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Date : 20230510


Dossier : T-562-23

Référence : 2023 CF 668

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 10 mai 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SERGE SIMON

demandeur

et

CONSEIL MOHAWK DE KANESATAKE

et

SHIRLEY BONSPILLE

et

MYRLYN BONSPILLE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS :

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Simon, a sollicité le contrôle judiciaire de la décision du 15 février 2023 (la décision) par laquelle le Comité d’appel, formé suivant le Code électoral coutumier du Conseil Mohawk de Kanesatake (le Code), a invalidé l’élection de M. Simon au poste de Chef du Conseil Mohawk de Kanesatake. M. Simon présente maintenant une requête en réparation provisoire (la requête) dans laquelle il demande à la Cour de sursoir à la décision et d’ordonner au Conseil Mohawk de Kanesatake, un des défendeurs, de reconnaître son statut de Chef en attendant que la Cour tranche sa demande de contrôle judiciaire.

[2] Dans sa réponse à la requête, le Conseil Mohawk de Kanesatake ne prend pas position concernant le sursis provisoire sollicité par M. Simon.

[3] Mme Shirley Bonspille et Mme Myrlyn Bonspille sont les deux dernières défenderesses parties à la demande de contrôle judiciaire. Mme Shirley Bonspille a présenté une lettre à la Cour le 28 avril 2023 dans laquelle elle a indiqué qu’elle n’était pas représentée par un avocat et qu’elle souhaitait être informée de l’évolution du présent dossier de la Cour. La Cour n’a connaissance d’aucune réponse ou d’aucun document supplémentaire déposé par Mme Myrlyn Bonspille concernant la demande de contrôle judiciaire ou la requête.

II. Événements ayant mené à la décision

[4] En quelques mots, le Conseil Mohawk de Kanesatake est l’entité gouvernementale des Mohawks de Kanesatake et est constitué de sept membres (un Grand Chef et six Chefs) qui sont généralement élus pour un mandat de quatre ans. Le Code a été approuvé par un référendum tenu dans la communauté et adopté par le Conseil Mohawk de Kanesatake en 2015.

[5] Lorsqu’un siège se libère au sein du Conseil Mohawk de Kanesatake plus d’un an avant la prochaine élection, comme c’est le cas en l’espèce, le Conseil Mohawk de Kanesatake peut a) convoquer une assemblée publique extraordinaire afin d’obtenir la permission de poursuivre son mandat avec les Chefs restants ou b) tenir une élection partielle. Dans le cas d’une élection ou d’une élection partielle, le Code prévoit la nomination d’un Directeur Général des élections et la formation d’un Comité d’appel, composé de trois membres sélectionnés par le Directeur Général des élections lors d’une assemblée publique extraordinaire.

[6] La partie 14 du Code décrit la manière de contester les procédures électorales. Un électeur qui conteste une élection « déposera sa requête auprès du Directeur Général des élections ». Le Directeur Général des élections rend ensuite une décision et des motifs qui déterminent si une infraction au Code a influencé le résultat de l’élection. Le demandeur ou le candidat élu peut interjeter appel de la décision du Directeur Général des élections auprès du Comité d’appel.

[7] En février 2022, un des Chefs du Conseil Mohawk de Kanesatake a démissionné et son poste est devenu vacant. Une élection partielle devait initialement être tenue le 24 septembre 2022, mais elle a ensuite été reportée au 21 janvier 2023. Le vote par anticipation a commencé le 14 janvier 2023. Le Conseil Mohawk de Kanesatake a embauché PlanIt Consulting and Communications (PlanIt), une entreprise de services-conseils, pour organiser l’élection partielle. Une employée de PlanIt, Mme Jacobs, a été nommée Directrice Générale des élections.

[8] Les résultats de l’élection partielle étaient les suivants :

  • -M. Simon : 105 votes sur 205 (environ 51 %).

  • -Mme Shirley Bonspille : 55 votes sur 205 (environ 27 %).

  • -L’autre candidat : 42 votes sur 205 (environ 20 %).

  • -3 bulletins de vote ont été rejetés (moins de 2 %).

[9] Le 25 janvier 2023, un membre de la communauté a présenté une lettre au Comité d’appel afin de contester l’élection partielle. La lettre a été transmise à Mme Jacobs, la Directrice Générale des élections, qui a conclu dans sa décision que la contestation ne démontrait pas qu’il y a eu infraction au Code.

[10] À la fin de janvier et au début de février 2023, Mme Shirley Bonspille et Mme Myrlyn Bonspille ont écrit au Comité d’appel pour contester les résultats de l’élection partielle (les lettres de contestation des Bonspille).

