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Date : 20230731


Dossier : T-824-22

Référence : 2023 CF 1051

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2023

En présence de l’honorable juge Pamel

ENTRE :

OLIVIER PERREAULT

demandeur

et

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(version publique émise le 31 juillet 2023)

I. Aperçu

[1] Notre Cour est saisie d’une demande de révision dirigée contre le refus d’Affaires mondiales Canada [Affaires mondiales ou le Ministère] de produire certains renseignements faisant l’objet d’une demande d’accès à l’information formulée le 18 décembre 2017 par le demandeur, M. Olivier Perreault, en vertu de l’article 6 de la Loi sur l’accès à l’information, RSC, 1985, c A-1 [Loi]. En particulier, Affaires mondiales a refusé, lors d’une communication de documents effectuée le 12 janvier 2021, de divulguer des informations concernant une demande de services juridiques déposée auprès d’Affaires mondiales par M. Perreault le 20 avril 2015 en vertu de la Politique sur les services juridiques et l’indemnisation [Politique] du gouvernement du Canada. Par cette demande, M. Perreault visait à être représenté par l’État dans un conflit l’opposant à son ancienne employée domestique [employée], alors qu’il était en affectation comme agent de liaison antifraude à l’ambassade du Canada en Colombie.

[2] Suite à cette demande de représentation, plusieurs mois ont passé sans que M. Perreault n’obtienne de réponse de la part d’Affaires mondiales. C’est ainsi que, désireux de connaître la décision officielle du Ministère à cet égard, M. Perreault lui a fait parvenir une demande d’accès à l’information. Insatisfait de la façon dont Affaires mondiales a appliqué les exceptions prévues par la Loi afin de retenir certaines informations contenues aux documents communiqués, M. Perreault a déposé une série de plaintes auprès du Commissaire à l’information [Commissaire]. Suivant l’émission par le Commissaire de son compte rendu final, lequel concluait que le refus de communication d’Affaires mondiales était conforme à la Loi, M. Perreault a introduit le présent recours en révision en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi. Plus précisément, M. Perreault soutient qu’Affaires mondiales a injustement invoqué les exceptions prévues par le paragraphe 19(1) et par l’article 23 de la Loi afin de retenir une partie des informations qui, estime-t-il, auraient dû lui être communiquées. Il demande à la Cour d’accueillir sa demande, avec dépens, et d’ordonner à Affaires mondiales de lui donner communication des documents demandés.

[3] Pour les raisons qui suivent, je conclus qu’Affaires mondiales a incorrectement appliqué l’exception prévue par l’article 23 de la Loi à certains renseignements demandés par M. Perreault et que, pour ce qui est des renseignements qu’il a retenus à juste titre en application de cette disposition, il n’y a pas d'éléments suffisants pour établir que le ministre des Affaires étrangères [ministre], à qui incombe le fardeau de la preuve, a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser de les communiquer. Il convient donc d’accueillir en partie la demande de M. Perreault, et ce de la manière exposée aux présents motifs.

I. Faits et procédures

[4] D’octobre 2012 à juillet 2015, M. Perreault a occupé l’emploi d’agent de liaison antifraude pour l’Agence des services frontaliers du Canada à l’ambassade du Canada en Colombie. Son poste d’attache était celui d’agent d’immigration principal à Citoyenneté et Immigration Canada. Durant la période où il était en détachement en Colombie, l’administration des ressources humaines de l’ambassade, composée d’employés et de gestionnaires d’Affaires mondiales, gérait les différents aspects administratifs et légaux relatifs à l’embauche des employés domestiques. Cette gestion s’inscrivait dans un cadre plus global où le ministère intervenait dans l’administration de la logistique requise pour la relocalisation des agents durant leur affectation.

[5] Au moment des faits ayant abouti à la présente demande, l’employée travaillait pour le compte de M. Perreault. Bien qu’il était son employeur officiel, et en cela, responsable du versement de son salaire et des diverses cotisations y afférent, Affaires mondiales s’occupait de calculer les montants à verser à ce titre et les communiquait par la suite aux agents tel que M. Perreault, en plus de communiquer les informations relatives au salaire de l’employée aux différentes instances colombiennes.

[6] En janvier 2014, alors qu’elle préparait son dossier de retraite, l’employée a été informée par son fonds de pension que les contributions de ses employeurs, dont M. Perreault, avaient été faites sur la base du salaire minimum depuis de nombreuses années, alors que son salaire réel avait été généralement supérieur à celui-ci. Il existait donc un manque à gagner quant au montant exigé pour ses cotisations obligatoires. Il ressort de la preuve au dossier que cette situation résultait d’une décision de l’administration de l’ambassade d’indiquer à tous les fonctionnaires fédéraux employant des domestiques un montant de cotisation à verser calculé sur la base du salaire minimum, plutôt que d’effectuer le calcul sur une base individuelle en fonction du salaire réel de chaque employé.

[7] Le 10 février 2014, la première d’une série de rencontres impliquant M. Perreault, l’employée, les ressources humaines de l’ambassade, le représentant du fonds de pension et les conseillers juridiques d’Affaires mondiales s’est tenue dans le but de démêler cette affaire. Insatisfaite de la situation, l’employée a entamé des démarches judiciaires contre M. Perreault et l’ambassade visant à réclamer les montants de cotisation impayés par le biais de mises en demeure et de menaces de poursuites civiles.

[8] C’est dans ce contexte que le 20 avril 2015, M. Perreault a présenté une demande de services juridiques, conformément à la Politique, afin d’être représenté dans le conflit l’opposant à son ancienne employée. Le 1er juin 2015, il a expliqué sa situation lors d’une conversation téléphonique avec Me Kathleen McGrath, avocate à Justice Canada, à l’issue de laquelle cette dernière aurait mentionné qu’elle émettrait une recommandation favorable à sa demande. Cependant, malgré la responsabilité d’Affaires mondiales, aux termes de la Politique, de prendre une décision quant à la demande de M. Perreault et de la lui communiquer en temps utile, et en dépit des démarches répétées de M. Perreault pour obtenir des réponses, il n’a finalement reçu la décision négative d’Affaires mondiales qu’en novembre 2022, soit quelques mois seulement avant l’audition de la présente demande.

[9] Entretemps, le 18 décembre 2017, M. Perreault a, par voie de demande présentée en vertu de l’article 6 de la Loi, demandé qu’Affaires mondiales lui communique les documents relatifs à la décision du Ministère quant à sa demande de services juridiques. Le 29 août 2018, Affaires mondiales a communiqué à M. Perreault, 52 pages de documents, bien que des renseignements faisant l’objet d’exceptions en vertu de la Loi aient été caviardés. Le 10 septembre 2018, M. Perreault a déposé deux plaintes auprès du Commissaire, l’une concernant l’application des exceptions dans la communication du 29 août 2018 [plainte 3218-01044] et l’autre concernant la portée des documents communiqués le 29 août 2018 qui, selon lui, était incomplète [plainte 3218-01045].

[10] Dans les mois suivant la réception de la plainte 3218-01045, des recherches supplémentaires ont été effectuées par Affaires mondiales auprès des directions concernées afin de repérer des documents additionnels correspondants à la demande d’information. Suivant ces recherches, le Ministère a reçu 47 pages supplémentaires le 17 septembre 2019. De plus, une révision des exceptions appliquées à la communication du 29 août 2018 a été effectuée en réponse à la plainte 3218-01044. Le 21 mai 2021, Affaires mondiales a communiqué 99 pages de documents à M. Perreault, correspondant aux 52 pages nouvellement révisées et les 47 pages supplémentaires reçues et traitées.

[11] Le 19 juillet 2021, M. Perreault a déposé une nouvelle plainte auprès du Commissaire [plainte 5821-01172], concernant les exceptions invoquées aux pages 53 à 99 (les 47 pages supplémentaires) dans la communication du 21 mai 2021. Le 1er septembre 2021, M. Perreault s’est par ailleurs désisté de la plainte 3218-01045.

[12] Dans le cadre du traitement des plaintes 3218-01044 et 5821-01172, Affaires mondiales a révisé l’application de certaines exceptions invoquées dans la communication du 21 mai 2021. Suivant cette révision, le 12 janvier 2022, le Ministère a effectué une nouvelle communication des 99 pages. Les pages de cette communication qui contiennent des renseignements retenus en vertu des exceptions de la Loi ont par ailleurs été produites dans leur entièreté à l’appui de l’affidavit confidentiel du consultant à la division de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels d’Affaires mondiales, qui a procédé à l’analyse ayant abouti à cette dernière communication.

[13] Dans le compte rendu final qu’il a produit le 3 mars 2022 conformément au paragraphe 37(2) de la Loi, le Commissaire a conclu qu’Affaires mondiales avait appliqué les exceptions prévues par le paragraphe 19(1), par les alinéas 20(1)c) et 21(1)b), ainsi que par l’article 23 d’une manière conforme à la Loi, et que, dans les cas où cette application était de nature discrétionnaire, Affaires mondiales avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable.

[14] Le 21 avril 2022, M. Perreault a introduit la présente demande de révision dirigée contre le ministre, défendeur en l’instance, en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi. L’objet de la demande se limite aux exceptions invoquées en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi pour les pages 76, 79 à 82, 90 et 91 de la communication du 12 janvier 2022, et en vertu de l’article 23 de la Loi pour les pages 76 à 83 et 89 à 94.

II. Questions en litige

[15] Les parties ont défini ainsi les questions que je dois trancher dans la présente affaire :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions soulevées dans le cadre d’un recours en révision prévu par l’article 41 de la Loi?

  2. Est-ce à bon droit qu’Affaires mondiales a refusé la communication de renseignements personnels en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi et qu’elle a identifié certains renseignements comme étant protégés par le secret professionnel conformément à l’article 23 de la Loi?

  3. Est-ce qu’Affaires mondiales a raisonnablement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 23 de la Loi?

  4. Si Affaires mondiales a retenu à tort les informations demandées, quelle est la mesure appropriée?

III. Discussion

A. Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions soulevées dans le cadre d’un recours en révision prévu par l’article 41 de la Loi?

[16] J’ai reproduit dans l’annexe ci‐jointe les dispositions législatives pertinentes.

