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Date : 20230912


Dossier : T‑2368‑22

Référence : 2023 CF 1225

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

AIJUN SUN

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision relative au deuxième examen de son admissibilité à la prestation canadienne de la relance économique [la PCRE] prise le 12 octobre 2022 par un agent de validation des prestations [l’agent] de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC]. Au titre de l’article 3 de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la Loi], l’agent a conclu que la demanderesse n’était pas admissible aux versements de la PCRE qu’elle a reçus et a exigé d’elle qu’elle rembourse les montants reçus.

[2] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable, car elle remplit les conditions d’admissibilité à la PCRE et que l’ARC a manqué à son obligation d’équité procédurale.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demanderesse n’a ni démontré que la décision est déraisonnable ni qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Contexte

A. Le régime de la PCRE

[4] L’ARC est l’organisme fédéral chargé de l’application de la PCRE. Cette prestation était offerte pour toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, aux salariés et aux travailleurs indépendants admissibles qui ont été directement touchés par la pandémie de COVID‑19.

[5] Les conditions d’admissibilité à la PCRE sont définies au paragraphe 3(1) de la Loi, qui prévoit, en partie, ce qui suit :

3(1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

[…]

d) dans le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 4 à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2020, ses revenus provenant des sources ci‑après, pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande, s’élevaient à au moins cinq mille dollars :

(i) un emploi,

(ii) un travail qu’elle exécute pour son compte,

(iii) des prestations qui lui sont payées au titre de l’un des paragraphes 22(1), 23(1), 152.04(1) et 152.05(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi,

(iv) des allocations, prestations ou autres sommes qui lui sont payées, en vertu d’un régime provincial, en cas de grossesse ou de soins à donner par elle à son ou ses nouveau‑nés ou à un ou plusieurs enfants placés chez elle en vue de leur adoption,

(v) une autre source de revenu prévue par règlement;

[…]

f) au cours de la période de deux semaines et pour des raisons liées à la COVID‑19, à l’exclusion des raisons prévues aux sous‑alinéas 17(1)f)(i) et (ii), soit elle n’a pas exercé d’emploi — ou exécuté un travail pour son compte —, soit elle a subi une réduction d’au moins cinquante pour cent — ou, si un pourcentage moins élevé est fixé par règlement, ce pourcentage — de tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour la période de deux semaines par rapport à :

d) tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande, dans le cas où la demande présentée en vertu de l’article 4 vise une période de deux semaines qui débute en 2020,

(ii) tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande, dans le cas où la demande présentée en vertu de l’article 4 vise une période de deux semaines qui débute en 2021;

3(1) A person is eligible for a Canada recovery benefit for any two‑week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021 if

[…]

d) in the case of an application made under section 4 in respect of a two‑week period beginning in 2020, they had, for 2019 or in the 12‑month period preceding the day on which they make the application, a total income of at least $5,000 from the following sources:

(i) employment,

(ii) self‑employment,

(iii) benefits paid to the person under any of subsections 22(1), 23(1), 152.04(1) and 152.05(1) of the Employment Insurance Act,

(iv) allowances, money or other benefits paid to the person under a provincial plan because of pregnancy or in respect of the care by the person of one or more of their new‑born children or one or more children placed with them for the purpose of adoption, and

(v) any other source of income that is prescribed by regulation;

[…]

(f) during the two‑week period, for reasons related to COVID‑19, other than for reasons referred to in subparagraph 17(1)(f)(i) and (ii), they were not employed or self‑employed or they had a reduction of at least 50% or, if a lower percentage is fixed by regulation, that percentage, in their average weekly employment income or self‑employment income for the two‑week period relative to

(i) in the case of an application made under section 4 in respect of a two‑week period beginning in 2020, their total average weekly employment income and self‑employment income for 2019 or in the 12‑month period preceding the day on which they make the application, and

(ii) in the case of an application made under section 4 in respect of a two‑week period beginning in 2021, their total average weekly employment income and self‑employment income for 2019 or for 2020 or in the 12‑month period preceding the day on which they make the application;

[6] Aux fins de la présente demande, il y a deux conditions d’admissibilité essentielles — (i) un demandeur doit avoir gagné au moins 5 000 $ de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail à son compte pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il présente sa demande; (ii) un demandeur doit avoir subi une réduction de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID‑19.

