Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230726


Dossier : T-1621-21

Référence : 2023 FC 1019

Toronto (Ontario), le 26 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

SAMUEL D. VERREAULT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente demande vise le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 23 septembre 2021 [Décision] par la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada [Tribunal] concernant le rejet d’une demande logée par M. Samuel D. Verreault en vue d’obtenir la prorogation du délai pour présenter une demande de permission d’en appeler. La Division d’appel du Tribunal a déterminé que la demande devait être rejetée puisque le retard était excessif et que M. Verreault n’avait pas présenté de circonstances spéciales pour expliquer son retard. Le Tribunal a également déterminé que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[2] M. Verreault prétend que la Décision ne respecte pas les normes d’équité procédurale, puisqu’elle violerait la règle audi alteram partem et qu’elle serait arbitraire.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Verreault sera rejetée. Après avoir examiné les motifs du Tribunal, la preuve au dossier et le droit applicable, je suis d’avis que le processus suivi par le Tribunal respecte les règles d’équité procédurale applicables en l’espèce. Il n’y a aucune raison qui justifie l’intervention de la Cour.

II. Contexte

A. Les faits

[4] M. Verreault exerçait le métier de charpentier menuisier pour l’entreprise Construction PLV inc. [Construction PLV], une entreprise dont il était aussi actionnaire. En marge de ce travail, M. Verreault a déposé des demandes de prestations d’assurance-emploi qui couvraient diverses périodes, lesquelles débutaient respectivement le 22 novembre 2015, le 20 novembre 2016, le 10 décembre 2017 et le 9 décembre 2018.

[5] Le 4 janvier 2019, les Services d’intégrité de Service Canada [Service Canada] communiquent par écrit avec M. Verreault au sujet de divergences d’information observées entre l’information fournie par M. Verreault et celle fournie par son employeur, Construction PLV, concernant la rémunération gagnée pour les semaines du 3 au 9 janvier 2016, du 19 au 25 mars 2017, du 26 mars au 1er avril 2017, et du 6 au 12 mai 2018.

[6] Le 31 janvier et le 17 juin 2019, Service Canada communique respectivement avec M. Verreault et Construction PLV concernant la demande d’information envoyée précédemment. Au terme de cette enquête, Service Canada apprend que l’employeur paie les factures de téléphone cellulaire de M. Verreault et lui fournit un véhicule pour lequel les assurances, le coût du véhicule et l’essence sont également payés par l’employeur de façon continue.

[7] Le 12 février 2020, Service Canada conclut que les avantages reçus par M. Verreault de son employeur, et ce, tout au long de l’année, représentent une forme de rémunération. Conséquemment, Service Canada détermine que M. Verreault n’a pas subi un arrêt de rémunération d’au moins sept jours consécutifs, et n’a donc pas droit aux prestations d’assurance-emploi qu’il avait reçues.

[8] Le 16 octobre 2020, suite à la demande de réexamen de M. Verreault, Service Canada déclare maintenir sa décision du 12 février 2020.

B. L’historique procédural

[9] Le 11 novembre 2020, M. Verreault dépose plusieurs demandes d’appel devant la Division générale du Tribunal. Ces demandes sont jointes en un seul appel le 26 novembre 2020.

[10] Le 12 décembre 2020, la Division générale du Tribunal rejette l’appel et conclut que M. Verreault a omis de déclarer une partie de sa rémunération reçue sous forme d’avantages. En effet, selon la Division générale du Tribunal, M. Verreault n’a pas subi d’arrêt de rémunération d’au moins sept jours consécutifs parce qu’il bénéficiait d’un véhicule et d’un cellulaire payé par son employeur. La Division générale du Tribunal conclut alors que les prestations d’assurance-emploi reçues pour les périodes commençant le 20 décembre 2016, le 10 décembre 2017 et le 9 décembre 2018 devaient être annulées et remboursées.

[11] Le 8 janvier 2021, M. Verreault fait appel de cette décision auprès de la Division d’appel du Tribunal.

[12] Le 25 mars 2021, la Division d’appel du Tribunal accueille l’appel et annule la décision de la Division générale. La Division d’appel du Tribunal détermine que le manque de diligence de l’avocat de M. Verreault l’a privé de son droit d’être entendu, entraînant donc un manquement aux principes de justice naturelle. La Division d’appel juge que ce manquement exige que la Division générale procède à un nouvel examen de la demande de M. Verreault.

