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Date : 20230801


Dossier : IMM-7226-22

Référence : 2023 CF 1048

Ottawa (Ontario), le 1 août 2023

En présence de madame la juge Tsimberis

ENTRE :

AKOMOLA ATIKPATI ASMA

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Akomola Atikpati Asma, est un Togolais célibataire âgé de 33 ans. Il demande le contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] d’une décision d’un agent [l’agent] du Service des visas d’Accra au Ghana, datée du 30 mai 2022 [la décision] refusant la demande d’un permis d’études. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour et qu’il retournerait à son pays de résidence à la fin de ses études aux termes du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] compte tenu de la raison de la visite et des perspectives d’emploi limitées dans son pays de résidence (le Togo). De plus, selon l’agent, le demandeur ne satisfaisait pas une autre exigence de l’article 216 du RIPR eu égard à ses biens mobiliers et sa situation financière.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Le contexte

[3] Le 10 octobre 2021, le demandeur a été admis au programme d’études « Technique en administration des affaires » au Collège Boréal à son campus de Toronto. La lettre d’offre d’admission indiquait que les frais de scolarité, incluant les faux frais, seraient approximativement 14 500 $ CAD pour une année d’étude et que d’autres coûts d’environ 10 000 $ CAD étaient également à prévoir pour le logement, la nourriture, les livres et matériel scolaire. Le montant total pour la première année d’étude serait donc d’environ 24 500 $ CAD.

[4] Le 29 octobre 2021, le demandeur a soumis une demande de permis d’études à Citoyenneté et Immigration Canada pour pouvoir compléter son projet d’études. Le demandeur précise dans sa demande que son employeur, Assima International Business Consulting Eirl (Assima International), prendrait en charge la moitié de ses frais d’études et continuerait de lui verser la totalité de ses rémunérations mensuelles nettes par mois – c’est-à-dire 1004.48 € par mois (environ 1 450 $ CAD), soit 35% de son salaire en allocation de formation pour études, et 65% de la rémunération de son salaire – en contrepartie de 20 heures de travail en mode télétravail. La Cour note que l’employeur avait déjà versé 8 060.92 $ CAD au compte du demandeur. Le demandeur précisait également que son cousin, Maitre Afoh Gado Katakiti, un avocat du Barreau du Togo, avait signé une lettre de prise en charge légalisée s’engageant ainsi à le soutenir financièrement et à couvrir tous les coûts relatifs à son séjour d’études au Canada.

[5] Les documents au soutien de la demande de permis d’études au dossier certifié du tribunal comprennent entre autres :

  1. Une attestation bancaire du Ecobank Togo qui indique qu’en date du 31 janvier 2022, le demandeur avait l’équivalant de 8 447.48 $ CAD en solde dans son compte bancaire au Togo;

  2. Un autre compte Wise Payments Canada, situé à Ottawa, qui indique un solde en date du 31 janvier 2022 de 8 060.92 $ CAD. Les trois dépôts faits au compte (59.95 $ CAD, 7 500 $ CAD et 500.97 $ CAD) proviennent d’Assima International – l’employeur du demandeur;

  3. Une lettre explicative en appui des documents financiers soumis, son contrat de travail avec Assima International, ainsi qu’une deuxième lettre explicative étayant ses motifs pour vouloir poursuivre ses études au Collège Boréal; et

  4. Une lettre d’engagement de financement d’Assima International indiquant qu’un compte de banque au Canada auprès de la banque People Trust avait été ouvert au nom du demandeur et que des versements mensuels de 1004.48 € par mois (environ 1 450 $ CAD) seraient faits à compter du 31 janvier 2022 jusqu’à la fin du programme d’étude. La Cour note qu’il n’y a aucune preuve au dossier démontrant l’existence d’un tel compte de la banque People Trust ou que les versements mensuels de 1004.48 € par mois ont été effectués.

[6] Ainsi, hormis le soutien financier non déterminé du cousin du demandeur, une somme de 16,508.40 $ CAD serait disponible pour couvrir la première année de ses études au Collège Boréal. Il y aurait donc un manque à gagner d’environ 8 000 $ CAD.

(1) La décision contestée

[7] Le 30 mai 2022, l’agent a rejeté la demande de permis d’études du demandeur en concluant que ce dernier ne remplissait pas les exigences de la LIPR et du RIPR.

