées défectueuses.

[2] La demanderesse, Mazda Canada Inc. [Mazda], affirme que i) la décision est déraisonnable, car les renseignements prescrits concernant l’aliénation (« destination » dans le Règlement sur le remboursement des droits) des pièces défectueuses en litige ont été fournis à l’ASFC, même si ce n’était pas au moyen du formulaire réglementaire, et que ii) l’ASFC a violé les principes d’équité procédurale en ne répondant pas à ses attentes légitimes.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Cadre législatif applicable

[4] Les marchandises importées au Canada sont assujetties au paiement de droits. L’article 76 de la Loi sur les douanes, LRC, 1985, c 1 (2e supp), prévoit qu’une personne qui a payé des droits sur des marchandises importées qui sont défectueuses peut demander au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] le remboursement de ces droits, en tout ou en partie, si les marchandises ont été aliénées conformément à des modalités acceptées par lui, ou si elles ont été exportées :

Marchandises défectueuses

76(1) Sous réserve des règlements pris en vertu de l’article 81, le ministre peut, dans les circonstances prévues par règlement, accorder à une personne le remboursement de tout ou partie des droits qu’elle a payés sur des marchandises importées qui, d’une part, sont défectueuses, de qualité inférieure à celle pour laquelle il y a eu paiement ou différentes des marchandises commandées et, d’autre part, après leur importation, ont, sans frais pour Sa Majesté du chef du Canada, été aliénées conformément à des modalités acceptées par le ministre, ou ont été exportées.

Applications des paragraphes 74(2) et (3) et 75(1)

76(2) Les paragraphes 74(2) et (3) et 75(1) s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, aux remboursements visés au présent article.

Refunds for defective goods

76(1) Subject to any regulations made under section 81, the Minister may, in such circumstances as may be prescribed, grant to any person by whom duties were paid on imported goods that are defectives, are of a quality inferior to that in respect of which duties were paid or are not the goods ordered, a refund of the whole or part of the duties paid thereon if the goods have, subsequently to the importation, been disposed of in a manner acceptable to the Minister at no expense to Her Majesty in right of Canada or exported.


Subsections 74(2) and (3) and 75(1) apply

76(2) Subsections 74(2) and (3) and 75(1) apply, with such modifications as the circumstances require, in respect of refunds under this section.

[5] Pour présenter une demande de remboursement de droits, le formulaire réglementaire est le formulaire B2, Douanes Canada – Demande de rajustement.

[6] Pour qu’un remboursement soit accordé en vertu de l’article 76, l’alinéa 74(3)b) de la Loi sur les douanes prévoit que la personne qui présente la demande de remboursement doit établir que les marchandises défectueuses ont été aliénées conformément aux modalités acceptées par le ministre ou qu’elles ont été exportées en produisant le formulaire réglementaire qui contient les renseignements prescrits.

[7] De plus, les articles 36 à 39 du Règlement sur le remboursement des droits, DORS/98‑48 [le Règlement] régissent l’octroi des remboursements de droits conformément à l’article 76 de la Loi sur les douanes. L’article 38 du Règlement énonce les justificatifs qui doivent accompagner la demande de remboursement de droits sur des marchandises. Plus particulièrement, l’alinéa 38d) indique que la demande doit être accompagnée du formulaire réglementaire confirmant que les marchandises ont été réexportées ou confirmant leur destination. Le texte de l’article 38 est le suivant :

 

Justificatifs

38 La demande de remboursement des droits doit être accompagnée :

a) d’une attestation écrite provenant du fabricant, de l’exportateur ou du vendeur des marchandises confirmant que celles‑ci sont défectueuses, de qualité inférieure à celles pour lesquelles il y a eu paiement ou différentes des marchandises commandées, et indiquant la nature de la défectuosité ou ce en quoi les marchandises sont de qualité inférieure, ou précisant les marchandises qui ont été réellement commandées, selon le cas;

b) d’une copie de tout document relatif à un remboursement ou à un crédit accordé par le vendeur des marchandises à l’importateur ou au propriétaire et indiquant le montant de tout remboursement du prix d’achat ou de tout crédit offert pour les marchandises;

c) dans les cas de marchandises de qualité inférieure ou de marchandises différentes de celles qui ont été commandées, d’une copie de la facture, du bon de commande, du contrat ou de tout autre document sur lequel figurent les marchandises qui ont été réellement commandées;

d) d’une copie du formulaire réglementaire confirmant que les marchandises ont été réexportées ou confirmant leur destination.

[Non souligné dans l’original.]

 

Evidence in Support of Application

38 An application for a refund of duties must be supported by

(a) a written statement by the exporter, vendor or manufacturer of the goods confirming that the goods are defective, are of a quality inferior to that in respect of which duties were paid or are not the goods ordered and identifying the nature of the defect or inferior quality or the goods that were actually ordered, as the case may be;

(b) a copy of any document relating to a refund or credit given by the vendor of the goods to the importer or owner, showing the amount of any refund of the purchase price or of any credit given in respect of the goods;

(c) in the case of goods of inferior quality or that are not the goods ordered, a copy of the invoice, purchase order, contract or other document that shows the goods that were actually ordered; and

(d) a copy of the prescribed form verifying the exportation or disposal of the goods.

[Emphasis added.]

[8] Le Mémorandum D6‑2‑3 de l’ASFC intitulé « Remboursement des droits » énonce la politique et les procédures de l’ASFC qui régissent le remboursement des droits en vertu du paragraphe 76(1). Ce mémorandum prévoit que le « formulaire réglementaire » auquel renvoient la Loi sur les douanes et le Règlement, qui confirme la réexportation des marchandises défectueuses ou leur destination, est le formulaire E15, Certificat de destruction/exportation [le formulaire E15]. Plus particulièrement, les paragraphes 50 et 51 du Mémorandum D6‑2‑3 indiquent ce qui suit :

50. Si l’importateur ou le propriétaire désire que les marchandises soient détruites au Canada, leur destruction se fera à ses frais sous la surveillance de l’ASFC.

