Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230802


Dossier : IMM-5807-19

Référence : 2023 CF 1061

Ottawa (Ontario), le 2 août 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

PETER SINGH

SARABJEET KAUR

parties demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision d’un agent de visa par laquelle l’agent a refusé la demande de visa de résidence temporaire (VRT) des demandeurs puisqu’il n’était pas satisfait qu’ils quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

I. Contexte

[2] Les demandeurs, M. Singh et sa femme, Mme Kaur, sont citoyens de l’Inde. Ils ont deux enfants de citoyenneté canadienne, âgés de 19 et 15 ans. Par le passé, les demandeurs auraient été détenteurs d’une résidence permanente au Canada. Celle-ci aurait été annulée et les demandeurs auraient conséquemment été déportés en Inde en 2010. Toutefois, leurs enfants seraient restés au Canada à ce moment et y sont toujours.

[3] Le 18 juin 2019, les demandeurs ont déposé une demande de VRT afin de rendre visite à leurs deux enfants. Le 25 juillet 2019, un agent des visas à New Dehli a refusé leur demande de VRT car il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (les notes du SMGC) expliquent le refus :

Application and (supplemental documents) reviewed. Applicant and spouse are seeking to visit their (Canadian citizen) children […] (Applicants) had their (permanent residence) vacated, which resulted in deportation from Canada… I have considered that the family has children in Canada, also considered the submission and the doctors’ note. (The Applicants) left their children behind at the time of departure. No information provided with regards to possible efforts made to bring children to India. Furthermore, the deportation happened in 2010 and the family first started looking to be reunited about 6 years later. There is little evidence before me to evaluate the relationship between the children and their parents in the last 9 years. (The Applicants) have weak family ties to (India) and strong pull factor to Canada. Having considered the circumstances of the applicants and having considered all of the submitted documentation and [the Applicants’] history with the department, I’m not satisfied that the applicants are genuine temporary resident (sic) and that they will depart Canada after the authorized stay.

[4] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

II. Les questions en litige et norme de contrôle

[5] Tout d’abord, les demandeurs soutiennent qu’il y a un bris d’équité procédurale. En effet, ils soutiennent que la décision de l’agent est fondée sur une conclusion défavorable quant à leur crédibilité, alors que celui-ci ne leur a pas donné l’occasion de donner de plus amples renseignements pour répondre aux doutes soulevés.

[6] Pour sa part, le défendeur allègue qu’il n’y a pas de question d’équité procédurale, et que la norme qui s’applique devrait être la norme de la décision raisonnable, selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[7] En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, la norme de contrôle qui s’applique est semblable à la norme de la décision correcte. En réalité, aucune norme de contrôle n’est appliquée. Par contre, « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 56). La cour doit examiner cette question en « mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne. » (Canadien Pacifique au para 54)

[8] De plus, les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle raisonnable s’applique pour l’autre question, soit à savoir s’il était raisonnable pour l’agent de refuser de délivrer un VRT étant donné qu’il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401 aupara 14; Solopova v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2016 CF 690 au para 12; Aghaalikhani v Canada (Citizenship and Immigration), 2019 CF 1080 au para 11; Mekhissi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 230 au para 11).

[9] Cette norme exige qu’une décision administrative doit être intrinsèquement cohérente, justifiée, intelligible et transparente à la lumière du dossier dont dispose le décideur. Celui-ci doit également considérer les soumissions des parties : Vavilov aux paragraphes 99, 105-107, 125-128. Lorsque le décideur s’est mépris ou n’a pas tenu compte de la preuve, le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis (Vavilov au para 126). Pour intervenir, la cour de révision doit être convaincue que la décision souffre « de lacunes graves » à un point tel qu’on ne peut pas dire que cette décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Elles doivent constituer plus qu’une « erreur mineure ». Le problème doit être suffisamment capital ou important au regard de l’issue pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov au paragraphe 100.

III. Analyse

[10] Les demandeurs soutiennent que c’est une affaire très simple. Ils constatent que l’agent n’a pas cru la déclaration des demandeurs selon laquelle ils allaient quitter le Canada à la fin de leur séjour autorisé par leur VRT, et que cette détermination implique une évaluation de leur crédibilité. Selon les demandeurs, l’agent aurait dû les informer qu’il avait une réserve quant à leur crédibilité et aurait conséquemment dû leur donner l’occasion de fournir plus de renseignements sur la relation avec leurs enfants.

[11] Les requérants soutiennent que la déclaration suivante de l'arrêt de la Cour dans l'affaire Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1283 étaye leur argument :

[24] Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande…

[12] Selon les demandeurs, les doutes de l’agent en l’espèce ont trait à la crédibilité, et la suffisance des éléments de preuve fournis n’est pas en cause. De plus, ils notent que l’obligation de quitter le Canada à la fin du séjour autorisé constitue une exigence législative future, et l’obligation de convaincre un agent des visas que cette exigence sera remplie mise en jeu quant à la crédibilité des demandeurs et leur motivation pour demander un permis : Egheoma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1164.

[13] Le défendeur soutient que la décision est raisonnable, et que la crédibilité des demandeurs n’est pas en question. Le défendeur allègue toutefois que l’agent a noté l’absence de preuve concernant la question primordiale quant à la relation entre les demandeurs et leurs enfants (qui sont au Canada). Il prétend que la décision est donc plutôt fondée une insuffisance de preuve à ce sujet et que l’évaluation de l’agent est donc raisonnable.

[14] Les soumissions des demandeurs ne m’ont pas convaincu. Je conclus qu’en l’espèce, la crédibilité n’est pas une question déterminante. La décision de l’agent est simplement une application des critères établis par le cadre juridique qui s’applique en l’espèce.

[15] Il incombait aux demandeurs de démontrer qu’ils quitteront le Canada à la fin de leur séjour autorisé, en vertu de l’article 20 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 et l'article 179 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. La détermination de l’agent sur cette question ressort directement du cadre juridique, et les demandeurs savaient qu’ils devraient déposer suffisamment de preuve pour rencontrer ce fardeau dès leur demande de visa.

[16] En l’espèce, les notes de l’agent sont claires : il n’y a aucune mention au sujet de la crédibilité. L’agent a toutefois noté l’absence de preuve quant à la relation entre les demandeurs et leurs enfants : « No information provided with regards to possible efforts made to bring the children to India… There is little evidence before me to evaluate the relationship between the children and their parents in the last 9 years. » Compte tenu l’historique des demandeurs, et en particulier du fait que leurs enfants sont restés au Canada après la déportation des demandeurs vers l’Inde, il s’agit d’un élément clé dans l’évaluation faite par l’agent. Il est évident que la conclusion de l’agent sur cet élément fondamental est fondée sur l’insuffisance de la preuve à ce sujet.

[17] Je suis d’accord avec le demandeur que le départ du Canada à la fin de la période autorisée par le TRV constitue une exigence législative qui est axée vers le futur. Toutefois, je ne vois pas la pertinence de la décision Egheoma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1164 dans les circonstances en l’espèce. Dans cette affaire, l’agent n’a pas cru la déclaration du demandeur sur ses études dans son pays d’origine, et ces doutes ont amené l'agent à s'interroger sur la motivation sous-jacente du demandeur quant à sa demande de visa : « La possibilité que le demandeur sollicite un permis d’études pour faciliter son entrée au Canada plutôt que pour parfaire sa formation soulève des réserves. » (Egheoma au para 9). Le raisonnement dans cette affaire n'est pas similaire à l'approche adoptée par l'agent en l'espèce.

[18] Pour tous ces motifs, je ne suis pas persuadé qu’il y a eu bris d’équité procédurale en l’espèce. L'analyse de l'agent découle directement du cadre législatif. Les demandeurs n'ont tout simplement pas fourni de preuves suffisantes sur la question cruciale de leur relation avec leurs enfants, qui est une considération clé dans l'évaluation des facteurs d’attirance pour demeurer au Canada qui sont pertinents dans cette situation. La décision de l’agent est raisonnable, compte tenu des faits et du cadre juridique applicable. L’analyse de l’agent est claire et transparente. Il n’y a pas lieu de conclure que la décision est déraisonnable.

[19] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

 


JUGEMENT au dossier IMM-5807-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5807-19

INTITULÉ :

PETER SINGH et SARABJEET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

vIDÉOCONFERENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

le 2 août 2023

COMPARUTIONS :

Me Manuel Centurion

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Mathieu Laliberté

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.