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Date : 20230504


Dossier : IMM-5451-23

Référence : 2023 CF 631

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Saint-Sauveur (Québec), le 4 mai 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

ABDULLAH FAYYAZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] M. Fayyaz demande qu’il soit sursis à l’exécution de son renvoi au Pakistan prévu le 7 mai 2023. Je rejette sa requête au motif qu’il n’a pas démontré l’existence d’une question sérieuse relativement au rejet de sa demande d’asile ou de sa requête visant à reporter son renvoi.

I. Le contexte

[2] M. Fayyaz est citoyen du Pakistan. Il est venu au Canada en novembre 2021 et a demandé l’asile. Il déclare avoir été victime de persécution en raison de son appartenance à la communauté LGBTQ+.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté la demande d’asile de M. Fayyaz en janvier 2023. Au préalable, la SPR a avisé M. Fayyaz qu’elle avait relevé des similitudes frappantes entre l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] et celui d’un autre demandeur, et lui a demandé de fournir des explications à ce sujet.

[4] M. Fayyaz a nié tout acte répréhensible et a déclaré avoir relaté la totalité des faits à un interprète qui a ensuite rédigé l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA. Il a aussi présenté un affidavit de l’interprète confirmant cette version des faits.

[5] La SPR a rejeté la demande de M. Fayyaz. Elle a fondé son analyse sur la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR dans l’affaire X (Re), 2018 CanLII 101516 [Re X]. Elle a conclu que la présomption de véracité avait été réfutée par les similitudes frappantes entre l’exposé circonstancié de M. Fayyaz et celui de l’autre demandeur. Elle a relevé 32 paragraphes tirés de ces exposés qui sont [traduction] « identiques ou remarquablement similaires », et a présenté des exemples. Elle a aussi examiné le témoignage de M. Fayyaz et a conclu qu’il n’a pas fourni d’explication adéquate pour justifier les similitudes entre les deux demandes, notamment compte tenu du fait que l’autre demande était antérieure à la sienne. De plus, la SPR a tenu compte de la preuve documentaire présentée par M. Fayyaz, mais elle a conclu que celle-ci pouvait être écartée en raison de ses doutes quant à l’authenticité de la demande. Finalement, la SPR a conclu que la demande de M. Fayyaz était manifestement infondée au titre de l’article 107.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[6] M. Fayyaz a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SPR. La demande n’a pas encore été mise en état.

[7] Lorsque la SPR conclut qu’une demande est manifestement infondée au titre de l’article 107.1, il n’y a pas d’appel devant la SAR ni de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en application de l’article 231 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 : voir, par exemple, Adeshina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 1559 au paragraphe 30. Par conséquent, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a entrepris les préparatifs en vue du renvoi de M. Fayyaz du Canada.

[8] Le 19 mars 2023, M. Fayyaz a été convoqué à une entrevue, fixée au 4 avril 2023, avec un agent de l’ASFC. Le 13 avril 2023, à l’occasion d’une entrevue ultérieure, il a été sommé de se présenter en vue de son renvoi le 7 mai 2023.

[9] Le 12 avril 2023, M. Fayyaz a demandé le report de son renvoi. Il a fait valoir que la décision de la SPR était susceptible d’être renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen, et qu’il risquait d’être persécuté à son retour au Pakistan.

[10] Le 27 avril 2023, un agent de l’ASFC a rejeté la demande de M. Fayyaz. Il a fait remarquer que le simple fait que M. Fayyaz sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SPR n’entraîne pas automatiquement le sursis de l’ordonnance de renvoi et que la preuve n’était pas suffisante pour justifier un report pour ce motif. L’agent a aussi signalé qu’un report pourrait s’avérer justifié dans le cas où une nouvelle preuve jetterait un doute sur l’évaluation du risque par la SPR, mais que M. Fayyaz n’avait pas présenté une telle preuve.

[11] M. Fayyaz a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre du rejet de sa demande de report. Il a aussi présenté une requête visant à surseoir à l’exécution de son renvoi.

II. Analyse

[12] Les requêtes en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi sont tranchées selon un critère bien connu, soit le critère à trois volets relatif aux injonctions interlocutoires : RJR – Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR] et R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 RCS 196. La Cour doit décider si : 1) le demandeur a démontré que la demande sous-jacente soulevait une question sérieuse; 2) le demandeur subirait un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé; 3) la prépondérance des inconvénients milite en faveur du demandeur.