51. C’est au demandeur qu’il incombe d’utiliser, pour la description des marchandises sur le formulaire E15, Certificat de destruction/exportation, des termes qui permettront de faire le lien avec la déclaration en détail, la demande de remboursement et les pièces justificatives pertinentes.

[9] La Loi sur les douanes et les divers règlements y afférents décrivent également un certain nombre d’obligations dont les importateurs doivent s’acquitter pour ce qui est de la conservation des documents et de leur communication, sur demande, à l’ASFC. Le paragraphe 40(1) de la Loi sur les douanes et les articles 2 et 4 du Règlement sur les documents relatifs à l’importation de marchandises, DORS/86‑1011, exigent que les importateurs conservent les documents relatifs aux marchandises commerciales pendant les six ans qui suivent leur importation, et cela inclut les documents relatifs à l’aliénation de ces marchandises ou aux remboursements de droits. Aux termes de l’article 4 du Règlement sur les documents relatifs à l’importation de marchandises, les livres et les registres des importateurs doivent être conservés de manière à permettre à l’ASFC d’en effectuer des vérifications et d’obtenir ou de vérifier les renseignements ayant servi au calcul du montant des droits payés, à payer, reportés, remboursés ou visés par une exonération. Détail important, l’alinéa 42(2)(a) de la Loi sur les douanes précise qu’un agent de l’ASFC peut inspecter, vérifier ou examiner tout document se rapportant à l’application et à l’exécution de la Loi :

Enquêtes

42 (2) L’agent chargé par le président, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, de l’application du présent article peut à toute heure convenable, pour l’application et l’exécution de la présente loi :

a) inspecter, vérifier ou examiner les documents d’une personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres de la personne ou qui devraient y figurer, soit à toute somme à payer par la personne en vertu de la présente loi;

b) examiner les biens à porter à l’inventaire d’une personne, ainsi que tout bien ou tout procédé de celle‑ci ou toute matière la concernant dont l’examen peut aider l’agent à établir l’exactitude de l’inventaire de la personne ou à contrôler soit les renseignements qui figurent dans les documents de la personne ou qui devraient y figurer, soit toute somme payée ou à payer par la personne en vertu de la présente loi;

c) sous réserve du paragraphe (3), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus, ou devraient être tenus, des documents;

d) requérir le propriétaire du bien ou de l’entreprise, ou la personne en ayant la gestion, ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir toute l’aide raisonnable et de répondre véridiquement à toutes les questions et, à cette fin, requérir le propriétaire ou la personne ayant la gestion de l’accompagner sur les lieux.

[Non souligné dans l’original.]

Inspections

42(2) An officer, or an officer within a class of officers, designated by the President for the purposes of this section, may at all reasonable times, for any purpose related to the administration or enforcement of this Act,

(a) inspect, audit or examine any record of a person that relates or may relate to the information that is or should be in the records of the person or to any amount paid or payable under this Act;

(b) examine property in an inventory of a person and any property or process of, or matter relating to, the person, an examination of which may assist the officer in determining the accuracy of the inventory of the person or in ascertaining the information that is or should be in the records of the person or any amount paid or payable by the person under this Act;

(c) subject to subsection (3), enter any premises or place where any business is carried on, any property is kept, anything is done in connection with any business or any records are or should be kept; and

(d) require the owner or manager of the property or business and any other person on the premises or place to give the officer all reasonable assistance and to answer truthfully any question, and, for that purpose, require the owner, manager or other person designated by the owner or manager to attend at the premises or place with the officer.

[Emphasis added.]

[10] Le paragraphe 43(1) de la Loi sur les douanes autorise également le ministre à obliger une personne à fournir tout document aux fins d’exécution ou de contrôle d’application de cette loi.

III. Contexte

[11] Mazda compte environ 164 concessionnaires d’automobiles d’un bout à l’autre du Canada. Elle offre aux acheteurs une garantie pour les pièces qui prévoit que le vendeur ou le fabricant d’un produit retirera et remplacera toute pièce jugée défectueuse. Conformément à la politique de garantie de Mazda, chaque concessionnaire est responsable de la destruction des pièces défectueuses que peuvent comporter les véhicules Mazda qu’il vend.

[12] Le 6 janvier 1996, Mazda a conclu une convention avec Revenu Canada – qui a été remplacé par l’Agence des douanes et du revenu du Canada et l’ASFC – qui régissait la manière dont seraient réglées les demandes de remboursement concernant les marchandises défectueuses, de façon à [TRADUCTION] « libérer Mazda Canada Inc. de l’obligation de se conformer aux exigences strictes en matière de documents papier pour chaque transaction, énoncées dans le Mémorandum des douanes D6‑2‑2, aux fins de remboursement des droits relatifs aux pièces défectueuses dans les véhicules importés qui ont été remplacées au titre de la garantie et détruites par la suite » [la convention de 1996]. La convention de 1996 prévoyait notamment que, i) par souci de simplification administrative, le formulaire K32 – Demande de drawback [le formulaire K32] que présenterait Mazda serait admis comme formulaire réglementaire pour les renseignements relatifs à un remboursement, et que ii) Revenu Canada accepterait le programme de garantie de la société Mazda en le considérant [TRADUCTION] « comme une substitution adéquate du formulaire E15 ».

[13] Les 21 et 23 février 2017, l’ASFC a informé le représentant commercial de Mazda que la politique de l’ASFC concernant les remboursements des droits payés sur des pièces défectueuses accordés en vertu du paragraphe 76(1) de la Loi sur les douanes avait changé et que, pour obtenir des remboursements, les importateurs étaient dorénavant tenus de produire une copie papier du formulaire B2 pour les demandes de rajustement plutôt que le formulaire K32 Demande de drawback comme l’autorisait auparavant la convention de 1996. Par ailleurs, le courriel envoyé au représentant commercial de Mazda le 21 février 2017 transférait un courriel interne de l’ASFC qui indiquait que la convention de 1996 n’était [TRADUCTION] « plus valide ».