[13] Suite à ce renvoi, le 2 juin 2021, la Division générale du Tribunal réexamine le dossier et rejette à nouveau l’appel de M. Verreault pour des motifs semblables à ceux donnés dans sa décision du 12 décembre 2020.

[14] Le 14 septembre 2021, plus de trois mois après la deuxième décision de la Division générale, M. Verreault dépose une demande de prorogation de délai auprès de la Division d’appel du Tribunal afin de présenter une demande de permission d’en appeler de la décision du 2 juin 2021. M. Verreault avait alors plus de deux mois de retard pour le dépôt de sa demande, puisque le délai habituel pour présenter une demande de permission d’en appeler est de 30 jours à compter de la date où le demandeur reçoit la décision (alinéa 57(1)a) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [LMEDS]).

C. La Décision de la Division d’appel du Tribunal

[15] Le 23 septembre 2021, la Division d’appel du Tribunal refuse la demande de prorogation de délai pour présenter une demande de permission d’en appeler.

[16] La Division d’appel du Tribunal détermine que le délai de trois mois et demi qui s’est écoulé avant que M. Verreault ne dépose sa demande de permission d’en appeler est excessif. M. Verreault aurait alors expliqué que sa demande n’a pas pu être déposée avant, puisque le bureau de son avocat était fermé pour la période estivale, soit du 27 juillet au 26 août. Lors de ses représentations devant la Cour, l’avocat de M. Verreault a d’ailleurs longuement insisté pour dire qu’il s’agissait d’une erreur des avocats, et non de M. Verreault. La Division d’appel du Tribunal juge cependant que, puisque la décision de la Division générale avait été communiquée à M. Verreault et à son avocat le 3 juin 2021, soit près de deux mois avant la fermeture du bureau de l’avocat pour la période estivale, M. Verreault avait disposé de suffisamment de temps pour déposer son appel tout en respectant les délais.

[17] Ensuite, ayant procédé à l’analyse de la décision de la Division générale, la Division d’appel du Tribunal conclut que, même si le délai n’était pas excessif ou qu’il y avait bel et bien une circonstance exceptionnelle justifiant le délai, la demande de permission d’en appeler serait tout de même rejetée, puisque M. Verreault n’a identifié aucune erreur révisable qui permettrait à l’appel d’avoir quelque chance raisonnable de succès. La Division d’appel du Tribunal juge que la Division générale était en droit de conclure que les déclarations initiales de M. Verreault et de sa mère, qui était administratrice de l’entreprise Construction PLV à l’époque, au sujet des avantages reçus étaient plus convaincantes que le témoignage contradictoire de M. Verreault lors de l’audience. La Division d’appel du Tribunal rappelle d’ailleurs son rôle limité en vertu du paragraphe 58(1) de la LMEDS.

D. Dispositions législatives pertinentes

[18] Les dispositions législatives pertinentes se lisent comme suit.

(1) Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34

Moyens d’appel — section de l’assurance-emploi

Grounds of appeal — Employment Insurance Section

58 (1) Les seuls moyens d’appel d’une décision rendue par la section de l’assurance-emploi sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal of a decision made by the Employment Insurance Section are that the Section

a) la section n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Critère

Criteria

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

(2) Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332

Arrêt de rémunération

Interruption of Earnings

14 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), un arrêt de rémunération se produit lorsque, après une période d’emploi, l’assuré est licencié ou cesse d’être au service de son employeur et se trouve à ne pas travailler pour cet employeur durant une période d’au moins sept jours consécutifs à l’égard de laquelle aucune rémunération provenant de cet emploi, autre que celle visée au paragraphe 36(13), ne lui est payable ni attribuée.

14 (1) Subject to subsections (2) to (7), an interruption of earnings occurs where, following a period of employment with an employer, an insured person is laid off or separated from that employment and has a period of seven or more consecutive days during which no work is performed for that employer and in respect of which no earnings that arise from that employment, other than earnings described in subsection 36(13), are payable or allocated.

