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Date : 20230417


Dossier : IMM-8051-21

Référence : 2023 CF 553

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2023

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

RAFAEL SOUSA ABREU

NIDIA SOFIA SOUSA ANDRADE ABREU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur principal, M. Rafael Sousa Abreu, et son épouse, Mme Nidia Sofia Sousa Andrade Abreu, sont citoyens du Portugal. Un agent principal [l’agent] a refusé la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’ils ont présentée depuis le Canada.

[2] Les demandeurs présentent une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent datée du 29 octobre 2021 au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Ils soutiennent que l’agent a agi injustement et que la décision est déraisonnable.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, je ne suis pas convaincu qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Cependant, je suis convaincu que les demandeurs ont démontré que l’examen et l’analyse par l’agent de l’intérêt supérieur de leurs enfants étaient déraisonnables. Pour ce motif, la demande sera accueillie.

II. Contexte

[4] Le demandeur principal et son épouse sont entrés au Canada à titre de visiteurs en avril 2014. L’épouse du demandeur principal a deux frères qui résident au Canada, et les demandeurs ont deux enfants qui sont citoyens canadiens. Les autres membres de la famille des demandeurs se trouvent au Portugal.

[5] L’enfant aîné des demandeurs, leur fils, a reçu un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme [TSA] à l’âge de deux ans. Il est inscrit à un certain nombre de programmes de thérapie et s’est vu offrir un soutien en éducation spécialisée comprenant un plan d’enseignement individualisé [le PEI] élaboré à la prématernelle. Le PEI prévoit un programme d’études modifié.

[6] Un rapport des services psychologiques [le rapport] d’avril 2021, rédigé par les Services de soutien professionnels du Conseil scolaire de district de Toronto dans le but d’évaluer les forces et les besoins de l’enfant, décrit celui-ci comme ayant bénéficié du soutien en éducation spécialisée qui lui a été fourni. Cependant, le rapport mentionne également que ni la mère de l’enfant ni le personnel de l’école ne le considèrent comme étant [traduction] « prêt pour un programme régulier de première année ». Le rapport souligne le diagnostic de TSA de l’enfant et mentionne ce qui suit :

[traduction]

Les résultats indiquent que [l’enfant] a un trouble du développement intellectuel non spécifié (code du DSM 5 : 319 – Handicap intellectuel). Ses fonctions intellectuelles, par exemple la capacité de raisonnement, la résolution de problèmes, les compétences scolaires et la communication, n’ont pas pu être évaluées officiellement, mais il ressort clairement de sa nature verbale limitée que sa capacité de s’adapter à des situations et de fonctionner de façon indépendante dans diverses situations est beaucoup plus faible que ce qui est attendu à son âge. Ses difficultés sont présentes depuis son jeune âge et continuent d’affecter son apprentissage et sa socialisation. Par conséquent, son apprentissage se fera plus lentement, et il aura besoin d’un soutien intensif pour développer sa capacité de réflexion, sa capacité à collaborer, son fonctionnement quotidien et ses compétences sociales. Compte tenu de son jeune âge et de la difficulté à lui faire passer les tests officiels, Lorenzo devrait être réévalué lorsque ses compétences linguistiques se seront améliorées et qu’il aura reçu du soutien pour son apprentissage et ses comportements d’adaptation. [En gras dans l’original.]

[7] Le diagnostic de TSA est confirmé dans une lettre de diagnostic d’un pédiatre datée du 5 mars 2019. La lettre mentionne que l’enfant présente [traduction] « des lacunes persistantes dans ses communications et interactions sociales dans de multiples contextes […] [l’enfant] satisfait aux critères énoncés dans le DSM-5 pour un trouble du spectre de l’autisme (TSA) modéré (niveau 2), la communication sociale exigeant un soutien important et des comportements restrictifs et répétitifs exigeant un soutien important ».

