Dossier : IMM-5223-22
Référence : 2023 CF 1219
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2023
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE : |
HYAM ALKARRA |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] La demanderesse, Hyam Alkarra, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 9 mai 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant qu’elle n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).
[2] La SAR a conclu que la question déterminante était le risque de persécution auquel serait exposée la demanderesse au Liban du fait de sa nationalité syrienne, de ses croyances religieuses en tant qu’adventiste du septième jour et de son genre.
[3] La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que la discrimination à laquelle elle affirmait être exposée au Liban n’équivalait pas à de la persécution et que, ce faisant, la SAR avait écarté à tort des éléments de preuve pertinents, n’avait pas tenu compte de l’effet cumulatif des différentes formes de discrimination subies et avait tiré des conclusions déraisonnables fondées sur des conjectures et des inférences.
[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
II. Faits
A. La demanderesse
[5] La demanderesse, âgée de 58 ans, est une citoyenne syrienne de naissance et libanaise par mariage. Elle s’est mariée au Liban en janvier 1995 et a obtenu la citoyenneté libanaise en avril 2004.
[6] La demanderesse affirme que son époux et elle sont tous deux adventistes du septième jour. L’extrait du registre de l’état civil concernant la demanderesse indique qu’elle est orthodoxe romaine, tandis que l’extrait du registre de l’état civil concernant son époux indique qu’il est maronite. La demanderesse affirme que le Liban ne reconnaît pas l’Église adventiste du septième jour comme une religion légitime.
[7] La demanderesse et son époux ont habité au Liban, où la demanderesse aurait travaillé comme enseignante de 1999 à 2007. En janvier 2008, lorsque les contrats d’emploi des collègues de la demanderesse ont été renouvelés, un collègue aurait dit à cette dernière que l’école n’avait pas renouvelé son contrat parce que les parents s’étaient plaints que leurs enfants avaient commencé à imiter son accent syrien.
[8] La demanderesse affirme que, le 26 septembre 2008, quatre hommes l’ont approchée, lui ont dit qu’elle n’avait pas sa place au Liban en tant que Syrienne et lui ont lancé des pierres. Elle affirme que personne n’est intervenu et que certains témoins, qui souscrivaient aux déclarations des hommes, ont même encouragé ces derniers. La demanderesse prétend avoir aussi reçu des lettres de menaces à son domicile au Liban, dans lesquelles les auteurs disaient que les Syriens étaient [traduction] « l’ennemi »
et qu’elle devait quitter le pays.
[9] La demanderesse affirme que son époux et elle ont décidé de quitter le Liban à la suite de cet événement et se sont installés à Alaouda, en Syrie. La demanderesse aurait commencé à travailler comme tutrice depuis son domicile et comme enseignante de français à Tartous, tandis que son époux aurait commencé à travailler comme gérant d’une librairie. La demanderesse prétend avoir quitté son emploi d’enseignante en juin 2012.
[10] La demanderesse affirme que, en septembre 2017, des membres des Forces de défense nationale syriennes (les FDN) se sont rendus à la librairie où travaillait son époux et ont exigé que ce dernier paie 20 000 livres syriennes par mois en contrepartie de leur protection. La demanderesse et son époux ont obéi, car ils craignaient pour leur vie, et la demanderesse aurait vendu ses bijoux pour joindre les deux bouts. La demanderesse affirme que, à un certain moment, son époux n’a pas été en mesure de verser le paiement exigé par les FND et que, pour cette raison, ils ont été attaqués à leur domicile le 22 mai 2019. Selon elle, un membre de la milice a pointé une arme sur son époux et a menacé de les tuer tous les deux s’ils ne payaient pas la somme exigée. À cette fin, la demanderesse aurait vendu un bijou de valeur.
[11] La demanderesse affirme que son frère, un citoyen canadien, avait besoin d’une greffe de cellules souches. Le 25 juillet 2019, la demanderesse s’est rendue au Canada grâce à un visa de visiteur afin de lui faire un don de cellules souches. La demanderesse est restée avec son frère pendant cette période, soit chez lui, soit à l’hôpital, car il avait besoin de soins en continu.
[12] La demanderesse a présenté une demande d’asile au Canada en décembre 2019. Elle affirme ne pas avoir présenté sa demande d’asile plus tôt parce qu’elle craignait de nuire aux soins médicaux de son frère. Le frère de la demanderesse est décédé le 19 septembre 2020.
