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Date : 20230725


Dossier : T‑2106‑22

Référence : 2023 CF 1014

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SAEED RANA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Saeed Rana, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue de vive voix par le président indépendant (le PI) de l’Établissement de Kent (l’Établissement). Le 30 août 2022, au terme d’une audition disciplinaire, le PI a déclaré M. Rana coupable de possession d’objets interdits, une infraction prévue à l’alinéa 40i) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi), et l’a condamné à payer une amende de 45 $.

[2] M. Rana, détenu à l’Établissement, était le seul occupant de sa cellule au moment des faits. Les objets interdits, soit un téléphone cellulaire et deux câbles de recharge, étaient cachés dans sa cellule et ont été trouvés le 26 mai 2022 lors d’une fouille ordinaire approfondie. L’agente correctionnelle (l’agente) a porté l’accusation contre lui le 3 juin 2022.

I. Audition disciplinaire

[3] L’audition disciplinaire de M. Rana a eu lieu le 30 août 2022. Le PI a entendu le témoignage de l’agente et les observations du représentant de M. Rana, qui a refusé d’appeler ce dernier à témoigner.

[4] L’agente a mentionné les éléments suivants durant son témoignage :

  • -Lors d’une fouille ordinaire approfondie des cellules de l’unité Bravo, le 26 mai 2022, l’agente et son collègue ont remarqué que les vis de sûreté fixant les crochets anti‑pendaison dans la cellule de M. Rana semblaient avoir été manipulées. Les agents ont retiré les crochets à l’aide d’un tournevis conçu à cet effet et ont trouvé un petit téléphone cellulaire ainsi que deux chargeurs.

  • -L’agente ne se rappelait pas si les objets trouvés étaient couverts de débris ou de poussière ou bien s’ils étaient propres. Elle ne savait pas non plus depuis combien de temps les objets étaient cachés derrière le mur.

  • -L’agente a affirmé que M. Rana occupait la cellule depuis un bon moment : [traduction] « Je dirais depuis plus d’un an. »

  • -L’agente ne se rappelait pas si une fouille ordinaire approfondie de la cellule de M. Rana avait déjà eu lieu dans le passé, mais a mentionné que des fouilles ordinaires et des [traduction] « fouilles faisant suite à des renseignements reçus » avaient déjà été effectuées.

  • -La manipulation des vis de sûreté était évidente et a attiré l’attention des agents peu de temps après qu’ils sont entrés dans la cellule.

  • -Après avoir été interrogée à ce sujet par le PI, elle s’est rappelé que lors de fouilles précédentes, les agents avaient [traduction] « trouvé pas mal de choses dans la cellule de M. Rana ». L’agente avait participé à ces fouilles.

  • -Elle a affirmé que les agents de l’Établissement avaient remarqué à plusieurs reprises, au cours des six à douze mois précédents, que les détenus dissimulaient des objets derrière les crochets anti‑pendaison de leur cellule. L’agente avait elle‑même contribué à trouver [traduction] « possiblement entre six et douze téléphones et de grandes quantités de drogues » derrière ces crochets.

  • -L’agente a aussi précisé que M. Rana avait été trouvé en possession de téléphones cellulaires et de drogues dans le passé.

[5] Le représentant de M. Rana a demandé à l’agente si une inspection initiale de sa cellule avait eu lieu au moment où il s’y était installé et si les renseignements relatifs à l’inspection avaient été consignés, le cas échéant. L’agente n’a pas été en mesure de se prononcer sur la question.

[6] Le représentant a fait valoir que pour déclarer M. Rana coupable de l’infraction, l’Établissement devait prouver qu’il savait que le téléphone cellulaire et les chargeurs se trouvaient dans sa cellule et qu’il en avait le contrôle. Le représentant a soutenu qu’il n’était pas possible de prouver ces faits hors de tout doute, car 1) rien n’indiquait que M. Rana avait un outil lui permettant d’enlever les crochets pour dissimuler les objets, et 2) aucune fouille de sa cellule n’avait eu lieu avant qu’il ne s’y installe. Par conséquent, aucune preuve ne démontrait de façon évidente que les objets n’étaient pas déjà cachés dans la cellule avant que M. Rana ne l’occupe.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[7] Le PI a fourni deux principaux motifs pour justifier sa conclusion que M. Rana était coupable de l’infraction.