[…]

Détermination de la rémunération aux fins du bénéfice des prestations

Determination of Earnings for Benefit Purposes

35 (2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la rémunération qu’il faut prendre en compte pour vérifier s’il y a eu l’arrêt de rémunération visé à l’article 14 et fixer le montant à déduire des prestations à payer en vertu de l’article 19, des paragraphes 21(3), 22(5), 152.03(3) ou 152.04(4), ou de l’article 152.18 de la Loi, ainsi que pour l’application des articles 45 et 46 de la Loi, est le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi, notamment :

35 (2) Subject to the other provisions of this section, the earnings to be taken into account for the purpose of determining whether an interruption of earnings under section 14 has occurred and the amount to be deducted from benefits payable under section 19, subsection 21(3), 22(5), 152.03(3) or 152.04(4) or section 152.18 of the Act, and to be taken into account for the purposes of sections 45 and 46 of the Act, are the entire income of a claimant arising out of any employment, including

[…]

(10) Pour l’application du paragraphe (2), revenu vise notamment :

(10) For the purposes of subsection (2), income includes

[…]

d) dans tous les cas, la valeur de la pension, du logement et des autres avantages accordés au prestataire à l’égard de son emploi par son employeur ou au nom de celui-ci.

(d) in the case of any claimant, the value of board, living quarters and other benefits received by the claimant from or on behalf of the claimant’s employer in respect of the claimant’s employment.

E. La norme de contrôle

[19] Le Procureur général du Canada [PGC] soumet que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à la Décision. Or, dans le présent cas, M. Verreault allègue que la Division d’appel du Tribunal a manqué à ses obligations d’équité procédurale.

[20] En ce qui a trait aux questions d’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a conclu à plusieurs reprises que l’équité procédurale ne requiert pas l’application des normes de contrôle judiciaire usuelles (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24–25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CCP] au para 54). C’est plutôt une question juridique qui doit être évaluée en fonction des circonstances afin de déterminer si la procédure suivie par le décideur a respecté ou non les normes d’équité et de justice naturelle (CCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51–54). Un demandeur a notamment le droit de connaître la preuve à réfuter et de disposer d’une possibilité complète et équitable d’y répondre.

III. Analyse

A. Le contexte du contrôle judiciaire

[21] D’entrée de jeu, il convient de noter que M. Verreault a soumis un mémoire des faits et du droit plutôt laconique à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Ses représentations ne s’étendent que sur quatre phrases succinctes, qui se lisent comment suit :

  1. Le 11 novembre 2020, un appel devant la division générale a été logé par le demandeur;

  2. Le 19 décembre 2020, le demandeur reçoit une décision relativement à cet appel;

  3. Le tout, sans aucun avis d'audition ni possibilité pour le demandeur de se faire entendre;

  4. La décision a été rendu[e] en violation à la règle la plus fondamentale d’équité procédurale audi alteram partem et est arbitraire.

[22] En plus d’être laconique, le mémoire de M. Verreault n’est pas clair.

[23] D’abord, les dates mentionnées réfèrent à la décision initiale de la Division générale du Tribunal. Or, ce n’est pas là la Décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. La Cour ne peut donc pas réviser cette décision. D’autant plus que la Division d’appel du Tribunal a déjà traité du problème d’équité procédurale que posait cette décision en ordonnant, le 25 mars 2021, le renvoi de l’affaire à la Division générale pour une nouvelle détermination.

[24] Ensuite, même si M. Verreault avait commis une erreur de date dans son mémoire et qu’il souhaitait bel et bien référer à la Décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, rien n’appuie sa prétention à l’effet que ses droits d’équité procédurale n’auraient pas été respectés parce qu’il n’aurait pas reçu d’avis d’audition ou bénéficié d’une possibilité « de se faire entendre ».

[25] L’équité procédurale ne requiert pas qu’un demandeur ait droit à une audience dans toutes les circonstances. Le degré d’équité procédurale à conférer et le respect de la règle audi alteram partem dépend des cinq facteurs identifiés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], à savoir : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et 5) les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même et la nature du respect dû à l’organisme (Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48 au para 5; Baker aux para 23–28; Laramée c Bénard, 2022 CF 1653 au para 28).