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Lorsqu’il a examiné le facteur de l’établissement, l’agent s’est d’abord penché sur le temps que l’épouse du demandeur principal avait passé au Canada à l’adolescence. L’agent a souligné qu’elle avait prolongé son séjour au-delà de la période de validité de son visa, qu’elle avait été brièvement détenue et qu’elle avait dû quitter le pays, ce qu’elle avait fait après le refus d’une demande d’examen des risques avant renvoi. L’agent a relevé [traduction] « l’absence d’éléments de preuve expliquant pourquoi elle n’avait pas prolongé son visa de visiteur afin de maintenir son statut juridique au Canada » et a considéré cette situation comme étant un facteur défavorable méritant un certain poids.

[9] L’agent a ensuite noté que les deux demandeurs avaient prolongé leur séjour au-delà de la période de validité de leurs visas de visiteur en 2014. En l’absence d’éléments de preuve suffisants pour montrer qu’ils avaient demandé la prorogation de leur séjour ou obtenu des permis de travail, ou pour montrer que le séjour était attribuable à des circonstances indépendantes de leur volonté, l’agent a également considéré la durée de leur séjour au Canada comme étant un facteur défavorable.

[10] L’agent a mentionné que les demandeurs avaient travaillé sans autorisation et a considéré leurs antécédents professionnels comme étant un facteur défavorable. En ce qui concerne la situation financière des demandeurs, l’agent a noté que leurs revenus, établis dans une déclaration d’impôt sur le revenu de 2019, [traduction] « ne représentaient pas une somme importante permettant de subvenir aux besoins d’une famille de quatre personnes ». L’agent a relevé l’absence d’éléments de preuve documentaire supplémentaires concernant la situation financière de la famille et, pour ce motif, a accordé peu de poids à l’indépendance financière en tant que composante de l’établissement.

[11] Dans son examen des liens avec le Canada, l’agent a fait remarquer que, même si la plupart des membres de la famille des demandeurs vivaient au Portugal, l’épouse du demandeur principal a deux frères au Canada et elle entretenait une relation étroite avec l’un d’eux. L’agent a accordé un certain poids aux relations familiales en tant que composante de l’établissement. L’agent a également pris acte du fait que les demandeurs avaient noué des relations étroites au sein de leur collectivité, mentionnant qu’ils étaient [traduction] « très respectés ». Il a accordé un certain poids à ce facteur, mais a souligné l’absence d’éléments de preuve montrant un niveau de dépendance entre les demandeurs et leur collectivité qui causerait des difficultés indues aux personnes concernées si les demandeurs devaient quitter le Canada. L’agent a conclu que leur établissement était le résultat de leur situation irrégulière au Canada et de leur mépris des lois en matière d’immigration, et il a accordé peu de poids à ce facteur.

[12] Dans son examen de l’intérêt supérieur des deux enfants, l’agent a reconnu qu’il fallait y être réceptif, attentif et sensible. L’agent a également reconnu que ce facteur méritait un poids important, mais qu’il ne s’agissait que de l’un des nombreux facteurs importants dans l’examen d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et qu’il n’était pas déterminant.

[13] L’agent a résumé la preuve en ce qui a trait à l’état de santé et aux antécédents médicaux de l’enfant aîné et a conclu que son état s’était amélioré grâce à diverses thérapies et qu’il avait pu avoir un accès virtuel à la thérapie et la poursuivre à la maison pendant la période de confinement de la pandémie. Sur ce fondement, l’agent a conclu [traduction] « [qu']il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il ne pourrait pas poursuivre sa thérapie virtuelle » si ses parents retournaient au Portugal, et que les demandeurs pourraient continuer de faire affaire avec les mêmes organisations en payant pour les services. L’agent a écrit ce qui suit : [traduction] « Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour donner à penser qu’ils ne sont pas aptes ou disposés à le faire pour le bien de [leur fils] » et que « les demandeurs n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que des programmes ou services semblables ou comparables ne sont pas accessibles au Portugal ». L’agent a effectué une recherche indépendante et a également conclu que des services et des ressources, de même que des écoles, sont accessibles au Portugal. Il a conclu que l’enfant avait prouvé qu’il était capable de s’adapter durant la pandémie et qu’il y avait [traduction] « peu d’éléments de preuve » montrant que le déménagement du Canada au Portugal et le fait de passer à des services portugais auront une incidence défavorable sur son développement après une période d’adaptation. L’agent a également conclu que la fille cadette des demandeurs serait très légèrement affectée, puisqu’elle n’était pas encore à la maternelle.