[17] Les catégories d’information pertinentes en l’espèce sont celles des renseignements personnels et des renseignements protégés par le secret professionnel ou par le privilège relatif au litige, prévues par les articles 19 et 23 de la Loi respectivement. En ce qui a trait à l’application des exceptions à la communication prévues par la Loi, la démarche d’une institution fédérale consiste nécessairement, dans un premier temps, à analyser l’information contenue aux documents demandés afin d’identifier celle dont la nature correspond à l’une des catégories d’information prévues par la Loi. Une fois cette qualification complétée, la Loi prévoit la marge de manœuvre dont dispose l’institution fédérale quant à la divulgation de l’information en question. C’est ainsi qu’aux termes du paragraphe 19(1) de la Loi, l’institution fédérale est tenue de refuser la communication de documents contenant des renseignements personnels, bien que, d’autre part, le paragraphe 19(2) lui attribue le pouvoir discrétionnaire de communiquer lesdits renseignements dans les cas prévus par les sous-paragraphes a) à c). De même, l’article 23 de la Loi prévoit que l’institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel ou par le privilège relatif au litige.

[18] Le projet de loi C‐58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence, a reçu la sanction royale et est entré en vigueur le 21 juin 2019. Notamment, les modifications apportées à la Loi comprennent des modifications des pouvoirs du commissaire à l'information, y compris l'introduction d'un pouvoir d'ordonner la communication de documents suivant l’article 36.1 de la Loi, ainsi que l’introduction de l’article 44.1 de la Loi :

Révision de novo

De novo review

44.1 Il est entendu que les recours prévus aux articles 41 et 44 sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire.

44.1 For greater certainty, an application under section 41 or 44 is to be heard and determined as a new proceeding.

[19] L’article 44.1 vise à la fois les demandes présentées en vertu de l’article 41 et de l’article 44 de la Loi. La principale distinction entre ces deux types de recours est que, d’une part, aux termes de l’article 41, le contexte implique une décision de l’institution fédérale de refuser la communication de l’information, ainsi que l’émission par le Commissaire d’un compte rendu en application du paragraphe 37(2) à l’égard de la plainte qui fait l’objet de ce refus. D’autre part, aux termes de l’article 44, le contexte implique une décision de l’institution fédérale de communiquer les informations auxquelles l’article 20 de la Loi s’applique à l’auteur de la demande en vertu de l’article 6 de la Loi. Le recours prévoit un demandeur, soit le tiers, qui recherche la révision de cette décision, et ceci sans l’émission par le Commissaire d’un compte rendu en application du paragraphe 37(2). De plus, aucune décision discrétionnaire du responsable de l’institution n’est en cause dans le cadre d’une demande relevant de l’article 44 de la Loi.

[20] Il n’est pas controversé entre les parties que, aux termes de l’article 44.1 de la Loi et de la jurisprudence pertinente, la révision effectuée par le juge en vertu de l’article 41 de la Loi consiste à se « mettre à la place » de l’institution fédérale dont la décision est contestée afin d’effectuer l’examen de novo des questions qui ont fait l’objet de cette décision (Suncor Énergie Inc. c Office Canada‐Terre‐Neuve‐et‐Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2021 CF 138 [Suncor] au para 64; John Howard Society of Canada v. Canada (Public Safety), 2022 FC 1459 [John Howard Society] au para 31); la norme de contrôle applicable dépend de la disposition de la Loi invoquée pour refuser l’accès; or, lorsqu’il s’agit de déterminer si les informations sont couvertes par les exceptions à la divulgation, le juge doit tirer sa propre conclusion sur la question de savoir si l’exception obligatoire a été correctement appliquée; un tel contrôle est effectivement traité de novo, comme une nouvelle affaire et c’est la norme de la décision correcte qui s’applique (Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 RCS 23 [Merck Frosst] au para 53; Canada (Commissaire à l'information) c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1279 (CanLII) [Sécurité publique] au para 40; Cain c Canada (Santé), 2023 FC 55 [Cain] au para 31; (Canada (Commissariat à l'information) c Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95 [Premier ministre] au para 30). D’autre part, lorsque l’exception prévoit un pouvoir discrétionnaire de divulguer ou de refuser de divulguer des informations faisant l’objet d’une exception, la norme de la décision raisonnable s’applique (3430901 Canada Inc. c Canada (Ministre de l'Industrie), 2001 CAF 254, [2002] 1 CF 421 [Telezone]; Premier ministre au para 31; Sécurité publique au para 41; Lukács c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1142 aux para 8 et 44; Savoie c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 333 au para 34; Cain au para 32).

[21] Pour ma part, je pense qu’une approche plus nuancée est nécessaire. Je ne pense pas que l’expression « se mettre à la place de l’institution fédérale » soit appropriée dans ces circonstances. Par ailleurs, en ce qui concerne la question de déterminer si les informations sont couvertes par les exceptions à la divulgation, je ne pense pas que nous puissions continuer à qualifier la norme de révision de celle de la décision correcte.

[22] Tout d’abord, l’expression « se mettre à la place » dans le cadre d’un examen de novo aux termes de la Loi fut formulée par le juge Rothstein (tel était alors son titre) dans l’arrêt Prairie Acid Rain Coalition c Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (CAF), 2006 CAF 31 (CanLII), [2006] 3 RCF 610 au paragraphe 14, en ce qui concerne la norme applicable en révision en appel d’une décision d’une juridiction de première instance en matière de contrôle judiciaire. La juge Deschamps, en dissidence, a évoqué dans l’arrêt Merck Frosst au paragraphe 247, un exemple d’« appel classique » – et non pas un appel d’une décision découlant d’une demande présentée au titre de la Loi; elle a cité le juge Rothstein et a déclaré que « la révision en appel consiste à vérifier si le tribunal de révision de premier niveau a correctement appliqué la norme en examinant la décision administrative. Cela signifie en pratique qu’en se « met[tant] à la place » du tribunal d’instance inférieure la cour d’appel se concentre effectivement sur la décision administrative. » Récemment, la juge MacTavish de la Cour d'appel fédérale à l’occasion de l’affaire Bhamra c Canada (Procureur général), 2023 CAF 121, a souligné que la mission de cette cour en cas d’appel d’une décision de la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision administrative est de déterminer si la Cour fédérale a identifié la norme de contrôle correcte, ce qui oblige la Cour d’appel fédérale de « se mettre à la place » de la Cour fédérale et de se concentrer sur la décision administrative inférieure (voir aussi Société du Vieux-Port de Montréal Inc. c Ville de Montréal et al, 2023 CAF 126 au para 16); l’appelant bénéficie essentiellement d’une « reprise », c’est-à-dire d’un nouvel examen de la décision administrative (Haynes c Canada (Procureur général), 2023 CAF 158 au para 16).

[23] Cependant, et comme je l’expliquerai plus loin, en l’espèce, la Cour ne contrôle pas une décision de l’institution fédérale en tant que telle – elle peut, en fait, prendre en compte des éléments de preuve différents de ceux qui ont été pris en compte par l’institution fédérale – mais détermine elle-même si les exemptions de divulgation prévues, en l’espèce, par les articles 19 et 23 de la loi sont applicables. En conséquence, je ne suis pas convaincu que l’expression « se mettre à la place » soit appropriée en ce qui concerne les recours prévus par l’article 44.1 de Loi (voir les observations du Juge Webb dans l’arrêt Canada (Santé) c Elanco Canada Limited, 2021 CAF 191 [Elanco] au paragraphe 30; Premier ministre au para 28; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559 aux paras 46 et 47; Canada (Procureur général) c Lawlor, 2023 CAF 73 au para 8; Northern Regional Health Authority c Horrocks, 2021 CSC 42 aux para 10-12; Stuckless c Canada (Procureur général), 2023 CAF 69 au para 3; Northern Inter-Tribal Health Authority Inc. c Yang, 2023 CAF 47 au para 46; Alliance for Equality of Blind Canadians c Canada (Procureur général), 2023 CAF 31 au para 5).

[24] En ce qui concerne la norme de la décision correcte, premièrement, en raison du caractère de novo de la révision prévue par l’article 44.1 de la Loi, les questions soulevées dans le cadre d’une demande relevant de l’article 41 de la Loi semblent soustraites à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable consacrée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 69 [Vavilov], puisque le législateur avait clairement prévu une norme de contrôle différente (Vavilov aux para 32, 34, 69; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 20; Canada (Procureur général) c Fédération nationale des policiers, 2023 CAF 75 aux para 33 et 35).

[25] De plus, il existe une ambiguïté, à savoir le glissement sémantique qui semble s’être produit entre le concept de l’examen de novo et celui de la norme de la décision correcte dans le cadre de l’interprétation de l’article 44.1 de la Loi, de telle sorte que la présence d’un examen de novo a été interprétée comme confirmant l’application de la norme de la décision correcte. D’ailleurs, avant même l’adoption de l’article 44.1 de la Loi, ce glissement a été identifié par la Cour suprême dans l’arrêt Merck Frosst au paragraphe 53, dans le cadre d’un recours prévu par l’article 44 de la Loi. Bien que ces deux concepts produisent un effet similaire, soit celui de n’accorder aucune déférence au décideur initial, c’est pourtant pour des raisons différentes qui découlent des distinctions inhérentes à leur nature propre.

[26] En fait, la Cour suprême, dans l’arrêt Vavilov, s'est penchée sur les différences entre l’examen selon la norme de la décision correcte et l’examen de novo (Vavilov aux para 83, 116, 124). L’examen de novo prévu par l’article 44.1 de la Loi rejette l’idée de déférence car il s’agit de reprendre à zéro l’analyse des faits et du droit propre à l’affaire, reléguant nécessairement l’ensemble du processus suivi par l’instance précédente aux oubliettes. Quant à elle, l’application de la norme de la décision correcte a une portée plus restreinte. Cette distinction a été clairement indiquée par Mme la juge Heneghan à l’occasion de l’affaire Suncor Energy : dans une audience de novo, le juge ne détermine pas nécessairement si l’institution fédérale a eu raison, ou non, alors que dans le cadre d’un examen de la décision correcte, la cour recherche si le premier décideur a pris la bonne décision (Suncor aux para 64 et 65; John Howard Society au para 31).