[8] Les motifs du rejet de la demande ont leur fondement au paragraphe 216(1) du RIPR. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de la période de son séjour, compte tenu des trois facteurs suivants :

a) Raison de la visite;

b) Des perspectives d’emplois limitées dans le pays de résidence; et

c) Des biens mobiliers et de la situation financière du demandeur.

[9] La situation financière du demandeur était le facteur qui a le plus grandement influencé la décision de l’agent.

[10] Les notes de deux agents différents, prises via le système mondial de gestion des cas (SMGC) sont reproduites ci-dessous. La première note analysant le dossier est en date du 26 janvier, 2022:

Application reviewed. Applicant is seeking study permit for college diploma at College Boreal in techniques in business administration. I note letter of intent. Proposed studies make sense given applicant’s career goals. Funds to be covered by applicant’s company, for whom applicant will continue teleworking, and cousin. These are third-party funds that could be removed at any time. The bank statement provided for cousin shows large fluctuations in balance and lump-sum deposits which do not show sufficient accumulation in funds. Applicant’s company states it will pay applicant full salary, which is high ($k EUROS) per month. These are third-party funds. Requesting bank statement for applicant.

[11] La deuxième et dernière note dans le SMGC, datée du 30 mai 2022, indique:

I note the partial payment made and I note the balance in the account of the statement provided. I note the applicant is 32 and declares employment in France while residing in Togo. I note the paystubs which indicate the applicant is receiving below the minimum required salary in France. I note that the bank account does not show any transactions, nor does it show proof of regular salary deposits. Applicant wishes to pursue college level business course. It is unclear how this plan of studies is a reasonable expense given the applicant’s academic and professional background. I give less weight to ties to home country in light of economic incentives to remain in Canada. I am not satisfied applicant would leave at the end of an authorized stay. Refused.

[12] Tel indiqué ci-dessus, les inquiétudes du premier agent portaient sur la question de la fiabilité financière des tiers pour soutenir le demandeur dans le cadre de ses études au Canada. C’est pourquoi on a demandé que le demandeur produise des relevés bancaires.

[13] La deuxième note indique toujours des préoccupations au niveau de la situation financière du demandeur ainsi que des incongruences au niveau de son emploi (France/Togo). Le deuxième agent se questionne aussi sur le bienfondé du plan d’études (à la lumière de ses coûts) et considère le poids à donner aux liens du demandeur avec son pays d’origine, compte tenu de ses incitations économiques à rester au Canada.

[14] Le demandeur estime que la décision de l’agent était incohérente et déraisonnable compte tenu de la preuve au dossier et soutient que l’agent a ignoré la preuve au dossier ou n’a pas considéré la preuve dans son entièreté. Le demandeur sous-tend aussi qu’il y a eu des erreurs et incohérences dans les notes de l’agent.

[15] Le demandeur demande donc à cette Cour d’annuler la décision de l’agent et que la demande soit réévaluée à nouveau par un autre agent.

(2) Les dispositions pertinentes

[16] En l’espèce, les dispositions pertinentes sont les paragraphes 11(1), 30(1) et 30(1.1.) de la LIPR ainsi que les paragraphes 216(1) et 220 du RIPR. Ils sont reproduits ci-dessous :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[…]

[…]

Études et emploi

Work and study in Canada

30 (1) L’étranger ne peut exercer un emploi au Canada ou y étudier que sous le régime de la présente loi.

30 (1) A foreign national may not work or study in Canada unless authorized to do so under this Act.

Autorisation

Authorization

(1.1) L’agent peut, sur demande, autoriser l’étranger qui satisfait aux conditions réglementaires à exercer un emploi au Canada ou à y étudier.

(1.1) An officer may, on application, authorize a foreign national to work or study in Canada if the foreign national meets the conditions set out in the regulations.

[…]

[…]

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

Permis d’études

Study permits

216 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

216 (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

a) l’étranger a demandé un permis d’études conformément à la présente partie;

(a) applied for it in accordance with this Part;

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

 

c) il remplit les exigences prévues à la présente partie;

(c) meets the requirements of this Part;

d) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3);

(d) meets the requirements of subsections 30(2) and (3), if they must submit to a medical examination under paragraph 16(2)(b) of the Act; and

e) il a été admis à un programme d’études par un établissement d’enseignement désigné.

(e) has been accepted to undertake a program of study at a designated learning institution.