[26] En l’espèce, le choix de procédure de l’organisme milite en faveur de l’absence d’audience, excepté lorsque les circonstances le requièrent. La Division d’appel du Tribunal est habilitée à statuer sur dossier, c’est-à-dire uniquement sur les observations écrites et les documents produits au dossier (Robbins c Canada (Procureur général), 2017 CAF 24 [Robbins] au para 21). C’est d’ailleurs ce que prévoit l’article 43 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60 [Règlement sur le Tribunal] :

Décision ou avis d’audience

Decision or further hearing

43 Une fois que toutes les parties ont déposé l’avis selon lequel elles n’ont pas d’observations à déposer ou à l’expiration de la période prévue à l’article 42, selon le premier de ces événements à survenir, la division d’appel doit sans délai :

43 After every party has filed a notice that they have no submissions to file — or at the end of the period set out in section 42, whichever comes first — the Appeal Division must without delay

a) soit rendre sa décision;

(a) make a decision on the appeal; or

b) soit, si elle estime qu’elle doit entendre davantage les parties, leur faire parvenir un avis d’audience.

(b) if it determines that further hearing is required, send a notice of hearing to the parties.

[27] Depuis le 5 décembre 2022, le Règlement sur le Tribunal a été remplacé par le Règlement de 2022 sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2022-255, qui ne prévoit aucune disposition semblable. Cependant, comme la Décision a été rendue en septembre 2021, il convient de considérer la version du Règlement sur le Tribunal qui s’appliquait au moment où la Division d’appel du Tribunal a rendu la Décision.

[28] Dans Robbins, la Cour d’appel fédérale rappelle que la Division d’appel du Tribunal possède une certaine marge de manœuvre pour faire ce choix de nature procédurale, « dans une certaine mesure parce que ce choix est souvent fonction de son appréciation des questions en litige, de la preuve qui lui est présentée et des circonstances de l’espèce » (Robbins au para 21, citant Baker au para 27).

[29] D’ailleurs, malgré le fait que M. Verreault n’a pas eu l’opportunité de se faire entendre de vive voix, il a néanmoins eu l’occasion de soumettre ses arguments écrits sur sa demande de prorogation de délai, tel qu’en témoigne le formulaire d’appel rempli par son avocat et soumis le 14 septembre 2021 (Dossier du défendeur, Volume 2 aux pp 481–484). Ainsi, il n’y a aucune preuve claire et convaincante indiquant que la Division d’appel du Tribunal aurait manqué à ses obligations d’équité procédurale et à la règle d’audi alteram partem, contrairement à ce que suggère M. Verreault.

B. Le caractère raisonnable de la Décision

[30] Les soumissions écrites de M. Verreault n’abordent pas la question du caractère raisonnable de la Décision. Cependant, comme le PGC en traite longuement dans son mémoire des faits et du droit, et comme l’avocat de M. Verreault a aussi fait plusieurs remarques à cet égard lors de l’audience devant la Cour, il convient d’aborder cette question.

[31] Le caractère raisonnable d’une décision s’apprécie à la lumière des motifs donnés pour appuyer celle-ci, tout en tenant compte des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 84–86). Ces motifs permettent à la cour de révision de s’assurer que la décision est justifiée, intelligible et transparente (Vavilov aux para 95, 99). C’est à la partie qui conteste une décision que revient le rôle de démontrer son caractère déraisonnable. Une décision ne sera pas infirmée sur la base de simples erreurs superficielles ou accessoires. Elle doit plutôt comporter de graves lacunes, telles qu’un raisonnement intrinsèquement incohérent (Vavilov aux para 100–101).

[32] Le PGC soumet que le refus de la Division d’appel du Tribunal de proroger le délai est tout à fait raisonnable. Le PGC s’appuie sur le test de prorogation de délai décrit dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des Ressources Humaines) c Gattellaro, 2005 CF 883 [Gattellaro]. Selon Gattellaro, une demande de prorogation de délai nécessite que le tribunal observe les facteurs suivants :

  1. une intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;

  2. une cause défendable;

  3. un retard raisonnablement expliqué; et

  4. une prorogation qui ne cause pas préjudice à l’autre partie.

(Gattellaro au para 9.)

[33] Je m’arrête un instant pour souligner que le test applicable en vertu de Gattellaro a le même fondement que celui auquel la Cour d’appel fédérale réfère dans Thompson c Canada (Procureur général), 2018 CAF 212 [Thompson] au paragraphe 5 et Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 [Larkman] au paragraphe 61. En fait, autant dans Gattellaro que dans Larkman et Thompson, la Cour se fonde sur l’affaire Grewal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 CF 263 (CA) pour établir le test à appliquer en prorogation de délai. La seule différence réside dans le fait que, dans le test Thompson / Larkman, le deuxième facteur requiert plutôt que la demande ait un « certain fondement ». En pratique cependant, les facteurs « certain fondement » et « cause défendable » semblent être utilisés de manière interchangeable. Par exemple, dans Horton c Canada (Procureur général), 2020 CF 743, le décideur administratif avait cité l’affaire Larkman, tout en utilisant le critère de la « cause défendable ». Il convient cependant de noter que l’intérêt de la justice demeure la considération principale que la Cour doit évaluer. Ainsi, il n’est pas nécessaire que chacun des quatre facteurs soit rencontré (Thompson au para 6).

[34] Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la Division d’appel du Tribunal a justifié de manière raisonnable son refus de proroger le délai dans les circonstances et que l’intérêt de la justice ne justifiait pas une prorogation.

(1) Le refus d’accorder la demande de prorogation de délai

[35] En l’espèce, la Division d’appel du Tribunal a clairement expliqué les raisons de son refus de proroger le délai, soit le fait que M. Verreault n’a fait état d’aucun moyen qui rendait sa cause défendable et l’absence d’explication raisonnable pour son retard. La question déterminante devant la Division générale était celle de l’absence d’arrêt de rémunération, et la Division d’appel du Tribunal a déterminé que cette conclusion n’était pas erronée.

[36] De plus, la Division d’appel du Tribunal a jugé qu’il n’y avait aucune explication raisonnable quant au retard du dépôt de la demande de permission d’en appeler de la décision de la Division générale, puisque la fermeture du bureau de l’avocat de M. Verreault ne valait que pour une partie du délai. Or, M. Verreault et son avocat ont disposé de près de deux mois avant la fermeture du bureau pour déposer la demande d’appel. La Division d’appel du Tribunal a déterminé que M. Verreault n’avait pas démontré en quoi la fermeture du bureau de son avocat représentait une circonstance exceptionnelle dans les faits. Encore une fois, rien n’indique qu’une telle conclusion soit déraisonnable.

[37] Je souligne qu’aucune preuve ou affidavit n’a été soumis par M. Verreault au soutien de ses prétentions quant à une erreur commise par son avocat.

(2) L’absence de chance raisonnable de succès de l’appel

[38] En plus d’échouer le test quant à la prorogation de délai, la Division d’appel du Tribunal a conclu que, même en l’absence du retard, la demande de permission d’appel aurait été refusée sur la base que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès. L’exigence d’une « cause défendable » exige en effet du demandeur qu’il démontre une chance raisonnable de succès (Leblanc c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2010 CF 641 au para 24, citant Canada (Développement des Ressources Humaines) c Hogervorst, 2007 CAF 41 au para 37).

[39] En l’espèce, M. Verreault n’a fait état d’aucun moyen qui rendait sa cause défendable.

[40] Aux termes du paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel valides sont un manquement à un principe de justice naturelle, un excès ou un refus d’exercer la compétence, une erreur de droit, ou une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Le paragraphe 58(2) de la LMEDS spécifie que la Division d’appel du Tribunal doit rejeter la demande de permission d’en appeler « si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[41] Je suis d’accord avec le PGC que M. Verreault n’a soulevé aucune erreur susceptible de révision dans la décision de la Division générale. En effet, la preuve révèle que M. Verreault a utilisé un téléphone cellulaire et un véhicule payé par son employeur pendant qu’il réclamait des prestations d’assurance-emploi. Cependant, pour avoir droit à ces prestations, M. Verreault devait, entre autres, avoir subi un arrêt de rémunération pendant sept jours consécutifs (paragraphe 14(1) du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332). Or, le paragraphe 35(2) et l’alinéa 35(2)d) de ce même règlement prévoient que la rémunération comprend les avantages reçus de l’employeur. Il était donc tout à fait raisonnable pour la Division d’appel du Tribunal de conclure que M. Verreault n’a pas subi d’arrêt de rémunération pendant sept jours consécutifs en raison des avantages continus payés par son employeur, et donc qu’il n’avait pas droit aux prestations d’assurance-emploi reçues. Par conséquent, la Division d’appel du Tribunal pouvait raisonnablement conclure que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès, et que ce facteur militait contre l’octroi de la prorogation du délai pour déposer la demande de permission d’en appeler.