[8] La possession d’un outil qui lui aurait permis de retirer les crochets anti‑pendaison. Le PI a d’abord fait remarquer la présence de nombreux objets interdits dans l’Établissement et la fréquence des échanges entre détenus. Si M. Rana avait été confiné dans sa cellule pendant une longue période, le PI aurait envisagé de rejeter l’accusation en se fondant sur l’absence d’outil. Toutefois, puisque rien n’indiquait que M. Rana était resté dans sa cellule pendant une telle période, un outil spécial aurait pu être sorti de la cellule à tout moment.

[9] La question de savoir si M. Rana avait connaissance que les objets interdits se trouvaient dans sa cellule et s’il en avait la garde et le contrôle. Le PI a conclu que le témoignage de l’agente établissait sans équivoque que l’espace situé derrière les crochets anti‑pendaison était un endroit couramment utilisé pour dissimuler des objets. Le PI a également mentionné les réussites passées de l’agente à trouver des objets interdits. Il a ensuite conclu que le téléphone cellulaire et les chargeurs étaient dans la cellule de M. Rana et qu’il en avait la garde et le contrôle. Enfin, le PI a souligné les propos de l’agente sur la manipulation évidente des vis et l’absence de remplissage autour de celles‑ci, ce qui l’a immédiatement amenée à examiner les crochets anti‑pendaison et à trouver les objets interdits.

[10] Le PI était ainsi convaincu hors de tout doute raisonnable que M. Rana savait que les objets interdits se trouvaient derrière les crochets anti‑pendaison de sa cellule et qu’il en avait la garde et le contrôle. Après avoir examiné les condamnations antérieures de M. Rana, sa rémunération actuelle et sa date de libération, le PI l’a condamné à payer une amende de 45 $.

III. Admissibilité d’une partie de l’affidavit de M. Rana

[11] Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte du passage suivant (partie soulignée) de l’affidavit de M. Rana, car l’information n’était pas à la disposition du PI :

[traduction]

À l’audition, le président indépendant [le PI] s’est appuyé sur une allégation de possession d’objets interdits que l’Établissement de Kent avait formulée il y a environ deux ans. Je n’avais pas obtenu de copies de ces documents avant l’audition.

[12] En règle générale, lorsque la Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, elle ne tient pas compte des éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur, sous réserve de certaines exceptions (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19‑20). Même si je souscris à l’argument du défendeur, selon lequel je ne devrais pas tenir compte de l’information soulignée dans mon appréciation du caractère raisonnable de la décision, j’en tiendrai tout de même compte simplement parce qu’elle met en évidence un possible manquement à l’équité procédurale dans le cadre de la procédure disciplinaire.

IV. Analyse

A. M. Rana a‑t‑il été privé de son droit à l’équité procédurale?

[13] M. Rana soutient qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale lors du processus de communication de renseignements et de l’audition disciplinaire. Selon lui, il était inéquitable que le PI admette le témoignage de l’agente concernant des allégations passées de possession d’objets interdits et qu’il s’appuie sur celui‑ci dans sa décision. M. Rana renvoie au paragraphe 27(1) de la Loi selon lequel un PI est tenu de communiquer au délinquant, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle‑ci. Comme les renseignements concernant les allégations passées ne lui ont pas été communiqués avant l’audition, il soutient que le PI l’a privé de son droit à l’équité procédurale.

[14] Lorsqu’elle se penche sur des questions d’équité procédurale, une cour de révision doit se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 (Chemin de fer Canadien Pacifique)). En l’espèce, la question fondamentale pour la Cour demeure celle de savoir si M. Rana connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 56).