[14] Le 31 mai 2018, Mazda a déposé à l’ASFC une demande de remboursement de droits sur des pièces de véhicule importées défectueuses, conformément au paragraphe 76(1) de la Loi sur les douanes. Elle a également produit une demande d’autorisation de présenter un formulaire B2 général [la demande d’autorisation pour B2 général]. Une demande d’autorisation pour B2 général est le processus administratif par lequel un importateur peut demander à l’ASFC l’autorisation de présenter, dans le cadre d’une seule demande, plusieurs demandes de rajustement ou de remboursement semblables pour une période donnée. La demande d’autorisation pour B2 général englobait 10 demandes de remboursement de droits soumises à l’ASFC entre le 17 mai 2018 et le 4 mars 2019. Sur la demande, dans le champ « Motif des rajustements et disposition(s) légale(s) », le représentant commercial de Mazda a écrit ceci : [TRADUCTION] « Les réclamations de garantie étaient initialement effectuées sous forme de drawback. L’ASFC a demandé qu’à compter de février 2017 les demandes au titre du paragraphe 76(1) de la Loi sur les douanes soient présentées au moyen du formulaire B2 général ».

[15] Le 19 décembre 2019 et le 9 janvier 2020, l’ASFC a rendu une série de 10 décisions rejetant les demandes de remboursement de droits de Mazda.

[16] Le 26 janvier 2021, Mazda a présenté une demande de contrôle judiciaire concernant les 10 décisions. Cette demande a été réglée sur consentement des parties et la demande d’autorisation pour B2 général de Mazda a été renvoyée pour qu’un agent différent de l’ASFC [l’agent] la réexamine.

[17] Le 13 mai 2021, l’agent a envoyé à Mazda une lettre lui demandant de fournir des pièces justificatives en lien avec une liste de transactions d’importation échantillonnées identifiées dans la demande d’autorisation pour B2 général [la lettre de demande]. Il a demandé à Mazda de fournir les éléments suivants à l’appui de sa demande de remboursement (comme le prescrit l’article 38 du Règlement) :

[traduction]
Votre demande a été examinée et l’ASFC a maintenant besoin que vous lui fournissiez les pièces justificatives suivantes pour les transactions B3 identifiées ci‑dessous. Conformément au paragraphe 40(1) de la Loi sur les douanes, veuillez fournir les documents ou les dossiers qui suivent pour chaque ligne de transaction identifiée dans les tableaux figurant aux annexes A à J inclusivement.

a) une attestation écrite provenant du fabricant, de l’exportateur ou du vendeur des marchandises confirmant que celles‑ci sont défectueuses, de qualité inférieure à celles pour lesquelles il y a eu paiement ou différentes des marchandises commandées, et indiquant la nature de la défectuosité ou ce en quoi les marchandises sont de qualité inférieure, ou précisant les marchandises qui ont été réellement commandées, selon le cas;

b) une copie de tout document relatif à un remboursement ou à un crédit accordé par le vendeur des marchandises à l’importateur ou au propriétaire et indiquant le montant de tout remboursement du prix d’achat ou de tout crédit offert pour les marchandises;

c) dans les cas de marchandises de qualité inférieure ou de marchandises différentes de celles qui ont été commandées, une copie de la facture, du bon de commande, du contrat ou de tout autre document sur lequel figurent les marchandises qui ont été réellement commandées;

d) une copie du formulaire réglementaire confirmant que les marchandises ont été réexportées ou confirmant leur destination.

[18] Le 17 mai 2021, l’avocat de Mazda a envoyé à l’ASFC une lettre de réponse à la lettre de demande et a sollicité des éclaircissements au sujet des renseignements exigés.

[19] L’agent a répondu le 26 mai 2021. Il a ainsi précisé, pour ce qui était du point d) de la lettre de demande, que les mots [traduction] « une copie du formulaire réglementaire confirmant que les marchandises ont été réexportées ou confirmant leur destination » faisaient référence au formulaire E15. L’agent a demandé à Mazda d’indiquer quelle autre preuve de destruction elle pouvait fournir à l’ASFC si elle n’avait pas de formulaire E15.

[20] Par un courriel daté du 31 mai 2021, l’avocat de Mazda a répondu ceci :

[traduction]
La convention du 5 janvier 1996 conclue entre l’ASFC et Mazda Canada prévoit que les livres et registres de Mazda Canada sont considérés comme suffisants aux yeux du ministre pour prouver que les pièces défectueuses ont été détruites. C’est pour cette raison que le certificat E15 n’a pas été fourni.

Il convient de signaler que les pièces défectueuses sont toutes détruites par chacun des concessionnaires une fois par mois. Pour des raisons évidentes, ni Mazda Japon ni Mazda Canada ne veulent que ces pièces défectueuses se retrouvent sur le marché.

[21] Le 10 juin 2021, l’avocat de Mazda a remis à l’ASFC la copie d’une lettre de la société mère de Mazda au Japon, indiquant ce qui suit :

[traduction]
À qui de droit,

Toutes les pièces retirées de véhicules fabriqués au Japon qui sont ensuite importés au Canada et pour lesquels Mazda Canada [« MCI »] a payé des droits sont dûment décrites dans le « Mémoire sur la garantie du fabricant » – document annexé à l’entente-cadre de distribution conclue entre Mazda Japon [« Mazda »] et MCI – et sont considérées comme des marchandises défectueuses ou de qualité inférieure pour l’application de la Loi sur les douanes.

MCI conserve les documents et les dossiers de l’entreprise vérifiables qui sont spécifiés dans l’entente pour chaque pièce qui est retirée faisant l’objet de la garantie.

[22] Le 16 juin 2021, l’agent a eu une conversation téléphonique avec l’avocat de Mazda pour fournir de plus amples éclaircissements sur les pièces justificatives nécessaires pour la demande de remboursement de Mazda. Selon la note au dossier qu’il a rédigée au sujet de cette conversation, l’agent a confirmé que la convention de 1996 n’était plus en vigueur et que les demandes étaient examinées au regard des exigences de l’article 76 de la Loi sur les douanes.

