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Date : 20230724


Dossier : IMM-5368-22

Référence : 2023 CF 973

[Traduction française]

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

YIFEI SHAO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Mme Yifei Shao [la demanderesse] sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 16 mai 2022 par laquelle un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté sa demande de permis d’études et a conclu qu’elle était interdite de territoire pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] [la décision contestée].

[2] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision contestée était déraisonnable.

II. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne de la Chine âgée de 18 ans. Le 14 mai 2021, après avoir été admise à l’école secondaire White Oaks à Oakville, en Ontario, pour faire sa 12e année, la demanderesse a présenté une demande de permis d’études. Elle avait alors 16 ans. Dans sa demande, la demanderesse a précisé qu’elle s’était déjà vu refuser un permis d’études au Canada, mais elle a omis de mentionner qu’elle s’était déjà vu refuser un visa américain.

[4] Le 13 juillet 2021, un agent d’IRCC a envoyé une lettre d’équité procédurale à la demanderesse dans laquelle il a soulevé le fait qu’elle avait omis de divulguer le rejet de sa demande antérieure de visa aux États-Unis.

[5] Dans une lettre datée du 3 août 2021, un consultant en immigration dont la mère de la demanderesse avait retenu les services a répondu à la lettre d’équité procédurale au nom de la demanderesse. Le consultant a expliqué que la mère de la demanderesse avait retenu les services d’un agent pour préparer la demande, mais que celui-ci avait omis d’indiquer le refus de visa américain malgré le fait que la mère de la demanderesse lui en avait fait part à maintes reprises. Le consultant en immigration a joint deux documents à sa lettre de réponse, à savoir des captures d’écran de WeChat et un questionnaire, pour démontrer que la mère avait bien communiqué l’information à l’agent, mais que ce dernier avait répondu que la demanderesse était seulement tenue de divulguer les refus du Canada.

[6] Le 13 août 2021, l’agent d’IRCC qui avait envoyé la lettre d’équité procédurale a recommandé que la demande soit rejetée pour fausses déclarations.

III. Décision contestée

[7] L’agent qui a rendu la décision contestée a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse parce qu’il n’était pas convaincu qu’elle avait répondu véridiquement à toutes les questions posées dans le contexte de sa demande, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la LIPR. Par conséquent, la demanderesse a été interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans, en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[8] Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] par l’agent qui a rendu la décision contestée, qui font partie des motifs de la décision, sont reproduites intégralement ci-dessous :

[traduction]

[L’agent d’IRCC] craignait que les renseignements généraux concernant la demandeure et ses antécédents figurant au dossier ne soient frauduleux.

Une lettre d’équité procédurale a été envoyée à la demandeure; un délai raisonnable lui a été accordé pour dissiper nos doutes. La réponse fournie n’a pas réussi à dissiper mes doutes. Il incombe à la demandeure de veiller à ce que les renseignements et les documents justificatifs figurant à son dossier soient complets et exacts.

Après examen du dossier, je suis convaincu que la demandeure a fourni des renseignements intentionnellement trompeurs et mensongers concernant ses antécédents en matière de demandes de visa. Les renseignements généraux concernant la demandeure constituent des faits importants qui risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la loi, car ils peuvent porter un agent à croire que la cliente était une résidente temporaire de bonne foi et qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

La demande est rejetée au titre de l’article 40 pour fausses déclarations.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[9] La seule question en litige est celle de savoir si la décision contestée était raisonnable.

[10] Je suis d’accord avec les parties pour dire que la norme applicable au contrôle d’une décision administrative sur le fond est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). En l’espèce, aucune des exceptions énoncées aux paragraphes 16 et 17 de l’arrêt Vavilov ne s’applique. Par conséquent, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est pas réfutée.

[11] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est un type de contrôle rigoureux, dans le cadre duquel la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision et du raisonnement sous-jacent à celle-ci pour évaluer si la décision dans son ensemble « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, aux para 13, 15, 99). Une décision sera jugée déraisonnable si elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision (Vavilov, au para 100).