[13] La demanderesse prétend que son époux vit toujours en Syrie et qu’il a continué de payer les sommes exigées par les FDN jusqu’en février 2021, lorsqu’il a perdu son emploi. Elle affirme que le 20 mars 2021, les FDN ont communiqué avec son époux à leur domicile pour exiger d’autres paiements.
B. La décision de la SPR
[14] Dans sa décision du 23 décembre 2021, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’elle n’avait pas une crainte objective de persécution au Liban du fait de ses croyances religieuses et de son origine ethnique syrienne et parce qu’elle n’était pas exposée à un risque de persécution en Syrie et au Liban du fait de son genre.
[15] La SPR a accepté le témoignage de la demanderesse portant qu’elle était adventiste du septième jour, qu’elle pratiquait sa religion au Liban et que les fidèles de cette religion étaient confrontés à certaines difficultés, mais a fait remarquer que les documents officiels de la demanderesse indiquaient qu’elle était chrétienne orthodoxe et que son époux était reconnu comme maronite. La SPR a ainsi conclu que, du point de vue de l’État libanais, la demanderesse n’était pas considérée comme adventiste du septième jour et que cela ne changerait que si elle déclarait sa véritable religion à l’État. Par conséquent, la SPR a jugé que le fait que la demanderesse n’appartenait pas à une religion reconnue ne l’exposait pas à de la discrimination de la part de l’État libanais. La SPR a également renvoyé à des éléments de preuve objectifs selon lesquels les chrétiens ne faisaient pas l’objet de discrimination généralisée au Liban.
[16] Concernant les allégations de discrimination au Liban fondée sur les origines syriennes de la demanderesse, la SPR a pris note d’un certain nombre d’incidents et de la preuve qui montrait que les réfugiés syriens étaient confrontés à des difficultés, mais a fait remarquer que la demanderesse était une citoyenne libanaise de plein droit et non une réfugiée syrienne. La SPR a jugé que rien n’indiquait que la demanderesse subirait de la discrimination uniquement en raison de son origine ethnique syrienne ou de son accent syrien.
[17] En ce qui a trait à la discrimination fondée sur le genre au Liban et en Syrie, la SPR a fait observer que le genre pouvait certes représenter un désavantage social, mais que la demanderesse avait réussi à faire carrière dans l’enseignement au Liban et en Syrie et qu’elle n’avait fourni aucune preuve démontrant qu’elle ne serait pas en mesure de poursuivre sur cette voie si elle y retournait.
[18] La SPR a pris acte du témoignage de la demanderesse, qui a déclaré qu’elle avait été agressée au Liban en septembre 2008 et qu’un collègue l’avait informée d’une rumeur comme quoi son contrat de travail n’avait pas été renouvelé en raison de son accent syrien. La SPR a reconnu que ces événements étaient effrayants et dégradants, mais a fait observer que la demande d’asile de la demanderesse devait être évaluée en fonction des risques auxquels elle serait exposée dans l’avenir. La SPR a tenu compte de la preuve objective démontrant que la demanderesse serait confrontée à des obstacles au Liban en tant que femme appartenant à une religion non reconnue, mais a néanmoins conclu que celle‑ci n’avait fourni qu’une preuve conjecturale des difficultés auxquelles elle pourrait être confrontée dans ce pays. La SPR a jugé que la demanderesse n’avait pas établi de manière suffisamment évidente qu’elle serait exposée à un risque de discrimination du fait de ses croyances religieuses, de son origine ethnique syrienne, de son genre ou de la combinaison de ces facteurs si elle retournait au Liban.
[19] Pour ces motifs, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle serait exposée à une possibilité sérieuse de persécution ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle devait retourner au Liban. Par conséquent, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.
C. La décision faisant l’objet du contrôle
[20] Dans sa décision du 9 mai 2022, la SAR a rejeté l’appel de la demanderesse au motif que celle‑ci ne serait pas exposée à un risque de persécution si elle retournait au Liban et que la discrimination à laquelle elle était confrontée n’équivalait pas à de la persécution.