[23] Le 24 juin 2021, l’agent a envoyé une lettre de demande supplémentaire [la seconde lettre de demande] au représentant commercial de Mazda. Dans cette lettre, il demandait à Mazda de présenter les pièces justificatives exigées avant le 16 juillet 2021. Il a fourni à Mazda des renseignements supplémentaires au sujet de ces pièces justificatives. Pour ce qui était du point d), il a précisé que le formulaire réglementaire confirmant la réexportation des marchandises ou leur destination était le formulaire E15, mais que, si Mazda ne disposait pas de celui‑ci, elle pouvait produire plutôt [TRADUCTION] « les documents ayant servi à consigner la destruction et la destination de la pièce ». Il a fait savoir qu’une décision serait prise quant à la question de savoir si les renseignements étaient suffisants pour confirmer la destination des marchandises.

[24] Le 25 juin 2021, en réponse à la seconde lettre de demande, l’avocat de Mazda a téléphoné à l’agent et lui a dit que rien, dans la loi, ne justifiait certaines demandes de renseignements. Lors de la conversation téléphonique, l’agent a fourni une fois de plus d’autres éclaircissements sur les renseignements demandés et les exigences énoncées dans le Règlement. Il a réitéré que, en l’absence de formulaires E15, Mazda devait produire [TRADUCTION] « tout document qu’elle pouvait détenir » faisant état de la destruction des pièces défectueuses.

[25] Le 13 juillet 2021, l’agent et l’avocat de Mazda ont eu une autre conversation téléphonique pour éclaircir davantage la question des documents exigés. Mazda a demandé une prorogation du délai prévu pour fournir les documents en question, et l’agent lui a donné comme délai le 3 août 2021.

[26] Le 19 juillet 2021, le représentant commercial de Mazda a envoyé à l’ASFC des renseignements concernant les réclamations de garantie faites par des propriétaires de véhicule pour les pièces défectueuses visées par chacune des 10 transactions échantillonnées.

[27] Le 10 août 2021, conformément à la lettre de demande et au point c) de la seconde lettre de demande de l’agent, le représentant commercial de Mazda a envoyé à l’ASFC les factures commerciales applicables à chacune des 10 transactions échantillonnées. Le lendemain, soit le 11 août 2021, l’agent a répondu à ce courriel en posant des questions supplémentaires sur les données d’origine et en demandant que celles‑ci soient envoyées au cours de la semaine. Il a aussi demandé à Mazda si elle était en mesure de fournir des éléments au sujet de la destruction et la destination des pièces.

[28] Le 6 octobre 2021, l’agent a eu une conférence téléphonique avec l’avocat et le représentant commercial de Mazda pour discuter des pièces justificatives qui avaient été fournies à l’ASFC. Pour ce qui était de la destruction et de la destination des pièces défectueuses, les représentants de Mazda ont expliqué à l’agent que l’entreprise procède à des vérifications internes chez les concessionnaires en vue de confirmer la destruction et la destination des pièces. L’agent a demandé quels étaient les documents que l’on conservait à ce sujet, s’il y avait des documents quelconques conservés à la suite d’une vérification interne et, le cas échéant, pendant combien de temps ces documents étaient conservés. Les représentants ont déclaré qu’ils se renseigneraient auprès de Mazda. Une fois de plus, l’avocat de Mazda a renvoyé à la convention de 1996, signalant que l’une des raisons pour lesquelles celle‑ci avait été conclue était que Mazda n’aurait pas à envoyer des pièces à un site de l’ASFC pour destruction. Il a souligné que Mazda prenait au sérieux la question du retrait et de la destination des pièces défectueuses parce qu’il pourrait y avoir de graves conséquences si cela n’était pas fait correctement et que ces pièces se retrouvaient sur le marché secondaire.

[29] Le 20 octobre 2021, le représentant commercial de Mazda a envoyé à l’ASFC d’autres données concernant les réclamations de garantie faites pour les pièces de véhicule défectueuses relativement à certaines des transactions échantillonnées.

[30] Le 26 octobre 2021, le représentant de Mazda a envoyé à l’ASFC une copie d’un document intitulé [TRADUCTION] « Examen opérationnel du concessionnaire : County Mazda – 58524 » [l’exemple de rapport de vérification]. Dans son courriel, il a écrit : [TRADUCTION] « Vous trouverez en pièce jointe un exemple de rapport de vérification pour vos dossiers démontrant que les concessionnaires font l’objet d’une vérification de la part de Mazda Canada afin de s’assurer que les pièces sont détruites et que les montants rétrofacturés sont exacts à 100 % ».

[31] Le 3 novembre 2021, le représentant commercial de Mazda a envoyé à l’ASFC une copie des relevés comptables, bancaires et de garantie se rapportant au crédit que Mazda Japon accordait à Mazda pour les pièces défectueuses. Il a écrit dans le courriel qu’il espérait que la société avait fourni tout ce dont l’agent avait besoin [TRADUCTION] « pour donner suite à ces demandes conformément à l’entente en vigueur entre Mazda Canada et l’ASFC ».

[32] Le 16 novembre 2021, une conférence téléphonique regroupant l’avocat de Mazda, le représentant commercial de Mazda et l’agent a été tenue pour discuter des questions en suspens et des pièces justificatives. L’agent a fait savoir qu’il enverrait bientôt à Mazda une lettre de décision définitive refusant le remboursement parce que l’entreprise n’avait pas démontré la destruction ou la destination des pièces défectueuses conformément à l’alinéa 38d) du Règlement.

[33] Le 17 novembre 2021, l’avocat de Mazda a envoyé à l’agent un courriel dans lequel il faisait état de cette conversation et a demandé si, par souci d’équité procédurale, il pouvait présenter des observations écrites sur ce point avant que l’agent rédige sa lettre de décision, dans l’espoir que cela lui fasse changer d’avis. L’avocat de Mazda a demandé qu’on lui accorde trois ou quatre jours pour qu’il puisse présenter ces observations.