[7] Conformément à l’article 6 de la Loi, « [l]e demandeur fournit au ministre tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande ».

[8] Dans le cadre de l’application du programme de PCRE, l’ARC sélectionne certaines demandes à des fins de contrôle. Lorsqu’une demande fait l’objet d’un contrôle, l’ARC communique avec le demandeur et l’agent examine avec lui les conditions d’admissibilité à la PCRE. Dans le cadre de cette discussion, l’agent peut demander au demandeur de fournir des documents et des renseignements supplémentaires.

[9] La politique de l’ARC sur la confirmation de l’admissibilité à la PCU, à la PCRE, à la PCMRE et à la PCTCC indique les documents que doivent fournir les demandeurs sélectionnés pour subir un contrôle afin d’établir qu’ils atteignent le seuil de revenu minimum. Il y est expressément indiqué que « le revenu de pension, revenu de location, l’aide sociale […] ne comptent pas comme des revenus “d’emploi” ou de “travail indépendant” ». En ce qui concerne les revenus de travail indépendant, la politique donne les indications suivantes :

Les éléments dont on doit tenir compte pour des propriétaires de petites entreprises :

  • Ont‑ils des cartes professionnelles afin de promouvoir leur entreprise?

  • Font‑ils de la publicité? Par exemple sur Kijiji, Marketplace, Craigslist, leur propre site Web?

  • Cherchent‑ils activement des occasions d’emploi?

  • Possèdent‑ils un NE inscrit?

  • Travaillent‑ils régulièrement pour une clientèle sans lien de dépendance?

  • S’ils sont toujours payés en argent comptant, ont‑ils une preuve des heures de travail et de paiement?

Membres de la famille :

Si le demandeur indique qu’il travaille pour un membre de la famille et que le membre de la famille le paie pour ses services, veuillez tenir compte des renseignements ci‑après :

  • Une personne sans lien de dépendance accepterait‑elle les mêmes conditions d’emploi?

  • Le membre de la famille a‑t‑il employé une autre personne pour ensuite embaucher le demandeur?

  • Le demandeur a‑t‑il travaillé pour le membre de la famille pour un nombre d’années et a‑t‑il déclaré les revenus?

  • Un contrat de service existe‑t‑il? Si non, le revenu généré par un membre de la famille pourrait être considéré comme un « cadeau ». Il doit y avoir une entente de paiement, rédigée au moment de l’enclenchement du service.

  • Le demandeur a‑t‑il fourni les mêmes services aux autres clients sans lien de dépendance?

[…]

Preuve acceptable :

  • Factures pour les services rendus, pour des particuliers qui sont des travailleurs indépendants ou des sous‑traitants. Par exemple, une facture des travaux de peinture d’une maison ou de l’entretien ménager, etc. Doit inclure la date du service, qui a reçu le service, et le nom du demandeur ou de l’entreprise.

  • Document attestant la réception du paiement pour le service offert, p. ex., un relevé de compte ou un acte de vente indiquant un paiement et le reste du solde dû.

  • Les documents justificatifs indiquant qu’un revenu est gagné dans l’exercice d’une activité « professionnelle ou de l’entreprise » à titre de propriétaire unique, d’entrepreneur indépendant, ou sous la forme d’un partenariat.

  • Contrats

  • Liste des dépenses appuyant le résultat net de revenus.

  • Tout autre document justificatif qui pourra appuyer le revenu de 5 000 $ à titre de revenu d’un travail indépendant.