[21] La demanderesse a déposé un nouvel affidavit à la SAR, auquel était joint un article qu’elle souhaitait présenter à titre de nouvel élément de preuve en appel. La demanderesse a fait valoir que cet article était admissible parce qu’il traitait de la discrimination et de la persécution auxquelles étaient confrontés les Syriens au Liban, ce qui se rapporte directement aux conclusions de la SPR. La SAR a jugé que cet article, même s’il avait été publié après la décision de la SPR, ne fournissait aucun nouveau renseignement et ne décrivait pas de nouveaux événements ni de changements dans la situation du pays. La SAR a conclu que l’article n’était pas admissible à titre de nouvel élément de preuve parce qu’il ne répondait pas au critère de nouveauté établi au paragraphe 110(4) de la Loi et, par conséquent, n’a pas tenu d’audience.
[22] La SAR a conclu que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que la demanderesse serait exposée à une possibilité sérieuse de persécution au Liban du fait de ses croyances religieuses. En appel, la demanderesse a fait valoir que les personnes appartenant à une religion chrétienne non reconnue, comme les adventistes du septième jour, étaient victimes de discrimination, contrairement aux personnes appartenant à une religion chrétienne reconnue, et que c’était pourquoi son époux et elle avaient indiqué appartenir à des religions reconnues sur leurs documents officiels. Elle a ajouté que son époux et elle pratiquaient leur religion ouvertement et qu’ils étaient donc susceptibles d’être reconnus en tant qu’adventistes du septième jour.
[23] La SAR a toutefois fait remarquer que la persécution se distinguait du harcèlement et de la discrimination, comme il a été statué par la Cour dans la décision Sefa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1190 (Sefa), et que les actes de discrimination n’équivalaient à de la persécution que dans certaines circonstances. La SAR a fait observer que la demanderesse et son époux avaient pu pratiquer leur religion, qu’ils étaient membres d’une église adventiste du septième jour toujours en activité et que, selon la preuve objective, les membres de religions non reconnues étaient autorisés à posséder des biens, à se rassembler pour tenir des offices religieux et à pratiquer librement leurs rites religieux. La SAR a pris acte de la preuve objective selon laquelle les groupes religieux non reconnus ne pouvaient célébrer de mariages ni prononcer de divorces et que, pour cette raison, les membres de tels groupes indiquaient appartenir à une religion reconnue pour s’assurer de la validité de leurs documents officiels, et la SAR a conclu que cette preuve concordait avec le témoignage de la demanderesse. La SAR a cependant jugé que la preuve démontrait que les adventistes du septième jour pouvaient pratiquer leur religion ouvertement au Liban et que la discrimination qu’ils subissaient à l’égard de leur statut juridique n’équivalait pas à de la persécution aux fins de l’octroi du statut de réfugié. La SAR a conclu que la crainte de la demanderesse d’être persécutée au Liban du fait de sa religion n’avait pas de fondement objectif.
[24] La SAR a jugé que la demanderesse n’était pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution du fait de son genre. La SAR a reconnu que l’analyse de la SPR sur cette question était sommaire et a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas clairement formulé ses allégations concernant le risque auquel elle serait exposée en tant que femme. La SAR a conclu que la preuve objective démontrait que les femmes faisaient l’objet de discrimination en matière de situation familiale, de statut personnel et de participation à la vie politique, au marché du travail et à la collectivité. En revanche, la SAR a jugé que la demanderesse n’avait pas affirmé avoir déjà subi des actes de discrimination du fait de son genre et que son profil ne donnait pas lieu à un risque élevé de persécution fondée sur le genre.
[25] La SAR a également conclu que la demanderesse n’était pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution au Liban du fait de sa nationalité syrienne. En appel, la demanderesse a fait valoir que la SPR avait eu tort d’établir une distinction entre sa situation et celle des réfugiés syriens, et a mentionné qu’elle était déjà citoyenne libanaise au moment où elle aurait été agressée. La SAR a cependant souscrit à l’évaluation de la SPR et a conclu que le profil de risque de la demanderesse était plus faible en raison de son statut de citoyenne libanaise. La SAR a conclu que la preuve objective faisait principalement état de discrimination envers les réfugiés syriens du fait de leur statut de réfugié et que, malgré la discrimination subie par la demanderesse en raison de son origine ethnique et de son accent, le fait que son époux et elle avaient la citoyenneté libanaise réduisait le risque de discrimination.