[34] Plus tard ce jour‑là – le 17 novembre 2021 –, l’agent a envoyé à l’avocat et au représentant commercial de Mazda un courriel indiquant les renseignements et les documents manquants pour justifier les demandes de Mazda dont l’ASFC avait besoin. Il a indiqué qu’il accepterait la réponse et les explications de Mazda au sujet des questions en suspens et a accordé à Mazda une semaine pour obtenir cette réponse. Il a demandé qu’on lui fournisse avant le 26 novembre 2021 les renseignements qui suivent au sujet de la destruction ou de la destination de chacune des 10 transactions échantillonnées :

[traduction]
En ce qui concerne la destruction et la destination des marchandises, veuillez fournir le formulaire réglementaire, soit le formulaire E15, Certificat de destruction/exportation, ou tout document contenant exactement les mêmes renseignements faisant état de la destruction des pièces sous la supervision de l’ASFC ainsi que la piste de vérification et les documents confirmant que cela a été fait pour les 10 exemples de transactions B3 déjà identifiés. En bref, une preuve de la traçabilité en ce qui concerne la destination et la destruction des pièces visées en question est requise.

[Non souligné dans l’original.]

[35] Le 24 novembre 2021, le représentant de Mazda a envoyé à l’agent un courriel répondant à certaines des demandes de l’ASFC et fournissant des documents supplémentaires. Pour ce qui était de la demande de l’agent concernant une trace écrite de la destruction ou de la destination des pièces au moyen du formulaire 15 ou, à défaut, de tout autre document attestant la destination des marchandises, le courriel comportait ce qui suit (renvoyant à l’exemple de rapport de vérification précédent) :

[traduction]
Les concessionnaires de Mazda Canada concluent une entente exécutoire avec Mazda Canada pour procéder à la vérification et se conformer aux politiques de la société relativement à la destruction des pièces retirées des véhicules sous garantie. Mazda Canada vérifie si les concessionnaires se conforment au programme de garantie, et un rapport est transmis au siège social. Nous avons fourni une copie de l’un des rapports qui expose en détail le processus de destruction des pièces sous garantie. Toutes ces pièces sont détruites et mises au rebut sans frais pour Sa Majesté dans les 60 jours suivant la date du formulaire SV286 du service des garanties. On peut retracer toutes les pièces ayant été détruites, comme en fait foi l’approbation de la réclamation de garantie elle‑même par Mazda Canada. Le ministre a convenu que les processus et systèmes de garantie de la société sont suffisants pour faire le suivi des pièces détruites.

La dernière phrase semble renvoyer à la convention de 1996.

[36] Le 24 décembre 2021, l’avocat de Mazda a envoyé à l’agent un courriel dans lequel il demandait qu’ils aient une conversation téléphonique avant que l’agent rédige la lettre de décision. Les 5 et 6 janvier 2022, l’agent et son gestionnaire par intérim ont eu chacun une conversation téléphonique avec l’avocat de Mazda. Lors de ces conversations, ils ont réitéré que le problème à régler relativement aux demandes de remboursement de droits de Mazda était l’absence de documents attestant la destruction ou la destination des marchandises défectueuses, comme l’ASFC le demandait depuis plusieurs mois.

[37] Plus tard au cours de la journée du 5 janvier 2022, l’avocat de Mazda a envoyé à l’agent et à son gestionnaire par intérim un courriel indiquant ce qui suit :

[traduction]
Merci d’avoir parlé avec moi ce matin. Je crois comprendre que l’ASFC n’est pas convaincue que Mazda a prouvé la destruction des pièces jugées défectueuses. Je prendrai les dispositions nécessaires pour obtenir les affidavits nécessaires de Mazda Canada et d’au moins un de ses distributeurs autorisés pour expliquer de quelle façon les pièces défectueuses et leur destruction sont signalées. Il faudra quelques semaines pour rédiger ces affidavits et les faire signer et certifier. Ils vous seront ensuite transmis. Je crois comprendre qu’il se peut que l’ASFC maintienne que de tels affidavits ne la satisferont pas. J’aimerais que les affidavits fassent partie du dossier soumis à la Cour fédérale aux fins de contrôle judiciaire.

[Non souligné dans l’original.]

[38] Le 27 janvier 2022, l’avocat de Mazda a transmis deux affidavits à l’agent. Le premier des deux a été souscrit par Rob Lunn, gestionnaire national – Garantie de Mazda. Dans son affidavit, ce dernier décrit la politique et les procédures générales que suit Mazda pour la destruction des pièces défectueuses liées à une réclamation de garantie et confirme que les concessionnaires Mazda sont tenus de souscrire aux modalités de cette politique et de ces procédures pour devenir concessionnaires. Le second affidavit a été souscrit par Ernie Hubley, directeur principal des pièces chez un concessionnaire Mazda situé à Halifax, en Nouvelle‑Écosse. Dans son affidavit succinct, ce dernier écrit ceci :

[traduction]
3. Je connais bien le Manuel de la politique et des procédures de garantie (le « Manuel »).

4. Le concessionnaire a convenu d’être lié par les modalités du Manuel.

5. Le manuel exige que le concessionnaire appose sur chaque pièce défectueuse une étiquette portant le numéro d’identification du véhicule (« NIV ») d’où elle a été retirée et qu’il consigne le tout dans un système appelé Ten Bin, qui est enregistré dans un ordinateur placé sous le contrôle de Mazda Canada Inc.

6. Le concessionnaire détruit les pièces défectueuses conformément aux modalités du Manuel.

[39] Ni M. Lunn ni M. Hubley ne fournissent une preuve directe quant à la destruction proprement dite des pièces défectueuses visées par la demande d’autorisation pour B2 général de Mazda.