[…]

50 % de votre revenu hebdomadaire moyen :

[…]

Si vous êtes ou étiez un travailleur indépendant.

  • Facture pour services rendus, comprenant :

  • ola date de service;

  • oà qui s’adressait le service;

  • ole nom de la personne ou de la compagnie.

  • Reçu de paiement pour le ou les services fournis (relevé de compte ou facture indiquant un paiement et le solde restant)

[10] À la suite de l’examen de l’admissibilité, l’agent informe le demandeur, par lettre, s’il est admissible à la PCRE. Si l’agent conclut que le demandeur n’est pas admissible, ce dernier est informé de la possibilité de subir un deuxième examen de son admissibilité.

[11] Si un deuxième examen est demandé, un autre agent procède à un examen indépendant des documents et des renseignements fournis initialement par le demandeur et de tout autre document et renseignement fourni à la suite du premier examen (y compris tout document ou renseignement pouvant faire l’objet d’une demande expresse de la part de l’agent au cours du deuxième examen).

B. Demande de PCRE de la demanderesse

[12] La demanderesse se qualifie de [TRADUCTION] « propriétaire professionnelle ». Pendant la période visée, elle a travaillé avec sa fille et son époux pour acheter, louer et gérer plusieurs propriétés au Canada, en Chine et aux États‑Unis.

[13] La demanderesse a demandé la PCRE pour 28 périodes de deux semaines comprises entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021. Tous ces paiements ont été versés sans examen.

C. Examen par l’ARC de l’admissibilité de la demanderesse à la PCRE

[14] Le ou vers le 2 mars 2022, l’ARC a sélectionné la demande de PCRE présenté par la demanderesse afin d’en vérifier l’admissibilité. L’agent de l’ARC chargé du premier examen a demandé à la demanderesse de fournir des documents à l’appui de sa demande.

[15] Le ou vers le 28 mars 2022, l’ARC a reçu des documents de la demanderesse, notamment des relevés bancaires de la Bank of America non identifiés et sans description des dettes ou crédits de décembre 2020, de janvier à avril 2021, d’octobre à décembre 2021 et de janvier 2022.

[16] Dans une lettre datée du 5 juillet 2022, l’agent chargé du premier examen a informé la demanderesse qu’elle était inadmissible à la PCRE parce qu’elle n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail à son compte pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois qui ont précédé la date de sa première demande.

[17] Après avoir reçu la décision relative au premier examen en juillet 2022, la demanderesse a modifié ses déclarations de revenus pour 2019, 2020 et 2021 afin de déclarer un revenu d’entreprise de 5 100 $ en 2019, de 5 120 $ en 2020 et de 5 500 $ en 2021. La demanderesse avait initialement déclaré ces revenus d’entreprise comme des revenus de location.

[18] Dans une lettre datée du 1er août 2022, la demanderesse a demandé un deuxième examen de son admissibilité à la PCRE. À l’appui du deuxième examen, la demanderesse a fourni ses déclarations de revenus modifiées pour 2019, 2020 et 2021 ainsi que les avis de nouvelle cotisation correspondants.

[19] Le 27 septembre 2022, l’agent chargé du deuxième examen [l’agent] s’est entretenu avec la demanderesse par téléphone pendant 45 minutes. Au cours de cet appel, l’agent a demandé à la demanderesse de présenter des documents supplémentaires, à savoir les relevés bancaires de janvier 2020 à juillet 2020 indiquant son nom, son adresse et son numéro de compte.