[14] L’agent a examiné la relation des enfants avec leurs oncles et accordé un certain poids à ce facteur, mais il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs montrant que la séparation ou le départ du Canada [traduction] « nuiraient au bien-être social, émotionnel, psychologique ou physique des enfants ainsi qu’à leur développement ». L’agent a exprimé l’opinion selon laquelle il est [traduction] « dans l’intérêt supérieur de chaque enfant d’obtenir une éducation, d’avoir accès à de bons soins de santé et d’avoir l’amour et le soutien constants de ses parents pendant qu’il grandit ». Il a conclu que la famille pourrait atteindre cet objectif au Portugal. Par conséquent, l’agent a accordé [traduction] « un certain poids à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

[15] L’agent n’était pas convaincu que les difficultés liées au fait de devoir réinstaller la famille au Portugal justifiaient l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[16] J’ai formulé les questions découlant de la demande ainsi :

  1. L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en effectuant une recherche indépendante en ligne et en se fondant sur celle-ci?

  2. L’analyse de l’agent était-elle déraisonnable?

[17] Pour l’examen de la question de l’équité (question A), il faut se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés dans la procédure contestée et les conséquences pour la personne. Cela s’apparente à un examen selon de la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

[18] Il n’est pas contesté que la norme de contrôle présumée s’appliquer à la décision de l’agent (question B) est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]).

[19] Lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour se demande « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au para 99). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov, au para 85).

V. Analyse

A. Pas de manquement à l’équité procédurale

[20] Les demandeurs soutiennent qu’il était injuste sur le plan procédural que l’agent effectue des recherches indépendantes et se fonde sur les résultats de ces recherches pour appuyer la conclusion selon laquelle des services et des ressources pour les personnes ayant reçu un diagnostic d’autisme étaient accessibles au Portugal sans d’abord leur fournir une possibilité de répondre.

[21] Lorsqu’un décideur consulte des sources d’information extrinsèques et se fonde sur celles-ci, il y a une possibilité d’iniquité. Cependant, une telle conclusion n’est pas automatique. La portée de l’obligation d’équité procédurale varie en fonction du contexte (Alves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 672 aux para 29-30, renvoyant à Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 537 aux para 34-42).

[22] Dans les affaires Alves et Shah, le décideur avait effectué des recherches sur Internet concernant l’accessibilité des services de soutien pour les enfants ayant un TSA, comme en l’espèce. Au paragraphe 30 de la décision Alves, le juge Nicholas McHaffie déclare ce qui suit :

Pour déterminer si l’obligation d’équité procédurale requiert la divulgation de ces documents, la Cour examinera des facteurs tels que i) la source, y compris sa crédibilité; ii) la nature publique des documents et la mesure dans laquelle on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur en ait connaissance; iii) le caractère inédit et l’importance des renseignements, y compris la manière dont ils diffèrent d’autres éléments de preuve; iv) la nature de la décision, y compris les allégations du demandeur et le fardeau de la preuve : Shah au para 35–38; Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294 aux para 29–37; Rutayisire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 970 aux para 80–88. Lorsque l’on examine ces facteurs, la question fondamentale demeure celle de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54.

[23] En l’espèce, il n’y a pas d’iniquité. Les observations relatives aux considérations d’ordre humanitaire des demandeurs étaient fondées sur le diagnostic de TSA de leur enfant aîné, mais peu d’éléments de preuve ont été présentés pour indiquer quels services étaient accessibles, le cas échéant, pour le traitement des TSA au Portugal. Comme dans l’affaire Shah, les renseignements recueillis et invoqués par l’agent étaient facilement accessibles aux demandeurs et n’étaient pas controversés. En l’espèce, les recherches de l’agent étaient conformes à son obligation d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant et à son devoir d’accorder un poids important à l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’analyse des considérations d’ordre humanitaire.

[24] Dans ces circonstances, l’agent n’était pas tenu de communiquer les renseignements ni de donner aux demandeurs la possibilité de répondre.

B. La décision est déraisonnable

[25] Les demandeurs soutiennent que l’examen par l’agent de l’établissement et de l’intérêt supérieur de l’enfant était déraisonnable.

1) Établissement

[26] Premièrement, les demandeurs soutiennent que l’agent a déraisonnablement fait abstraction de leur établissement et de leur emploi au Canada parce qu’ils vivaient et travaillaient en situation irrégulière. Ils critiquent la conclusion de l’agent selon laquelle ils peuvent facilement se réinstaller au Portugal, parce qu’il n’a pas tenu compte de leur motivation initiale à quitter le pays, à savoir l’incapacité de trouver du travail en raison de la crise économique. S’appuyant sur les paragraphes 17 et 18 de la décision Fidel Baeza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 362, sur les paragraphes 17 à 19 de la décision Samuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 227 [Samuel], et sur l’objet de l’article 25 de la LIPR, les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas évalué l’établissement avec compassion, vu la preuve de leur contribution positive à la collectivité. Ils soutiennent que l’agent a plutôt fait une fixation sur leur défaut de se conformer aux exigences en matière d’immigration. Ils ont soutenu que cette fixation se reflète dans la prise en compte par l’agent du défaut de l’épouse du demandeur principal de se conformer aux lois en matière d’immigration durant son premier séjour au Canada en tant que mineure.

[27] Le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve ni d’imposer son propre jugement lors du contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125). L’évaluation de l’établissement effectuée par l’agent doit faire l’objet d’une retenue importante.

[28] L’agent a relevé la non-conformité comme étant un facteur dans l’évaluation des différents aspects de l’établissement des demandeurs et de l’établissement en général. Cependant, je ne suis pas convaincu que le traitement de la question par l’agent reflète une fixation déraisonnable sur le défaut de se conformer des demandeurs aux lois en matière d’immigration.

[29] Comme je le mentionne plus haut, les demandeurs contestent en particulier la prise en compte par l’agent du défaut de l’épouse du demandeur principal de se conformer aux lois en matière d’immigration pendant la période qu’elle a passée au Canada à l’adolescence il y a de nombreuses années. Lorsqu’un décideur se concentre sur une non‑conformité antérieure et ponctuelle à l’adolescence, cela peut très bien refléter une fixation déraisonnable. Cependant, ce n’est pas ce qui s’est passé en l’espèce. La non-conformité était non pas ponctuelle, mais continue, les demandeurs n’ayant pas prolongé leur visa après leur arrivée au pays en 2014. Surtout, l’agent a indiqué que ses doutes avaient trait non pas au défaut des demandeurs de se conformer aux lois en matière d’immigration en tant que tel, mais plutôt à l’absence d’éléments de preuve expliquant la non‑conformité. Comme l’agent l’a mentionné, il incombait aux demandeurs de présenter des éléments de preuve à l’appui de leur demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Le défaut antérieur de se conformer aux lois en matière d’immigration est un facteur pertinent, et, par conséquent, il était raisonnable pour l’agent de s’attendre à des explications de la part des demandeurs.

[30] En ce qui concerne le défaut de l’agent d’examiner la raison pour laquelle les demandeurs ont quitté le Portugal au départ, je remarque qu’aucun élément de preuve n’a été présenté concernant la situation économique actuelle au Portugal. Lors d’un contrôle judiciaire, il ne peut être reproché à l’agent de ne pas avoir examiné une question qui serait pertinente par rapport à l’établissement ou aux difficultés lorsqu’aucun élément de preuve et aucune observation n’ont été présentés.