IV. La décision en litige

[40] Le 24 mai 2022, l’ASFC a envoyé sa lettre de décision définitive par laquelle il rejetait la demande d’autorisation pour B2 général concernant ses demandes de remboursement de droits. L’agent a conclu que Mazda n’avait pas répondu à la totalité des conditions énoncées au paragraphe 76(1) de la Loi sur les douanes et à l’article 38 du Règlement. Pour les besoins de la présente demande de contrôle judiciaire, je reproduis le passage pertinent des motifs de l’agent :

[traduction]
[Mazda] a montré de quelle façon, par l’entremise de ses ententes avec sa société mère (Mazda Japon), elle est tenue de détruire les pièces défectueuses et de confirmer leur destination. [Mazda] a fourni un exemple de rapport montrant qu’elle soumet les concessionnaires à une vérification interne. [Mazda] a fourni un affidavit d’un concessionnaire Mazda et un autre affidavit de [Mazda]. [Mazda] n’a pas fourni de formulaire E15, Certificat de destruction/exportation pour chacun des exemples demandés dans la lettre de l’ASFC du 24 juin 2021, c’est‑à‑dire le formulaire réglementaire à utiliser pour confirmer l’exportation des marchandises ou leur destination. Au vu des renseignements fournis, [Mazda] n’a pas montré qu’elle avait établi et conservé des livres et des registres permettant de créer une piste de vérification qui confirmerait la destruction ou la destination des pièces de véhicule qu’elle fait valoir. L’existence d’ententes concernant la politique de la société mère Mazda, un rapport de vérification interne choisi par [Mazda], et les affidavits fournis n’ont pas établi que [Mazda] conservait des livres et des registres (y compris le formulaire E15) permettant d’établir une piste de vérification qui démontrerait la destination et la destruction d’une pièce représentative précise. Pour cette raison, les demandes présentées au titre du paragraphe 76(1) sont rejetées parce que Mazda n’a pas fourni une preuve de la destination ou de la destruction des marchandises que le ministre juge acceptable.

V. Question préliminaire

[41] À l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, Mazda se fonde sur un affidavit succinct supplémentaire que M. Lunn a souscrit le 8 septembre 2022. Le paragraphe 5 de cet affidavit indique :

[traduction]
5. Est jointe en tant que pièce 1 au présent affidavit une liste de demandes de remboursement concernant des pièces défectueuses pour lesquelles le défendeur a payé les demandes de remboursement.

[42] Le défendeur affirme que le paragraphe 5 et la pièce 1 ne sont pas admissibles et que la Cour ne devrait pas en tenir compte, car l’agent ne disposait pas de cette preuve lorsqu’il a rendu sa décision et que, de toute façon, elle n’est pas pertinente.

[43] En règle générale, les documents qui n’ont pas été soumis au décideur ne sont pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire [voir Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19]. La Cour d’appel fédérale a reconnu l’existence d’un certain nombre d’exceptions à cette règle générale, par exemple si la nouvelle preuve i) fournit des renseignements généraux pour aider la Cour à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire, ii) est nécessaire pour signaler un manquement à l’équité procédurale ou iii) fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif [voir Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97–98; Maltais c Canada (Procureur général), 2022 CF 817 au para 21].

[44] L’avocat de Mazda n’a pas traité de cette question dans ses observations orales succinctes, mais je suis d’avis que Mazda souhaite invoquer cette preuve à l’appui de son allégation concernant ses attentes légitimes. Cela étant, je suis d’avis que cette preuve tombe sous le coup de l’exception relative à un « manquement à l’équité procédurale », et je conclus donc qu’elle est admissible.

VI. Les questions en litige

[45] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision rejetant les demandes de Mazda en vue d’un remboursement de droits pour cause d’absence de preuve acceptable pour le ministre quant à la destination des marchandises est‑elle raisonnable?

  2. L’ASFC a‑t‑elle manqué aux principes d’équité procédurale en ne répondant pas aux attentes légitimes de Mazda?

VII. La norme de contrôle applicable

[46] Pour ce qui est de la première question, lorsqu’une cour de justice contrôle le fond d’une décision administrative, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25].

[47] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, le juge Rowe a expliqué ce qui est requis pour qu’une décision soit considérée comme raisonnable et ce que l’on attend d’une cour de justice qui procède au contrôle d’une décision en fonction de la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « . . . ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). En l’espèce, ce fardeau incombe au Syndicat.

[48] En ce qui concerne la seconde question, les questions d’équité procédurale font l’objet d’un examen qui s’apparente au contrôle selon la norme de la décision correcte, même si, à strictement parler, elles ne sont assujetties à aucune norme de contrôle [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34–35, 54–55]. La Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, et la question fondamentale est « celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), précité, aux para 54, 56; Maltais c Canada (Procureur général), précitée, au para 19].

VIII. Analyse

A. La décision est raisonnable

[49] Les observations que Mazda a formulées dans son mémoire des faits et du droit pour exposer en détail sa position quant à la raison pour laquelle la décision est déraisonnable étaient décousues et les observations orales de l’avocat de Mazda étaient des plus succinctes, car celui-ci n’en a plus formulé à la suite d’une question de la Cour. Mazda fait valoir de manière générale que la décision de l’agent est déraisonnable, car Mazda a fourni une preuve de la destruction des pièces défectueuses, peu importe que cette preuve ait été faite sous la forme d’un formulaire E15 ou non. Bien que la teneur exacte de la preuve ne soit pas précisée dans le mémoire des faits et du droit de Mazda, l’avocat de Mazda a confirmé à l’audience que la preuve sur laquelle Mazda se fondait pour affirmer que Mazda avait fourni une preuve de destruction était la preuve par affidavit de MM. Hubley et Lunn. Ces affidavits confirment la politique générale de Mazda, qui consiste à détruire les pièces défectueuses liées aux réclamations de garantie, ainsi que l’adhésion des concessionnaires à cette politique et font état du fait que Mazda Japon accorde des crédits à Mazda pour les pièces défectueuses. Mazda affirme que la [TRADUCTION] « conclusion qui découle naturellement » de l’ensemble de cette preuve est que les pièces ont été détruites; sans cela, le crédit n’aurait pas été versé.