[11] M. Simon affirme dans son affidavit du 30 mars 2023 qu’il n’avait jamais eu connaissance des lettres de contestation des Bonspille. De son côté, Mme Jacobs affirme dans son affidavit du 13 avril 2023 que les contestations ne lui ont pas été communiquées, ce qui contrevenait au Code.

[12] Dans sa décision du 15 février 2023, le Comité d’appel a invalidé l’élection partielle en réponse aux contestations des Bonspille. Mme Jacobs a reçu la décision le 17 février 2023 et M. Simon, le 21 février 2023.

[13] Dans sa décision, le Comité d’appel a examiné un certain nombre de plaintes sur le fond et sur la forme de l’élection. En fin de compte, le Comité d’appel a conclu à l’unanimité que l’élection partielle était invalide en raison d’irrégularités dans la procédure et de contraventions au processus démocratique de la communauté des Mohawks de Kanesatake et de ses membres. Le Comité d’appel a conclu que PlanIt n’a pas suivi le processus en bonne et due forme en n’envoyant pas les informations requises aux électeurs, ce qui a empêché les électeurs admissibles de voter.

III. Demande de contrôle judiciaire

[14] M. Simon a déposé son avis de demande de contrôle judiciaire de la décision le 22 mars 2023. Dans son avis, il demande à la Cour d’annuler la décision, de confirmer la validité de l’élection partielle du 21 janvier 2023 et d’ordonner sa réintégration au poste de Chef du Conseil Mohawk de Kanesatake. Pour résumer, M. Simon a fait valoir que a) le Comité d’appel n’avait pas compétence pour trancher les contestations des Bonspille; b) la décision a été rendue en infraction de la règle audi alteram partem; c) le Comité d’appel n’a pas agi comme un organisme décisionnel impartial ou un organe d’appel.

IV. La requête

[15] M. Simon a déposé son avis de requête modifié le 25 avril 2023, dans lequel il demandait ce qui suit :

  • 1)Que la Cour sursoit à l’exécution de la décision jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée;

  • 2)Que la Cour ordonne au Conseil Mohawk de Kanesatake de reconnaître son statut de Chef du Conseil Mohawk de Kanesatake, avec tous les droits et les privilèges qui en découlent, jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée;

  • 3)Que les dépens soient calculés en fonction du nombre maximum d’unités selon la colonne V du tableau du tarif B.

[16] M. Simon fait valoir que le Comité d’appel n’avait pas compétence pour examiner les lettres de contestation des Bonspille et se prononcer sur celles-ci, car l’article 14.3 du Code prévoit que tout électeur qui souhaite s’opposer aux procédures électorales « déposera sa requête auprès du Directeur Général des élections dans les trente (30) jours suivant le jour du scrutin ». M. Simon fait valoir que seule la Directrice Générale des élections avait compétence pour examiner les contestations et que les lettres de contestation des Bonspille ont été présentées directement au Comité d’appel, ce qui contrevient au Code. De plus, M. Simon affirme qu’il n’avait pas été informé des lettres de contestation des Bonspille et qu’il n’a pas eu l’occasion d’y répondre avant que le Comité d’appel rende sa décision, ce qui constitue une infraction au Code et à la règle audi alteram partem.

[17] Le Conseil Mohawk de Kanesatake ne prend pas position concernant la requête de M. Simon dans laquelle il demande le sursis provisoire à l’exécution de la décision. Il a affirmé à l’audience qu’il ne soutient ni ne conteste la requête.

[18] Les observations du Conseil Mohawk de Kanesatake se concentrent sur le respect du Code en tant que loi de la communauté. Son intérêt en l’espèce est de maintenir la confiance de la communauté dans le processus électoral. Le Conseil Mohawk de Kanesatake fait valoir que la procédure d’appel décrite dans le Code [traduction] « doit être scrupuleusement respectée » et se dit préoccupé par le fait que la procédure d’appel et la décision ne respectaient pas le Code.

[19] Le Conseil Mohawk de Kanesatake fait valoir que la seconde ordonnance, en vue de reconnaître le statut de Chef de M. Simon, n’est pas nécessaire parce qu’elle fait double emploi. Le Conseil Mohawk de Kanesatake est préoccupé par le fait qu’une ordonnance de la Cour puisse prolonger les droits et les pouvoirs d’un Chef au-delà de ceux qui découlent normalement de son statut de Chef élu, au titre du Code.

[20] Mme Shirley Bonspille et Mme Myrlyn Bonspille n’ont pas déposé d’avis de comparution relativement à la présente instance et, mis à part la demande de Mme Shirley Bonspille d’être informée de l’évolution du dossier, elles n’ont pas répondu à la requête.

