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Date : 20230731


Dossier : IMM-5515-22

Référence : 2023 CF 1041

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

IMEDEDDINE SERIR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Imededdine Serir, est un citoyen de l’Algérie. La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté sa demande d’asile.

[2] Dans une décision en date du 27 mai 2022, la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté son appel, en déterminant qu’il n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État en Algérie.

[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR et soulève plusieurs questions. Cependant, j’estime que l’analyse de la protection de l’État par la SAR est déterminante.

[4] Je ne suis pas persuadé que la SAR ait commis une erreur susceptible d’examen dans son analyse de la protection de l’État ou que sa conclusion soit déraisonnable. La demande est donc rejetée pour les motifs qui suivent.

II. Contexte de l’affaire

[5] Lorsqu’il était étudiant à l’université, le demandeur a entamé une relation amoureuse hors mariage avec une étudiante. Selon le narratif du demandeur, le frère de sa nouvelle petite amie aurait eu connaissance de la relation intime. La relation n’était pas acceptée par la famille de cette dernière parce que le demandeur n’est pas Berbère; on a insisté pour qu’ils mettent fin à la relation.

[6] Subséquemment, le frère se présente au domicile du demandeur armé d’une arme blanche. Suite à une discussion animée avec le père du demandeur, une bagarre aurait éclaté et une foule se serait rassemblée. En partant, le frère aurait averti qu’il reviendrait chercher le demandeur. Le demandeur n’aurait pas porté plainte à la police.

[7] Le demandeur quitte l’Algérie et arrive au Canada le 2 août 2021. Le demandeur dit craindre pour sa vie aux mains de la famille de son ex-petite amie ayant entaché l’honneur de celle-ci. Il demande la protection contre ce risque et le crime d’honneur.

[8] La SPR a trouvé que le préjudice précité n’a pas de lien avec l’un des motifs de persécution prévus par la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [Convention] et a examiné la demande du demandeur en vertu du paragraphe 97(1)(b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SPR a conclu que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État.

III. Décision de la SAR

[9] Devant la SAR, le demandeur a allégué que la SPR a commis des erreurs dans ses conclusions relatives à la protection de l’État.

[10] La SAR a entériné les conclusions de la SPR en lien avec la Convention, et a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que l’État algérien avait la capacité et la volonté de protéger ses citoyens.

[11] En concluant que le demandeur n’avait pas fourni d’explication satisfaisante pour expliquer pourquoi il n’avait pas revendiqué la protection de l’État, la SAR a examiné à nouveau les explications fournies par le demandeur : (1) qu’à cause de la prédominance de l’Islam, le demandeur ne pourrait non seulement pas compter sur la protection de la police, mais il risque lui-même d’être opprimé par cette dernière; et (2) qu’aucun témoin n’oserait témoigner contre le frère de sa petite amie. La SAR a trouvé que la SPR avait erré en suggérant que le demandeur pourrait cacher de la police sa relation hors mariage avec sa petite amie.

[12] En notant l’erreur de la SPR, la SAR a procédé à sa propre analyse de la preuve documentaire; elle a déterminé qu’il n’était pas possible de conclure que la police algérienne refuserait d’offrir sa protection au demandeur ni que ce dernier risquerait lui-même d’être ciblé pour avoir entretenu une relation hors mariage. La SAR a rejeté la première explication du demandeur et, en considérant la deuxième explication, a noté que « le fait de n’avoir aucun témoin à présenter ne permet pas de conclure que les policiers auraient refusé de prendre la plainte [du demandeur] ». En somme, la SAR a confirmé la décision de la SPR dans son ensemble.

IV. Historique de procédure

[13] En mars 2023, l’audience de la demande de contrôle judiciaire a été reportée pour des raisons médicales, avec le consentement du défendeur. Le jour prévu pour l’audience reportée, soit le 20 juin 2023, l’avocat du demandeur ne s’est pas présenté à la Cour. Contacté au début de l'audition par téléphone, l’avocat du demandeur a expliqué qu’il n’avait pas reçu l’ordonnance indiquant que l’audience avait été reportée, qu’il était saisi d’un autre dossier, et qu’il ne pourrait pas se présenter devant la Cour en personne avant le 26 septembre 2023 pour des raisons liées à l’exercice de la profession.

[14] L’avocate du défendeur s’est opposée à un deuxième ajournement. Elle affirme avoir reçu l’ordonnance envoyée par le greffe de la Cour aux adresses courriel des parties, fixant la nouvelle date d’audience. L’avocat du demandeur n’était pas en mesure de confirmer que l’avis d’ordonnance n’était pas dans la boîte de réception de ses courriels. Ainsi, le défendeur a demandé à la Cour qu’elle décide de l’affaire, s’appuyant uniquement sur le dossier et les représentations écrites, car les questions en litige étaient relativement simples.

[15] Compte tenu de l’ajournement préalable, des agissements de l’avocat du demandeur, de son manque de disponibilité, l’objection de l’avocate du défendeur à repousser à nouveau l’audience ainsi que la nature même des questions soulevées dans le présent litige, j’ai informé les parties que l’affaire serait déterminée uniquement sur la base des observations écrites.

V. Questions en litige et norme de contrôle

[16] La demande ne soulève qu’une seule question en litige : l’analyse de la SAR par rapport à la présomption de la protection de l’État algérien, est-elle raisonnable en l’espèce?

[17] Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[18] Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée eu égard aux contraintes juridiques et factuelles applicables (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85 [Vavilov]). Il incombe aux demandeurs de démontrer le caractère déraisonnable de la décision (Vavilov au para 100). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées ne sont pas « simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100).

VI. Analyse

A. General

[19] Dans son mémoire, le demandeur avance des arguments relatifs à la question de la crédibilité. Cependant, cette question a été abordée uniquement par la SPR. La SAR a consacré la quasi-totalité de son analyse à la question de la protection de l’État. Le demandeur allègue que la SAR a tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité dans cette analyse. Je ne suis pas d’accord. La SAR n’a pas mis en question la crédibilité de sa demande d’asile en évaluant les arguments quant à la capacité et la volonté de l’État algérien de protéger ses citoyens.

B. L’analyse de la SAR de la présomption de la protection de l’État algérien est raisonnable

[20] En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est en mesure d’offrir une protection efficace pour protéger le demandeur (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 725). De ce fait, il incombe au demandeur de prouver, sur une base claire et convaincante, l’incapacité de l’État d’assurer sa protection. Cette preuve doit être « pertinente, digne de foi et convaincante » et doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’inaptitude de l’État d’assurer la protection (Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 30). Bien que la vie des demandeurs ne doit pas être mise en danger, il faut habituellement démontrer « qu’ils ont demandé la protection de leur État sans pouvoir l’obtenir ou, à titre subsidiaire, qu’on ne peut s’attendre objectivement à ce que leur État les protège » (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au para 37).

[21] En gardant ces principes à l’esprit, je considère maintenant l’argument principal du demandeur : que la SAR a commis une erreur dans l’évaluation de l’efficacité de la protection de l’État en confondant la protection de l’État contre le trafic de drogue et la protection de l’État contre le crime d’honneur.

[22] Ce même argument a été mis de l’avant devant la SAR qui l’a expressément rejeté au motif que la SPR s’est penchée « sur la preuve documentaire concernant les affaires criminelles et les affaires de meurtre traitées par la police algérienne, ainsi que les mesures mises en place pour assurer la sécurité des citoyens ». La SAR rappelait aussi que la SPR a pris en compte les articles de journaux du demandeur qui portent sur les crimes d’honneur et non seulement ceux en lien avec le trafic de drogue. Par ailleurs, la SAR a également noté que la SPR avait identifié que le frère de sa petite amie avait le profil de trafiquant de drogues connu des policiers. Les soumissions du demandeur n’expliquent pas en quoi la décision est déraisonnable ou qu’elle révèle une erreur justifiant l’intervention de la Cour. Au contraire, les soumissions reflètent un simple désaccord entre les parties.

[23] Par ailleurs, je ne suis pas persuadé que la SAR ait commis une erreur en rejetant l’explication du demandeur concernant le fait qu’il n’a pas déposé une plainte auprès de la police algérienne. Encore une fois, le demandeur demande à la Cour à reconsidérer la preuve qui a déjà été considérée par la SAR. Il est bien établi qu’une telle demande doit être rejetée lors d’un contrôle judiciaire.

[24] En déterminant qu’il n’était pas possible de conclure que la police algérienne avait été incapable ou qu’elle refuserait de protéger le demandeur, la SAR a bien interprété les principes jurisprudentiels, a fourni des explications claires et a fait preuve d’un raisonnement approprié. La SAR a reconnu l’erreur partielle de la SPR lorsque cette dernière a soutenu que le demandeur pourrait éviter de divulguer à la police le fait de sa relation hors mariage.

VII. Conclusion

[25] La décision de la SAR étant raisonnable, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-5515-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

blanc

« Patrick Gleeson »

blanc

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5515-22

 

INTITULÉ :

IMEDEDDINE SERIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JUIN 2023

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Fedor Kyrpichov

Pour lE demandeUR

 

Annie Flamand

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

 

Pour lE demandeUR

 

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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