[50] Il faut se rappeler que la preuve qu’il faut présenter à l’appui d’une demande de remboursement visée au paragraphe 76(1) de la loi est spécifiée à l’article 38 du Règlement et inclut le formulaire réglementaire attestant l’exportation ou la destination des marchandises. Le Mémorandum D6‑2‑3 de l’ASFC indique que le document réglementaire est le formulaire E15. L’ASFC a informé à maintes reprises Mazda de l’obligation de produire ce formulaire pour attester l’exportation ou la destination des pièces défectueuses. Elle a même donné à Mazda le choix de fournir la piste de vérification et d’autres documents montrant ce qu’il est advenu des pièces défectueuses visées par les 10 transactions, si l’entreprise ne disposait pas du formulaire E15. Il faut également signaler que les autres documents comptables demandés par l’ASFC sont ceux que Mazda est déjà tenue par la loi de conserver selon le paragraphe 40(1) de la Loi sur les douanes et l’alinéa 2(1)c) du Règlement sur les documents relatifs à l’importation de marchandises, et que ces documents doivent pouvoir être mis à la disposition de l’ASFC et conservés d’une manière qui permet à celle‑ci de vérifier les renseignements à partir desquels le montant d’un remboursement est fixé [voir Règlement sur les documents relatifs à l’importation de marchandises, précité, art 4; Loi sur les douanes, précitée, art 42(2)(a) et 43(1)]. traite

[51] Malgré les nombreuses occasions qui lui ont été offertes, Mazda n’a fourni que des renseignements généraux au sujet de la destination des pièces défectueuses, et aucune preuve de la destination des pièces défectueuses précises qui sont en litige. Dans de telles circonstances, je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion de l’ASFC selon laquelle aucune preuve acceptable pour le ministre n’a été fournie quant à la destination des pièces. Compte tenu de l’obligation légale de fournir une telle preuve et de conserver des documents d’attestation de la destination des pièces, la prétention de Mazda selon laquelle il était déraisonnable de la part de l’ASFC de refuser de tirer une « conclusion » au sujet de la destination des pièces est tout simplement insoutenable.

[52] Dans la mesure où Mazda affirme que le fait que l’agent a insisté pour qu’un formulaire E15 soit produit a rendu la décision déraisonnable, cette affirmation est dénuée de tout fondement. Il ressort clairement du dossier certifié du tribunal qu’en fait l’agent n’a pas exigé que Mazda se conforme de manière stricte à la présentation du formulaire, mais qu’il a plutôt offert d’accepter d’autres éléments de preuve susceptible de démontrer la destination qu’avait réservée Mazda aux pièces défectueuses. Le problème pour Mazda est qu’elle n’a pas fourni une preuve concrète de la destination des pièces en litige, que ce soit par la présentation d’un formulaire E15 ou d’une autre manière.

[53] Dans ses observations écrites, Mazda affirme qu’une preuve de la destination des pièces défectueuses figure dans ses livres et registres et que l’ASFC se trouvait dans [TRADUCTION] « l’obligation de les vérifier ».Là encore, Mazda ne renvoie à aucune partie précise de ses livres et registres pour appuyer son affirmation, pas plus qu’à la source de l’obligation qu’aurait l’ASFC de vérifier une telle preuve justificative. Au contraire, le cadre législatif impose à Mazda le fardeau de fournir les renseignements prescrits à l’appui de sa demande de remboursement.

[54] Je conclus donc que Mazda n’est pas parvenue à démontrer que la décision de l’ASFC, à savoir que Mazda n’a pas indiqué la destination des pièces d’une manière acceptable pour le ministre, est déraisonnable.

B. Il n’y a pas eu d’atteinte aux attentes légitimes de Mazda

[55] La doctrine des attentes légitimes est le prolongement des règles de justice naturelle et d’équité procédurale. Cette doctrine prévoit que lorsque, dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif, l’État peut être lié par ces affirmations si elles sont de nature procédurale et ne vont pas à l’encontre de l’obligation légale du décideur [voir Centre hospitalier Mont‑Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 aux para 29‑30; Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 au para 78; S.C.F.P. c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 au para 131].

[56] De façon générale, les affirmations du gouvernement sont considérées comme « claires, nettes et explicites » dans les cas où, si elles avaient été faites dans le contexte du droit contractuel privé, elles seraient suffisamment claires pour être susceptibles d’exécution [voir Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 au para 69].

[57] Toutefois, la doctrine des attentes légitimes vise le processus par lequel on arrive à une décision, et non l’issue de cette décision [voir Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 97]. La doctrine n’est pas génératrice de droits fondamentaux et ne peut pas entraver le pouvoir discrétionnaire du décideur chargé d’appliquer la loi [voir Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), 1991 CanLII 74 (CSC), [1991] 2 RCS 525 aux p 557‑558; Nshogoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1211 aux para 41‑42]. Si les conditions d’application de la doctrine des attentes légitimes sont remplies, la Cour ne peut accorder que les mesures de réparation de nature procédurale (par opposition à des mesures de réparation sur le fond) qui sont appropriées pour répondre à l’« attente légitime » [voir S.C.F.P. c Ontario (Ministre du Travail), précité, au para 131; Canada (Procureur général) Honey Fashions Ltd., 2020 CAF 64 au para 50].

[58] Mazda affirme que l’ASFC lui a depuis toujours accordé des remboursements de droits pour pièces défectueuses sans qu’elle ait eu à produire le formulaire E15 en raison de la convention de 1996 et qu’elle s’attendait donc légitimement à ce que la demande d’autorisation pour B2 général soit elle aussi approuvée sans qu’elle ait à produire un formulaire E15 qui confirmerait la destination des pièces défectueuses. Elle affirme également qu’aucune preuve n’a été soumise à la Cour pour établir que la convention de 1996 avait été révoquée.