[21] J’ai examiné les observations écrites et orales de l’avocat de M. Simon et du Conseil Mohawk de Kanesatake; les éléments de preuve présentés dans le dossier de requête de M. Simon, notamment le Code et l’affidavit de Mme Jacob concernant l’élection partielle et le processus de contestation en cause; et la décision, au regard du critère en trois volets bien établi pour l’octroi d’un sursis provisoire (Bellegarde v Carry the Kettle First Nation, 2023 CF 129 au para 17 (Bellegarde), citant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la page 334). J’ai également tenu compte de l’affirmation du juge Grammond dans la décision Bellegarde (au paragraphe 20) concernant l’importance de trouver un équilibre entre l’autonomie gouvernementale des Autochtones et la déférence à l’égard des décideurs autochtones, d’une part, et le droit des membres des Premières Nations à l’équité procédurale et aux réparations en cas de violation de ces droits, d’autre part.

[22] Sur le fondement des éléments de preuve dont je dispose, j’estime que M. Simon a soulevé un problème sérieux dans la procédure et la décision du Comité d’appel qui n’est ni frivole ni vexatoire, suivant le seuil appliqué aux requêtes en sursis d’exécution des résultats d’une élection partielle (Bellegarde, au para 23). En empêchant M. Simon et la Directrice Générale des élections d’examiner les lettres de contestation des Bonspille, le Comité d’appel a contrevenu au Code, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale. Je conclus également que M. Simon subira un préjudice irréparable si le sursis provisoire à l’exécution de la décision n’est pas accordé. Il ne pourra plus s’acquitter de son rôle et de ses devoirs de Chef et de membre du Conseil Mohawk pendant la majeure partie du reste de son mandat, étant donné les dates probables de l’audience et de la décision finale dans la demande sous-jacente.

[23] J’ai également examiné le dernier élément du critère en trois volets énoncé dans l’arrêt RJR : la prépondérance des inconvénients. Ce faisant, je dois soupeser le préjudice subi par M. Simon si la requête en sursis d’exécution de la décision est rejetée et celui subi par les défendeurs dans le cas contraire. Je dois également tenir compte des intérêts de la communauté élargie des Mohawks de Kanesatake et de l’importance de protéger les intérêts de la communauté en veillant à ce que le Code soit respecté. À mon avis, les intérêts de M. Simon et du Conseil Mohawk de Kanesatake, qui représente la communauté dans son ensemble, se rejoignent à cet égard. La prépondérance des inconvénients penche en faveur du sursis provisoire à l’exécution de la décision. Par conséquent, je conclus que M. Simon a satisfait au troisième élément du critère.

[24] Pour les motifs qui précèdent, j’ordonnerai le sursis provisoire de la décision jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente soit tranchée par la Cour.

[25] Dès qu’elle sera prononcée, mon ordonnance suspendra l’exécution de la décision dans son intégralité. Par conséquent, les résultats de l’élection partielle demeurent valides et M. Simon reprend son poste de Chef et de membre du Conseil Mohawk de Kanesatake avec les mêmes droits et privilèges qui y étaient attachés immédiatement avant la décision, ni plus ni moins.

[26] Je rejette la seconde ordonnance demandée par M. Simon, car elle ferait double emploi quant à l’application et aux conséquences normales de l’ordonnance de sursis à l’exécution de la décision. En rédigeant l’ordonnance énoncée ci-après, j’ai cherché à redresser le tort particulier découlant de la décision afin d’éviter toute redondance et toute confusion (Bellegarde, au para 45).

[27] À l’audience, l’avocat de M. Simon et le Conseil Mohawk de Kanesatake ont indiqué avoir convenu qu’il était préférable de régler la question des dépens associés à la présente requête une fois que l’issue de l’ensemble de la demande serait connue. Les dépens relatifs à la présente requête suivront donc l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-562-23

LA COUR ORDONNE :

  1. La décision du Comité d’appel datée du 15 février 2023 concernant l’élection partielle de Kanesatake du 21 janvier 2023 est suspendue intégralement de sorte que les résultats de l’élection partielle, à savoir l’élection de M. Simon au poste de Chef avec les droits et les privilèges accordés aux membres du Conseil Mohawk, restent en vigueur jusqu’à ce que la présente demande de contrôle judiciaire soit définitivement tranchée.

  2. Les dépens relatifs à la présente requête suivent l’issue de la cause.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-562-23

 

INTITULÉ :

SERGE SIMON c CONSEIL MOHAWK DE KANESATAKE, SHIRLEY BONSPILLE, MYRLYN BONSPILLE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 mai 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

M. Dan Goldstein

 

Pour le demandeur

 

M. David Janzen

 

Pour le défendeur

CONSEIL MOHAWK DE KANESATAKE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Judicia Legal Services

Avocats

Westmount (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Dionne Schulze S.E.N.C.

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

CONSEIL MOHAWK DE KANESATAKE

 

 

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