[27] La nuance entre la procédure de novo et l’examen de la décision correcte a été notée par Mme la juge McVeigh à l’occasion de l’affaire John Howard Society au paragraphe 36, elle dit que l’analyse dans le cadre d’une procédure de novo relevant du paragraphe 19(1) de la Loi était « apparentée à une révision de la décision correcte ». Cette observation est aussi conforme avec les observations de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (Health) v Preventous Collaborative Health, 2022 FCA 153 [Preventous] : la demande présentée en vertu de l’article 44 de la Loi – et pourrait-on ajouter l’article 41 dont la formulation est similaire – ne constitue pas le contrôle judiciaire d’une décision administrative, mais plutôt – selon les termes des articles 41 et 44 – un nouvel examen de l’affaire. Comme l’a déclaré le juge Stratas :

[Traduction]

[12] Il convient toutefois de rappeler qu’une demande aux termes de l’article 44 ne constitue pas une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative et qu’il s’agit plutôt, pour reprendre le libellé de l’article 44, d’un nouveau « recours en révision ». La « révision » a pour but de déterminer si les renseignements demandés doivent être communiqués. Dans un grand nombre d’affaires, une importante question est de déterminer si les exceptions prévues par la Loi s’appliquent : Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, par. 53 et 250.

[13] L’article 44.1 de la Loi est une récente modification de la Loi qui donne ouverture à cette interprétation. L’article 44.1 dispose que les recours devant la Cour fédérale « sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire ». L’instance ne porte pas sur ce que le détenteur des renseignements demandés, en l’espèce le ministre, a ou n’a pas fait, ou devait ou aurait dû faire. Tel est l’objet habituel d’une demande de contrôle judiciaire, et non d’un recours aux termes de l’article 44. Les recours au titre de l’article 44 visent plutôt à déterminer si les renseignements demandés doivent être communiqués à l’auteur de la demande. Voir l’arrêt Merck Frosst, précité.

[14] L’article 44.1 dispose que la Cour fédérale doit entendre les éléments de preuve comme s’il s’agissait d’une « nouvelle affaire »; en d’autres termes, le dossier de preuve doit être constitué à nouveau, et ce dossier ne se limite pas à ce qui a été présenté au ministre ou au commissaire à l’information. De plus, les observations que les parties exposent à la Cour fédérale ne se limitent pas à ce qui a été présenté au ministre ou au commissaire à l’information, comme ce s’est le cas dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Au contraire, les parties sont libres de présenter des observations sur la question de savoir si la communication doit être autorisée aux termes de la Loi. Après avoir reçu les observations des parties, la Cour fédérale doit formuler ses propres conclusions de fait en se fondant sur le nouveau dossier de la preuve qui lui a été présenté, puis elle doit examiner ce dossier au regard des dispositions de la Loi et de la jurisprudence pour déterminer si les renseignements doivent être communiqués. En bref, comme l’enseigne une abondante jurisprudence, la Cour fédérale procède ainsi à un examen de novo : voir, par exemple, l’arrêt Merck Frosst, par. 53, 250 et 251 et la jurisprudence qui y est citée.

[15] Cette interprétation de l’article 44.1 est corroborée, non seulement par le texte clair de la Loi et par la jurisprudence Merck Frosst, mais aussi par l’énoncé précis de l’objet de la Loi selon lequel les décisions quant à « la communication [sont] susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif » : alinéa 2(2)a). La Cour fédérale indépendante et impartiale est investie du pouvoir de révision de novo de la communication de renseignements détenus par l’administration fédérale et cela renforce cet objectif de la Loi.

[Je souligne.]

[28] Le principe selon lequel il n'existe pas de norme de contrôle dans les procédures de novo a été noté par la juge Gauthier dans l’arrêt Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93 (CanLII), [2016] 4 RCF 157 au paragraphe 79, où, en discutant la question de savoir si un appel devant la Section d'appel des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié constituait un appel de novo, elle a observé :

Je suis d’avis par ailleurs que l’appel auprès de la SAR ne constitue pas un véritable processus de novo. Étant conscient qu’il puisse exister des divergences d’opinion et d’interprétation, je tiens à clarifier ce que j’entends par « véritable processus de novo ». À mon sens, lorsqu’il y a réexamen de l’affaire de novo, le décideur repart à zéro, c’est-à-dire que la juridiction d’appel ne reçoit pas le dossier de l’instance inférieure et ne prend en compte aucun aspect de la décision initiale. Lorsque l’appel consiste en un véritable processus de novo, la norme de contrôle n’est jamais en cause. De toute évidence, telle n’est pas l’idée lorsque la SAR instruit l’affaire sans tenir d’audience.

[Je souligne.]

[29] En l’espèce, dans un procès de novo, la Cour ne contrôle pas une décision de l’institution fédérale en tant que telle, mais détermine elle-même si les exemptions de divulgation prévues par les articles 19 et 23 de la Loi, sont applicables. Or, l’article 44.1 prévoit que la Cour recherche simplement quelle décision elle aurait rendue (Vavilov au para 83).

[30] On ne peut pas non plus dire que, dans le cadre d’un recours prévu par l’article 41 de la Loi, la Cour contrôle le compte rendu du Commissaire en application du paragraphe 37(2) de la Loi, que ce compte rendu contienne, ou non, une ordonnance de divulgation conformément au paragraphe 31.1(6) de la Loi (Lukács c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1142 aux para 8, 44). Comme l’a déclaré le juge Stratas dans l’arrêt Preventous au paragraphe 14, la décision de la Cour ne se limite pas à ce qui a été présenté au ministre ou au Commissaire, comme cela serait le cas dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire; les parties sont libres de présenter leurs observations sur la question de savoir si la divulgation doit être faite en vertu de la Loi. Après avoir reçu ces observations, la Cour fédérale doit tirer ses propres conclusions de fait sur la base du nouveau dossier de preuve déposé devant elle, incluant toute question dont traite l’ordonnance contenue dans le compte rendu du Commissaire, appliquer les dispositions de la Loi et la jurisprudence existante à ce dossier de preuve et, en fin de compte, décider si l’information doit être divulguée. Il me semble que cela est indépendant du fait que le Commissaire ait ou non rendu une ordonnance en vertu du paragraphe 36.1(1) de la Loi. Bien que ces nouveaux pouvoirs du Commissaire puissent possiblement ne plus faire de la Cour un décideur de première instance sur les faits et le droit (voir l’arrêt Preventous au para 20), je ne vois pas comment l’article 44.1 peut être interprété autrement selon que le recours est présenté en vertu de l’article 41 ou de l’article 44 de la Loi.

[31] Donc, l’examen de novo entrepris par la Cour n’a aucune incidence sur la question de savoir quelle est la norme de contrôle applicable aux éléments controversés de la décision de l’institution fédérale ou d’une ordonnance contenue dans le compte rendu du Commissaire. Il est donc inexact d’affirmer qu’en adoptant l’article 44.1 de la Loi, le législateur entendait confirmer, au moyen d’une disposition législative expresse, l’application de la norme de la décision correcte à la question de savoir si le responsable de l’institution fédérale était autorisé à refuser la divulgation, à tout ou partie de l’analyse effectuée par la Cour. Faut-il le rappeler, le choix des juridictions d’appliquer la norme de la décision correcte, en particulier, dans le cadre d’une révision en vertu de l’ancien article 41 de la Loi a toujours été le résultat d’une analyse portant sur le degré de déférence à accorder à l’institution fédérale lorsque son pouvoir discrétionnaire n’était pas en jeu (Premier ministre au para 30).

[32] Cela dit, l’idée selon laquelle le juge, dans le cadre d’un recours de novo, ne se préoccupe pas de la décision du ministre ou du Commissaire en tant que telle s’impose lorsqu’il n'y a pas de pouvoir discrétionnaire en jeu (voir Merck Frosst au para 53; Preventous; Elanco). Toutefois, la situation est moins évidente lorsque la Loi prévoit que le ministre exerce un pouvoir discrétionnaire pour décider de divulguer, ou non, des informations (Merck Frosst au para 251).

[33] Avant l’entrée en vigueur de l’article 44.1 de la Loi – et avant l’arrêt Vavilov – les décisions des institutions fédérales refusant la communication de renseignements ont été reconnues comme étant composées, d’une part, d’interprétations légales et de leur application aux faits de l’affaire et, d’autre part, d’un exercice de leur pouvoir discrétionnaire, appelant l’application respective de la norme de la décision correcte et de la décision raisonnable (Premier ministre aux para 30-31). Le recours à une procédure de novo était lié à la formulation de l’article 49 de la Loi qui vise les exceptions énoncées dans la Loi fondées sur la catégorie d’information et non pas sur le préjudice, et limité à la situation dans laquelle la Cour évaluait si le responsable de l’institution fédérale était autorisé à refuser la divulgation. Comme l’a déclaré la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Dagg c Canada (Ministre des Finances), 1997 CanLII 358 (CSC), [1997] 2 RCS 403 [Dagg] :

[107] L’article 49 prescrit à la cour qui procède à la révision d’examiner si le responsable de l’institution fédérale qui a refusé communication d’un document était effectivement autorisé à la refuser. Comme nous l’avons vu, la Loi sur l’accès à l’information prévoit un droit général d’accès aux documents détenus par l’administration fédérale, sous réserve de certaines exceptions. Si les renseignements demandés ne relèvent pas de l’une de ces exceptions, le responsable de l’institution fédérale concernée n’est pas autorisé à en refuser la communication, et la cour peut en ordonner la communication conformément à l’art. 49 de la Loi.  Il est clair que, dans cette décision, la cour qui procède à la révision peut substituer son opinion à celle du responsable de l’institution fédérale concernée.  La situation est cependant différente une fois qu’on a jugé que le responsable de l’institution fédérale est autorisé à refuser la communication.  Le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information prévoit que, sous réserve du par. 19(2), le responsable de l’institution fédérale est tenu de refuser la communication de renseignements personnels. Il s’ensuit que l’art. 49 de la même loi n’autorise la cour à écarter la décision du responsable de l’institution fédérale que dans le cas où celui‐ci n’est pas autorisé à refuser la communication d’un document. Dans les cas où, comme en l’espèce, le document demandé contient des renseignements personnels, le responsable de l’institution fédérale est autorisé à en refuser la communication, et le pouvoir de révision de novo, énoncé à l’art. 49, est épuisé.

[Je souligne.]

[34] Suivant le raisonnement de l’arrêt Dagg, une fois qu’il est conclu, à la suite d’un examen de novo que le responsable de l’institution fédérale était autorisé à refuser la divulgation, cet examen prenait fin, et tout exercice ultérieur du pouvoir discrétionnaire autorisé par la Loi était apprécié selon la norme de la décision raisonnable; un tel exercice ultérieur ne sera pas soustrait à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable.