[26] La SAR a admis que la demanderesse avait été agressée par plusieurs hommes en septembre 2008 et qu’elle avait reçu des lettres de menaces à son domicile, mais a conclu que des événements isolés ne constituaient pas de la persécution et que la preuve ne permettait pas d’établir que la demanderesse serait exposée à de la persécution dans l’avenir du fait de sa nationalité syrienne. La SAR a également conclu que la croyance de la demanderesse selon laquelle elle avait perdu son emploi en raison de sa nationalité syrienne était fondée sur une rumeur et que cette situation ne suffisait pas à établir une crainte objective de persécution fondée sur la nationalité.
[27] La SAR a fait remarquer que la demanderesse avait fait valoir en appel qu’elle serait forcée de vivre dans une région islamique si elle retournait au Liban et que son mari n’oserait pas y vivre avec elle. La SAR a conclu que cette allégation n’était pas étayée par la preuve qu’avait présentée la demanderesse, car cette dernière, lorsqu’on lui avait demandé si elle habiterait avec son époux en cas de renvoi au Liban, avait répondu par l’affirmative.
[28] Enfin, la SAR a tenu compte de l’observation de la demanderesse selon laquelle la SPR n’avait pas correctement évalué l’effet cumulatif des formes de discrimination auxquelles elle serait exposée au Liban en raison du recoupement de différents aspects de son identité à titre de femme syrienne adventiste du septième jour. Néanmoins, la SAR a finalement jugé que les préjudices et la discrimination que la demanderesse aurait subis dans le passé, considérés de manière cumulative, n’équivalaient pas à de la persécution et n’établissaient pas que celle‑ci serait exposée à un risque de persécution si elle retournait au Liban. La SAR a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle craignait avec raison d’être persécutée au Liban et, par conséquent, a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la SPR.
III. Question en litige et norme de contrôle applicable
[29] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question, soit celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.
[30] La norme de contrôle applicable n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17, 23‑25). Je suis d’accord.
[31] La norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, tant en ce qui concerne le raisonnement suivi que le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).
[32] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle contient des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle suscite ne justifient pas toutes l’intervention de la Cour. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure »
(Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).
IV. Analyse
[33] La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que la preuve ne permettait pas d’établir que la discrimination subie équivalait à de la persécution. La demanderesse soutient plus précisément que la SAR n’a pas évalué correctement l’effet cumulatif des différentes formes de discrimination vécues, qu’elle n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve essentiels ou qu’elle les a mal interprétés, et qu’elle s’est appuyée de manière déraisonnable sur des conjectures et des inférences.
[34] La demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur en concluant que les adventistes du septième jour pouvaient pratiquer librement leur religion au Liban et que la preuve objective ne permettait pas d’établir que la discrimination dont ils étaient victimes équivalait à de la persécution. La demanderesse soutient que la SAR s’est appuyée de manière sélective sur des éléments de preuve objectifs afin d’étayer cette conclusion, alors que ces mêmes éléments démontrent que les personnes appartenant à une religion non reconnue ont un statut juridique inférieur et que certaines d’entre elles font l’objet de discrimination sociale, par exemple en se voyant refuser l’accès à un emploi ou à un logement. La demanderesse fait valoir que ces éléments contredisent la conclusion de la SAR et démontrent que celle‑ci n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve. La demanderesse soutient que la preuve relative à la discrimination en matière de logement et d’emploi à l’égard des personnes appartenant à une religion non reconnue, combinée à la preuve relative à l’infériorité de leur statut juridique, corrobore sa crainte d’être exposée à un risque de persécution au Liban.
[35] La demanderesse soutient que la SAR, par sa conclusion selon laquelle les chrétiens n’étaient pas exposés à un risque important de discrimination au Liban, s’est appuyée de manière déraisonnable sur une généralisation pour conclure que la demanderesse et son époux ne seraient pas exposés à un tel risque. La demanderesse affirme que la preuve objective établit une distinction entre les religions chrétiennes reconnues et les religions non reconnues, les dernières comprenant les adventistes du septième jour. La demanderesse soutient qu’elle ne demande pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, mais présente plutôt des éléments de preuve objectifs qui contredisent les conclusions de la SAR et que celle‑ci avait donc l’obligation de prendre en compte.
