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Date : 20230824


Dossier : IMM-8681-22

Référence : 2023 CF 1135

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 24 août 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

NAVTEJ SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas a rejeté sa demande de permis de travail ouvert qu’il avait présentée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires et a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. J’ai rejeté la demande à l’audience, en expliquant ma décision de manière générale et en promettant de fournir des motifs écrits ultérieurement. Voici mes motifs.

I. Faits et décision faisant l’objet du contrôle

[2] Le demandeur, un ressortissant indien, a demandé en mai 2020 un permis de travail pour rejoindre son épouse, qui travaille et réside actuellement au Canada (au titre d’un permis de travail valide jusqu’en 2024).

[3] Lors de l’examen de la demande de permis de travail du demandeur, l’agent des visas a contacté la Punjab National Bank pour vérifier les documents bancaires présentés par le demandeur, notamment (i) une lettre de la banque datée du 16 mai 2020, indiquant que « Navtej Singh » est le titulaire du compte n° 344500PU00019085 [le compte] et (ii) une confirmation de dépôt au compte datée du 29 juillet 2020. Le responsable de la Punjab National Bank a confirmé que le compte existe, mais qu’il appartient à une autre personne nommée « Navtej Singh » dont la date de naissance et le père sont différents de ceux du demandeur.

[4] Le 7 juillet 2021, l’agent des visas a envoyé au demandeur une lettre d’équité procédurale [la LEP] dans laquelle il lui faisait part de ses réserves quant à l’authenticité des documents bancaires et lui donnait l’occasion d’expliquer comment et quand il avait obtenu les documents bancaires et pourquoi ils avaient été fournis dans le cadre de sa demande de permis de travail.

[5] Une lettre a été fournie en réponse à la LEP [la lettre de réponse]. Dans la lettre de réponse, il est écrit que le demandeur avait présenté les documents bancaires pour démontrer qu’il disposait de fonds suffisants pour financer son voyage et son séjour prévu au Canada. Des documents bancaires mis à jour avaient été joints à la lettre de réponse, notamment (i) une lettre de la banque datée du 20 juillet 2021, indiquant que « Navtej Singh » est le titulaire du compte et (ii) une confirmation de dépôt au compte datée du 29 janvier 2021. La lettre de réponse indiquait également que le demandeur avait présenté lui-même sa demande de permis de travail, à l’aide de renseignements recueillis sur les médias sociaux.

[6] Le 2 août 2022, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de réponse quant aux réserves soulevées dans la LEP au sujet des documents bancaires frauduleux. L’agent des visas était convaincu que le demandeur avait fait une présentation erronée sur ses liens financiers avec son pays d’origine en vue d’obtenir un statut au Canada, et que cela constituait un fait important qui aurait pu entraîner des erreurs dans l’application de la LIPR. L’agent des visas a rejeté la demande de permis de travail du demandeur et a conclu qu’il était interdit de territoire en raison d’une fausse déclaration [la décision contestée].

II. Analyse de la question préliminaire – Preuve extrinsèque

[7] Le défendeur soutient que le demandeur tente de s’appuyer sur des renseignements qu’il n’a pas démontré avoir soumis à l’agent des visas, à savoir l’explication figurant aux paragraphes 6 à 8 de l’affidavit de son consultant en immigration [l’affidavit]. Le défendeur soutient que cette preuve est extrinsèque et n’est pas visée par l’une ou l’autre des exceptions circonscrites énoncées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20 [Association des universités]. Le défendeur demande à la Cour de radier du dossier du demandeur les paragraphes 6 à 8 de l’affidavit et de ne pas tenir compte des observations qui s’appuient sur ces paragraphes, étant donné qu’ils constituent des éléments de preuve extrinsèques.

[8] Le demandeur rétorque que ces paragraphes relèvent de l’une des exceptions énoncées par la Cour d’appel fédérale, à savoir qu’ils « contien[nen]t des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire » (Association des universités, au para 20). Le demandeur renvoie également à l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 [Bernard] pour soutenir que l’affidavit est nécessaire pour porter à l’attention de la Cour un vice de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier dont disposait l’agent des visas, à savoir la preuve de l’incompétence du consultant en immigration.

[9] Je ne peux souscrire à cette thèse. Je ne relève aucun vice de procédure. Le consultant tente d’expliquer, aux paragraphes 6 à 8 de l’affidavit, qu’il recevait toute la documentation se rapportant au dossier du demandeur à l’adresse électronique de ce dernier, et que le demandeur n’a jamais eu connaissance de la LEP ou de la lettre de réponse qu’il avait envoyée à l’insu du demandeur et sans son approbation. Cependant, rien dans la demande de permis de travail du demandeur n’indique qu’il avait un représentant. Les règles sont claires : seuls les représentants autorisés et déclarés peuvent agir au nom des demandeurs.