[35] Cette distinction est absente du texte de l’article 44.1 de la Loi, qui semble viser l’ensemble des éléments qui font l’objet des recours prévus par l’article 41 de la Loi. Cependant, apprécier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de novo reviendrait à substituer le pouvoir discrétionnaire du juge de révision au pouvoir discrétionnaire accordé au responsable de l’institution en vertu de la Loi – une compétence qui relève du seul ministre – et ce qui, à ma connaissance, n’est pas autorisé par la Loi. Les pouvoirs de la Cour aux termes de l’article 44.1 ne sont pas aussi étendus que, par exemple, la manière dont la loi traite les nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un recours prévu par la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13) [LMC], ou le juge, en appel d’une décision rendue par le registraire des marques de commerce, peut spécifiquement exercer tout pouvoir discrétionnaire dont le registraire est investi dans le cas où une preuve supplémentaire, outre celle qui avait été produite devant le registraire, est rapportée (paragraphe 56(5) de la LMC). D’autre part, il est également clair qu’un examen de novo aux termes de l’article 44.1 de la Loi écarte nécessairement le point de vue de l’institution fédérale (Vavilov au para 307).

[36] Le ministre soutient que, quant à la première partie du critère – à savoir si, par exemple, le privilège prévu par l’article 23 s’applique – il s’agit d’un examen de novo d’une question binaire : soit le privilège s’applique, soit il ne s'applique pas. Lorsque nous arrivons à la deuxième étape du test – la question de savoir s'il faut, ou non divulguer les informations privilégiées – il s’agit d’une décision discrétionnaire, et je dois donc examiner le caractère raisonnable de la décision. Bien que l’article 44.1 de la loi ne fasse pas cette distinction, le ministre soutient qu’il faut se référer à l’article 49 de la loi qui confirme que l’aspect du contrôle de novo est limité à la première étape du test, c’est-à-dire aux cas où le refus n'est pas autorisé. Le ministre cite la décision Dagg, bien qu’elle soit antérieure à l’article 44.1 de la Loi, au paragraphe 110, ainsi que la décision Kelly c Canada (Solliciteur général) (1992), 53 FTR 147 [Kelly] au paragraphe 7, et soutient que c’est le critère de la décision raisonnable consacré par l’arrêt Vavilov qui s’applique à la deuxième partie du critère.

[37] En effet, une décision discrétionnaire de l’institution fédérale, fondée par exemple sur le paragraphe 19(2) de la Loi, ne peux être examinée selon la norme de révision de novo (Dagg au para 16; John Howard au para 42); d’ailleurs, la Cour suprême, dans l’arrêt Vavilov, a clairement déclaré que l’analyse de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une institution gouvernementale est une démarche incompatible avec le contrôle de novo (Vavilov aux para 83, 116 et 124). Mme la juge McVeigh a aussi pris note du dilemme à l’occasion de l’affaire John Howard Society au paragraphe 42, où elle a déclaré qu’il était illogique d’appliquer le contrôle de novo à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Cela dit, les articles 41 et 44.1 de la Loi sont aussi clairs; selon ces textes, le « recours en révision des questions qui font l’objet de [la] plainte » « sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire ». Ceci veut dire tous recours et questions, et non pas certains d’entre eux.

[38] Bien que problématique, nous devons interpréter l’article 44.1 de la Loi dans le cadre de la révision d’une décision discrétionnaire du responsable de l’institution fédérale. L’arrêt Vavilov enseigne que, dans un tel cas, « [l]a cour qui interprète une disposition législative le fait en appliquant le « principe moderne » en matière d’interprétation des lois, selon lequel il faut lire les termes d’une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Vavilov au para 117; John Howard au para 39). Pour mieux comprendre l’intention du législateur, il convient donc de reproduire ici l’échange intervenu entre l’honorable Frances Lankin, sénatrice, et Mme Nancy Othmer, sous-ministre adjointe, Secteur du droit public et des services législatifs, lors de la séance du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles qui s’est tenue le 27 février 2019 dans le cadre de la deuxième lecture du projet de loi par le Sénat :

[Traduction]

[Original]

La sénatrice Lankin : Si vous me le permettez, le projet de loi, tel qu’il modifie la loi, remplace les dispositions actuelles par une révision de novo. D’après mon expérience des tribunaux de droit administratif, le principe du contrôle judiciaire et du respect de l’expertise de l’organisme qui s’est penché sur la question est bien établi, et il y a de bonnes raisons à cela. S’il y avait un contrôle judiciaire, nous aurions les conclusions de la commissaire en fonction de la preuve et des renseignements qui ont été présentés.

Senator Lankin: If I may, the bill, as it amends the act, replaces current provisions with a de novo review. In my past experience on administrative law tribunals, the principle of judicial review and respecting the expertise of the body that has looked at this is well established, and there’s good reason for it. If there was a judicial review, we would have the findings of the commissioner based on the evidence and the information that was brought forward.

Je m’inquiète un peu de l’idée de passer à une situation de novo où de nouveaux éléments de preuve peuvent être présentés et d’autres qui n’ont pas été pris en considération. J’ai l’impression qu’il y a une occasion très importante de miner le rôle de la commissaire. [...]

I’m a bit concerned about moving to a de novo situation where new evidence can be presented and evidence that wasn’t considered. It feels to me like there’s a very significant opportunity to undermine the role of the commissioner...

[...]

...

Mme Othmer : La première façon dont j’aimerais répondre à votre question est de renforcer l’idée selon laquelle une révision de novo des recommandations de la Loi sur l’accès à l’information qui existent actuellement est le cas à la Cour fédérale à l’heure actuelle. Nous ne modifions donc pas ce qui existe actuellement.

Ms. Othmer: The first way I would like to answer your question is to reinforce the idea that a de novo review for the Access to Information Act recommendations that currently exist is the case at the Federal Court right now. So we’re not changing what currently exists.

Ce qui a vraiment changé, c’est qu’il y a une ordonnance. Donc, au lieu d’une recommandation, il y a une ordonnance en place qui fait l’objet d’une révision judiciaire de novo.

What has changed, really, is that there’s an order. So instead of a recommendation, there’s an order in place that is subject to a de novo judicial review.

Selon la jurisprudence, les recommandations de la commissaire à l’information, une fois soumises aux tribunaux, n’étaient pas vraiment une question de déférence à l’égard des recommandations. La cour a statué qu’il y aurait un nouvel examen de novo pour déterminer si les exceptions étaient appliquées correctement, si le temps était écoulé et le reste des questions auxquelles le tribunal pourrait être confronté.

We had jurisprudence that suggested that the Information Commissioner’s recommendations, once they got to court, were really not a question of whether there would be deference to the recommendations. The court held that there would be a de novo look at whether the exceptions were applied properly, whether it was out of time, and the rest of the questions the court might face.

Donc, l’aspect de novo n’est pas nouveau; c’est une continuation. Ce qui est nouveau, c’est que la commissaire peut prendre des ordonnances.

So the de novo is not new; it’s a continuation. What is new is the fact that the commissioner gets to make orders.

[...]

...

À un moment donné, disons que nous nous retrouvons avec une audience de novo. Nous pensons que l’audience de novo est une meilleure occasion de revenir sur les préoccupations relatives à l’équité procédurale qui ont pu survenir au cours de l’enquête à trois niveaux. Les tierces parties, les demandeurs réels qui cherchent à obtenir l’information et la commissaire à l’information peuvent tous comparaître devant le tribunal.

At some point, let’s say we end up at a de novo hearing. We think the de novo hearing is a better opportunity to revisit procedural fairness concerns that may have occurred during the course of the investigation on three levels. Third parties, the actual applicants who are looking for the information and the Information Commissioner can all be before the court.

[...]

...

(« Projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence », 2e lecture, Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, 42-1, fascicule no 56 (27 février 2019)) [Délibérations du Comité sénatorial]

(“Bill C-58, An Act to amend the Access to Information Act and Privacy Act and to make consequential amendments to other Acts”, Proceedings of the Standing Senate Committee on Legal and Constitutional Affairs, 42-1, Evidence, Issue no 56 (February 27, 2019)) [Proceedings of the Standing Senate Committee]

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[39] Tout d’abord, il ressort de cet échange que les modifications substantielles apportées à la Loi par le législateur résultent de sa volonté de renforcer le rôle du Commissaire à l’information en substituant sa capacité à émettre des recommandations, autrefois prévue par l’article 37 de la Loi, par le pouvoir de rendre des ordonnances, maintenant prévu par le paragraphe 36.1(1) de la Loi. Il est également manifeste que le législateur, en insistant sur le caractère de novo de la révision entreprise par la Cour fédérale, cherchait à préciser que le mécanisme de révision est une « continuation » de la manière dont la Cour a procédé à son contrôle, en l’occurrence en vertu de l’article 49 de la loi, avant la modification prévue par le projet de loi C‐58.

[40] Je ne peux faire abstraction de l’article 44.1 de la Loi; comme nous le précise l’arrêt Vavilov, « [t]out cadre d’analyse fondé sur l’intention du législateur doit respecter, dans la mesure du possible, les dispositions législatives claires qui prescrivent la norme de contrôle applicable » (Vavilov au para 34); et comme nous l’avons vu, avec l’examen de novo, l’on reprend à zéro l’ensemble du processus décisionnel qui fait l’objet de cet examen, et s’avère donc incompatible avec la prise en compte usuelle de la raisonnabilité de ce processus et de la décision elle-même (Vavilov aux para 83, 116, 124). Dans un tel cas, il me semble que la seule façon de sortir de ce dilemme est de suivre la démarche de la Cour suprême à l’occasion de l'affaire Montréal (Ville) c 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62 (CanLII), [2005] 3 RCS 141 au paragraphe 14; il ne s’agit pas nécessairement de retenir une interprétation atténuée, mais plutôt de déterminer si, selon une interprétation juste de l’article 44.1 de la Loi, cette disposition se limite à entreprendre un examen de novo, uniquement en ce qui concerne la question de savoir si le responsable de l’institution fédérale était autorisé à refuser la divulgation; je dois répondre à cette question par l'affirmative.