[59] À l’audition de la demande de contrôle judiciaire, l’avocat de Mazda a continué de faire valoir qu’il n’y avait aucune preuve écrite de la révocation de la convention de 1996. En réponse, j’ai signalé que le dossier certifié du tribunal comportait un certain nombre de documents consignant des discussions tenues avec l’avocat de Mazda (le même que celui qui comparaissait devant moi dans le cadre de la présente demande) et au cours desquelles il avait été expressément dit que la convention de 1996 ne s’appliquait plus. Je lui ai demandé ce qu’il avait à dire en réponse; il a répondu qu’il n’avait rien à dire et a brusquement mis fin à sa plaidoirie.

[60] Je suis d’avis que l’argument des attentes légitimes qu’invoque Mazda est dénué de tout fondement. Tout d’abord, personne de chez Mazda n’a présenté à la Cour une déposition indiquant que, en produisant la demande d’autorisation pour B2 général, Mazda s’attendait à ce que la convention de 1996 continue de s’appliquer. Selon moi, ce fait, à lui seul, porte un coup fatal à l’argument de Mazda.

[61] Cependant, l’argument est également mal fondé à l’égard d’autres points essentiels. Les attentes légitimes de Mazda auraient dû être fondées sur des affirmations claires, nettes et explicites de la part de l’ASFC quant à la procédure qui serait suivie. En l’espèce, je suis d’avis que le dossier certifié du tribunal démontre qu’il n’y a eu aucune affirmation claire, nette et explicite selon laquelle l’ASFC continuerait de suivre la convention de 1996 dans le cadre du traitement de la demande d’autorisation pour B2 général. Au contraire, il ressort du dossier certifié du tribunal qu’il a été dit à Mazda et à ses représentants en février 2017 (soit avant le dépôt de sa demande d’autorisation pour B2 général), et à plusieurs reprises par la suite, que la convention de 1996 n’était plus en vigueur et qu’un formulaire E15 était exigé, comme l’illustre notamment l’énoncé explicite, figurant dans la seconde lettre de demande, portant que Mazda devait fournir le formulaire E15 ou, subsidiairement, des documents comptables attestant la destination des pièces défectueuses. C’est donc dire que, indépendamment de ce à quoi s’attendait Mazda, ces attentes auraient dû changer par suite des communications répétées de l’ASFC.

[62] De plus, il ressort du fait que des représentants de Mazda avaient communiqué avec l’ASFC et répondu aux communications de cette dernière en produisant une preuve supplémentaire que Mazda ne s’attendait plus à ce que la procédure énoncée dans la convention de 1996 soit suivie.

[63] Je conclus que la preuve de Mazda, tirée de l’affidavit souscrit par M. Lunn le 8 septembre 2022 – auquel était jointe [TRADUCTION] « une liste de demandes de remboursement concernant des pièces défectueuses pour lesquelles le défendeur a payé les demandes de remboursement » –, ne l’aide aucunement dans ses efforts pour établir qu’elle avait une attente légitime. M. Lunn n’a fourni aucun détail quant aux données que Mazda présentait à l’appui de ses demandes et la question de savoir si ces dernières étaient bel et bien approuvées conformément à la procédure prescrite par la convention de 1996. Par ailleurs, la dernière demande signalée par M. Lunn a été présentée en janvier 2017, avant les échanges qui ont eu lieu avec l’ASFC les 21 et 23 février 2017 et qui confirmaient qu’une nouvelle procédure devait être suivie.

[64] Il ne s’agit pas ici d’une affaire où Mazda pensait qu’un processus particulier serait suivi par l’ASFC et qu’il ne l’a pas été, sans que Mazda en ait été avertie. L’ASFC a été dit à Mazda, avant de rendre la décision, que la procédure prévue par la convention de 1996 ne serait pas suivie et lui a ensuite donné de nombreuses occasions de produire le formulaire E15 avant de rendre la décision. Par ailleurs, l’ASFC n’obligeait pas Mazda à se conformer de manière stricte à l’exigence de la production du formulaire E15 réglementaire, étant donné qu’elle n’avait pas exigé que Mazda suive les procédures énoncées dans le Mémorandum D6‑2‑3. L’ASFC a offert d’examiner les éléments de preuve dont Mazda disposait sur la destination des pièces en litige, notamment par le truchement de documents comptables, et elle a eu de nombreux échanges avec les représentants de Mazda au sujet des préoccupations que suscitait la preuve de Mazda et de la manière d’y remédier.

[65] Comme il a été mentionné précédemment, même si Mazda pouvait établir qu’elle s’attendait légitimement à ce que la convention de 1996 soit suivie et qu’elle n’avait pas besoin de produire un formulaire E15, elle n’aurait eu droit qu’à une réparation de nature procédurale, et non à une réparation sur le fond. Je suis d’avis que Mazda a eu tout le loisir de combler les lacunes de sa preuve, et qu’aucune autre mesure de réparation de nature procédurale ne devrait donc lui être accordée.

[66] Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que Mazda a établi que l’ASFC a manqué à l’équité procédurale. Mazda a été suffisamment avisée de ce qu’elle devait présenter et elle a eu pleinement l’occasion de le faire.

IX. Conclusion

[67] Je ne suis pas convaincue que Mazda a établi l’existence d’un motif d’intervention de la part de la Cour et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

X. Les dépens

[68] Avant l’audience, les parties ont convenu que celle d’entre elles qui aurait gain de cause devrait se voir accorder des dépens de 4 500 $. Je conclus que l’entente des parties est raisonnable et j’adjuge par conséquent au défendeur les dépens afférents à la demande, lesquels sont fixés à 4 500 $.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑1217‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La demanderesse paiera au défendeur les dépens afférents à la demande, lesquels sont fixés à 4 500 $.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1217‑22

 

INTITULÉ :

MAZDA CANADA INC. c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

montrÉal (quÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AOÛT 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :


LA JUGE AYLEN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :


LE 13 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Michael Kaylor

 

POUR La demanderesse

 

 

Sarom Bahk

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.