[20] Dans une lettre datée du 27 septembre 2022, la demanderesse a fait un suivi auprès de l’ARC pour déclarer qu’elle avait soumis les relevés bancaires demandés par l’agent. La demanderesse a expliqué dans sa lettre que, selon les relevés bancaires, il manquait des dépôts de loyer en raison de la COVID‑19 :

[TRADUCTION]
Le relevé bancaire de la Banque de Montréal indique qu’un montant de 1 075 $ de loyer pour la propriété de Calgary a été déposé dans mon compte bancaire BMO le 27 janvier 2022. Cependant, vous pouvez constater qu’il n’y a pas eu de dépôt de loyer entre février 2020 et juillet 2020. J’ai perdu six mois de revenus de la propriété à Calgary en raison de la COVID‑19. Le locataire a endommagé la maison et l’a quittée en février 2020 et je n’ai pas pu trouver un nouveau locataire immédiatement en raison de la COVID‑19. Il m’a fallu sept mois pour trouver le nouveau locataire […].

D’après les relevés de la Bank of America, vous constaterez que pour l’année 2020, à la propriété située au 1330 rue E Santa Fiore, j’ai perdu un locataire en février 2020 et un autre en décembre 2020 pour un coût d’expulsion d’environ 1 000 $US en raison de la COVID‑19. Vous verrez dans les relevés de la Bank of America qu’aucun loyer n’a été déposé pour décembre 2020 (environ 1 380 $US) et qu’environ 1 000 $US ont été payés pour l’expulsion. Le locataire a perdu son emploi et n’a pas pu payer son loyer en raison de la COVID‑19.

[21] Dans sa lettre, la demanderesse souligne également le temps et les ressources qu’elle consacre à la gestion des biens locatifs, et déclare qu’elle [TRADUCTION] « travaille comme gestionnaire à plein temps ».

[22] Dans une lettre datée du 12 octobre 2022, l’agent a communiqué à la demanderesse sa décision relative au deuxième examen. L’agent a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE pour les motifs suivants : (i) elle n’a pas gagné un revenu d’emploi ou un revenu net de travail à son compte d’au moins 5 000 $ (avant impôts) pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande; (ii) elle n’a pas subi une réduction de 50 % de ses revenus hebdomadaires moyens par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID‑19.

[23] L’agent a consigné le fondement de ses conclusions dans le rapport relatif au deuxième examen, qui fait partie des motifs de la décision (voir Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 22). Voici le contenu du rapport relatif au deuxième examen :

[TRADUCTION]
[…] selon les renseignements au dossier et les documents qu’elle a envoyés, [la demanderesse] n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail à son compte pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois qui ont précédé la date de sa première demande. [La demanderesse] a déclaré qu’elle achète et loue des propriétés uniquement pour sa famille. [La demanderesse] a déclaré qu’elle gérait la propriété, mais [la demanderesse] n’est pas payée pour ses services, car elle est associée en affaires avec sa fille et elles échangent constamment de l’argent en dollars américains et en dollars canadiens. [La demanderesse] ne facture pas ses services à sa fille ou ne fixe pas le montant de sa rémunération. Les documents envoyés par [la demanderesse] indiquent les dépôts de loyer sur une base mensuelle.

Elle n’a pas subi une réduction de 50 % de ses revenus hebdomadaires moyens par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID‑19.

[La demanderesse] a également déclaré qu’elle a demandé les prestations d’urgence parce que son locataire avait quitté son logement et qu’elle ne pouvait pas trouver de nouveaux locataires et qu’elle avait besoin d’argent parce qu’elle avait perdu son revenu de location. [La demanderesse] a déclaré qu’elle a présenté sa demande de PCTCC parce qu’elle a dû expulser les locataires et qu’elle a perdu des revenus; cette raison est considérée comme déraisonnable ou sans rapport avec un confinement lié à la COVID‑19.

II. Questions préliminaires

A. Intitulé

[24] Dans son mémoire des faits et du droit, le défendeur sollicite une ordonnance visant à modifier l’intitulé afin de désigner le procureur général du Canada (plutôt que l’ARC) comme défendeur. Le procureur général du Canada, et non l’ARC, est le défendeur approprié en l’espèce, conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. L’intitulé sera modifié en conséquence.