[41] Je suis d’avis que la prise en compte de la nature même de l'examen de novo, du fait que l'article 49 de la Loi n'a pas été modifié, de l’échange intervenu lors de la séance du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles (échange auquel j'ai fait référence ci-dessus), ainsi que de l'objectif et du contexte de l’article 44.1 de la Loi, comme l’exigent les principes établis d’interprétation des lois, « résout l’ambiguïté et permet de cerner la portée de cette disposition » (voir aussi Apotex Inc. c Merck & Co. Inc. (CAF), 2009 CAF 187 (CanLII), [2010] 2 RCF 389 aux para 88-89). Bien qu’aucune norme de contrôle ne soit envisagée dans le cadre d’un recours de novo et que l’article 44.1 de la Loi ne limite pas la portée d’une telle révision, lorsque le juge est appelé à examiner une question impliquant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de la part du responsable de l’institution fédérale, je suis d’avis que la question est de savoir si le responsable de l’institution fédérale a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire. Pour reprendre les observations du juge Stayer dans la décision Kelly au paragraphe 7, je suis d’avis que le juge doit se limiter à l’examen du document en question et des circonstances qui l’entourent et rechercher simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé de bonne foi et pour un motif qui reflète logiquement la raison pour laquelle il a été accordé (Dagg au para 110; Rubin c Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement), 1988 CanLII 5656 (CAF), [1989] 1 CF 265 aux pp 273 à 274; Canada (Commissariat à l’information) c Canada (Transports), 2016 CF 448 [Canada Transport]); l’examen ne peut être que fondé sur la norme de la décision raisonnable (John Howard au para 42).

B. Est-ce à bon droit qu’Affaires mondiales a refusé la communication de renseignements personnels en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi et qu’elle a identifié certains renseignements comme étant protégés par le secret professionnel conformément à l’article 23 de la Loi?

(1) L’article 19 de la Loi : les renseignements personnels

[42] L’article 19 de la Loi est libellé en ces termes :

Renseignements personnels

Personal information

19 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements personnels.

19 (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Part that contains personal information.

Cas où la divulgation est autorisée

Where disclosure authorized

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

(2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Part that contains personal information if

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

(a) the individual to whom it relates consents to the disclosure;

b) le public y a accès;

(b) the information is publicly available; or

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(c) the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.

[43] Le paragraphe 19(1) de la Loi prévoit une exception qui s’impose de manière objective : son objet est la protection de protéger les renseignements personnels au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 [LPRP]. De plus, dans le cadre de la présente révision judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi, l’institution fédérale a le fardeau d’établir le bien-fondé du refus de communication (paragraphe 48(1) de la Loi; Premier ministre au para 37; Cain au para 31).

[44] En ce qui concerne les exceptions visées par le paragraphe 19(1) de Loi, le recours de M. Perreault vise les passages ou l’entièreté des pages 76, 79 à 82, 90 et 91 du dossier de divulgation caviardés par Affaires mondiales. M. Perreault soutient qu’il est clair qu’en faisant la demande répétée de la divulgation de ces informations, il a consenti à leur communication, et que toute information qui le concerne doit lui être communiquée. De plus, et bien qu’il concède que les informations appartenant purement à des tiers doivent être caviardées, M. Perreault fait valoir que toute information impliquant ces tiers dont il était au courant, comme le résumé des réunions auxquelles il était présent et à laquelle il a participé, devait lui être communiqué. M. Perreault ne cite aucune jurisprudence à l’appui de ce dernier argument.

[45] Le ministre ne nie pas le droit de M. Perreault d’obtenir les informations qui le concernent personnellement. Cependant, il soutient qu’en l’espèce, les informations qui ont été caviardées en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi ne concernent pas M. Perreault, mais bel et bien des tiers. De plus, le ministre affirme que si M. Perreault a eu connaissance de ces informations à l’époque parce qu’elles ont été mentionnées lors de réunions où il était présent, cela n’a pas pour effet de modifier la nature de ces informations qui, en vertu de l’article 3 de la LPRP, demeurent des renseignements personnels concernant des tiers et dont Affaires mondiales était tenu de refuser la communication.

[46] L’analyse effectuée par Affaires mondiales conjugue l’interprétation des dispositions législatives pertinentes et leur application aux renseignements qui font l’objet de la demande d’information. En l’espèce, il s’agit du texte de l’article 19 de la Loi, lequel réfère à l’article 8 de LPRP, qui lui-même renvoie à l’article 3 de la LPRP et à la définition du « renseignement personnel ».

[47] Je note que M. Perreault n’a pas soulevé la question de savoir si Affaires mondiales a agi de manière déraisonnable dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi, ni fait valoir que les renseignements personnels étaient visés par l’un des cas énumérés à ce paragraphe (Congrès juif canadien c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1995 CanLII 3539 (CF), [1996] 1 CF 268 [Congrès juif canadien] aux pp 269‐270).

[48] Selon l’article 3 de la LPRP, le « renseignement personnel » comprend « les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable », et que les noms et coordonnées de personnes qui ne sont pas à l’emploi d’une institution fédérale, leurs salaires et pensions constituent nécessairement des renseignements personnels aux termes de l’article 3 de la LPRP. Le ministre affirme que le droit à la protection des renseignements personnels prime sur le droit d’accès à l’information, citant l’arrêt Cie HJ Heinz du Canada Ltée c Canada (Procureur général), 2006 CSC 13 au paragraphe 26. J’abonde dans son sens et, de toute manière, la Loi ne prévoit pas d’exclure des informations personnelles les informations dont la partie qui fait la demande a déjà connaissance. Les informations personnelles bénéficient d’une protection élevée, vu l’introduction de la définition à l’article 3 de la LPRP.

[49] À mon avis, Affaires mondiales a bien cerné les informations retenues comme constituant des renseignements personnels concernant des tiers au sens de l’article 3 de la LPRP, et qu’aucune information concernant M. Perreault n’a été retenue à ce titre. De plus, je dois convenir avec le ministre que le simple fait que les renseignements personnels concernant le tiers émanent de M. Perreault, ou que ces renseignements aient été mentionnés en présence de M. Perreault, ne donne pas le feu vert au ministre pour les divulguer et les rendre publics. Quant à la question de savoir si Affaires mondiales a demandé, ou aurait dû demander, le consentement du tiers pour divulguer les informations à M. Perreault conformément à l’alinéa 19(2)(a) de la Loi, cet argument n’a pas été discuté devant moi dans un sens ou dans l’autre par M. Perreault, et, par conséquent, le ministre n’a produit aucune preuve à ce sujet. De toute manière, la décision de demander ou non le consentement doit être examinée au cas par cas (Husky Oil Operations Limited c Office Canada‐Terre‐Neuve‐et‐Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2018 CAF 10 au para 58). En l’espèce, je peux facilement comprendre |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||, qu’il n’était pas nécessairement déraisonnable de ne pas avoir demandé ce consentement.

[50] Après avoir examiné les informations caviardées à la lumière de la définition des renseignements personnels énoncée à l’article 3, je conclus donc que les renseignements personnels contenus dans les pages 76, 79 à 82, 90 et 91 du dossier de divulgation qui n’ont pas été communiqués à M. Perreault en vertu de l’exception à la divulgation énoncée au paragraphe 19(1) de la Loi ne doivent pas lui être divulgués.

(2) Article 23 de la Loi : renseignements protégés par le secret professionnel ou par le privilège relatif au litige

[51] L’article 23 de la Loi est libellé en ces termes :

Renseignements protégés : avocats et notaires

Protected information — solicitors, advocates and notaries

23 Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige.

23 The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Part that contains information that is subject to solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege.

[52] De plus, la partie qui invoque un privilège, en l’espèce que le secret professionnel s’applique aux documents en cause, a le fardeau de la preuve (Premier ministre au para 50).

[53] M. Perreault soutient que le secret professionnel de l’avocat ne s’applique pas aux documents retenus par Affaires mondiales. Quoique le secret professionnel ne puisse être levé que dans des circonstances exceptionnelles, ce ne sont pas toutes les communications entre un avocat et son client qui sont visées par ce privilège. Il soutient en outre que le simple ajout de la mention « Solicitor client privilege » n’est pas suffisant pour justifier l’exemption des documents (Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 877 [Sécurité publique] au para 28), ce qui a été concédé par le ministre lors de l’audience.

[54] La Cour fédérale a déjà affirmé sa doctrine portant que les principes de la common law en matière de secret professionnel s’appliquent aux décisions prises en vertu de la Loi et elle réfère aux critères de l’arrêt Solosky c La Reine, [1980] 1 SCR 821 [Solosky], qui, comme le rappelait la cour dans l’arrêt Sécurité publique, doivent tous être satisfaits pour établir que le document en question est visé par le privilège du secret professionnel de l’avocat :

[39] Les principes applicables pour déterminer si un document est visé par le privilège du secret professionnel de l’avocat sont ceux développés à cet égard par la common law (Blank CSC, précité, au par. 26; Congrès juif, précité), à savoir :

  • il doit s’agir d’une consultation ou échange avec un client;

  • la consultation ou échange doit être voulu confidentiel;

  • la contribution de l’avocat doit être recherchée en raison de sa qualité d’avocat;

  • la consultation ou échange ne doit pas avoir pour but d’atteindre des fins illégales.

(voir aussi Solosky à la page 837; Fontaine c Canada (Gendarmerie royale), 2007 CF 1022 (appel rejeté Fontaine c Canada (Gendarmerie royale), 2009 CAF 150) au para 39; Descôteaux et al. v Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (SCC), [1982] 1 SCR 860 à la page 873.

[55] M. Perreault soutient que les informations figurant aux pages 76 à 83 et 89 à 94 du dossier de divulgation qui ont été retenues ne satisfont pas aux critères de l’arrêt Solosky.

[56] Tout d’abord, je note que les pages 76 à 81 sont constituées d’échanges entre l’avocate du ministère de la Justice Me Kathleen McGrath et M. Carlos Mauricio Cerratto Peña, un avocat local qui avait été retenu pour assister et conseiller l’ambassade du Canada relativement aux démarches judiciaires entamées par l’employée contre M. Perreault et l’ambassade visant à réclamer les montants de cotisation impayés. Il est clair qu’Affaires mondiales, et non pas M. Perreault, est le client de l’avocat local en l’espèce. Je suis d’avis que cette information répond aux critères de l’arrêt Solosky, et donc est couverte par le secret professionnel de l’avocat. Concernant la page 82, le ministre fait valoir que les informations retenues en vertu de l’article 23 de la Loi se trouvent aux paragraphes 7, 14, 15 et 16 seulement, le reste relevant de l’article 19 de la Loi. Ces paragraphes, qui concernent des échanges entre avocats ou entre les membres du personnel de l’ambassade discutant d’une situation de nature juridique, à savoir la menace de poursuites judiciaires contre l’ambassade en Colombie, et résume des conseils juridiques qu’Affaire mondiales a reçu de leurs avocats locaux. Ils constituent donc des échanges de renseignements qui sont nécessaires à la prestation de services juridiques, et donc couverts par le secret professionnel de l’avocat.

[57] Les pages 83, 84 et 89 sont en espagnol et ne sont donc pas visées par la présente demande de révision; de même, les pages 85 à 88, ainsi que les informations figurant en haut à la page 89, ne sont pas visées par la présente procédure. Pour ce qui est des informations situées au bas de la page 89 jusqu’à la page 91, elles constituent la reprise des informations contenues aux pages 80 et 82 et sont donc également couvertes.

[58] Toutefois, M. Perreault se soucie plus particulièrement des pages 92 à 94, soit une note de service rédigée par Me McGrath et destinée au sous-ministre d’Affaires mondiales de l’époque, M. Daniel Jean. Cette note comporte quatre caviardages : Le bloc 1 est l’objet de la note de service; le bloc 2 est la section des « remarques », qui occupe une page entière et deux demi-pages de la note de service; le bloc 3 est la section située sous les mots « I DO NOT CONCUR »; le bloc 4, située à gauche du bloc 3, sont des annotations émanant du sous-ministre d’Affaires mondiales de l’époque.

[59] M. Perreault est d’avis qu’au bloc 3, M. Jean devait prendre une décision, comme indiqué par les options « I concur » ou « I do not concur ». M. Perreault souligne que le 30 juin 2015, le sous-ministre a signé le document, ce qui indique qu’il comporte clairement, d’après lui, une décision portant sur sa demande de services juridiques. Il affirme de plus que le Commissaire a confirmé que la décision du sous-ministre faisait partie des documents retenus.

[60] M. Perreault soutient qu’aux termes des articles 6.1.1 et 6.1.2 de la Politique, Affaires mondiales avait l’obligation de lui fournir une réponse quant à sa demande de représentation dans un délai raisonnable – il était donc en droit de recevoir une réponse sur sa demande de services juridiques – et qu’ainsi la décision du sous-ministre n’est pas couverte par le secret professionnel. Il fait valoir que cette décision n’est pas non plus visée par le secret professionnel du simple fait qu’elle soit écrite sur la même page que l’avis de l’avocate et que, si la Cour conclut que la note de service de Me McGrath est confidentielle, elle peut toujours séparer les déclarations du sous-ministre (Slansky c Canada (Procureur général), 2013 CAF 199 [Slansky] au para 266, citée dans Right to Life Association of Toronto and Area v Canada (Employment, Workforce and Labour), 2019 CanLII 9189 (FC) [Right to Life Association] au para 84).

[61] Par ailleurs, M. Perreault soutient que la contribution de Me McGrath n’était pas recherchée en sa qualité d’avocate. Dans ce sens, il rappelle que l’on recherche un avocat en raison de ses qualités professionnelles et que, même si un avis émane d’un avocat, le secret professionnel ne trouve pas obligatoirement application (Slansky au para 79; Pritchard v Ontario (Human Rights Commission), 2004 SCC 31 (CanLII), [2004] 1 SCR 809 [Pritchard] au para 15). Il soutient que, lorsqu’un avocat donne des avis de nature politique ou administrative, des conseils stratégiques ou relatifs à la gestion, ses communications ne sont pas protégées par le secret professionnel (Right to Life Association au para 71; Pritchard au para 19).

[62] M. Perreault fait valoir que le simple fait que Me McGrath soit une avocate ne rend pas ses recommandations confidentielles, et que son rôle aux termes de la Politique était plutôt semblable au rôle des enquêteurs sur le lieu de travail qui rédigent des rapports et les soumettent aux employeurs, qui sont leurs clients. Dans le cas des enquêteurs, ils sont missionnés afin de déterminer si les comportements sur le lieu du travail satisfont aux définitions incluses dans les politiques. Il affirme que, même si ces personnes sont avocats, leurs rapports ne sont pas nécessairement couverts par le secret professionnel (Howard v London (City), 2015 ONSC 156 au para 70; De Francesca v Centric Investigation Services Inc, 2017 HRTO 798 au para 20).

[63] À cet égard, M. Perreault soutient que les diverses correspondances échangées avec MMcGrath, dont la note de service, ne sont pas couvertes par le secret professionnel, puisque le mandat de Me McGrath avait pour cadre la Politique. Il soutient que les paramètres servant à décider de l’admissibilité de la demande de services juridiques sont explicitement balisés, notamment à l’article 6.1.3 de la Politique, et n’appellent aucune expertise juridique.

[64] Il est clair que cette note de service constitue le nœud de la présente affaire; M. Perreault a fait sa demande d’accès à l'information précisément parce qu’il cherchait une réponse officielle à sa demande de services juridiques, une réponse qui lui était due mais qu’il n'avait jamais reçue. Pour sa part, Affaires mondiales concède que M. Perreault était en droit de recevoir une réponse à sa demande, mais soutient que telle n’est pas la question posée en l’occurrence; la question qui se pose ici est plutôt de savoir si les exceptions à la divulgation dans cette affaire ont été correctement appliquées. Je dois donner raison à Affaires mondiales sur ce point.

[65] Dans un premier temps, je souligne que le ministre a clairement indiqué que les annotations du sous-ministre ajoutées à la note de service – la note manuscrite sous le bloc 4 – étaient des instructions données par le sous-ministre à Me McGrath |||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||. À ce titre, je n’ai aucun doute que de la note manuscrite du sous-ministre – le contenu du bloc 4 – est protégé par le secret professionnel de l’avocat. Par contre, je ne suis pas convaincu que la note de service elle-même est ainsi protégée.

[66] En ce qui concerne la note de service elle-même, soit le bloc 2, je retiens l’idée qu’aux termes de l’article 6.1.3 de la Politique, l’autorité approbatrice puisse demander un conseil juridique avant d’approuver, ou non, la demande de services juridiques ou d’indemnisation d’un fonctionnaire de l’État. Toutefois, il n’y a aucune preuve au dossier dont il ressort qu’un tel conseil ait été demandé par le sous-ministre en relation avec l’application de la Politique. La note de service comporte bien les mots [traduction] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[67] Toutefois, à la toute première ligne caviardée de la note de service – le bloc 2 – | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| || ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. De plus, bien que M. Brault indique dans son affidavit public que le sous-ministre ait retenu les services d’avocats pour le conseiller sur la situation potentiellement litigieuse qui avait court en Colombie, celui-ci ne mentionne aucunement que le sous-ministre ait également retenu les services d’un avocat, comme le permet la Politique, pour le conseiller sur les exigences de la Politique elle-même. Je retiens l’idée que Me McGrath ait pu porter sa casquette d’avocate et donner des conseils juridiques au sous-ministre lorsqu’elle se penchait sur la perspective d’un contentieux en Colombie; cependant, rien ne prouve qu’elle portait autre chose que sa casquette administrative lors de la préparation de la note de service visant à obtenir l’approbation du sous-ministre quant à la demande de représentation de M. Perreault. Sinon, il serait trop facile pour l’administration publique fédérale de dissimuler des informations par ailleurs communicables en demandant simplement à un avocat de préparer les documents devant servir à une prise de décision de nature administrative; en l’espèce, rien n’indique que la préparation par Me McGrath de la note de service – au stade de sa préparation – relève de ses fonctions d’avocate. La préparation de cette note était nécessaire pour permettre la prise d’une décision en vertu de la Politique, une décision dont Affaires mondiales concède qu’elle était due à M. Perreault.

[68] Cela dit, je considère que les mots |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| qui font partie du bloc 2 doivent demeurer caviardés Bien que, comme je l’ai mentionné, il n’y ait aucune preuve que le sous-ministre ait demandé un avis juridique en relation avec l’application de la Politique, je me serais attendu à ce qu’un tel avis concernant |||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| figure normalement dans la note de service, indépendamment de son auteur. En l’espèce, rien n’indique que c’est Me McGrath qui a produit un tel avis, ou que l’avis provient de quelqu’un d’autre au ministère de la Justice.

[69] En l’espèce, je ne puis conclure qu’Affaires mondiales a établi que la note de service « a été communiquée à, ou par, un avocat du gouvernement en vue de fournir aux fonctionnaires supérieurs des conseils sur les ramifications juridiques des actes ministériels proposés » (Congrès juif canadien à la p 295). Pour ces motifs, à part le bloc 4 et les mots du bloc 2 que j’ai relevés dans le paragraphe précédent, je conclus qu’Affaires mondiales a incorrectement appliqué l’article 23 de la Loi en concluant que la note de service (pages 92 à 94) était couverte par le secret professionnel de l’avocat.

[70] Par ailleurs, je dois veiller au respect de l’article 25 de la Loi, selon lequel une communication partielle n’est pas possible lorsque l’information qui doit être divulguée est inextricable de l’information qui doit rester caviardée parce qu’elle permet d’en comprendre le sens. De toute manière, je conclus qu'aucune partie de la note de service, à part du bloc 4 et les mots du bloc 2 que j’ai identifiés ci-dessus, n’est couverte par le secret professionnel de l’avocat et que sa divulgation n’a pas pour effet de révéler les informations qui se trouvent à la note manuscrite du sous-ministre ou les mots que j’ai identifiés ci-dessus.

C. Est-ce qu’Affaires mondiales a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 23 de la Loi?

[71] En ce qui concerne maintenant l’exercice par Affaires mondiales de son pouvoir discrétionnaire relativement aux informations qu’il a correctement identifiées comme étant protégées par le secret professionnel, M. Perreault soutient que ce pouvoir a été exercé par Affaires mondiales de manière déraisonnable.

