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Date : 20230823


Dossier : IMM-3188-22

Référence : 2023 CF 1132

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 août 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

SARAH MELODY NALUNKUMA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le présent jugement et les motifs qui l’accompagnent concernent une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] en date du 14 mars 2022. Dans la décision, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La demanderesse conteste la décision et soutient que la SAR a mal interprété les éléments de preuve dont elle disposait.

[2] Comme je l’explique plus en détail ci-après, la présente demande est rejetée, car la décision est raisonnable.

II. Contexte

[3] La demanderesse est citoyenne de l’Ouganda et elle a 29 ans. Elle est mère d’une fille de quatre ans. Elle est arrivée au Canada en novembre 2019 et a demandé l’asile après avoir allégué dans son formulaire Fondement de la demande d’asile qu’elle craignait d’être persécutée en Ouganda parce qu’elle est lesbienne.

[4] La SPR a entendu la demande d’asile de la demanderesse le 21 septembre 2021. Lorsque le commissaire de la SPR lui a posé des questions au sujet de sa relation amoureuse précédente, la demanderesse a répondu qu’elle n’était pas lesbienne. Elle a plutôt expliqué qu’elle avait déménagé au Canada parce qu’elle avait grandi dans la pauvreté en Ouganda et qu’elle voulait un meilleur endroit pour élever son bébé. Lorsqu’il lui a demandé si elle serait exposée à un risque si elle retournait en Ouganda, elle a répondu que ce ne serait pas le cas.

[5] Dans les observations postérieures à l’audience, l’avocat de la demanderesse a soutenu qu’elle était exposée à un risque en Ouganda parce qu’elle est une femme et une mère célibataire. Il a affirmé que les éléments de preuve objectifs montraient qu’il existe en Ouganda de la discrimination à l’égard des femmes, un manque de possibilités d’emploi, un manque de soins de santé adéquats, du harcèlement sexuel et que le viol y est très répandu.

[6] La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse le 21 septembre 2021. Selon le témoignage de la demanderesse et les observations qu’elle a présentées après l’audience, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi une crainte subjective de persécution fondée sur son genre ou son profil de jeune mère célibataire.

[7] Au sujet de l’élément objectif de la demande d’asile présentée par la demanderesse, la SPR a reconnu que le cartable national de documentation [le CND] sur l’Ouganda faisait état de violence fondée sur le genre et de discrimination à l’égard des femmes. La SPR a toutefois relevé que la demanderesse ne craignait pas personnellement la violence ou la discrimination fondées sur son genre d’un point de vue prospectif. La SPR a conclu que les preuves de la violence fondée sur le genre en Ouganda ne témoignaient pas d’incidents répandus au point où les femmes en général seraient exposées à une possibilité sérieuse de persécution. De plus, elle a conclu que la discrimination à l’égard des femmes en Ouganda n’équivalait pas à la persécution.

[8] La demanderesse a fait appel devant la SAR en soutenant que la SPR avait commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas une crainte subjective d’être persécutée et que sa crainte d’être persécutée n’était pas fondée.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] Dans la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, la SAR a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse et a confirmé la décision de la SPR. La SAR a rejeté l’argument avancé par la demanderesse selon lequel la SPR avait commis une erreur en omettant d’inférer qu’elle avait une crainte subjective de persécution en Ouganda en raison de son statut de femme et de mère célibataire. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi une crainte subjective de persécution et elle a estimé que la demanderesse avait empêché toute conclusion de crainte subjective en affirmant qu’elle n’était exposée à aucun risque, quel qu’il soit, en Ouganda.

[10] De plus, la SAR a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte des preuves documentaires objectives de discrimination et de violence fondées sur le genre en Ouganda. La SAR a estimé que la SPR avait examiné tous ces éléments de preuve et qu’elle avait conclu qu’ils ne suffisaient pas à démontrer qu’une mère célibataire comme l’appelante est exposée à une possibilité sérieuse de subir de la violence sexuelle et de la discrimination en matière d’emploi équivalant à la persécution. La SAR a affirmé qu’elle avait effectué une appréciation indépendante de la preuve documentaire et s’est dite d’accord avec la SPR sur cet aspect. La SAR a par conséquent rejeté l’appel interjeté par la demanderesse et a conclu que celle-ci n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[11] L’unique question soulevée par la demanderesse est celle de savoir si la SAR a commis une erreur en faisant une mauvaise interprétation des éléments de preuve dont elle disposait.