[10] Le demandeur aurait peut-être souhaité soumettre les nouveaux éléments de preuve dans le cadre de sa demande de permis de travail ou dans la lettre de réponse, mais il ne l’a pas fait. Comme le souligne le défendeur, aucune exception n’est prévue pour les éléments de preuve que le demandeur aurait pu présenter à l’agent des visas, mais qu’il n’a pas soumis (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11 au para 29). Les paragraphes 6 à 8 de l’affidavit sont donc radiés, et je n’en tiendrai pas compte dans mon analyse présentée ci-dessous.

III. Analyse

[11] Le demandeur soutient que la décision contestée est déraisonnable, parce qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale du fait qu’il s’est fié au consultant qui, comme il le prétend devant notre Cour, était incompétent. Le demandeur soutient en outre que l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi devrait s’appliquer en l’espèce, puisqu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentations erronées au sujet d’un fait important dans le cadre de sa demande de permis de travail.

[12] Bien que la norme de contrôle applicable à la décision contestée soit celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65), la Cour, lorsqu’elle est appelée à examiner des questions relatives à l’équité procédurale, doit se demander si la procédure qui a conduit à la décision était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Canadian Hardwood Plywood et Veneer Association c Canada (Procureur général), 2023 CAF 74 au para 57).

[13] Plus précisément, le demandeur fait valoir qu’il n’a jamais reçu la LEP parce qu’elle avait été envoyée à son consultant. Le demandeur soutient que c’est le consultant qui avait rédigé et envoyé la lettre de réponse et que l’incompétence de ce dernier a entraîné un manquement à la justice naturelle; à cet égard, le demandeur s’appuie sur la décision Aluthge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1225 aux paras 3-5 [Aluthge]. Dans cette décision, la Cour a conclu que la consultante en immigration des demandeurs les avait malencontreusement avisés de ne pas divulguer une expulsion antérieure dans leur demande de résidence permanente, ce qui avait entraîné un manquement à la justice naturelle (Aluthge, aux para 38 et 44).

[14] Je juge que l’argument du demandeur n’est pas convaincant. Premièrement, le demandeur n’a pas soumis le formulaire « Recours aux services d’un représentant » avec sa demande de permis de travail, et il n’a pas non plus révélé qu’il avait eu recours aux services d’un représentant dans sa demande ou dans la lettre de réponse. En fait, bien au contraire, le demandeur a déclaré dans sa lettre de réponse qu’il se représentait lui-même, en écrivant ce qui suit : [traduction] « Par la présente, je voudrais indiquer que j’ai déposé ma demande de visa par moi-même et que j’ai recueilli des renseignements provenant de YouTube ou de sources connexes ».

[15] Mis à part le fait qu’il soutienne maintenant le contraire – à savoir qu’il avait eu recours à un consultant en immigration agissant en son nom – le demandeur n’a rien soumis avant ou après la LEP et la lettre de réponse qui ait révélé à l’agent des visas qu’il avait recours à un consultant en immigration qui le représentait. La Cour a jugé qu’il n’y avait aucune raison de fermer les yeux sur le recours à des consultants « fantômes » non autorisés (Eze c Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 714 au para 17, citant Lyu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 134 au para 32).

[16] Deuxièmement, selon les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], la LEP avait été envoyée à l’adresse électronique personnelle Yahoo déclarée par le demandeur, à laquelle toute la correspondance électronique avait été envoyée auparavant. Le demandeur fait valoir qu’il n’a pas accès à cette adresse électronique Yahoo, et affirme plutôt qu’elle est exclusivement gérée par le bureau du consultant.

[17] Toutefois, cette thèse va à l’encontre des éléments de preuve figurant au dossier, notamment les suivants : (i) l’affidavit soumis par le consultant indique que ce dernier avait une adresse électronique complètement différente de celle du demandeur et (ii) la demande de permis de travail et les demandes de renseignements ultérieures adressées à IRCC au sujet de la demande – rédigées par le demandeur à la première personne – ont été soumises à partir de son adresse électronique personnelle Yahoo.

[18] Il convient d’établir une distinction entre la présente affaire et l’affaire Aluthge, puisque dans cette dernière, les demandeurs avaient suivi les Lignes directrices consolidées pour les instances d’immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté de la Cour relativement aux allégations contre l’ancien conseil, et ils avaient établi les trois éléments qui doivent être satisfaits pour démontrer l’existence d’un manquement à la justice naturelle attribuable à l’assistance inefficace du représentant dont la compétence est contestée. En l’espèce, par contre, cela n’a à aucun moment été le cas. En fait, comme je l’explique plus haut, le demandeur a tenté de corriger le dossier simplement en soumettant, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, un affidavit ex post facto du consultant qui, selon ce qu’il affirme maintenant pour la première fois, était son représentant fantôme.