[72] Dans le jugement Canada Transport, M. le juge Noël s’est exprimé sur la question en ces termes :

[64] Ainsi, je retire de ce corpus les éléments essentiels suivants : lors de l’évaluation de la raisonnabilité de l’exercice de la discrétion du décideur aux fins d’un contrôle judiciaire d’une décision prise sous l’égide de la LAI, la Cour doit prendre en compte les motifs de justification invoqués par le décideur, la transparence, et l’intelligibilité du cheminement décisionnel à l’égard des faits en preuve. En plus, lorsque la commissaire est une partie à l’instance, la Cour se doit de prendre en compte ses arguments, ses suggestions et d’analyser de quelle façon le décideur en discute et les prend en considération. Lorsqu’il décide, le décideur doit démontrer qu’il connaît bien les demandes d’accès, qu’il comprend les arguments en faveur d’une divulgation et qu’il considère soigneusement ces arguments tout en tenant compte des objectifs de la LAI.

[65] De surcroit, la Cour doit prendre en compte tous les intérêts en jeu, y compris celui de l’intérêt public à connaître l’information détenue par l’organisme fédéral (Ontario Criminal Lawyers, précité, aux paragraphes 66 et 211) :

[...] elle doit ensuite se demander si, compte tenu de tous les intérêts pertinents, y compris l’intérêt public à ce qu’il ait divulgation, il devrait y avoir divulgation.

[66] Ceci étant dit, je tiens à réitérer que le décideur ne peut simplement indiquer qu’il a considéré tous les facteurs pertinents; il doit concrètement démontrer comment il les a pris en compte. À ce sujet, la Cour d’appel [fédérale] dans l’arrêt [Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182], au paragraphe 36, exprime bien cette importante distinction :

[...] tout comme l’absence d’éléments de preuve précis concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’est pas déterminante, l’existence d’une déclaration dans un document portant qu’un pouvoir discrétionnaire a été exercé ne sera pas nécessairement déterminante. Conclure qu’une telle déclaration est déterminante pour l’enquête consisterait à accorder plus d’importance à la forme qu’au fond et à encourager l’énoncé de déclarations passe-partout dans le document du décideur. Dans chaque affaire portant sur l’aspect discrétionnaire de l’article 15 de la Loi, la cour de révision doit examiner l’ensemble de la preuve pour décider si elle est convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le décideur a compris qu’il avait un pouvoir discrétionnaire de communiquer des documents et qu’il a ensuite exercé ce pouvoir discrétionnaire. La cour de révision peut alors être tenue d’inférer du contenu du document que le décideur a reconnu l’existence du pouvoir discrétionnaire et a ensuite cherché à établir un équilibre entre les intérêts opposés en faveur de la communication et contre celle-ci, comme la Cour en a discuté dans l’arrêt Telezone, au paragraphe 116.

[67] En de telles circonstances, le décideur doit exhiber une préoccupation non seulement pour la non-divulgation, mais aussi pour la divulgation, en tenant compte, de façon complète et transparente, les arguments favorisant la divulgation. Il doit soupeser ces arguments en fonction des objectifs de la LAI. Ceci nécessite un effort intellectuel sérieux qui permet à l’observateur de constater que les arguments favorisant la divulgation ont vraiment été considérés.

[Je souligne.]

[73] M. Perreault soutient qu’à la lecture du paragraphe 42 de l’affidavit public de M. Brault, il est clair qu’Affaires mondiales a omis de considérer les raisons qui favoriseraient la divulgation des informations demandées, notamment en vertu de l’objet de la Loi prévu par son article 2. Il fait valoir que le rapport du Commissaire, daté du 3 mars 2022, ne fait état d’aucune information supplémentaire à ce sujet. À l’audience, l’avocate du ministre a confirmé que les seules explications au dossier étaient celles qui avaient été identifiées par M. Perreault. Toutefois, le ministre soutient que le rapport du Commissaire permet de conclure qu’Affaires mondiales a bel et bien considéré l’intérêt public de la divulgation, et soutient que l’analyse du décideur doit être examinée compte tenu de la nature du privilège dont il est question, à savoir ici le caractère quasi absolu du secret professionnel de l’avocat, citant l’arrêt Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23 [Criminal Lawyers] au paragraphe 54 :

[54] Compte tenu de la nature quasi absolue du secret professionnel de l’avocat, il est difficile de concevoir comment le principe de la primauté de l’intérêt public consacré par l’art. 23 pourrait commander la divulgation d’un document protégé. Cela est d’autant plus vrai du fait de la présence du mot « peut » qui suppose que la personne responsable a le pouvoir et, le cas échéant, l’obligation d’examiner la nécessité manifeste de divulguer le document dans l’intérêt public. Encore une fois, le principe de la primauté de l’intérêt public consacré par l’art. 23 ajouterait bien peu au processus de décision.

[74] Le paragraphe 42 de l’affidavit public de M. Brault se lit comme suit :

[Affaires mondiales] a exercé sa discrétion de ne pas renoncer au privilège quant aux renseignements assujettis au privilège en raison de l'intérêt public de maintenir la confidentialité de la relation avocat-client ainsi que sa valeur et son importance pour [Affaires mondiales]. Le secret professionnel et le maintien de la confidentialité des communications protègent la nature tranche et sincère des communications entre l'avocat et le client. Le fait de ne pas invoquer le privilège aurait un effet dissuasif sur la recherche, l'offre et la réception de conseils juridiques par [Affaires mondiales].

[75] Pour sa part, le Commissaire concluait dans son rapport de la façon suivante :

En vertu de l’article 23 de la Loi, Affaires mondiales devait exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire au moment du traitement de la demande pour décider de communiquer ou non l’information. Pour ce faire, Affaires mondiales devait prendre en considération tous les facteurs pertinents pour ou contre la communication.

Les observations obtenues par Affaires mondiales au cours de l’enquête démontrent que le responsable de l’institution s’est prévalu de sa discrétion de façon raisonnable prenant en considération des facteurs pertinents tels l’importance de l’habilité à demander ou recevoir des conseils juridiques qui l’emporte sur l'intérêt public de la divulgation.

Le Commissariat est d’avis qu’Affaires mondiales a pris en considération tous les facteurs pertinents et conclut qu’Affaires mondiales a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en décidant de ne pas communiquer les renseignements au moment du traitement de la demande.

[Je souligne.]

[76] Tout d’abord, compte tenu de ma décision concernant la plus grande partie de la note de service, la question de l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire se limite au bloc 4 – la note manuscrite du sous-ministre donnant des instructions |||||||||||||||||||||||||| – et les mots du bloc 2 que j’ai identifiés ci-dessus. Bien que je sois sensible au fait que le rapport du Commissaire mérite qu’on lui accorde un poids considérable, soit un bon l’espace de manœuvre (Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2005 CAF 405, 344 NR 184 au para 12; Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2010 CAF 183 au para 35), je ne puis souscrire à l’argument du ministre selon lequel la mention, par le Commissaire, portant qu’Affaires mondiales a pris sa décision sur la base de facteurs pertinents et conclu que l’importance de pouvoir demander ou recevoir des conseils juridiques l’emportait sur l’intérêt public de la divulgation, est suffisant pour démontrer qu’Affaires mondiales a sérieusement pris en compte les arguments militant en faveur de la divulgation des informations.

[77] Faisant abstraction pour l'instant de ce que l’arrêt Criminal Lawyers, cité par le ministre, a été décidé dans le cadre de la loi ontarienne en matière d’accès à l’information – la référence à l’article 23 n’est pas la même que l’article 23 de la Loi – et de ce que cette loi ontarienne n’exige la tenue d’un examen additionnel de l’intérêt public ni pour les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat, sur la base de la preuve contenue au dossier, la note de service et les circonstances qui l’entourent, je ne puis conclure que le pouvoir discrétionnaire du responsable de l’institution fédérale a été dûment exercé concernant les renseignements au bloc 4 – la note manuscrite du sous-ministre – ainsi que les mots du bloc 2 que j’ai identifiés ci-dessus; je retiens le principe consacré par l’arrêt Criminal Lawyers concernant l’importance du principe du secret professionnel de l’avocat, mais cela ne justifie pas le contournement de l’obligation d’apprécier suffisamment si l’aspect discrétionnaire de la part du responsable d’une institution fédérale a été dûment exercé.

[78] C’est au ministre qu’il incombe d’établir que le pouvoir discrétionnaire a été dûment exercé lorsque a été prise la décision de ne pas divulguer les informations (article 48 de la Loi; John Howard Society au para 51). À mon avis, la preuve d’Affaires mondiales est insuffisante pour me permettre de conclure qu’il a tenu compte, de façon complète et transparente, des arguments militant en faveur de la divulgation des informations protégées par le secret professionnel, ni soupesé ces arguments en fonction des objectifs de la Loi, conformément aux principes consacrés par le jugement Canada Transport.

D. Si Affaires mondiales a retenu à tort les informations demandées, quelle est la mesure appropriée?

[79] À part la note manuscrite du sous-ministre – le bloc 4 – et les mots du bloc 2 que j’ai identifiés dans le paragraphe ci-dessus, la note de service (pages 92 à 94) doit être communiquée à M. Perreault. De plus, je suis d’avis que la décision doit être renvoyée à un décideur différent afin qu’il effectue une analyse des notes manuscrites du sous-ministre – le bloc 4 – et des mots du bloc 2 que j’ai identifiés ci-dessus, en tenant compte des arguments militant en faveur de la divulgation des informations qui ont correctement été identifiées comme étant protégés par le secret professionnel, en conformité avec l’approche développée aux paragraphes 62 à 67 du jugement Canada Transport.

[80] Enfin, quant aux frais, je note que la Loi prévoit, à son paragraphe 53(1), que, sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal. Cependant, aux termes du paragraphe 53(2), dans les cas où elle estime que l’objet d’un recours introduit sous l’article 41 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente partie, la Cour accorde les frais et dépens au plaideur qui a exercé le recours devant elle, même si ce plaideur a été débouté. Puisque, en l’espèce, tel est bien évidemment le cas, et bien que la demande de M. Perreault n’ait été accueillie qu’en partie, je conclus qu’il a droit aux frais et dépens engagés dans le cadre de la présente demande.


JUGEMENT au dossier T-824-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de révision est accueillie en partie.

  2. Les pages 92 à 94 visées par la présente demande doivent être communiquées à M. Perreault, à l’exception du bloc 4 ainsi que les mots du bloc 2 à la page 94 de la communication des documents que j’ai identifiés ci-dessus qui doivent demeurer caviardés.