[36] En ce qui concerne la conclusion de la SAR relative à la discrimination subie par les Syriens au Liban du fait de leur nationalité, la demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur en considérant comme non pertinents les éléments de preuve du cartable national de documentation qui révélaient que les réfugiés syriens étaient victimes de discrimination. Elle soutient que ces éléments étaient pertinents parce qu’ils démontraient comment les Syriens étaient généralement traités. La demanderesse soutient également que la SAR n’a pas dûment tenu compte du fait qu’elle avait été agressée et qu’elle avait reçu des lettres de menace malgré sa citoyenneté libanaise, et que sa citoyenneté n’avait pas empêché ces événements de se produire. La demanderesse soutient que l’effet cumulatif des formes de discrimination auxquelles elle est exposée du fait de son origine ethnique syrienne, de sa religion et de son genre équivaut à de la persécution aux fins de l’octroi du statut de réfugié, et que la conclusion contraire de la SAR est fondée sur une appréciation déraisonnable de la preuve.
[37] Le défendeur soutient que l’évaluation par la SAR de la demande d’asile de la demanderesse est raisonnable. En ce qui concerne la question de la discrimination fondée sur la religion, le défendeur soutient que la demanderesse, par ses observations, cherche en fait à ce que la Cour apprécie à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle de cette dernière lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire. Le défendeur soutient en outre qu’un examen global des motifs de la SAR permet de contredire l’allégation de la demanderesse selon laquelle des éléments de preuve essentiels n’auraient pas été mentionnés dans la décision et n’auraient donc pas été pris en compte. Le défendeur fait remarquer que la SAR a expressément reconnu le fait que des personnes indiquaient faussement appartenir à une religion reconnue dans leurs documents officiels, que les divorces et les mariages dans certaines religions n’étaient pas reconnus, et qu’il y avait des problèmes liés à la vente de terres. Le défendeur fait valoir que la SAR avait connaissance des éléments de preuve révélant que les adventistes du septième jour étaient exposés à une certaine forme de discrimination, mais qu’elle a raisonnablement conclu que la discrimination n’équivalait pas toujours à de la persécution et que la demanderesse et son époux avaient pu continuer à pratiquer librement leur religion au Liban.
[38] En ce qui a trait à la discrimination fondée sur la nationalité syrienne de la demanderesse, le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour la SAR d’établir une distinction entre le traitement infligé aux réfugiés syriens et celui infligé à tous les Syriens, en particulier ceux ayant la citoyenneté libanaise, comme la demanderesse. Le défendeur fait remarquer que la demanderesse, par ses observations sur cette question, tente de faire valoir à nouveau le bien-fondé des observations qu’elle a présentées à la SAR plutôt que de soulever une erreur précise dans la décision de la SAR ou de renvoyer à un élément de preuve en particulier dont celle-ci aurait fait abstraction. Le défendeur fait également observer que, contrairement à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la SAR n’a pas tenu compte de l’effet cumulatif des trois formes de discrimination auxquelles elle serait exposée, la SAR a explicitement déclaré avoir pris en compte les préjudices et la discrimination subis par la demanderesse dans le passé de manière cumulative. Le défendeur soutient que, compte tenu de la preuve, il était raisonnable pour la SAR de conclure que la situation de la demanderesse et sa citoyenneté réduisaient le risque qu’elle soit exposée à de la discrimination assimilable à de la persécution.