B. Admissibilité de la preuve déposée par la demanderesse

[25] Le défendeur affirme que des parties de l’affidavit de la demanderesse et certains documents qui y sont joints ainsi que ses observations écrites sont inadmissibles, étant donné que l’agent ne disposait pas des renseignements et des documents au moment de prendre sa décision.

[26] Les documents en cause sont les suivants : (a) des copies des déclarations de revenus modifiées de la demanderesse pour les années 2019, 2020 et 2021, qui ont été modifiées et soumises après la décision relative au deuxième examen; (b) un avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2019 délivré après la décision relative au deuxième examen et portant sur des modifications apportées après la décision relative au deuxième examen; (c) divers reçus et factures, des relevés de carte Visa et des pages montrant l’historique des transactions d’un compte chèques; (d) une page intitulée « Dépenses courantes ou en capital » du site web du gouvernement du Canada; (e) une page intitulée « Guide sur la déclaration des dépenses pour les biens locatifs » du site Web de TurboImpôt Canada; (f) une demande de documents en possession du défendeur datée du 8 décembre 2022 et la réponse du défendeur à cette demande; (g) des copies des sept baux de la demanderesse; (h) des copies des déclarations de revenus de la demanderesse pour les années 2016, 2017 et 2018. Il n’est pas contesté que l’agent ne disposait pas de ces documents lorsqu’il a rendu sa décision relative au deuxième examen.

[27] Le défendeur s’oppose également aux parties de l’affidavit de la demanderesse qui fournissent des renseignements qui ne figuraient pas au dossier lorsque l’agent a rendu la décision relative au deuxième examen, y compris les déclarations suivantes : (a) la demanderesse a modifié ses déclarations de revenus pour 2019 et 2020 en juillet 2022 afin d’afficher au moins 5 000 $ de revenus nets de travail à son compte en vue de remplir la condition d’admissibilité à la PCRE; (b) elle a également modifié ses déclarations de revenus pour 2019 et 2020 en novembre 2022, après la décision relative au deuxième examen, de manière à indiquer que son revenu avait diminué de 50 %; et (c) divers autres renseignements affichés aux paragraphes 6, 7, 11, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 22, 23 et 24 de l’affidavit de la demanderesse.

[28] La demanderesse affirme que la Cour devrait disposer de tous les documents et renseignements contestés, étant donné que la décision relative au deuxième examen était fondée sur des renseignements incomplets et que ces nouveaux documents ou renseignements démontrent qu’elle est admissible à la PCRE.

[29] Généralement, les documents dont ne disposait pas le décideur ne sont pas admissibles lors du contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19). La Cour d’appel fédérale a reconnu certaines exceptions à cette règle générale, notamment lorsque la nouvelle preuve : (i) fournit des renseignements généraux susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire; (ii) est nécessaire pour signaler à la Cour les manquements à l’équité procédurale; (iii) fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif (voir Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97‑98; Maltais c Canada (Procureur général), 2022 CF 817 au para 21).

[30] J’estime qu’aucune de ces exceptions ne s’applique aux documents et renseignements en litige. Au contraire, ils constituent une tentative inacceptable de la part de la demanderesse de compléter la preuve dont disposait l’agent. Par conséquent, les éléments de preuve en litige sont inadmissibles et ne seront pas pris en considération.

III. Questions à trancher

[31] Les questions qui restent à trancher sont les suivantes :

  1. La décision de l’agent relative au deuxième examen était‑elle déraisonnable?

  2. La demanderesse a‑t‑elle été privée d’équité procédurale?

IV. Norme de contrôle

[32] En ce qui concerne la première question, lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25).

[33] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, le juge Rowe a expliqué les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable. Il a déclaré ce qui suit :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « … ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[34] En ce qui concerne la deuxième question, la norme de contrôle applicable aux questions liées à l’équité procédurale est particulièrement bien reflétée dans la norme de la décision correcte, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée (voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34‑35, 54‑55). La Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances et la question fondamentale est « celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), précité aux para 54, 56; Maltais c Canada (Procureur général), précité au para 19).

