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Date : 20 230 721


Dossiers : T‐1860‐21

T‐1837‐22

Référence : 2023 CF 1004

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2023

En présence de madame la juge Heneghan

Dossier : T‐1860‐21

ENTRE :

JEFF SCHNARR

demandeur

et

LARRY MARKLE, ATHELIE MARKLE, ELRI OOSTHUIZEN ET CALEB LAMBERT

défendeurs

ET ENTRE :

LARRY MARKLE, ATHELIE MARKLE,

ELRI OOSTHUIZEN ET CALEB LAMBERT

demandeurs reconventionnels

et

JEFF SCHNARR

défendeur reconventionnel

Dossier : T‐1837‐22

ENTRE :

JEFF SCHNARR

demandeur

et

LARRY MARKLE ET ATHELIE MARKLE

défendeurs

MOTIFS ET ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

  • [1]Par voie de déclaration déposée le 6 décembre 2021, M. Jeff Schnarr (le demandeur) a intenté la présente action, dans le dossier T‐1860‐21, par laquelle il vise la constitution d’un fonds de limitation au titre de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6 (la LRM), et des mesures de réparation connexes relativement à une collision entre deux embarcations de plaisance survenue dans la baie de Colpoy le 31 août 2019 (la collision). Dans cette déclaration, le demandeur a sollicité les mesures de réparation suivantes :

a)- un jugement déclaratoire portant qu’il est en droit de limiter sa responsabilité, sans pour autant admettre sa responsabilité, à l’égard de la collision (en cause dans les présents motifs) à 1 000 000 $ plus les intérêts courus à la date de constitution d’un fonds de limitation au titre de l’alinéa 29a) et des articles 29.1 et 32 de la LRM;

b)-une ordonnance constituant un fonds de limitation au titre de l’alinéa 33(1)a) de la LRM (le fonds de limitation);

c)-une ordonnance approuvant le dépôt par les demandeurs d’une garantie, sous forme d’une lettre d’engagement d’un assureur, du montant du fonds de limitation au titre des alinéas 33(1)a) et 33(4)b) de la LRM;

d)-une ordonnance empêchant toute personne d’intenter ou de continuer quelque procédure relative à la collision devant tout autre tribunal ou autorité que la Cour au titre de l’alinéa 33(1)c) de LRM;

e)-une ordonnance différant la répartition du fonds de limitation jusqu’à ce que la Cour rende une décision sur le partage de la responsabilité entre le demandeur et Larry Markle, Athelie Markle, Elri Oosthuizen et Caleb Lambert, au titre du paragraphe 33(2) de la LRM, et une décision sur tout autre moyen de défense invoqué;

f)-l’adjudication des dépens à l’encontre de toute partie s’opposant à sa demande de limitation de sa responsabilité;

g)-des directives sur la détermination des personnes qui sont en droit de faire valoir une créance contre le fonds de limitation;

h)-des directives sur l’exclusion des créances qui n’auront pas été présentées dans le délai fixé par la Cour pour ce faire;

i)-toute autre mesure de réparation que la Cour pourrait estimer appropriée.

  • [2]Dans la déclaration, les défendeurs désignés sont M. Larry Markle, Mme Athelie Markle, M. Elri Oosthuizen et M. Caleb Lambert (collectivement, les défendeurs).

  • [3]Le demandeur est propriétaire d’un bateau Sea Ray 450 Sundancer Caterpillar 1996 de 45 pieds. C’est lui qui le conduisait à la date en question.

  • [4]Le demandeur allègue que M. Markle est le propriétaire d’un bateau Bayliner Capri de 17 pieds, que Mme Markle le conduisait et que M. Oosthuizen et M. Lambert étaient à bord en tant que passagers.

  • [5]Le 22 août 2022, une défense a été déposée au nom des défendeurs. Dans celle‐ci, les défendeurs ont nié toute responsabilité et, dans leur demande reconventionnelle, ils ont demandé les mesures de réparation suivantes :

a)-le rejet de l’action devant la Cour fédérale et les dépens;

b)-s’il est jugé que l’action devant la Cour fédérale doit suivre son cours et que l’action devant la Cour supérieure de l’Ontario doit être rejetée, le remboursement des frais engagés inutilement dans le cadre de l’action devant la Cour supérieure de l’Ontario;

c)-pour le défendeur Larry Markle, des dommages‐intérêts pécuniaires de 100 000 $ et des dommages‐intérêts généraux et spéciaux de 100 000 $, frais inclus, plus les intérêts avant et après jugement;

d)-pour la défenderesse Athelie Markle, des dommages‐intérêts pécuniaires de 100 000 $ et des dommages‐intérêts généraux et spéciaux de 100 000 $, frais inclus, plus les intérêts avant et après jugement;

e)-pour le défendeur Elri Oosthuizen, des dommages‐intérêts pécuniaires de 200 000 $ et des dommages‐intérêts généraux et spéciaux de 250 000 $, frais inclus, plus les intérêts avant et après jugement;

f)-pour le défendeur Caleb Lambert, des dommages‐intérêts pécuniaires de 50 000 $ et des dommages généraux et spéciaux de 100 000 $, frais inclus, plus les intérêts avant et après jugement.

  • [6]Le 25 août 2022, les défendeurs M. et Mme Markle ont déposé une défense et une demande reconventionnelle. Dans leur défense, ils ont nié toute responsabilité à l’égard de la collision. Dans leur demande reconventionnelle, ils ont demandé les mesures de réparation suivantes :

a)-le rejet de l’action devant la Cour fédérale et les dépens;

b)-s’il est jugé que l’action devant la Cour fédérale doit suivre son cours et que l’action devant la division des petites créances de la Cour supérieure de l’Ontario doit être rejetée, le remboursement des frais engagés inutilement dans le cadre de cette dernière;

c)-des dommages‐intérêts de 20 000 $ plus les intérêts avant et après jugement et les dépens;

d)-toute autre mesure de réparation que la Cour estime juste.

  • [7]Le 8 septembre 2022, le demandeur a déposé une défense relative à la demande reconventionnelle de M. et Mme Markle et une défense relative à la demande reconventionnelle des défendeurs.

  • [8]Le 8 septembre 2022, le demandeur a intenté une deuxième action contre M. et Mme Markle, soit celle du dossier T‐1837‐22, afin d’obtenir une ordonnance de contribution et d’indemnisation à l’égard de toute adjudication de dommages‐intérêts contre lui dans le cadre de l’action intentée dans le dossier T‐1860‐21.

  • [9]Le 17 octobre 2022, les défendeurs M. et Mme Markle ont déposé une défense relative à la déclaration dans laquelle ils ont nié qu’un manquement à leurs obligations ou qu’une négligence de leur part avait causé la collision du 31 août 2019.

  • [10]Le 17 novembre 2022, le demandeur a déposé un avis de requête par lequel il vise l’obtention des mesures de réparation suivantes :

II. LES AVIS DE REQUÊTE

a)-des conseils et des directives sur la façon dont pourrait être instruite et jugée l’action par laquelle il demande, d’une part, un jugement déclaratoire portant que sa responsabilité à l’égard de la collision du 31 août 2019 décrite dans la déclaration déposée dans le cadre de la présente action est limitée, au titre des dispositions de la LRM, à 1 000 000 $ plus les intérêts courus du 31 août 2019 à la date de constitution du fonds de limitation, et, d’autre part, la constitution d’un fonds de limitation;

b)-la signification de l’avis de la présente action aux créanciers éventuels par voie de publicité sous les formes que la Cour estime justes et appropriées, si elle juge que les circonstances l’exigent;

c)-l’autorisation de déposer une garantie (la garantie), sous forme de lettre d’engagement d’un assureur, du montant que fixera la Cour, soit 1 000 000 $ plus les intérêts courus du 31 août 2019 à la date de constitution du fonds de limitation, ainsi qu’une ordonnance déclarant que le dépôt constituera le fonds de limitation à l’égard de la collision;

d)-la détermination du délai dont disposeront les défendeurs et les autres créanciers éventuels pour déposer leurs défenses ou leurs créances contre le fonds de limitation;

e)-une ordonnance selon laquelle toute créance contre le fonds de limitation qui n’aura pas été déposée dans le délai fixé par la Cour sera exclue lors la répartition du fonds de limitation;

f)-une interdiction pour les défendeurs et toute autre personne d’intenter ou de continuer quelque instance contre lui relativement à la collision devant tout autre tribunal que la Cour;

g)-une ordonnance déclarant que le fonds de limitation sera, dans la mesure nécessaire, réparti de façon à régler les créances des personnes qui, selon la Cour, sont en droit de faire valoir une créance contre le fonds de limitation, et ce, au prorata, si besoin est;

h)-toute autre mesure de réparation proposée par les avocats que la Cour estime juste et appropriée.

  • [11]La requête était appuyée par un affidavit du demandeur, souscrit le 3 mai 2022, et un affidavit de M. Shane Marston, souscrit le 15 novembre 2022.

  • [12]Dans son affidavit, le demandeur décrit la navigation de son bateau le jour de la collision. Il a affirmé que son bateau avait un poids inférieur à 300 tonnes brutes.

  • [13]Dans son affidavit, le demandeur a également affirmé que, le 30 juin 2021, il avait reçu signification d’une déclaration déposée par les défendeurs M. et Mme Markle, en tant que demandeurs, dans le dossier CV‐21‐0000885‐0000 devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, par laquelle ces derniers visaient à recouvrer des dommages‐intérêts pour préjudices corporels, et que, le 25 août 2021, il avait reçu signification d’une demande présentée à la Cour des petites créances de l’Ontario portant le numéro de dossier SC21000001670000 et visant à recouvrer le montant des dommages causés à leur embarcation de plaisance (collectivement, les instances devant les tribunaux de l’Ontario).

  • [14]M. Marston est l’un des avocats du cabinet d’avocats Smockum Zarnett LLP qui représentent le demandeur dans le cadre de la présente action. Dans son affidavit, il a fourni un calendrier des dépôts et des audiences dans les dossiers T‐1860‐21 et T‐1837‐22 (collectivement, les instances devant la Cour fédérale). Il a également affirmé que les instances devant les tribunaux de l’Ontario en étaient à leurs premières étapes et que, dans le cadre de ces instances, aucune mesure n’avait été prise pour suspendre ou interdire l’instance devant la Cour fédérale.

  • [15]Dans son affidavit, M. Marston a également affirmé que, le 5 mai 2022, les défendeurs avaient produit une déclaration modifiée et une demande de procès avec jury dans le cadre de l’action devant la Cour supérieure. Il a affirmé que, dans la déclaration modifiée, les dommages‐intérêts réclamés par les défendeurs avaient été réduits de façon à totaliser 1 000 000 $, frais inclus, sans compter les intérêts avant et après jugement.

  • [16]Le 30 novembre 2022, les défendeurs ont déposé un avis de requête visant les mesures de redressement suivantes :

a)-une ordonnance de suspension de la présente action et de l’action connexe visant la répartition du fonds dans le dossier T‐1837‐22;

b)-toute autre mesure de réparation que les avocats pourraient proposer et que la Cour estimerait juste et appropriée.

  • [17]Cet avis de requête était appuyé par des affidavits de M. Markle et de M. Bruce Kelly souscrits le 24 novembre 2022.

  • [18]Dans son affidavit, M. Markle a affirmé que M. Schnarr était responsable de la collision. Il a ajouté que M. Schnarr n’avait pas déposé de défense et qu’il avait été constaté en défaut dans les instances en Ontario.

  • [19]Dans son affidavit, M. Markle a également affirmé que les défendeurs avaient modifié leur déclaration pour [traduction] « respecter la limite des dommages‐intérêts » conformément à la LRM et qu’ils préféraient un procès devant jury.

  • [20]M. Kelly est un avocat du cabinet Morell Kelly Professional Corporation, dont les défendeurs ont retenu les services. Dans son affidavit, il a fourni un calendrier des dépôts et du déroulement de l’action intentée devant la Cour supérieure de l’Ontario et de l’instance devant la Cour fédérale ainsi que la correspondance entre les avocats des parties.

  • [21]Les parties dans le dossier numéro T‐1860‐21 ont chacune déposé un exposé des faits et du droit dans leurs dossiers de requête respectifs.

  • [22]Le 31 janvier 2023, les défendeurs M. et Mme Markle ont déposé un dossier de requête en réponse dans le dossier T‐1860‐21.

  • [23]Le dossier de requête des défendeurs M. et Mme Markle était appuyé par l’affidavit de Mme Janice Brooks, souscrit le 26 janvier 2023, et l’affidavit de Mme Heather Farr, souscrit le 30 janvier 2023.

  • [24]Mme Brooks est vice‐présidente du service des réclamations de la société d’assurances Dumfries Mutual (Dumfries), l’assureur de M. et Mme Markle. Dans son affidavit, elle a affirmé qu’après la collision, M. et Mme Markle avaient présenté une réclamation pour les dommages causés à leur bateau et au matériel à bord, et que Dumfries leur avait versé environ 20 000 $ pour régler la réclamation.

  • [25]Dans son affidavit, Mme Brooks a également affirmé que Dumfries avait retenu les services du cabinet Strigberger Brown Armstrong LLP pour intenter une action subrogatoire à la Cour des petites créances de l’Ontario contre M. Schnarr relativement à l’indemnité versée à M. et Mme Markle.

  • [26]Mme Brooks a ajouté que Dumfries avait demandé à Strigberger Brown Armstrong LLP de déposer des défenses dans les instances devant la Cour fédérale. Elle a ajouté que Dumfries, si celle‐ci devait participer à l’action devant la Cour supérieure, préférerait que l’affaire soit entendue par un jury.

  • [27]Mme Farr est une auxiliaire juridique au cabinet d’avocats Shillington McCall LLP, dont les services ont été retenus par les défendeurs M. et Mme Markle. Dans son affidavit, elle a fourni des courriels échangés entre les avocats des parties au sujet de l’action devant la Cour supérieure et elle a affirmé que les défendeurs M. et Mme Markle avaient accepté que l’affaire devant la Cour des petites créances et l’action devant la Cour supérieure soient réunies.

  • [28]Les défendeurs M. et Mme Markle ont présenté des observations écrites dans leur dossier de réponse.

  • [29]Les requêtes présentées à la Cour soulèvent trois questions. La première est celle de savoir si un fonds de limitation doit être constitué; la deuxième est celle de savoir si les instances devant la Cour fédérale doivent être rejetées ou suspendues; la troisième est celle de savoir si les instances devant tout autre tribunal doivent être interdites.

  • [30]Les défendeurs acceptent qu’un fonds de limitation soit constitué conformément aux dispositions de la LRM. La partie 3 de la LRM incorpore par renvoi la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes (la Convention).

  • [31]À l’article 25 de la LRM, le terme « navire » est défini en ces termes :

III. ANALYSE ET DÉCISION

A. Le fonds de limitation

Extension de sens

25 (1) Pour l’application de la présente partie et des articles 1 à 15 de la Convention :

a) navire s’entend d’un bâtiment ou d’une embarcation conçus, utilisés ou utilisables, exclusivement ou non, pour la navigation, indépendamment de leur mode de propulsion ou de l’absence de propulsion, à l’exclusion des aéroglisseurs et des plates‐formes flottantes destinées à l’exploration ou à l’exploitation des ressources naturelles du fond ou du sous‐sol marin; y sont assimilés les navires en construction à partir du moment où ils peuvent flotter, les navires échoués ou coulés ainsi que les épaves et toute partie d’un navire qui s’est brisé;

 

b) la définition de propriétaire de navire, au paragraphe 2 de l’article premier de la Convention, vise notamment la personne ayant un intérêt dans un navire ou la possession d’un navire, à compter de son lancement, et s’interprète sans égard au terme « de mer »;

c) la mention de « transport par mer », à l’alinéa 1b) de l’article 2 de la Convention, vaut mention de « transport par eau ».

Incompatibilité

(2) Les articles 28 à 34 de la présente loi l’emportent sur les dispositions incompatibles des articles 1 à 15 de la Convention.

Extended meaning of expressions

25 (1) For the purposes of this Part and Articles 1 to 15 of the Convention,

(a) ship means any vessel or craft designed, used or capable of being used solely or partly for navigation, without regard to method or lack of propulsion, and includes

(i) a ship in the process of construction from the time that it is capable of floating, and

(ii) a ship that has been stranded, wrecked or sunk and any part of a ship that has broken up, but does not include an air cushion vehicle or a floating platform constructed for the purpose of exploring or exploiting the natural resources or the subsoil of the sea‐bed;

(b) the definition shipowner in paragraph 2 of Article 1 of the Convention shall be read without reference to the word “seagoing” and as including any person who has an interest in or possession of a ship from and including its launching; and

(c) the expression “carriage by sea” in paragraph 1(b) of Article 2 of the Convention shall be read as “carriage by water”.

Inconsistency

(2) In the event of any inconsistency between sections 28 to 34 of this Act and Articles 1 to 15 of the Convention, those sections prevail to the extent of the inconsistency.

  • [32]Au paragraphe 2 de l’article premier de la Convention, le terme « propriétaire de navire » est défini de la façon suivante :

Article premier

Personnes en droit de limiter leur responsabilité

 

[...]

 

2 L’expression propriétaire de navire, désigne le propriétaire, l’affréteur, l’armateur et l’armateur‐gérant d’un navire de mer.

Article 1

Persons entitled to limit liability

 

[...]

 

2 The term shipowner shall mean the owner, charterer, manager and operator of a seagoing ship.

  • [33]La définition de « créance maritime » figurant à l’article 24 de la LRM renvoie aux paragraphes (1) et (2) de l’article 2 de la Convention :

créance maritime Créance maritime visée à l’article 2 de la Convention contre toute personne visée à l’article 1 de la Convention. (maritime claim)

maritime claim means a claim described in Article 2 of the Convention for which a person referred to in Article 1 of the Convention is entitled to limitation of liability. (créance maritime)

  • [34]L’article 11 de la Convention prévoit la constitution d’un fonds de limitation en ces termes :

Article 11

 

Constitution du fonds

1 Toute personne dont la responsabilité peut être mise en cause peut constituer un fonds auprès du tribunal ou de toute autre autorité compétente de tout État Partie dans lequel une action est engagée pour des créances soumises à limitation. Le fonds est constitué à concurrence du montant tel qu’il est calculé selon les dispositions des articles 6 et 7 applicables aux créances dont cette personne peut être responsable, augmenté des intérêts courus depuis la date de l’événement donnant naissance à la responsabilité jusqu’à celle de la constitution du fonds. Tout fonds ainsi constitué n’est disponible que pour régler les créances à l’égard desquelles la limitation de la responsabilité peut être invoquée.

 

2 Un fonds peut être constitué, soit en consignant la somme, soit en fournissant une garantie acceptable en vertu de la législation de l’État Partie dans lequel le fonds est constitué, et considérée comme adéquate par le tribunal ou par toute autre autorité compétente.

 

3 Un fonds constitué par l’une des personnes mentionnées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 ou au paragraphe 2 de l’article 9, ou par son assureur, est réputé constitué par toutes les personnes visées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 ou au paragraphe 2 respectivement.

Article 11

 

Constitution of the fund

1 Any person alleged to be liable may constitute a fund with the Court or other competent authority in any State Party in which legal proceedings are instituted in respect of claims subject to limitation. The fund shall be constituted in the sum of such of the amounts set out in Articles 6 and 7 as are applicable to claims for which that person may be liable, together with interest thereon from the date of the occurrence giving rise to the liability until the date of the constitution of the fund. Any fund thus constituted shall be available only for the payment of claims in respect of which limitation of liability can be invoked.

 

2 A fund may be constituted, either by depositing the sum, or by producing a guarantee acceptable under the legislation of the State Party where the fund is constituted and considered to be adequate by the Court or other competent authority.

 

3 A fund constituted by one of the persons mentioned in paragraph 1(a), (b) or (c) or paragraph 2 of Article 9 or his insurer shall be deemed constituted by all persons mentioned in paragraph 1(a), (b) or (c) or paragraph 2, respectively.

  • [35]L’article 32 de la LRM expose la procédure à suivre pour la constitution d’un fonds de limitation aux termes des articles 11 à 13 de la Convention :

Compétence exclusive de la Cour d’amirauté

32 (1) La Cour d’amirauté a compétence exclusive pour trancher toute question relative à la constitution et à la répartition du fonds de limitation aux termes des articles 11 à 13 de la Convention.

 

Droit d’invoquer la limite de responsabilité

(2) Lorsque la responsabilité d’une personne est limitée aux termes des articles 28, 29 ou 30 de la présente loi ou du paragraphe 1 des articles 6 ou 7 de la Convention, relativement à une créance — réelle ou appréhendée — , cette personne peut se prévaloir de ces dispositions en défense, ou dans le cadre d’une action ou demande reconventionnelle pour obtenir un jugement déclaratoire, devant tout tribunal compétent au Canada.

Jurisdiction of Admiralty Court

32 (1) The Admiralty Court has exclusive jurisdiction with respect to any matter relating to the constitution and distribution of a limitation fund under Articles 11 to 13 of the Convention.

 

Right to assert limitation defence

(2) Where a claim is made or apprehended against a person in respect of liability that is limited by section 28, 29 or 30 of this Act or paragraph 1 of Article 6 or 7 of the Convention, that person may assert the right to limitation of liability in a defence filed, or by way of action or counterclaim for declaratory relief, in any court of competent jurisdiction in Canada.

  • [36]Aux termes de l’article 2 de la LRM, la « Cour d’amirauté » désigne la Cour fédérale.

  • [37]Il ressort clairement du libellé de l’article 32 de la LRM que seule la Cour fédérale a compétence pour « trancher toute question relative à la constitution et à la répartition du fonds de limitation » aux termes des articles applicables de la Convention.

  • [38]Le paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention s’applique également :

Article 9

 

Concours de créances

 

1 Les limites de la responsabilité déterminée selon l’article 6 s’appliquent à l’ensemble de toutes les créances nées d’un même événement :

 

a) à l’égard de la personne ou des personnes visées au paragraphe 2 de l’article premier et de toute personne dont les faits, négligences ou fautes entraînent la responsabilité de celle‐ci ou de celles‐ci; ou

 

b) à l’égard du propriétaire d’un navire qui fournit des services d’assistance ou de sauvetage à partir de ce navire et à l’égard de l’assistant ou des assistants agissant à partir dudit navire et de toute personne dont les faits, négligences ou fautes entraînent la responsabilité de celui‐ci ou de ceux‐ci;

 

c) à l’égard de l’assistant ou des assistants n’agissant pas à partir d’un navire ou agissant uniquement à bord du navire auquel ou à l’égard duquel des services d’assistance ou de sauvetage sont fournis et de toute personne dont les faits, négligences ou fautes entraînent la responsabilité de celui‐ci ou de ceux‐ci.

Article 9

 

Aggregation of claims

 

1 The limits of liability determined in accordance with Article 6 shall apply to the aggregate of all claims which arise on any distinct occasion:

 

(a) against the person or persons mentioned in paragraph 2 of Article 1 and any person for whose act, neglect or default he or they are responsible; or

 

(b) against the shipowner of a ship rendering salvage services from that ship and the salvor or salvors operating from such ship and any person for whose act, neglect or default he or they are responsible; or

 

(c) against the salvor or salvors who are not operating from a ship or who are operating solely on the ship to or in respect of which the salvage services are rendered and any person for whose act, neglect or default he or they are responsible.

  • [39]L’effet conjugué des articles 9 et 11 de la Convention, qui fait partie de la LRM, est qu’un seul fonds est constitué pour répondre à « l’ensemble de toutes les créances nées d’un même événement ».

  • [40]Aucune preuve n’a été présentée pour contredire l’allégation du demandeur selon laquelle son navire a un poids inférieur à 300 tonnes brutes. Par conséquent, la limite de responsabilité prévue à l’alinéa 29a) de la LRM s’applique. Cet alinéa prévoit ce qui suit :

Autres créances

29 La limite de responsabilité pour les créances maritimes — autres que celles mentionnées à l’article 28 — nées d’un même événement impliquant un navire d’une jauge brute inférieure à 300 est fixée à :

 

a) 1 000 000 $ pour les créances pour décès ou blessures corporelles;

Other claims

29 The maximum liability for maritime claims that arise on any distinct occasion involving a ship of less than 300 gross tonnage, other than claims referred to in section 28, is

 

(a) $1,000,000 in respect of claims for loss of life or personal injury; and

 

 

  • [41]Le fonds de limitation peut être constitué au bénéfice du propriétaire du navire, comme il a été établi dans l’instance en limitation, ainsi qu’à celui de « toute personne dont les faits, négligences ou fautes entraînent sa responsabilité » : voir l’alinéa 1a) de l’article 9 de la Convention.

  • [42]Le demandeur sollicite des directives à propos de l’action en limitation de responsabilité, notamment sur la façon dont devrait être instruite son action par laquelle il réclame un jugement déclarant que sa responsabilité à l’égard de la collision est limitée conformément aux dispositions de la LRM.

  • [43]À mon avis, il y a lieu d’établir un fonds de limitation en l’espèce.

  • [44]Le demandeur a proposé le dépôt d’une garantie d’un montant qui sera fixé par la Cour, soit 1 000 000 $ plus les intérêts conformément au paragraphe 33(5) de la LRM. Aux termes de l’alinéa 33(4)b) de cette même loi, la Cour peut déterminer la forme de cette garantie.

  • [45]Les délais dont disposent les défendeurs et les autres créanciers pour déposer leurs défenses ou leurs créances contre le fonds de limitation peuvent être fixés par le juge responsable de la gestion de l’instance qui a été désigné le 15 août 2022 suivant les Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (les Règles).

  • [46]Le juge responsable de la gestion de l’instance peut également fixer d’autres délais, au besoin.

  • [47]Le pouvoir de suspendre une instance introduite devant la Cour découle du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7, qui est libellé en ces termes :

B. La requête en suspension présentée par les défendeurs

Suspension d’instance

 

50 (1) La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

 

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

 

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

Stay of proceedings authorized

50 (1) The Federal Court of Appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

 

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

 

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

 

  • [48]Au paragraphe 17 de la décision Canadian Pacific Railway Co. c Sheena M (The), [2000] 4 CF 159 (CF 1re inst), le regretté protonotaire Hargrave a analysé la différence entre le fait de suspendre et celui d’empêcher une procédure de la façon suivante :

Pour compléter ce raisonnement, précisons qu’il existe une différence entre le fait d’empêcher (enjoining) une procédure et celui de suspendre (staying) la procédure. En ce qui concerne le terme « enjoining », la définition du Black’s Law Dictionary, 4e édition révisée, parle d’une injonction obligeant quelqu’un à faire ou à ne pas faire quelque chose. [...]

En revanche, une suspension, ou la suspension de la procédure, selon la terminologie juste, est une ordonnance par laquelle un tribunal suspend sa propre procédure, soit temporairement, jusqu’à ce qu’un acte soit accompli, soit de façon permanente, lorsqu’il n’est pas approprié de procéder [...]

Le critère généralement reconnu comme applicable pour déterminer si la procédure doit être suspendue, dans l’intérêt de la justice, est le critère en trois volets énoncé dans l’arrêt RJR—MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, qui correspond au critère à trois volets établi dans American Cyanamid [American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.)], bien qu’en l’espèce il faille plutôt appliquer à la suspension de la procédure le critère en deux volets énoncé dans la décision Mon‐Oil Ltd. c. Canada (1989), 26 C.P.R. (3d) 379 (C.F. 1re inst.); je reviendrai sur cette question en temps opportun. Le critère d’application d’une suspension correspond à un concept et à un critère très différents du critère applicable pour empêcher une partie de commencer ou de continuer une procédure devant un autre tribunal sous le régime de la Loi sur la marine marchande du Canada. Il ne faut pas s’en étonner, puisque le législateur a utilisé le terme « empêcher » (enjoin) dans une loi et le terme « suspendre » (stay) dans l’autre [...]

  • [49]Le protonotaire Hargrave, après avoir examiné deux courants jurisprudentiels portant sur le fardeau et le critère relatifs à une suspension, est parvenu à la conclusion suivante au paragraphe 32 :

En résumé, le critère en deux volets s’applique à la suspension de la procédure de la Cour même, alors que le critère en trois volets énoncé dans RJR—MacDonald s’applique à la suspension de la procédure d’un autre tribunal et à la suspension de l’exécution d’une ordonnance de la Cour en attendant l’issue d’un appel.

  • [50]À mon avis, le même raisonnement s’applique en l’espèce. Le critère à deux volets énoncé dans la décision Mon‐Oil Ltd. c Canada (1989), 26 CPR (3d) 379 (CF 1re inst) est celui dont il convient de tenir compte pour statuer sur la requête en suspension présentée par les défendeurs. Ce critère exige que la Cour examine deux questions, soit celle de savoir si la poursuite de l’action causera un préjudice aux défendeurs et celle de savoir si la suspension fera subir une injustice au demandeur.

  • [51]Comme l’a fait remarquer le juge en chef Thurlow dans l’arrêt Nisshin Kisen Kaisha Ltd. c CN, [1982] 1 CF 530 (CA), une action en limitation de responsabilité est « accessoire » à toute action en détermination de la responsabilité. Il s’agit d’une action relative à la constitution et à la distribution d’un fonds, ainsi qu’à la répartition de ce dernier après que des conclusions en matière de responsabilité ont été tirées.

  • [52]Je suis d’accord pour dire que le dédoublement des instances et les conclusions contradictoires doivent être évités. Toutefois, comme l’a dit la protonotaire Milczynski au paragraphe 32 de la décision Jazz Air LP c Ontario Port Authority, 2009 CF 253, « [l]a reconnaissance de la nécessité d’éviter les doubles emplois ne règle pas la question du ressort de préférence [...] ».

  • [53]La Cour fédérale a pleine compétence en ce qui a trait aux créances des défendeurs. Ceux‐ci peuvent faire valoir l’intégralité de leurs créances à la Cour. À mon avis, en soutenant que les dédoublements et les contradictions doivent être évités, sans présenter d’autres arguments, ils ne démontrent pas qu’ils subiront un préjudice si la suspension de l’instance devant la Cour est refusée.

  • [54]Par ailleurs, la suspension de l’action en limitation de la responsabilité créerait une injustice envers le demandeur.

  • [55]Il existe un droit présumé à une limitation de la responsabilité. L’article 33 de la LRM autorise une partie qui souhaite limiter sa responsabilité à intenter sa propre action devant la Cour et à demander des directives. L’objet même du régime de limitation est d’éviter de multiples instances (voir Bayside Towing Ltd. c Canadien Pacifique Ltée, [2001] 2 CF 258 (CF 1re inst) au para 30).

  • [56]La suspension de cette instance empêcherait le demandeur de donner suite à son action en limitation. Il peut invoquer la limitation en tant que moyen de défense dans le cadre de l’action intentée en Ontario, mais il ne peut traiter de la constitution du fonds de limitation que dans le cadre de l’instance devant la Cour. Si le droit de limitation n’est pas rompu et si la responsabilité est limitée, le fonds de limitation sera réparti. Ces éléments d’une action en limitation, c’est‐à‐dire la constitution et la répartition d’un fonds, relèvent exclusivement de la compétence de la Cour.

  • [57]Je m’appuie une fois de plus sur la décision Jazz Air LP, précitée, dans laquelle la protonotaire Milczynski a déclaré, au paragraphe 35, que les « suspensions doivent être accordées uniquement dans les cas les plus évidents ». Après avoir examiné les observations des parties, je ne suis pas convaincue qu’il y a lieu de suspendre l’action en limitation de façon interlocutoire ou permanente.

  • [58]Comme je l’ai mentionné plus haut, le demandeur sollicite une ordonnance empêchant les défendeurs et toute autre personne d’intenter ou de continuer quelque procédure contre lui devant tout autre tribunal que la Cour relativement à la collision. Il a présenté sa requête au titre de l’article 33 de la LRM.

  • [59]La première question qui se pose est celle du critère à appliquer pour exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 33 de la LRM, soit celui d’empêcher les procédures. Cet article est ainsi libellé :

C. La requête en interdiction présentée par le demandeur

Pouvoirs de la Cour d’amirauté

33 (1) Lorsque la responsabilité d’une personne est limitée aux termes des articles 28 ou 29 de la présente loi ou du paragraphe 1 des articles 6 ou 7 de la Convention, relativement à une créance — réelle ou appréhendée —, la Cour d’amirauté peut, à la demande de cette personne ou de tout autre intéressé — y compris une partie à une procédure relative à la même affaire devant tout autre tribunal ou autorité —, prendre toute mesure qu’elle juge indiquée, notamment :

 

a) déterminer le montant de la responsabilité et faire le nécessaire pour la constitution et la répartition du fonds de limitation correspondant, conformément aux articles 11 et 12 de la Convention;

 

b) joindre tout intéressé comme partie à la procédure, exclure tout créancier forclos, exiger une garantie des parties invoquant la limitation de responsabilité ou de tout autre intéressé et exiger le paiement des frais;

 

c) empêcher toute personne d’intenter ou de continuer quelque procédure relative à la même affaire devant tout autre tribunal ou autorité.

Powers of Admiralty Court

 

33 (1) Where a claim is made or apprehended against a person in respect of liability that is limited by section 28 or 29 of this Act or paragraph 1 of Article 6 or 7 of the Convention, the Admiralty Court, on application by that person or any other interested person, including a person who is a party to proceedings in relation to the same subject‐matter before another court, tribunal or authority, may take any steps it considers appropriate, including

 

(a) determining the amount of the liability and providing for the constitution and distribution of a fund under Articles 11 and 12 of the Convention;

 

(b) joining interested persons as parties to the proceedings, excluding any claimants who do not make a claim within a certain time, requiring security from the person claiming limitation of liability or from any other interested person and requiring the payment of any costs; and

 

(c) enjoining any person from commencing or continuing proceedings in any court, tribunal or authority other than the Admiralty Court in relation to the same subject‐matter.

 

  • [60]L’alinéa 33(1)c) autorise expressément la Cour fédérale à empêcher toute personne d’intenter ou de continuer quelque procédure « relative à la même affaire devant tout autre tribunal ou autorité ».

  • [61]Le libellé de l’article 33 de la LRM est très large.

  • [62]Le paragraphe 33(1) prévoit que la « Cour d’amirauté peut [...] prendre toute mesure qu’elle juge indiquée », y compris la mesure extraordinaire prévue à l’alinéa 33(1)c) qui consiste à empêcher l’introduction d’une instance devant tout autre tribunal ou autorité. La possibilité de prendre cette mesure témoigne de l’importance que le législateur a accordée au règlement par un seul et même tribunal de toutes les questions se rapportant à la constitution et à la répartition d’un fonds de limitation. L’exercice des recours devant un seul et même tribunal favorise le règlement expéditif des questions liées à la limitation de la responsabilité.

  • [63]Le critère applicable en ce qui concerne le paragraphe 33(1) de la LRM est celui de la « mesure indiquée ». Je me fonde sur le paragraphe 107 de l’arrêt Siemens Canada Limited c. J.D. Irving Limited, [2014] 1 RCF 676, de la Cour d’appel fédérale :

[107] Ce critère est, incontestablement, un critère large et discrétionnaire. Le législateur n’aurait pas pu employer des mots plus clairs que ceux qu’il a utilisés dans cette disposition en permettant à la Cour fédérale de rendre une ordonnance d’interdiction lorsqu’elle juge cette mesure indiquée. Je suis donc d’avis que la Cour peut rendre une ordonnance d’interdiction si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, elle estime qu’il s’agit là de l’ordonnance indiquée. [...]

  • [64]Le concept de la « mesure indiquée » englobe celui de la convenance. À cet égard, je me reporte au paragraphe 51 de l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique dans l’affaire Levitt c Carr et al., [1992] 4 WWR 160 (C.A.C.‐B.).

  • [65]Je me reporte également à l’arrêt R c McIvor (2006), 210 CCC (3d) 161 (C.A.C.‐B.), où la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique, dans le contexte d’une instance criminelle, a déclaré ce qui suit au paragraphe 30 :

[traduction]

[...] dans son sens ordinaire, le mot « indiqué » dénote qu’une chose convient à une fin particulière, qu’elle est juste et appropriée dans les circonstances.

  • [66]À mon avis, compte tenu des faits allégués dans la preuve présentée en l’espèce, il est indiqué d’interdire les procédures devant un autre tribunal que la Cour fédérale pour permettre à la Cour de trancher toutes les questions relatives à la collision, y compris les questions de responsabilité faisant l’objet de l’instance actuelle devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

  • [67]J’estime que les instances en Ontario et devant la Cour ont le même objet, soit la collision, la responsabilité et toute limitation de cette responsabilité.

  • [68]La Convention, qui fait partie de la LRM, indique clairement qu’il existe un droit présumé à une limitation de la responsabilité.

  • [69]Dans le cadre de la présente instance, le demandeur revendique le droit de limiter sa responsabilité, si responsabilité il y a, par rapport aux défendeurs.

  • [70]Les questions de détermination et de limitation de la responsabilité à l’égard de la collision peuvent être tranchées tant par la Cour fédérale que par la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

  • [71]Je n’admets pas que le choix du tribunal que le défendeur a fait milite en faveur de l’instance en Ontario. Comme je l’ai expliqué, la LRM procure au demandeur sa propre cause d’action en limitation de responsabilité, et cette instance est censée être expéditive. Lui aussi peut choisir le tribunal devant lequel intenter son action, et ce choix doit être mis en balance avec celui des défendeurs.

  • [72]Les Règles de pratique et de procédure de l’Ontario prévoient un éventail d’enquêtes préalables plus vaste, mais le juge responsable de la gestion de l’instance de la Cour peut également autoriser un tel éventail lorsqu’il est justifié de le faire.

  • [73]La possibilité de tenir un procès devant jury est un facteur à prendre en considération, mais il ne s’agit pas d’un facteur déterminant. À mon avis, le fait que les défendeurs soient privés de la possibilité de soumettre leurs créances à un jury a moins de poids que les inconvénients, les frais et les répétitions qui en résulteraient si la question de la limitation de la responsabilité était tranchée par la Cour et que la question de la responsabilité était tranchée par la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

  • [74]Les défendeurs peuvent faire valoir leurs créances pour dommages corporels et matériels à la Cour fédérale. Ces créances peuvent être présentées en déposant des actes de procédure dans le cadre de la présente action, y compris des demandes reconventionnelles.

  • [75]Contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, la Cour fédérale est le tribunal le mieux à même de trancher toutes les questions relatives à la collision. Il ne fait aucun doute qu’elle a compétence sur la question de la responsabilité, et elle seule a compétence en ce qui a trait à la constitution et à la répartition d’un fonds de limitation. Bien que la question d’un tel fonds puisse être accessoire par rapport à la question de la responsabilité et de la limitation de la responsabilité, il est plus efficace de saisir un seul tribunal de toutes les questions.

  • [76]Par conséquent, la requête du demandeur visant l’interdiction pour les défendeurs et toute autre personne d’intenter ou de continuer quelque procédure relative à la collision devant tout autre tribunal que la Cour sera accueillie.

  • [77]La requête du demandeur sera accueillie en partie, avec dépens.

  • [78]La requête visant l’interdiction pour les défendeurs et toute autre personne d’intenter ou de continuer quelque procédure contre le demandeur relativement à la collision devant tout autre tribunal que la Cour sera accueillie.

  • [79]La requête des défendeurs est rejetée dans son intégralité.

  • [80]Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles pourront présenter à cet égard de brèves observations ne dépassant pas cinq (5) pages, qui devront être signifiées et déposées au plus tard le 31 août 2023.

IV. CONCLUSION

 


ORDONNANCE dans les dossiers T‐1860‐21 et T‐1837‐22

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en suspension des instances dans la présente affaire est rejetée.

  2. Il est interdit aux défendeurs et à toute autre personne d’intenter ou de continuer quelque procédure devant tout autre tribunal que la Cour fédérale à l’encontre de Jeff Schnarr, le demandeur dans le dossier T‐1860‐21, relativement à la collision.

  3. Toute créance relative à la collision pouvant faire l’objet d’une limitation de la responsabilité doit être présentée par voie soit d’une demande reconventionnelle dans le cadre des actions en cause, soit d’une action distincte devant la Cour.

  4. Les questions tranchées et la procédure établie par la présente ordonnance n’empêchent aucun des défendeurs ou des créanciers d’alléguer que :

    1. Jeff Schnarr, à titre de demandeur, et toute autre partie ne sont pas en droit de limiter leur responsabilité tel qu’il est envisagé dans la LRM;

    2. une ou plusieurs parties n’appartiennent pas à la catégorie de celles qui sont en droit d’invoquer, aux termes de la LRM, le droit de limiter leur responsabilité.

  5. Les parties à la présente affaire doivent se consulter et soumettre une ébauche d’ordonnance en vue de donner effet aux motifs de l’ordonnance relativement à l’établissement d’un fonds de limitation d’un montant de 1 000 000 $ plus les intérêts courus du 31 août 2019 à la date de constitution du fonds de limitation, conformément au paragraphe 33(5) de la LRM. Les parties doivent précisément traiter des mesures de réparation demandées aux alinéas a), b), c), d), e), g) et h) de l’avis de requête du demandeur. L’ébauche d’ordonnance devra être soumise à la Cour au plus tard le 31 août 2023.

  6. L’établissement d’un fonds de limitation, conformément à la LRM, d’un montant de 1 000 000 $ plus les intérêts, ne devra empêcher aucune partie ni personne de nier toute responsabilité ou obligation légale ou de contester le montant de n’importe quelle créance.

  7. Les actions en cause dans la présente affaire constituent des instances à gestion spéciale et, à la suite de la constitution du fonds de limitation, il sera loisible à toute partie de solliciter des ordonnances et des directives auprès du juge responsable de la gestion de l’instance au sujet des étapes préalables au procès, de la réunion des actions, de l’établissement d’une audience unique ou distincte ainsi que de toute autre question pertinente mentionnée dans la LRM ou dans les Règles.

  8. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles pourront présenter à cet égard des observations qui devront être signifiées et déposées au plus tard le 31 août 2023.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Normand Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIERS :

T‐1860‐21 et T‐1837‐22

 

INTITULÉ :

JEFF SCHNARR c LARRY MARKLE, ATHELIE MARKLE, ELRI OOSTHUIZEN ET CALEB LAMBERT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 FÉVRIER 2023

MOTIFS ET ORDONNANCE :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Patrick Monaghan et

Shane Marston

POUR JEFF SCHNARR

Lindsay Rodenburg

 

 

Lisa Morell Kelly

POUR LARRY MARKLE ET

ATHELIE MARKLE

 

POUR ELRI OOSTHUIZEN,

CALEB LAMBERT,

LARRY MARKLE ET

ATHELIE MARKLE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smockum Zarnett LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR JEFF SCHNARR

Shillington McCall LLP

London (Ontario)

 

 

Morell Kelly

Kitchener (Ontario)

POUR LARRY MARKLE ET

ATHELIE MARKLE

 

 

POUR ELRI OOSTHUIZEN,

CALEB LAMBERT,

LARRY MARKLE ET

ATHELIE MARKLE

 

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