[12] Les parties conviennent (et c’est aussi mon avis) que cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

V. Analyse

[13] En ce qui concerne l’analyse effectuée par la SAR de sa crainte subjective, la demanderesse prétend que la SAR a commis une erreur en n’inférant pas une crainte subjective suivant son témoignage selon lequel elle avait grandi dans la pauvreté et elle n’était pas en mesure de gagner suffisamment d’argent pour s’occuper de sa fille. Elle affirme que, même si elle n’a pas déclaré sans ambiguïté qu’elle craignait d’être persécutée en raison de son genre et de sa situation de famille, cette preuve n’est pas une condition préalable pour établir une crainte subjective.

[14] Je souscris au principe invoqué par la demanderesse, selon lequel les demandeurs d’asile n’ont pas besoin d’invoquer les termes particuliers de la « crainte de persécution » pour que cette crainte soit implicite dans leur récit (voir l’arrêt Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593 au para 46). Toutefois, ce principe n’est guère utile à une demandeure d’asile qui affirme expressément qu’elle ne serait pas exposée à un risque dans son pays d’origine. Après avoir appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable, je ne relève aucune erreur commise par la SAR quand elle s’est appuyée sur le témoignage de la demanderesse à cet égard pour conclure que celle-ci n’avait pas de crainte subjective de persécution ou de préjudice en Ouganda en raison de son genre, de son statut de mère célibataire, ou pour toute autre raison.

[15] De plus, la demanderesse affirme que la SAR n’a pas tenu compte des preuves objectives figurant dans le CND et qu’elle a commis une erreur en concluant que ces preuves étaient insuffisantes en elles-mêmes pour conclure qu’une mère célibataire comme elle serait exposée à une possibilité sérieuse de violence sexuelle et de discrimination en matière d’emploi équivalant à la persécution. La demanderesse renvoie à des passages de documents sur la situation dans le pays figurant dans le CND qui décrivent la prévalence de la violence sexuelle et de la discrimination en matière d’emploi en Ouganda.

[16] Le défendeur souligne toutefois que le droit crée une présomption réfutable selon laquelle la SAR a examiné toutes les preuves contenues dans le dossier, y compris les documents et le CND. Même si la SAR doit examiner toutes les preuves qui contredisent directement ses conclusions sur une question fondamentale, ce n’est que lorsque des éléments de preuve qui ne sont pas mentionnés sont essentiels et contredisent la conclusion de la SAR qu’une cour de révision peut décider que leur omission signifie que la SAR a commis une erreur en ne révisant pas les documents dont elle était saisie (voir la décision Simolia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1336 aux para 20 à 24).

[17] En l’espèce, la SAR a reconnu les éléments de preuve examinés par la SPR concernant la violence sexuelle et la discrimination en matière d’emploi à l’encontre des femmes en Ouganda. Elle a toutefois conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour indiquer que la demanderesse était exposée à une possibilité sérieuse d’une telle violence et d’une discrimination équivalant à la persécution, particulièrement lorsque la demanderesse a elle-même nié qu’elle courait un tel risque en Ouganda. Puisque la SAR a expressément reconnu l’existence de preuves comme celles invoquées par la demanderesse et a expliqué le raisonnement sous-tendant sa conclusion, son analyse ne permet pas à la Cour de conclure que la SAR a omis d’examiner ces preuves.

[18] Après avoir pris en compte les arguments soulevés par la demanderesse, je conclus que la décision est raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3188-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit : La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3188-22

INTITULÉ :

SARAH MELODY NALUNKUMA c LE MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 AOÛT 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 23 AOÛT 2023

COMPARUTIONS :

Sarah Melody Nalunkuma

(pour son propre compte)

POUR LA DEMANDERESSE

Giancarlo Volpe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice

POUR LE DÉFENDEUR

 

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