V. Analyse

A. La décision était raisonnable

[35] La demanderesse affirme que la décision était déraisonnable parce qu’elle satisfaisait au seuil de revenu minimum de 5 000 $ et que l’agent n’a pas expliqué comment il a conclu qu’elle ne satisfaisait pas à ce seuil.

[36] Je rejette cette affirmation. Il incombait à la demanderesse d’établir qu’elle remplissait les conditions d’admissibilité énoncées aux alinéas 3(1)d) et f) de la Loi (voir Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 au para 55). La demanderesse a déclaré à l’agent qu’elle a initialement qualifié de revenu de location les revenus qu’elle affirme maintenant être des revenus d’entreprise. Toutefois, les revenus de location ne sont pas des revenus permettant d’établir l’admissibilité à la PCRE, puisqu’ils sont des revenus tirés d’un bien immobilier et non d’une entreprise (voir Smeele c Canada (Procureur général), 2023 CF 21 aux para 13, 18). À la suite de la décision relative au premier examen, la demanderesse a modifié sa déclaration de revenus pour que les revenus de location soient affichés comme des revenus d’entreprise.

[37] Le revenu de la demanderesse ne s’est pas transformé en revenu admissible de travail à son compte simplement parce qu’elle a modifié sa déclaration de revenus en faisant passer le type de revenu déclaré de revenu de location à revenu d’entreprise. Bien que les cotisations d’impôt sur le revenu soient des documents permettant de fournir à l’ARC des renseignements sur le revenu en ce qui concerne l’admissibilité à la PCRE, elles ne « prouvent » pas que la demanderesse a réellement gagné le revenu indiqué dans sa déclaration de revenus ou que son revenu provenait d’une source admissible (voir Aryan c Canada (Procureur général), précité au para 35). Compte tenu de la description changeante de son revenu, de l’absence d’entente de service, de l’absence de factures pour les services fournis par la demanderesse et du fait que les revenus de location constituent la seule preuve de paiements versés à la demanderesse, j’estime que l’agent pouvait raisonnablement conclure que les montants de 5 100 $, de 5 120 $ et de 5 500 $ déclarés par la demanderesse comme revenus d’entreprise en 2019, 2020 et 2021 ne constituaient pas un revenu de travail à son compte. En outre, j’estime que le motif justifiant cette conclusion était suffisamment détaillé dans le rapport de l’agent relatif au deuxième examen.

[38] Par ailleurs, même si la conclusion de l’agent selon laquelle le revenu de la demanderesse n’était pas un revenu de travail à son compte pouvait être qualifiée de déraisonnable, la preuve dont disposait l’agent indiquait que la demanderesse n’avait pas subi une réduction de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente. Dans ses observations présentées à l’appui du deuxième examen, la demanderesse a affirmé que ses revenus de travail à son compte s’élevaient à 5 100 $ en 2019, à 5 120 $ en 2020 et à 5 500 $ en 2021, ce qui montre clairement une augmentation (plutôt qu’une réduction) de son revenu de travail à son compte.

[39] La demanderesse affirme que la condition de réduction de 50 % s’applique à son revenu global et que, par conséquent, si l’on tient compte de ses pertes importantes de revenus de location, elle satisfait à la condition relative à la réduction. Toutefois, contrairement à ce qu’elle affirme, l’alinéa 3(1)f) de la Loi prévoit clairement que, pour établir s’il y a eu une réduction de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen, le seul revenu pertinent qui peut être pris en compte est son revenu d’emploi ou de travail à son compte. Toute réduction de ses revenus de location n’est pas pertinente.