[19] En l’absence du formulaire « Recours aux services d’un représentant » ou de toute preuve fiable à l’appui de l’argument du demandeur selon lequel la LEP n’a été envoyée qu’au consultant, je juge qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale et, compte tenu du contenu très clair de la LEP, que le demandeur a eu l’occasion de fournir une réponse quant aux réserves formulées par l’agent des visas au sujet des relevés bancaires frauduleux.

[20] Ensuite, en ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision contestée, le demandeur s’appuie sur la décision Moon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1575 [Moon] pour soutenir que l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi s’applique en l’espèce, comme ce fut le cas dans la décision Moon. Dans cette décision, la Cour a conclu que la présentation erronée était indépendante de la volonté de Mme Moon, puisque son consultant avait admis avoir déposé la demande d’autorisation de voyage électronique [AVE] de façon précipitée et sans poser les questions qui s’imposaient, ce qui avait entraîné l’omission de divulguer ses antécédents criminels. Mme Moon avait également présenté à l’agent des visas des éléments de preuve démontrant que, bien qu’elle ait eu recours aux services du consultant pour obtenir de l’aide quant à une demande de permis d’études et une demande de visa, elle ne l’avait pas autorisé à soumettre la demande d’AVE.

[21] En l’espèce, le demandeur prétend qu’il s’est également fié à un consultant qui a soumis sa demande de permis de travail, y compris les documents bancaires frauduleux, et la lettre de réponse, en son nom et à son insu.

[22] Encore là, je ne souscris pas à cette prétention. L’exception restreinte relative aux fausses déclarations faites de bonne foi s’applique uniquement dans des circonstances véritablement extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important et lorsqu’il ne pouvait avoir connaissance de la nature erronée de la présentation (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 au para 17).

[23] En l’espèce, la preuve démontre que le demandeur pouvait avoir connaissance de la nature erronée de sa présentation, et ce, même si ce dernier affirme qu’il n’avait pas connaissance des documents bancaires frauduleux, de la LEP et de la lettre de réponse avant qu’on lui transmette la décision contestée. Comme la Cour l’a jugé dans la décision Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 au para 28 [Goburdhun], en s’appuyant sur les décisions Haque c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315 au para 16 et Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 450 au para 31 : « le demandeur étant tenu responsable du contenu de la demande qu’il signe, on ne peut considérer qu’il croyait raisonnablement ne pas avoir présenté faussement un fait d’importance s’il a omis de revoir sa demande et de vérifier qu’elle était complète et exacte avant de la signer ».

[24] De plus, ni le demandeur ni aucun consultant qui aurait pu agir en son nom n’ont fourni d’explications quant aux réserves de l’agent des visas concernant la nature frauduleuse des documents bancaires, alors que cette question avait clairement été soulevée dans la LEP. L’un ou autre aurait dû, au lieu de garder le silence, fournir des réponses claires au bureau des visas sur la façon dont le demandeur avait obtenu des documents bancaires concernant le compte d’une autre personne et sur la raison pour laquelle les documents de cette personne sans lien de parenté avec le demandeur avaient été inclus dans la demande de permis de travail de ce dernier.

[25] En fin de compte, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, l’avocat du demandeur était d’avis que son client avait souffert aux mains d’un consultant en immigration sans scrupules et non agréé et qu’il ignorait les obligations qui lui incombaient au titre de la LIPR de divulguer l’identité de son représentant. Bien que cela ait pu être le cas, le rôle de la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire est limité en l’espèce, et si le demandeur décide de présenter une nouvelle demande à l’avenir, je m’attends à ce qu’il comprenne les exigences de la législation, y compris l’obligation de divulguer toute représentation. Aux fins de la présente demande, il a manqué à son obligation de franchise qui consiste à fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques (Goburdhun, au para 28).

IV. Conclusion

[26] Le demandeur a manqué à son obligation de franchise et n’a pas fourni des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point dans le cadre de sa demande d’entrée au Canada. Il était donc raisonnable pour l’agent des visas de conclure qu’il avait fait une présentation erronée relativement à ses liens financiers avec son pays d’origine en vue d’obtenir un statut au Canada, et que cela constituait un fait important qui aurait pu entraîner des erreurs dans l’administration de la LIPR. Le processus suivi était équitable sur le plan procédural. En l’espèce, je n’ai relevé aucune erreur susceptible de contrôle. Aucune partie n’a proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8681-22

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question à certifier n’a été proposée, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8681-22

 

INTITULÉ :

NAVTEJ SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 août 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 août 2023

 

COMPARUTIONS :

Navraj Singh

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PSB Law Office

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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