V. Analyse

A. Position de la demanderesse

[12] Dans l’ensemble, l’agent qui a rendu la décision contestée n’a pas fourni de motifs suffisants et a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que la demanderesse était mineure ou de la question de savoir si l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi s’appliquait dans les circonstances.

[13] En règle générale, un agent n’est pas tenu de fournir des motifs détaillés. Cependant, il en va autrement s’il tire une conclusion de fausses déclarations, étant donné les conséquences d’une telle conclusion, à savoir une interdiction de territoire du Canada pendant cinq ans (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1441 au para 7 [Gill]; Jain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 562 au para 14). En l’espèce, l’agent qui a rendu la décision contestée a simplement présenté sa conclusion sans aucune analyse.

[14] Par ailleurs, l’agent qui a rendu la décision contestée n’a pas cherché à savoir si l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait. La règle générale est qu’une fausse déclaration peut être faite à l’insu du demandeur, mais une exception s’applique lorsque le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une présentation erronée sur un fait important (Pandher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 687 au para 27). Le critère pour que l’exception s’applique comporte un élément subjectif, qui consiste à examiner si le demandeur croyait honnêtement qu’il ne faisait pas de fausse déclaration, et un élément objectif, qui consiste à examiner s’il était raisonnable pour le demandeur de croire qu’il ne faisait pas de fausse déclaration (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Robinson, 2018 CF 159 aux para 6-7). Lorsque la réponse du demandeur à une lettre d’équité procédurale soulève la possibilité d’une erreur de bonne foi, l’agent commet une erreur s’il n’en tient pas compte (Agapi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 923 aux para 16-17).

[15] Enfin, l’agent qui a rendu la décision contestée aurait dû prendre en compte le fait que la demanderesse était mineure au moment de la demande. La demanderesse n’a connaissance d’aucune décision traitant de l’application de l’exception relative à l’erreur de bonne foi à des demandeurs d’âge mineur. Toutefois, en droit de l’immigration, la norme consiste à tenir compte du statut de mineur d’un demandeur. Dans la même veine, la directive interne d’IRCC portant sur les procédures à l’intention des agents de l’unité des cas complexes indique qu’en cas de fausse déclaration dans une demande, l’agent doit tenir compte de l’âge du demandeur. La directive indique : [traduction] « Le demandeur est-il âgé de moins de 18 ans? Nous n’appliquons pas l’article 40 aux enfants. »

B. Position du défendeur

[16] La décision est raisonnable à la lumière de l’historique complet énoncé dans les notes consignées dans le SMGC et la lettre d’équité procédurale. La demanderesse a manqué à son obligation de franchise en négligeant de divulguer qu’elle avait retenu les services d’un agent pour préparer sa demande de permis d’études et qu’elle s’était vu refuser un visa pour les États‑Unis.

[17] L’exception relative à l’erreur de bonne foi est étroitement circonscrite et ne s’applique que dans les cas où la connaissance des renseignements importants échappait à la volonté du demandeur. En l’espèce, rien n’a été présenté pour appuyer l’application éventuelle de l’exception relative à l’erreur de bonne foi. L’agent qui a rendu la décision contestée n’a donc pas commis d’erreur en ne tenant pas compte de l’exception.

  1. Conclusion

[18] Selon le paragraphe 16(1) de la LIPR, les demandeurs doivent répondre véridiquement aux questions qui leur sont posées et fournir les éléments de preuve requis. L’étranger qui, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, est interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. L’article 40 de la LIPR est intentionnellement formulé en termes généraux et englobe les fausses déclarations faites par un tiers.