[40] Par conséquent, j’estime que les conclusions de l’agent, selon lesquelles la demanderesse n’a pas gagné au moins 5 000 $ en revenu d’emploi ou en revenu net de travail à son compte en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa demande la plus récente, et qu’elle n’a pas subi une réduction de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente, étaient raisonnables. Pour l’un ou l’autre de ces motifs, la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE selon la preuve dont disposait l’agent. Il y avait aussi la question de savoir si la réduction des revenus de la demanderesse pour le travail exécuté pour son compte était liée à la COVID‑19. Cependant, comme l’agent a conclu qu’il n’y avait pas eu de réduction de 50 % admissible, je ne suis pas tenue d’examiner le caractère raisonnable de la conclusion de l’agent selon laquelle toute réduction n’était pas liée à la COVID‑19.

B. La demanderesse n’a pas été privée de l’équité procédurale

[41] La demanderesse affirme qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale en raison d’un manque de communication avec l’agent et que, par conséquent, elle n’a pas reçu d’indications claires sur ce qu’elle devait faire pour établir son admissibilité. Elle affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]
La demanderesse a téléphoné à l’ARC à plusieurs reprises, mais personne ne lui a donné les bonnes réponses sur la manière de réviser ses déclarations de revenus. Par exemple, la demanderesse doit‑elle retirer le revenu d’entreprise maximal en tant que revenu de travail à son compte et choisir de ne pas capitaliser les frais de réparation et d’entretien afin de réduire le revenu net ou simplement déclarer davantage de dépenses de réparation pour s’assurer que le revenu hebdomadaire moyen est réduit de plus de 50 %?

[42] L’équité procédurale exige que l’ARC veille à ce que la demanderesse connaisse la preuve à réfuter et qu’elle ait une possibilité d’y répondre. L’obligation d’équité procédurale n’exige pas que l’ARC fournisse des conseils juridiques ou fiscaux aux contribuables. La demanderesse s’est longuement entretenue avec l’agent avant la décision relative au deuxième examen et a eu la possibilité de présenter des renseignements et des documents supplémentaires. Compte tenu des circonstances, je suis convaincue que la demanderesse connaissait la preuve à réfuter et qu’elle a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre.

[43] La demanderesse affirme par ailleurs que la décision relative au premier examen n’indiquait pas qu’elle ne remplissait pas non plus la condition de réduction de 50 % et que cette omission était injuste et [TRADUCTION] « rendait impossible la tâche d’obtenir gain de cause ». Cet argument n’est pas fondé. Le fait que l’agent ait précisé des motifs supplémentaires pour refuser à la demanderesse son admissibilité à la PCRE ne constitue pas un bris des principes de justice naturelle ou de l’équité procédurale. Toutes les conditions du paragraphe 3(1) de la Loi doivent être remplies et l’agent avait la responsabilité de considérer toutes ces conditions, même si le premier refus était fondé sur celle du seuil de revenu minimum (voir Lussier c Canada (Procureur général), 2022 CF 935 au para 24]. Quoi qu’il en soit, le fait que la demanderesse n’ait pas atteint le seuil de revenu minimum était suffisant pour la rendre inadmissible à la PCRE, même sans tenir compte du fait qu’elle n’avait pas non plus atteint le seuil de réduction de 50 % des revenus.

[44] Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a établi qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

VI. Conclusion

[45] Comme j’ai conclu que la demanderesse n’a pas établi que la décision de l’agent était déraisonnable ou qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VII. Dépens

[46] Je ne vois aucune raison de m’écarter du principe général selon lequel la partie ayant eu gain de cause se voit adjuger les dépens. Le défendeur sollicite des dépens de 500 $, ce qui est tout à fait raisonnable à mon avis.


JUGEMENT dans le dossier T‑2368‑22

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada y soit désigné à titre de défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. La demanderesse versera au défendeur les dépens afférents à la demande de 500 $.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T‑2368‑22

 

INTITULÉ :

AIJUN SUN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 août 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 septembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Aijun Sun

 

Pour la demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

Christophe Tassé‑Breault

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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