[…]

[…]

Ressources financières

Financial resources

220. À l’exception des personnes visées aux sous-alinéas 215(1)d) ou e), l’agent ne délivre pas de permis d’études à l’étranger à moins que celui-ci ne dispose, sans qu’il lui soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, de ressources financières suffisantes pour :

220 An officer shall not issue a study permit to a foreign national, other than one described in paragraph 215(1)(d) or (e), unless they have sufficient and available financial resources, without working in Canada, to

a) acquitter les frais de scolarité des cours qu’il a l’intention de suivre;

 

(a) pay the tuition fees for the course or program of studies that they intend to pursue;

 

b) subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille qui l’accompagnent durant ses études;

 

(b) maintain themself and any family members who are accompanying them during their proposed period of study; and

 

c) acquitter les frais de transport pour lui-même et les membres de sa famille visés à l’alinéa b) pour venir au Canada et en repartir.

 

(c) pay the costs of transporting themself and the family members referred to in paragraph (b) to and from Canada.

 

(3) La norme de contrôle

[17] Puisqu’il s’agit d’un contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 23). Aucune des exceptions à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique dans les circonstances (Vavilov, aux para 25 et 17). Cette Cour doit donc examiner le raisonnement suivi par l’agent d’immigration ainsi que le résultat obtenu pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov au para 85).

[18] Avant de pouvoir infirmer la décision contestée, la cour de révision « doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100). Enfin, cette Cour doit être « convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (ibid).

III. Les questions en litige

[19] Cette demande de contrôle judiciaire nous demande d’examiner si la décision de l’agent était raisonnable en l’espèce et soulève les questions en litige suivantes :

  • a)Est-ce que les notes de l’agent comportaient des erreurs et incohérences qui rendaient la décision déraisonnable?

  • b)Est-ce que l’agent a bien considéré toute la preuve au dossier lorsque la décision fut prise de refuser le permis d’études?

IV. Analyse

Question 1: Est-ce que les notes de l’agent comportaient des erreurs et incohérences qui rendaient la décision déraisonnable?

[20] Le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable à cause des erreurs et incohérences dans les motifs concernant la logique du plan d’études et le salaire. Pour les raisons qui suivent, la Cour estime qu’il n’y a pas de véritable erreur et que toute incohérence est minime et ne va pas au cœur de la décision; ce qui importait pour l’agent était le manque de moyens financiers pour payer les études du demandeur au Canada.

[21] Au fait, il n’y a pas de réelle incongruence entre les notes du premier agent – qui trouvait le plan d’études pertinent eut égard des objectifs de carrière du demandeur, et celles du deuxième agent – qui trouvait qu’il n’était pas clair en quoi le plan d'études constituait une dépense raisonnable compte tenu du parcours académique et professionnel du demandeur. Le premier agent a analysé le plan d’études quant à ses objectifs côté carrière; le demandeur n’a pas fait d’études postsecondaires et le choix du programme collégial en technique d’administration des affaires était logique, vu sa composante bilingue (avec immersion en anglais), la réputation du programme, et compte tenu de l’emploi actuel du demandeur ainsi que ses ambitions de carrière futures. Le deuxième agent s’est attardé plutôt à l’analyse des coûts financiers reliés à ce projet d’études et des lacunes qui existaient quant aux moyens de financement disponibles.

[22] Pour ce qui en est du salaire du demandeur, le premier agent en a tenu compte selon les normes d’un salaire typique au Togo tandis que le deuxième agent s’est basé sur le salaire minimum en France, ce qui était tout à fait raisonnable. Le demandeur atteste qu’il est employé du Togo et non de la France et donc que les normes togolaises en matière d’emploi devraient avoir application en l’espèce. Or, le demandeur n’a fourni aucune preuve à cet égard. Au contraire, outre la section qui indique que le lieu de travail est Lomé au Togo, le contrat semble clairement avoir été fait selon les modalités du droit français : 1) Le salaire est indiqué en Euros et non pas en Franc CFA, la devise togolaise; et 2) Il n’y a aussi aucune adresse pour le bureau satellite au Togo. Somme toute, vu la preuve au dossier, il était loisible pour le 2e agent de conclure qu’il s’agissait d’un contrat de travail français et de déclarer que les fiches de paie indiquaient que le demandeur percevait un salaire inférieur au salaire minimum en France.

[23] Par ailleurs, les conclusions différentes des deux agents en ce qui a trait aux modalités d’emploi du demandeur, n’affectent aucunement le caractère raisonnable de la décision. Vavilov nous rappelle que pour être raisonnable une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique et qu’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov, au para 102).

Question 2: Est-ce que l’agent a omis de tenir compte des preuves au dossier, rendant ainsi sa décision déraisonnable?

[24] Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont il était saisi, sont le point de départ du contrôle (Barot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 284 au para 13). L’ensemble des arguments du demandeur tourne autour du fait que l’agent ait ignoré la preuve au dossier, ou n’en a pas tenu compte. Cependant, un décideur est présumé avoir examiné toute la preuve qui lui est soumise (Noulengbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1116 au para 15). Le fait de ne pas expliquer l’entièreté de sa pensée ne rend pas automatiquement une décision déraisonnable. Cette présomption s’applique en l’espèce au raisonnement de l’agent quant aux ressources financières du demandeur et de son cousin garant.

[25] Considérant que la somme totale requise pour la première année d’études serait d’environ 24 500 $ CAD, il n’y avait rien de déraisonnable dans l’appréciation de l’agent que le demandeur n’avait pas soumis suffisamment de preuve pour prouver qu’il avait les ressources financières de subvenir à ses études au Canada tel que requis par le paragraphe 220 du RIPR. En tenant compte des informations fournies, il était donc loisible à l’agent de conclure que le coût des études du demandeur n’était ni une dépense raisonnable ni une dépense abordable compte tenu de sa propre situation socio-économique ainsi que celle de son cousin garant (tel qu’étayé aux paragraphes 29 et 30 ci-dessous). Rappelons que le demandeur n’avait que l’équivalent de 8 447.48 $ CAD en banque, ce qui représentait à peine un tiers des frais requis pour subvenir à ses besoins durant la première année d’études.

[26] Par ailleurs, le défendeur sous-tend que le demandeur n’a pas fourni les documents auxquels il fait référence dans son affidavit et son mémoire, notamment les relevés bancaires et les autres documents soumis avec sa demande. La Cour est d’accord. À titre d’exemple, bien que le Collège Boréal exigeait un dépôt de 2 211 $ CAD pour confirmer l’intention du demandeur d’accepter l’offre d’admission, il n’y a aucune preuve au dossier indiquant que ce montant a été payé. Le fardeau revenait au demandeur de fournir à l’agent, les documents pertinents au soutien de sa demande, ce qui n’a pas été fait.

[27] La Cour est également d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de douter de la fiabilité de l’engagement financier proposé par l’employeur du demandeur, Assima International. D’abord, il a fourni un contrat de travail stipulant que son salaire mensuel de 1004.48 € par mois (environ 1 450 $ CAD) continuerait de lui être versé; or il n’y a aucune preuve qu’un tel salaire ne lui a jamais été versé. Le demandeur explique ceci en disant que son salaire était payé en espèce dans une enveloppe (selon le demandeur, ceci est de coutume au Togo) et non pas déposé dans un compte de banque. Si une compagnie dont le siège social est en France payait un employé résident au Togo, il apparait évident à la Cour qu’il y aurait facilement une preuve électronique d’un tel paiement ou tout au moins, un reçu papier attestant que la paye a été reçue. Même s’il avait été payé en espèce, ces argents auraient éventuellement été déposés dans un compte bancaire; cependant, le demandeur dit avoir fermé son compte au Togo lorsqu’il a ouvert un compte au Canada et qu’il n’a donc plus accès à ses relevés bancaires. Ces explications ne sèment que du doute à l’esprit de la Cour.

[28] Il incombait au demandeur de fournir des preuves qu’il n’était pas tout simplement un employé « sur papier » et qu’il recevait bel et bien un salaire d’Assima International, ce qu’il n’a pas fait. Il était donc raisonnable pour le deuxième agent de s’interroger à cet égard et d’indiquer dans ses notes « I give less weight to ties to home country in light of economic incentives to remain in Canada ». Je rappelle que c’était au demandeur de démontrer que la décision de l’agent était déraisonnable à cet égard (Vavilov, au para 100).

[29] L’agent a aussi noté que trois dépôts, totalisant 8 060.92 $ CAD, ont été faits par Assima International au bénéfice du demandeur dans un compte canadien. Cependant, si le demandeur continuait de recevoir sa paye, tel qu’il sous-tend, alors il aurait dû y avoir des dépôts mensuels de 1004.48 € par mois ou d’environ 1 450 $ CAD dans le compte, au lieu de simplement trois versements de 59.95 $ CAD, 7 500.00 $ CAD et 500.97 $ CAD. Ainsi, il était donc raisonnable pour le deuxième agent d’indiquer: « I note the partial payment made and I note the balance in the account of the statement provided. […] I note that the bank account does not show any transactions, nor does it show proof of regular salary deposits » [soulignements ajoutés]. Cela étant dit, même avec le dépôt de 8 060.92 $ CAD fait par Assima International, il y aurait toujours un manque à gagner d’environ 8 000 $ CAD pour subvenir aux besoins de la première année d’études au Canada.

[30] La jurisprudence récente de notre Cour reconnait qu’il est raisonnable de la part des agents d’immigration de tenir compte de la provenance des fonds en considérant les critères prévus à l’article 216 du RIPR (voir Bidassa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 242 au para 21, citant Kita c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1084 au para 20). Ainsi, l’engagement financier fait par le cousin du demandeur – Maitre Afoh Gado Katakiti, qui est avocat de profession – à le soutenir financièrement et à couvrir tous les coûts relatifs à son séjour au Canada était insuffisant compte tenu des grandes fluctuations dans son propre compte de banque. La Cour note qu’à plusieurs moments, le compte bancaire du cousin était même à découvert et que l’agent avait souligné que les grandes fluctuations dans le compte du cousin garant étaient problématiques. Selon le relevé bancaire du Orabank de Togo, le solde du compte du cousin pour la période du 19 juin 2021 au 19 octobre 2021, varie d’un découvert de -7,737,586 CFA Franc (14 septembre, 2021, environ -17,169 $ CAD) à 67,012,414 CFA Franc (23 septembre, 2021, environ 148,767 $ CAD). Il était donc raisonnable pour l’agent de conclure que le soutien financier du cousin pouvait être provisoire et qu’on ne pouvait pas s’y fier dans le cadre de la demande de permis d’études.

[31] Somme toute, l’agent n'a tout simplement pas commis d'erreurs significatives et susceptibles de contrôle en ce qui concerne les moyens financiers du demandeur. Au contraire, sa décision était fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et elle était justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent était assujetti; elle présentait donc toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov, au para 85). Il est reconnu en droit que lorsque la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, la Cour doit fait preuve de déférence à l’égard de la décision du décideur administratif (Ibid). Je dois donc m’en remettre aux conclusions de fait tirées par l’agent.

V. Conclusion

[32] Il existe une présomption légale selon laquelle un ressortissant étranger cherchant à entrer au Canada est un immigrant; il lui appartient donc de réfuter cette présomption (Roodsari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 970 au paragraphe 10, citant Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793 au paragraphe 16 et Obeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 754 au paragraphe 20). Il incombait donc au demandeur de prouver à l’agent qu’il n’était pas un immigrant et qu’il quitterait le Canada à la fin de ses études. La Cour est d’avis qu’il n’a pas satisfait à cette exigence, ce qui fait en sorte que la décision contestée de l’agent était raisonnable en l’espèce, compte tenu de la preuve qui était déposée au dossier au moment de la prise de décision. L'agent a procédé à un exercice d'équilibre approprié et a fourni des raisons adéquates pour le refus. Au cœur de la décision était la question entourant les moyens financiers pour subvenir aux études du demandeur; le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau à cet égard.

[33] Nous devons toujours garder à l’esprit le fait que le rôle de la Cour en contrôle judiciaire n’est pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou de substituer sa propre appréciation de la preuve. Il suffit à cette Cour de déterminer si la décision de l’agent était raisonnable en l’espèce. À cet égard, le raisonnement de l’agent s’est fondé sur la preuve qui lui avait été soumise, et se justifiait à l’égard de la loi applicable ainsi que les éléments qui sont demeurés inexpliqués. Somme toute, la décision possédait tous les attributs d’une décision raisonnable dans les circonstances et ne rencontrait pas le seuil de « lacunes graves » tel qu’articulé dans Vavilov, en ce qui a trait au fond de la décision.

[34] Pour ces raisons, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans IMM-7226-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7226-22

 

INTITULÉ :

AKOMOLA ATIKPATI ASMA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 juin 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1 AOÛT 2023

 

COMPARUTIONS :

M. Akomola Atikpati Asma

 

le demandeur

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

 

Me John Provart

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur Générale du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto, Ontario

pour le défendeur

 

 

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