(3) L’erreur de l’avocat

[42] Lors de l’audience devant la Cour, l’avocat de M. Verreault a soulevé pour la première fois que le retard dans le dépôt de la demande relevait d’une erreur commise par son bureau. Ainsi, et conformément à l’affaire Heaslip c McDonald, 2017 QCCA 1273 [Heaslip], il ne serait pas équitable de tenir M. Verreault responsable de l’erreur de son avocat. Avec égards, je ne partage pas l’avis de M. Verreault sur ce point et je ne suis pas convaincu par ses arguments.

[43] Premièrement, l’affaire Heaslip de la Cour d’appel du Québec sur laquelle s’appuie M. Verreault s’inscrit dans un contexte fort différent, puisqu’elle porte sur l’impossibilité d’agir d’un justiciable en vertu de l’article 177 du Code de procédure civile, RLRQ, c C-25.01. Deuxièmement, même si les principes de cette affaire s’appliquaient au présent cas, rien n’indique comment M. Verreault aurait lui-même tenté d’agir avec diligence, alors qu’il s’agit d’une considération essentielle dans le cadre d’un tel examen : « [u]n demandeur ne peut valablement prétendre avoir été dans l’impossibilité d’agir si, de fait, il n’est pas diligent pour s’assurer du respect de la procédure judiciaire » (Heaslip au para 30). En effet, le dossier devant la Cour ne contient aucune preuve à ce sujet, ni même un affidavit de M. Verreault attestant d’une quelconque erreur commise par son avocat ou attestant de la diligence de son propre comportement face à une telle erreur. Enfin, il est reconnu que de manière générale, « un demandeur doit vivre avec les conséquences des gestes posés par son avocat », et que « [l]a barre est très haute en ce qui a trait aux circonstances et à la preuve requise pour que la Cour puisse accorder une réparation en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour cause de la négligence de l’avocat » (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 au para 66). Ainsi, cet argument de M. Verreault ne peut être retenu.

[44] L’avocat de M. Verreault s’est également appuyé sur l’article 60 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] à l’occasion de ses soumissions orales. Il a soutenu que le Tribunal aurait dû lui signaler les lacunes dans son formulaire de demande de prorogation de délai s’il était d’avis que son contenu était insuffisant. À son avis, il est logique que le Tribunal procède de la sorte, puisque même la Cour a une telle obligation envers les parties.

[45] L’argument de M. Verreault ne me convainc pas. Tout d’abord, les Règles ne s’appliquent qu’à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale (paragraphe 1.1(1) des Règles), et non au Tribunal. Ensuite, et à tout événement, « [l]a Règle 60 n’est […] pas un outil offert aux parties, mêmes celles qui ne sont pas représentées par avocat, pour obtenir de la Cour des conseils juridiques gratuits ou pour demander à la Cour d’effectuer le travail que les parties auraient elles-mêmes omis de faire » (Lessard-Gauvin c Canada (Procureur général), 2020 CF 730 au para 118, conf par 2021 CAF 94). Ce n’est pas le rôle des cours de donner des conseils juridiques ou tactiques aux plaideurs (SNC-Lavalin Group Inc c Canada (Service des poursuites pénales), 2019 CAF 108 au para 9).

IV. Conclusion

[46] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Verreault est rejetée, sans dépens.

 


JUGEMENT au dossier T-1621-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1621-21

INTITULÉ :

SAMUEL D. VERREAULT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

GASCON J.

DATE DES MOTIFS

LE 26 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Me Stéphane Harvey

POUR LE DEMANDEUR

Me Suzanne Bernard

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphane Harvey

Avocat

Québec (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général Canada

Gatineau (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.