[15] L’argument invoqué par M. Rana concernant l’équité procédurale n’est pas convaincant pour deux raisons. D’abord, M. Rana était représenté par un défenseur de Prisoners’ Legal Services, un projet de la West Coast Prison Justice Society. À l’audition, le représentant n’a soulevé aucune objection relativement au témoignage de l’agente ni à la mention des antécédents de M. Rana au sein de l’Établissement. Je souscris à l’argument du défendeur : le fait que la question du manquement à l’équité procédurale n’ait pas été soulevée dès la première occasion mine l’allégation de M. Rana dans la présente instance (Bulatci c Canada (Procureur général), 2019 CF 1647 au para 19 (Bulatci), qui cite Bouchard c Canada (Procureur général), 2018 CF 512 au para 11).

[16] Ensuite, l’affirmation de M. Rana selon laquelle le PI s’est appuyé sur le témoignage de l’agente concernant les objets interdits trouvés dans sa cellule lors de fouilles précédentes relève d’une mauvaise interprétation de la décision. Le PI n’a fait aucune référence à cette partie du témoignage de l’agente lorsqu’il a déclaré M. Rana coupable de possession d’objets interdits. D’ailleurs, l’affirmation de M. Rana portant que la mention, par le PI, des réussites précédentes de l’agente pourrait être interprétée comme une référence aux objets interdits trouvés dans sa cellule est hypothétique. Je suis d’avis que le PI a seulement fait référence aux antécédents de M. Rana au sein de l’Établissement dans la partie de la décision portant sur la peine à infliger; ce faisant, il n’a pas agi de manière inéquitable. Le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS 92‑520 prévoit à l’alinéa 34c) que le PI, pour déterminer la peine, doit tenir compte de « toutes les circonstances, atténuantes ou aggravantes, qui sont pertinentes, y compris la conduite du détenu au pénitencier ».

[17] La procédure disciplinaire est souple en ce qui a trait à la présentation de la preuve. Le PI doit trouver l’équilibre entre 1) « la rapidité et l’efficacité » de la procédure disciplinaire, qui assurent « le maintien de l’ordre et de la discipline » dans le système correctionnel, et 2) l’obligation qu’il a d’agir équitablement dans la conduite des procédures et de respecter les exigences législatives et réglementaires (Perron c Canada (Procureur général), 2020 CF 741 aux para 57‑58). En l’espèce, M. Rana connaissait la preuve à réfuter et a eu une possibilité complète et équitable d’y répondre à l’audition (Nome c Canada (Procureur général), 2021 CF 1264 au para 57). M. Rana n’a pas établi qu’il avait été privé de son droit à l’équité procédurale.

B. La décision du PI est‑elle raisonnable?

[18] La norme de contrôle applicable à une décision par laquelle un PI déclare un détenu coupable d’une infraction disciplinaire est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10 et 25 (Vavilov); Bibeau c Canada (Procureur général), 2022 CF 1748 au para 3 (Bibeau)). Il incombe à M. Rana d’établir le caractère déraisonnable de la décision du PI. Pour y parvenir, il doit démontrer que la décision souffre d’une ou de plusieurs lacunes graves de sorte qu’elle n’est pas rationnelle, logique et justifiée au regard du droit et des faits pertinents (Vavilov, aux para 102 et 105).

[19] Le cadre législatif et jurisprudentiel applicable à la décision par laquelle le PI a déclaré M. Rana coupable de l’infraction disciplinaire prévue à l’alinéa 40i) de la Loi est bien établi. Selon le paragraphe 43(3) de la Loi, le PI doit être convaincu hors de tout doute raisonnable, « sur la foi de la preuve présentée », que M. Rana savait que le téléphone cellulaire et les chargeurs se trouvaient derrière les crochets anti‑pendaison de sa cellule et qu’il pouvait les contrôler (Bulatci, au para 21, qui cite Williams c Canada (Procureur général), 2006 CF 153 au para 10). Il incombe à l’Établissement de prouver la culpabilité de M. Rana hors de tout doute raisonnable (Cliff c Canada (Procureur général), 2022 CF 930 au para 7 (Cliff)).