[19] Le juge McHaffie a récemment résumé les deux tendances jurisprudentielles de la Cour en ce qui a trait à l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi qui s’applique à l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. D’un côté, le critère comporte un élément subjectif et un élément objectif, comme la demanderesse l’a résumé dans ses observations. De l’autre, le critère semble avoir un élément additionnel, lequel restreint la possibilité de recourir à l’exception aux cas où « la connaissance [des renseignements importants] échappait à [l]a volonté [du demandeur] » (Gill, aux para 18-19).

[20] La décision Gill est particulièrement pertinente dans le cas qui nous occupe. Dans cette affaire, un agent des visas a estimé que le demandeur avait fait une fausse déclaration en omettant de divulguer un refus de visa américain malgré le fait qu’il avait expliqué qu’il n’était pas au courant de la nécessité de déclarer les demandes de visas d’autres pays (au para 11). La Cour a jugé que l’agent des visas n’avait pas justifié adéquatement sa conclusion puisqu’il ne s’était pas prononcé sur la question de savoir si la fausse déclaration du demandeur pouvait être attribuable à un malentendu (Gill, au para 21). Les circonstances en l’espèce soulèvent également la possibilité d’une erreur commise de bonne foi; cependant, comme dans la décision Gill, ma décision de faire droit à la demande de contrôle judiciaire n’est pas fondée sur ce motif. Au contraire, dans ce qui suit, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie en raison du caractère insuffisant des motifs de l’agent qui a rendu la décision contestée.

[21] Lorsque le décideur conclut à une fausse déclaration, ses motifs doivent refléter les enjeux pour l’intéressé (Gill, au para 7). Dans la présente affaire, l’agent qui a rendu la décision contestée indique que la réponse de la demanderesse à la lettre d’équité procédurale n’a pas dissipé ses doutes et [traduction] « [qu’i]l incombe à la demandeure de veiller à ce que les renseignements et les documents justificatifs figurant à son dossier soient complets et exacts ». Il a conclu qu’il était [traduction] « convaincu que la demandeure a[vait] fourni des renseignements intentionnellement trompeurs et mensongers concernant ses antécédents en matière de demandes de visa ».

[22] L’agent qui a rendu la décision contestée a omis de tenir compte des éléments de preuve et d’expliquer pourquoi les renseignements soumis par la demanderesse étaient insuffisants, ce qui rend sa décision inintelligible.

[23] La Cour tient à formuler deux dernières observations. Premièrement, les notes versées dans le SMGC indiquent également que le défaut initial de la demanderesse de mentionner qu’elle avait eu recours aux services d’un agent pour préparer sa demande de permis d’études [traduction] « peut, en soi, mener à une conclusion de fausse déclaration ». Toutefois, contrairement à ce que le défendeur a avancé dans ses observations, l’agent qui a rendu la décision contestée n’a pas fondé sa conclusion relative à la fausse déclaration sur ce fait, qui ne peut donc pas servir à étayer le caractère raisonnable de la décision contestée.

[24] Deuxièmement, en ce qui concerne le fait qu’elle était mineure au moment de la demande, la demanderesse reconnaît qu’elle n’a trouvé aucune décision portant sur l’application de l’exception relative à l’erreur de bonne foi à des demandeurs mineurs. Je retiens l’argument du défendeur selon lequel, même si la demanderesse était d’âge mineur à l’époque de sa demande, elle doit néanmoins assumer les conséquences de la non-divulgation du refus de visa américain puisqu’elle a signé le formulaire de demande, déclarant ainsi qu’elle avait répondu à toutes les questions de manière complète et véridique. Je constate également que le formulaire doit être signé par un parent si le demandeur est âgé de moins de 18 ans. Quoi qu’il en soit, les notes versées dans le SMGC ne traitent pas suffisamment des circonstances dans lesquelles le formulaire de demande a été rempli.

[25] Lorsqu’elle est lue dans son ensemble, la décision contestée est inintelligible.

VI. Conclusion

[26] La demanderesse a établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[27] Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5368-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5368-22

INTITULÉ :

YIFEI SHAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 JUILLET 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Steven Meurrens

Pour la demanderesse

Brett Nash

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

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