  3. Le dossier est renvoyé à un autre décideur afin qu’il exerce à nouveau le pouvoir discrétionnaire prévu selon les directives émises par la présente afin qu’une analyse du bloc 4 ainsi que les mots du bloc 2 à la page 94 de la communication des documents que j’ai identifiés ci-dessus soit effectuée; il sera tenu compte des arguments militant en faveur de la divulgation des informations.

  4. Le reliquat de la demande est rejeté.

  5. Le tout avec dépens en faveur de M. Perreault, contre le défendeur.

« Peter G. Pamel »

Juge


 

ANNEXE

Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1

Renseignements personnels

Personal information

19 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements personnels.

19 (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Part that contains personal information.

 

Cas où la divulgation est autorisée

Where disclosure authorized

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

(2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Part that contains personal information if

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

(a) the individual to whom it relates consents to the disclosure;

b) le public y a accès;

(b) the information is publicly available; or

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(c) the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.

[...]

...

Renseignements protégés : avocats et notaires

Protected information — solicitors, advocates and notaries

23 Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige.

23 The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Part that contains information that is subject to solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege.

[...]

...

Révision par la Cour fédérale : plaignant

Review by Federal Court — complainant

41 (1) Le plaignant dont la plainte est visée à l’un des alinéas 30(1)a) à e) et qui reçoit le compte rendu en application du paragraphe 37(2) peut, dans les trente jours ouvrables suivant la réception par le responsable de l’institution fédérale du compte rendu, exercer devant la Cour un recours en révision des questions qui font l’objet de sa plainte.

41 (1) A person who makes a complaint described in any of paragraphs 30(1)(a) to (e) and who receives a report under subsection 37(2) in respect of the complaint may, within 30 business days after the day on which the head of the government institution receives the report, apply to the Court for a review of the matter that is the subject of the complaint.

Révision par la Cour fédérale : institution fédérale

Review by Federal Court — government institution

(2) Le responsable d’une institution fédérale qui reçoit le compte rendu en application du paragraphe 37(2) peut, dans les trente jours ouvrables suivant la réception du compte rendu, exercer devant la Cour un recours en révision de toute question dont traite l’ordonnance contenue dans le compte rendu.

(2) The head of a government institution who receives a report under subsection 37(2) may, within 30 business days after the day on which they receive it, apply to the Court for a review of any matter that is the subject of an order set out in the report.

Révision par la Cour fédérale : tiers

Review by Federal Court — third parties

(3) Si aucun recours n’est exercé en vertu des paragraphes (1) ou (2) dans le délai prévu à ces paragraphes, le tiers qui reçoit le compte rendu en application du paragraphe 37(2) peut, dans les dix jours ouvrables suivant l’expiration du délai prévu au paragraphe (1), exercer devant la Cour un recours en révision de l’application des exceptions prévues par la présente partie pouvant s’appliquer aux documents susceptibles de contenir les renseignements visés au paragraphe 20(1) et faisant l’objet de la plainte sur laquelle porte le compte rendu.

(3) If neither the person who made the complaint nor the head of the government institution makes an application under this section within the period for doing so, a third party who receives a report under subsection 37(2) may, within 10 business days after the expiry of the period referred to in subsection (1), apply to the Court for a review of the application of any exemption provided for under this Part that may apply to a record that might contain information described in subsection 20(1) and that is the subject of the complaint in respect of which the report is made.

Révision par la Cour fédérale : Commissaire à la protection de la vie privée

Review by Federal Court — Privacy Commissioner

(4) Si aucun recours n’est exercé en vertu des paragraphes (1) ou (2) dans le délai prévu à ces paragraphes, le Commissaire à la protection de la vie privée qui reçoit le compte rendu en application du paragraphe 37(2) peut, dans les dix jours ouvrables suivant l’expiration du délai prévu au paragraphe (1), exercer devant la Cour un recours en révision de toute question relative à la communication d’un document susceptible de contenir des renseignements personnels et faisant l’objet de la plainte sur laquelle porte le compte rendu.

(4) If neither the person who made the complaint nor the head of the institution makes an application under this section within the period for doing so, the Privacy Commissioner, if he or she receives a report under subsection 37(2), may, within 10 business days after the expiry of the period referred to in subsection (1), apply to the Court for a review of any matter in relation to the disclosure of a record that might contain personal information and that is the subject of the complaint in respect of which the report is made.

Défendeur

Respondents

(5) La personne qui exerce un recours au titre des paragraphes (1), (3) ou (4) ne peut désigner, à titre de défendeur, que le responsable de l’institution fédérale concernée; le responsable d’une institution fédérale qui exerce un recours au titre du paragraphe (2) ne peut désigner, à titre de défendeur, que le Commissaire à l’information.

(5) The person who applies for a review under subsection (1), (3) or (4) may name only the head of the government institution concerned as the respondent to the proceedings. The head of the government institution who applies for a review under subsection (2) may name only the Information Commissioner as the respondent to the proceedings.

[...]

...

Révision de novo

De novo review

44.1 Il est entendu que les recours prévus aux articles 41 et 44 sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire.

44.1 For greater certainty, an application under section 41 or 44 is to be heard and determined as a new proceeding.

[...]

...

Charge de la preuve : paragraphes 41(1) et (2)

Burden of proof — subsection 41(1) or (2)

48 (1) Dans les procédures découlant des recours prévus aux paragraphes 41(1) et (2), la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document ou des actions posées ou des décisions prises qui font l’objet du recours incombe à l’institution fédérale concernée.

48 (1) In any proceedings before the Court arising from an application under subsection 41(1) or (2), the burden of establishing that the head of a government institution is authorized to refuse to disclose a record requested under this Part or a part of such a record or to make the decision or take the action that is the subject of the proceedings is on the government institution concerned.

[...]

...

Ordonnance de la Cour dans les cas où le refus n’est pas autorisé

Order of Court where no authorization to refuse disclosure found

49 La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication totale ou partielle d’un document fondée sur des dispositions de la présente partie autres que celles mentionnées à l’article 50, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relève le document en litige d’en donner à cette personne communication totale ou partielle; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

49 Where the head of a government institution refuses to disclose a record requested under this Part or a part thereof on the basis of a provision of this Part not referred to in section 50, the Court shall, if it determines that the head of the institution is not authorized to refuse to disclose the record or part thereof, order the head of the institution to disclose the record or part thereof, subject to such conditions as the Court deems appropriate, to the person who requested access to the record, or shall make such other order as the Court deems appropriate.

Ordonnance de la Cour dans les cas où le préjudice n’est pas démontré

Order of Court where reasonable grounds of injury not found

50 Dans les cas où le refus de communication totale ou partielle du document s’appuyait sur les articles 14 ou 15 ou sur les alinéas 16(1)c) ou d) ou 18d), la Cour, si elle conclut que le refus n’était pas fondé sur des motifs raisonnables, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relève le document en litige d’en donner communication totale ou partielle à la personne qui avait fait la demande; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

50 Where the head of a government institution refuses to disclose a record requested under this Part or a part thereof on the basis of section 14 or 15 or paragraph 16(1)(c) or (d) or 18(d), the Court shall, if it determines that the head of the institution did not have reasonable grounds on which to refuse to disclose the record or part thereof, order the head of the institution to disclose the record or part thereof, subject to such conditions as the Court deems appropriate, to the person who requested access to the record, or shall make such other order as the Court deems appropriate.

Ordonnance de la Cour dans les cas où le refus est autorisé

Order of Court if authorization to refuse disclosure found

50.1 La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit du responsable de l’institution fédérale de refuser la communication totale ou partielle d’un document au titre de dispositions de la présente partie autres que celles mentionnées à l’article 50 ou que le refus du responsable de l’institution fédérale est fondé sur des motifs raisonnables lorsque le refus s’appuyait sur les articles 14 ou 15 ou sur les alinéas 16(1)c) ou d) ou 18d), rend une ordonnance où elle déclare que le responsable de l’institution fédérale n’est pas tenu de respecter les dispositions de l’ordonnance du Commissaire à l’information qui traitent des questions qui font l’objet du recours ou rend toute autre ordonnance qu’elle estime indiquée.

50.1 The Court shall, if it determines that the head of a government institution is authorized to refuse to disclose a record or a part of a record on the basis of a provision of this Part not referred to in section 50 or that the head of the institution has reasonable grounds on which to refuse to disclose a record or a part of a record on the basis of section 14 or 15 or paragraph 16(1)(c) or (d) or 18(d), make an order declaring that the head of the institution is not required to comply with the provisions of the Information Commissioner’s order that relate to the matter that is the subject of the proceedings, or shall make any other order that it considers appropriate.

Ordonnance de la Cour : autres décisions ou actions

Order of Court — other decisions or actions

50.2 Dans les cas où les questions qui font l’objet du recours portent sur des décisions ou des actions du responsable de l’institution fédérale autres que celles visées à l’un des articles 49 à 50.1, la Cour :

50.2 If the subject matter of the proceedings before the Court is the decision or action of the head of a government institution, other than a decision or action referred to in any of sections 49 to 50.1, the Court shall,

a) si elle conclut que les décisions ou actions n’étaient pas autorisées, rend une ordonnance où elle déclare que le responsable de l’institution fédérale est tenu de respecter les dispositions de l’ordonnance du Commissaire à l’information qui traitent de ces questions ou rend toute autre ordonnance qu’elle estime indiquée;

(a) if it determines that the head of the institution is not authorized to make that decision or to take that action, make an order declaring that the head of the institution is required to comply with the provisions of the Information Commissioner’s order that relate to that matter, or make any other order that it considers appropriate; or

b) si elle conclut au bien-fondé des décisions ou actions, rend une ordonnance où elle déclare que le responsable de l’institution fédérale n’est pas tenu de respecter les dispositions de l’ordonnance du Commissaire à l’information qui traitent de ces questions ou rend toute autre ordonnance qu’elle estime indiquée.

(b) if it determines that the head of the institution is authorized to make that decision or to take that action, make an order declaring that the head of the institution is not required to comply with the provisions of the Information Commissioner’s order that relate to that matter, or make any other order that it considers appropriate.

[...]

...

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-824-22

 

INTITULÉ :

OLIVIER PERRAULT c MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA, ONTARIO

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 FÉVRIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLIC:

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 juillet 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Kim Patenaude

 

Pour le demandeur

Me Stéphanie Dion

Me Maryse Piché Bénard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RavenLaw LLP

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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