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Date : 20230911


Dossier : IMM-11290-22

Référence : 2023 CF 1224

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE:

ALI HASHIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du 20 octobre 2020 par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] du demandeur. L’agent a conclu que les nouveaux documents présentés par le demandeur ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et que, de toute façon, ces documents n’avaient pas d’incidence sur les conclusions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] en ce qui concerne l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI].

[2] Je conclus que le demandeur n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision contestée. La demande sera donc rejetée.

I. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen pakistanais qui est arrivé au Canada le 1er décembre 2018. Dans sa demande d’asile, il a affirmé qu’il craignait ses oncles paternels, qui voulaient prendre possession des biens hérités de son père. Le demandeur a allégué que ses oncles avaient répandu des rumeurs selon lesquelles il serait homosexuel et se serait livré à des actes blasphématoires. Il a soutenu qu’il craignait les habitants de son village en raison de ces rumeurs.

[4] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande du demandeur en novembre 2019. Le demandeur a ensuite interjeté appel de la décision de la SPR à la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Son appel a été rejeté. La SAR a confirmé la décision rendue par la SPR, concluant que les oncles du demandeur ne constitueraient pas une menace pour ce dernier s’il acceptait de vendre ou de céder les biens faisant l’objet du différend et que, même s’il pouvait être menacé par les habitants de son village en raison des rumeurs lancées par ses oncles, il disposait de PRI viables à Islamabad et à Lahore.

[5] En août 2021, le demandeur a été reconnu coupable d’une infraction au Code criminel et a été déclaré interdit de territoire au Canada. Toutefois, ayant été condamné à une peine d’emprisonnement de deux mois et de neuf mois avec sursis, il demeurait admissible à une évaluation complète d’une demande d’ERAR. En janvier 2022, le demandeur a présenté une demande d’ERAR, laquelle a été rejetée le 20 octobre 2022.

[6] Dans sa demande d’ERAR, le demandeur a présenté les nouveaux documents suivants :

  • a)un rapport de première instance [le RPI], postérieur à l’audience de la SAR, mais antérieur à la décision de celle-ci, qui a été déposé par l’oncle du demandeur auprès de la police pakistanaise;

  • b)une déclaration non datée indiquant comment le RPI a été obtenu;

  • c)des rapports sur les conditions dans le pays décrivant l’enregistrement et les documents du RPI au Pakistan, à différentes dates.

[7] L’agent a conclu que les nouveaux documents présentés n’étaient pas conformes à l’alinéa 113a) de la LIPR et que l’absence d’explication de la part du demandeur quant aux motifs pour lesquels les éléments de preuve n’avaient pas été présentés à la SAR [traduction] « diminuait le poids » accordé à ces documents. Compte tenu des observations qui lui ont été présentées, l’agent n’était pas convaincu non plus que le demandeur avait établi qu’il était exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution au Pakistan en lien avec l’un des motifs prévus par la Convention, ni que les oncles du demandeur ou quelconques agents de persécution auraient un intérêt continu à persécuter le demandeur pour l’un des motifs énoncés à l’article 96 de la LIPR.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[8] La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation des nouveaux documents présentés par le demandeur?

  2. L’agent a-t-il appliqué le mauvais fardeau de preuve dans son examen de l’article 96 de la LIPR?

[9] Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Aucune des situations qui réfuteraient la présomption selon laquelle toutes les décisions administratives sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17 et 25.

[10] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91-95, 99-100.

III. Analyse

A. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation des nouveaux documents présentés par le demandeur?

[11] Dans sa décision, l’agent a indiqué que le RPI était antérieur à la décision de la SAR et que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi il n’avait pas présenté les éléments de preuve à la SAR. En conséquence, l’agent a conclu que le RPI ne constituait pas un « nouvel » élément de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR. Néanmoins, l’agent a procédé à une évaluation globale de l’ERAR, y compris des observations et des documents supplémentaires présentés.

[12] Le demandeur ne conteste pas les conclusions de l’agent relativement à l’alinéa 113a), mais il soutient que, parce que l’agent a procédé à une telle analyse, la Cour ne peut conclure que la demande d’ERAR devrait être rejetée au motif qu’il n’y a pas de nouveaux éléments de preuve. Il affirme que, une fois que l’agent a reconnu le RPI comme étant authentique, il était obligé d’examiner celui-ci ainsi que les observations présentées dans le contexte des conclusions de fait précédemment rendues par la SPR.

[13] Le défendeur soutient que le fait que le demandeur n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve satisfaisant aux exigences de l’alinéa 113a) de la LIPR suffit pour trancher la question de la demande d’ERAR. Toutefois, même avec l’analyse supplémentaire de l’agent, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle.

[14] Selon moi, il ressort clairement des motifs de l’agent que ce dernier a jugé que les nouveaux documents présentés ne satisfaisaient pas aux exigences de l’alinéa 113a) de la LIPR et qu’il n’a pas effectué une analyse supplémentaire pour amoindrir sa conclusion, mais plutôt à des fins d’exhaustivité. En effet, après avoir effectué l’analyse, l’agent a réitéré qu’il était conscient que les éléments de preuve versés au dossier ne semblaient pas constituer de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a), de sorte qu’il devait ne leur attribuer qu’un poids limité.

[15] Malgré l’analyse des nouveaux documents présentés, l’agent n’a pas trouvé d’éléments de preuve permettant d’établir le risque allégué. Bien que le demandeur soutienne que l’agent aurait dû directement analyser les conclusions de fait formulées par la SPR étant donné qu’il était mentionné dans le RPI que les villes de Lahore et d’Islamabad étaient des endroits où le demandeur pouvait résider, je ne suis pas convaincue par cet argument. Premièrement, je constate que le RPI mentionne Lahore et Islamabad ainsi que d’autres lieux tels que Faisalabad, Multan et Karachi.

[16] De plus, comme le souligne l’agent :

[traduction]

L’ERAR ne se veut pas un mécanisme d’appel à l’égard d’une décision de la SPR ou de la SAR. Il s’agit d’une évaluation, fondée sur de nouveaux éléments de preuve, du risque de persécution ou de torture, de menace à la vie ou de traitements ou peines cruels et inusités auquel le demandeur serait exposé s’il devait retourner dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il a sa résidence habituelle. S’agissant de demandeurs qui ont présenté par le passé une demande d’asile devant la CISR et qui ont été déboutés, l’alinéa 113a) de la LIPR prévoit que l’évaluation doit se limiter uniquement aux nouveaux éléments de preuve présentés dans le cadre de l’ERAR.

[17] Le rôle de l’agent n’était pas de refaire l’analyse de la SAR au motif que le demandeur aurait pu présenter à cette dernière des éléments de preuve, mais ne l’a pas fait.

[18] En l’espèce, l’agent a axé son analyse sur les nouveaux documents présentés. Il a noté que le RPI ne décrivait rien de plus qu’une plainte déposée par l’oncle du demandeur. Peu d’éléments prouvent qu’il y a eu des suites au RPI depuis janvier 2020, ou que l’oncle du demandeur a pris d’autres mesures pour poursuivre ce dernier depuis la production du RPI. L’agent a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne constituaient pas un changement important par rapport aux conclusions antérieures de la CISR.

[19] L’agent a examiné les observations du demandeur concernant la manière dont il s’est procuré le RPI et s’est demandé si celui-ci constituerait une menace pour le demandeur dans l’hypothèse où il retournerait au Pakistan, mais elle ne les a pas jugées convaincantes. Comme l’a souligné l’agent, les observations présentées n’ont pas clarifié des questions importantes concernant les communications relatives au RPI, ni précisé si d’autres amis ou proches au Pakistan avaient contacté le demandeur depuis son arrivée au Canada. L’exposé circonstancié du demandeur accompagnant le RPI était également flou et ne permettait pas d’étayer le risque invoqué.

[20] Les motifs indiquent que l’agent a examiné le RPI ainsi que l’exposé circonstancié et les observations présentés par le demandeur. Cependant, l’agent a jugé que les éléments de preuve ne permettaient pas d’étayer l’allégation de risque du demandeur. Le demandeur ne m’a pas convaincue de l’existence d’une erreur susceptible de contrôle.

B. L’agent a-t-il appliqué le mauvais fardeau de preuve dans son examen de l’article 96 de la LIPR?

[21] Le demandeur avance un autre argument selon lequel l’agent n’a pas appliqué le bon critère aux fins de l’article 96. Cet argument n’est pas non plus convaincant. Bien que le demandeur renvoie à la décision Monsalve c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 4, j’estime qu’elle n’est d’aucune aide en l’espèce.

[22] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, même si l’agent aurait pu être plus prudent et plus précis dans l’utilisation de certains termes dans ses motifs et dans la distinction entre l’analyse applicable à l’article 96 et celle applicable à l’article 97, le demandeur n’a pas établi que l’agent avait mal compris le critère juridique aux fins de l’article 96 ou qu’il lui avait imposé un fardeau de preuve plus lourd.

[23] Comme l’indique la décision :

[traduction]

Après avoir établi un lien avec l’un ou plusieurs des motifs prévus par la Convention, il faut aussi déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, la crainte invoquée est objectivement fondée, notamment si des personnes se trouvant dans une situation similaire sont traitées d’une manière qui répond aux critères de la persécution ou de la discrimination aboutissant à la persécution. Si une crainte s’avère fondée et que l’existence d’un lien avec un motif énoncé dans la Convention est établie, le demandeur doit être considéré comme étant exposé à davantage qu’une simple possibilité de persécution dans son pays d’origine, en fonction de la disponibilité et du caractère raisonnable de la protection offerte par l’État ou d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

[24] L’agent a examiné les éléments de preuve et les observations figurant au dossier, mais n’était pas [TRADUCTION] « convaincu que le demandeur a[vait] démontré qu’il était exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution au Pakistan en lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention, conformément à l’article 96 de la LIPR ».

[25] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-11290-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11290-22

 

INTITULÉ :

ALI HASHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 AOÛT 2023

 

juGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 SeptembRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Robert J. Kincaid

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Aminollah Sabzevari

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert J. Kincaid Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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