[31] L’agent n’a pas commis d’erreur dans son examen de l’établissement des demandeurs.

2) Intérêt supérieur de l’enfant

[32] En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de leur fils de six ans ayant reçu un diagnostic de TSA. Ils affirment que l’agent a plutôt adopté la norme des difficultés inhabituelles, injustifiées et démesurées ou des besoins fondamentaux.

[33] Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a réaffirmé que l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant suppose l’examen « de ce qui […], dans les circonstances, paraît le plus propice à la création d’un climat qui permettra le plus possible à l’enfant d’obtenir les soins et l’attention dont il a besoin » (au para 36, renvoyant à MacGyver v Richards (1995), 22 OR (3d) 481 (CA)). La Cour suprême a également confirmé que, même si l’intérêt supérieur de l’enfant ne l’emporte pas sur d’autres facteurs dans le contexte des considérations d’ordre humanitaire, il s’agit d’un élément important de l’évaluation de celles-ci, et une décision sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Kanthasamy, aux para 37–39). L’agent devait être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, ce qui suppose plus qu’une évaluation des besoins fondamentaux (Kanthasamy, au para 59, Kolosovs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165 aux para 9 et 12; Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 au para 64-65).

[34] L’agent a admis le diagnostic de TSA de l’enfant de six ans et a pris note de la preuve selon laquelle l’enfant participait à de nombreux programmes de thérapie qui se révélaient bénéfiques. Cependant, il a conclu que les services de thérapie virtuelle, qui avaient été poursuivis pendant la pandémie et avaient entraîné une certaine amélioration démontrée de l’état de l’enfant au cours de cette période, pourraient se poursuivre à distance depuis le Portugal. L’agent était également convaincu que des services et des programmes scolaires semblables à ceux du Canada étaient accessibles au Portugal.

[35] Cependant, comme en témoigne la jurisprudence à laquelle il est fait référence plus haut, l’agent ne pouvait se contenter d’évaluer l’accès à l’éducation, aux soins de santé et au soutien familial. Il était tenu d’examiner véritablement l’intérêt supérieur de l’enfant, en tenant compte de sa situation particulière.

[36] L’agent disposait d’éléments de preuve concernant la situation particulière de l’enfant. Il avait devant lui le rapport des services psychologiques d’avril 2021. Ce rapport décrivait la capacité d’adaptation de l’enfant comme étant beaucoup plus faible que celle qui était attendue à son âge et précisait que l’apprentissage se ferait lentement et qu’un soutien intensif était nécessaire pour lui permettre d’améliorer son fonctionnement quotidien et ses compétences sociales. Le diagnostic de TSA du pédiatre souligne des lacunes dans ses communications et interactions sociales. Ces besoins particuliers concordent en retour avec le point de vue exprimé par Surrey Place, qui affirme [traduction] « à quel point il est important pour [l’enfant] de poursuivre sa thérapie et son éducation spécialisée ici, en Ontario […] la perturbation de ces programmes pourrait avoir une incidence sur sa capacité de réaliser son potentiel ». Surrey Place fournit des services cliniques spécialisés aux personnes ayant un TSA et traite l’enfant depuis 2017.

[37] Ces éléments de preuve portent directement sur la situation de l’enfant et sur l’incidence possible d’un déménagement au Portugal, mais il n’en est fait aucune mention dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant effectuée par l’agent. Il n’est pas manifeste que l’intérêt de l’enfant a été suffisamment pris en considération, et, pour cette raison, la décision relative aux considérations d’ordre humanitaire de l’agent est déraisonnable.

VI. Conclusion

[38] La demande est accueillie. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-8051-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision de l’agent datée du 29 octobre 2021 est annulée.

  2. La demande de résidence permanente des demandeurs, fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, est renvoyée à un décideur différent pour nouvelle décision.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Patrick Gleeson »

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8051-21

 

INTITULÉ :

RAFAEL SOUSA ABREU NIDIA SOFIA SOUSA ANDRADE ABREU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AVRIL 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Anna Davtyan

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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