[20] La connaissance peut être établie par inférence à partir du contexte factuel étant donné qu’il est rare qu’une admission soit faite à ce sujet, mais le PI doit néanmoins être convaincu que la preuve lui permet d’inférer que M. Rana connaissait l’existence des objets interdits (Bibeau, aux para 9 et 16). En outre, il doit s’agir de la seule conclusion raisonnable que l’on puisse tirer de la preuve (Bulatci, aux para 24‑25).

[21] M. Rana fait valoir que le PI a commis une erreur en le déclarant coupable, puisque la culpabilité n’était pas la seule conclusion raisonnable qu’il était possible de tirer de la preuve et que rien ne démontrait qu’il connaissait l’existence des objets interdits. Il soutient que le PI 1) lui a indûment imposé le fardeau de réfuter l’accusation, plus précisément de démontrer qu’il ne pouvait pas avoir eu en sa possession un outil permettant de retirer les crochets anti‑pendaison, et 2) s’est appuyé de manière déraisonnable sur le témoignage anecdotique de l’agente selon lequel d’autres détenus retiraient ces crochets pour cacher des objets interdits. M. Rana souligne qu’aucun élément de preuve ne permettait au PI de savoir à quelle date avait eu lieu la dernière fouille approfondie de sa cellule ni si une telle fouille avait été menée avant qu’il ne l’occupe.

[22] Comme je l’ai mentionné précédemment, le PI a d’abord écarté l’argument de M. Rana selon lequel rien n’indiquait qu’il était en possession d’un outil, comme un tournevis spécial, qui lui aurait permis de retirer le téléphone cellulaire et les chargeurs se trouvant derrière les crochets anti‑pendaison [traduction] « parce que cet outil aurait pu être sorti de la cellule à tout moment, sauf si le détenu avait été confiné dans celle‑ci pendant une longue période avant la fouille. Aucun élément de preuve n’étaye cette hypothèse ».

[23] Le PI s’est ensuite penché sur la question de savoir si M. Rana connaissait l’existence des objets interdits et s’il en avait la garde et le contrôle :

[traduction]

[...] Je conclus que le témoignage de l’agente établit sans équivoque que c’est un endroit couramment utilisé pour dissimuler des objets : elle vient tout juste de décrire en détail la façon dont ces objets étaient placés dans la cellule ainsi que ses expériences précédentes lors desquelles elle a trouvé de tels objets, qu’il s’agisse de drogues ou d’objets interdits, comme des téléphones cellulaires et des chargeurs. Elle a un taux de réussite assez élevé; je crois qu’elle a mentionné avoir trouvé un peu plus d’une douzaine de téléphones cellulaires.

Je conclus que le témoignage de l’agente est sans équivoque. Je conclus que, sur le plan du droit, M. Rana avait la garde et le contrôle de [ces objets]. Il[s] étai[en]t dans sa cellule. M. Rana était la dernière personne à en avoir le contrôle. [...] La fouille [...] en question était une fouille approfondie. C’est ce qu’ils cherchent à trouver, donc ils examinent des éléments précis, comme les crochets anti‑pendaison [...]

En constatant que les vis semblaient avoir été manipulées et qu’il n’y avait pas de remplissage autour de celles‑ci, elle a immédiatement examiné les crochets et les a retirés.

[24] Le défendeur soutient que la décision rendue par le PI est raisonnable, puisque ce dernier a compris et apprécié le témoignage de l’agente, et que [traduction] « l’importance de la preuve exigeait une réponse » de M. Rana. Dans ses observations écrites comme à l’audience, le défendeur a résumé le témoignage de l’agente et a affirmé que la preuve circonstancielle présentée au PI ne menait qu’à une seule conclusion raisonnable, soit celle de la culpabilité de M. Rana.

[25] Le problème que posent les observations du défendeur et l’importance que celui‑ci accorde au témoignage de l’agente est qu’elles ne reflètent pas le fond de la décision du PI.

[26] Dans sa décision, le PI ne résume pas le témoignage de l’agente. Il ne mentionne pas le fait que M. Rana était le seul occupant de la cellule depuis un bon moment, que d’autres fouilles de la cellule avaient probablement eu lieu durant son séjour, ni que c’était la première fois qu’un agent remarquait que les vis avaient été manipulées. Le PI ne mentionne pas non plus que la manipulation des vis était évidente selon l’agente.

[27] Le PI n’explique pas pourquoi la culpabilité de M. Rana est la seule conclusion qu’il est possible de tirer de la preuve. Il ne fait pas mention de l’incidence, s’il y en a une, du défaut de l’Établissement de démontrer qu’une fouille de la cellule de M. Rana a été menée au moment où il en est devenu le seul occupant ou immédiatement avant. Par conséquent, rien ne permet de savoir dans quel état était la cellule à ce moment ni si les objets interdits auraient pu y être cachés par un ancien occupant. Peut‑être qu’aucun objet interdit n’aurait été trouvé lors de ces fouilles préalables, mais le témoignage de l’agente n’est pas concluant et le PI n’a pas traité de l’argument invoqué par le représentant de M. Rana à ce sujet. Il mentionne seulement que le téléphone cellulaire et les chargeurs se trouvaient dans la cellule de M. Rana et que celui‑ci était la dernière personne à en avoir le contrôle. Même si le défendeur avance le contraire, M. Rana n’était pas tenu de témoigner pour sa défense.

[28] Il semble que le PI se soit appuyé en partie sur les réussites passées de l’agente à trouver des objets interdits, mais ces réussites qui se sont produites lors d’autres fouilles n’ont aucune pertinence en l’espèce. Ce n’est pas parce que le PI a qualifié le témoignage de l’agente de « sans équivoque » que les faits qui sous‑tendent la seule conclusion raisonnable qu’il était possible de tirer, à savoir que M. Rana savait que le téléphone cellulaire et les chargeurs étaient cachés derrière les crochets anti‑pendaison et qu’il avait la garde et le contrôle de ces objets, sont établis.

[29] Pour résumer, je conclus que la décision du PI n’est pas une décision raisonnable eu égard au cadre d’analyse établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. La décision n’est constituée que de conclusions, à l’exception de la référence à la manipulation apparente des vis et à l’absence de remplissage autour des crochets. Le PI n’explique pas la preuve ni le raisonnement qui l’ont amené à conclure que M. Rana avait la garde et le contrôle des objets interdits et qu’il savait qu’ils se trouvaient derrière les crochets anti‑pendaison de sa cellule (Cliff, au para 17). M. Rana ne peut faire que des hypothèses sur les éléments du témoignage de l’agente qui ont conduit à sa condamnation. Même si le défendeur décrit les éléments de preuve qui, selon lui, auraient permis de raisonnablement conclure à la culpabilité de M. Rana, le PI, lui, ne l’a pas fait. Il n’appartient pas à la Cour de compléter les motifs formulés par le PI pour justifier sa décision (Sharif c Canada (Procureur général), 2018 CAF 205 aux para 24 et 27).

V. Conclusion

[30] Pour les motifs exposés précédemment, je conclus que la décision du PI est déraisonnable. Par conséquent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire de M. Rana et annulerai la décision rendue de vive voix par le PI le 30 août 2022. L’affaire sera renvoyée à l’Établissement afin qu’une nouvelle décision soit rendue, à partir du dossier tel qu’il est constitué, quant à la culpabilité hors de tout doute raisonnable de M. Rana.

[31] J’adjugerai les dépens à M. Rana puisqu’il a obtenu gain de cause. À l’audience, M. Rana a réclamé des dépens de 1 000 $ et le défendeur a mentionné ne pas s’y opposer. Je suis d’avis que la somme réclamée est raisonnable et je condamnerai le défendeur à verser la somme de 1 000 $ à M. Rana au titre des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑2106‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision rendue par le président indépendant de l’Établissement de Kent est annulée et l’affaire est renvoyée à l’Établissement afin qu’une nouvelle décision soit rendue à partir du dossier tel qu’il est constitué.

  3. Le défendeur est condamné à verser la somme de 1 000 $ à M. Rana au titre des dépens.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2106‑22

 

INTITULÉ :

SAEED RANA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUILLET 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Melanie Begalka

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kathleen Pinno

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pender Litigation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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