[13] Dans l’arrêt RJR, la Cour suprême du Canada a conclu qu’en ce qui a trait au volet du critère relatif à l’existence d’une question sérieuse, l’exigence est minimale; elle est satisfaite dès lors que la question soulevée n’est pas futile (à la p 337). Toutefois, si la demande sous‑jacente concerne un refus de reporter le renvoi, la requête en sursis vise à obtenir la même réparation que la demande sous‑jacente et constitue souvent la décision définitive en la matière. Dans ces circonstances, le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR est appliqué avec davantage de rigueur; le demandeur doit « faire valoir des arguments assez solides » et pas seulement établir l’existence d’une « question sérieuse » : RJR, aux p 338–339; Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 aux paragraphes 66–67, [2010] 2 RCF 311; Ledshumanan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 1463 aux paragraphes 19–22 [Ledshumanan]. De plus, comme la procédure sous‑jacente est une demande de contrôle judiciaire, la solidité des arguments doit être appréciée au regard du fait que le demandeur doit démontrer que la décision contestée est déraisonnable. On peut consulter la décision Gill c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1075 [Gill], pour une analyse des motifs qui justifient habituellement le report d’un renvoi.

[14] La présente requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi a été présentée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable relative au report. Par conséquent, le seuil plus rigoureux relatif aux « arguments assez solides » s’applique. Le critère aurait été différent si le demandeur avait présenté sa requête dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Cependant, puisque je conclus que le demandeur ne satisfait à aucun de ces critères, cela ne change rien en pratique.

[15] La décision de la SPR ne soulève tout simplement pas de question sérieuse. La présente affaire constitue un cas flagrant de plagiat et le demandeur n’a pas été en mesure de fournir une explication valable à cet égard. En particulier, la SPR avait le droit de s’appuyer sur le fait que le formulaire FDA de l’autre demandeur était antérieur à celui de M. Fayyaz. Le fait que certaines portions du formulaire FDA de M. Fayyaz n’ont pas été plagiées n’enlève rien à la conclusion de la SPR. Elle a mené son enquête conformément à la décision de principe rendue par la SAR dans l’affaire Re X. Puisque la SPR avait conclu que le récit de M. Fayyaz était faux, elle n’était pas tenue d’examiner la preuve relative à la situation dans le pays de renvoi ni les autres documents déposés en preuve.

[16] Dans ces circonstances, la conclusion subséquente de la SPR selon laquelle la demande de M. Fayyaz était manifestement infondée ne soulève aucune question sérieuse.

[17] La décision par laquelle l’agent de l’ASFC a refusé de reporter le renvoi de M. Fayyaz ne soulève aucune question. L’agent avait le droit de se fonder sur la décision de la SPR puisqu’elle ne soulève aucune question sérieuse : Ledshumanan, au paragraphe 62. En outre, M. Fayyaz n’a présenté aucune preuve au sujet d’un nouveau risque, survenu après que la SPR eut rendu sa décision, qui pourrait justifier un report de son renvoi. Par conséquent, l’agent ne disposait d’aucun motif pour accueillir la demande de report de M. Fayyaz.

[18] Je reconnais que M. Fayyaz a déposé une preuve objective concernant la situation de la communauté LGBTQ+ au Pakistan. Cependant, comme la SPR a conclu que son récit était inventé, il reste peu d’éléments de preuve permettant d’établir un lien entre M. Fayyaz et les risques décrits dans la preuve objective.

[19] À l’audience, M. Fayyaz a fait valoir qu’il est le principal soutien financier des membres de sa famille, qui sont récemment venus au Canada pour y demander l’asile, et que son renvoi leur serait hautement préjudiciable. Cet argument n’a pas été soulevé dans la demande de report du renvoi. M. Fayyaz ne peut pas maintenant soutenir que la décision est déraisonnable parce qu’elle n’aborde pas un argument qu’il n’a pas soulevé. De toute manière, je ne dispose d’aucune preuve selon laquelle ces faits constituent autre chose que les conséquences malheureuses, mais inévitables, associées à un renvoi, lesquelles ne sauraient fonder une demande de report.

[20] Par conséquent, la décision relative au report ne soulève aucune question sérieuse, et encore moins « des arguments assez solides ».

[21] Puisque M. Fayyaz n’a pas rempli le premier volet du critère, il n’est pas nécessaire d’examiner les deuxième et troisième volets.

III. Décision

[22] Pour ces motifs, la requête de M. Fayyaz en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de son renvoi du Canada sera rejetée.

 


ORDONNANCE dans le dossier IMM-5451-23

LA COUR ORDONNE que la requête du demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de son renvoi du Canada est rejetée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-5451-23

 

INTITULÉ :

ABDULLAH FAYYAZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 MAI 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Shah Rukh Zohaib Abbas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ACE Law

Avocats

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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