[39] Je suis d’accord avec le défendeur. La question de savoir si la discrimination subie par un demandeur d’asile équivaut à de la persécution aux fins de l’octroi du statut de réfugié est régie par les considérations suivantes, telles qu’elles ont été énoncées par la Cour dans la décision Sefa :
[10] La Commission a fourni ce que les parties s’entendent pour reconnaître comme un exposé clair du droit concernant la question de savoir dans quelle situation le genre de discrimination dont les demandeurs ont été victimes sera considéré comme de la persécution permettant de fonder une demande d’asile en vertu de la Loi. Elle a déclaré ce qui suit :
Pour que des mauvais traitements subis soient considérés comme de la persécution, il faut qu’ils soient graves[1] et que le préjudice soit infligé de façon répétitive ou persistante, ou de manière systématique[2]. Pour établir ce qui est caractérisé comme étant grave, il faut tenir compte de l’intérêt du demandeur d’asile qui fait l’objet d’un préjudice et la mesure dans laquelle cet intérêt pourrait être compromis. Les cours assimilent la gravité à la négation clé d’un droit fondamental de la personne[3]. C’est l’exigence selon laquelle le préjudice doit être grave qui a mené à la distinction entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement. La persécution est caractérisée par la gravité supérieure des mauvais traitements qu’elle comporte[4]. De même, les cours ont fait une distinction entre la persécution et la simple injustice[5]. Selon le paragraphe 54 du Guide du HCR[6], les personnes qui jouissent d’un traitement moins favorable en raison de différences de traitement ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n’est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions, notamment de sérieuses restrictions du droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tous. Les mauvais traitements peuvent constituer de la discrimination ou du harcèlement et ne pas être assez graves pour être considérés de la persécution[7]. La SPR peut rendre une décision portant que la discrimination ne constitue pas de la persécution[8]. Des actes de harcèlement qui, seuls, n’équivalent pas à de la persécution peuvent, collectivement, constituer de la persécution[9]. Les actes discriminatoires répétés subis par le passé peuvent créer une possibilité sérieuse de persécution à l’avenir[10]. Il faut trancher la question de savoir si des actes de discrimination équivalent à de la persécution à la lumière de toutes les circonstances.
La Cour est d’avis que la Commission a exposé clairement et correctement le droit applicable en la matière.
[Non souligné dans l’original; renvois omis.]
[40] Ce sont ces contraintes juridiques portant sur la question de la discrimination qui ont eu une incidence sur la décision de la SAR dans la présente affaire et sur lesquelles celle‑ci s’est appuyée pour tirer la conclusion raisonnable selon laquelle la discrimination subie par la demanderesse ne permettait pas d’établir une crainte de persécution au Liban.
[41] La SAR n’a pas conclu que la demanderesse ne subirait aucune discrimination au Liban. Elle a expressément admis que la demanderesse, en tant que fidèle d’une religion non reconnue au Liban, n’avait pas le même statut juridique qu’une personne appartenant à une religion reconnue et n’avait donc pas accès au mariage ou au divorce. La SAR a également admis que la demanderesse avait été la cible d’une agression à caractère raciste au Liban en 2008, qu’elle avait reçu des lettres de menaces en raison de sa nationalité syrienne et qu’elle se heurterait à des obstacles en tant que femme dans la société libanaise. La SAR a reconnu que la demanderesse avait fait l’objet de discrimination, mais il lui était loisible de conclure que la preuve ne permettait pas d’établir que la demanderesse serait exposée à de la persécution dans l’avenir et que le traitement distinct qui pourrait être exercé à l’égard de celle‑ci n’équivaudrait pas à de la persécution selon le cadre établi dans la décision Sefa.
[42] La SAR a apprécié la preuve objective de manière raisonnable en fonction de la situation de la demanderesse, preuve qui démontre que les adventistes du septième jour peuvent posséder des biens, se rassembler pour tenir des offices religieux et pratiquer librement leurs rites religieux, comme le faisaient la demanderesse et son époux avant de quitter le Liban. Il était raisonnable pour la SAR de faire remarquer que la demanderesse et son époux fréquentaient régulièrement une église adventiste du septième jour, qu’ils s’étaient mariés dans une telle église et qu’ils avaient pu pratiquer ouvertement leur religion. La SAR a également conclu que les éléments de preuve indiquaient que la discrimination vécue par les Syriens au Liban était en grande partie dirigée contre les réfugiés syriens, et que la situation de la demanderesse à titre de citoyenne libanaise réduisait le risque qu’elle soit exposée à de la discrimination dans l’avenir, de sorte qu’elle ne craignait pas avec raison d’être persécutée. L’évaluation par la SAR des allégations formulées par la demanderesse est justifiée au regard de la preuve et des contraintes juridiques qui ont une incidence sur la décision (Vavilov, aux para 99, 125).
[43] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable et que la demanderesse n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle qui justifie l’intervention de la Cour.
V. Conclusion
[44] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de la SAR est justifiée, intelligible et transparente compte tenu du dossier de preuve (Vavilov, au para 99). Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5223-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Shirzad A. »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-5223-22 |
INTITULÉ :
|
HYAM ALKARRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 31 MAI 2023
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE AHMED
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 8 SEPTEMBRE 2023
|
COMPARUTIONS :
Omolola Fasina |
POUR LA DEMANDERESSE |
Stephen Jarvis |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Omolola Fasina Avocate London (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |