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Date : 20230726


Dossier : IMM-8190-22

Référence : 2023 CF 1021

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 26 juillet 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

VALENKENO HAVIN BOWLEG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, un citoyen des Bahamas, est arrivé au Canada le 22 juillet 2019. Il dit craindre d’être persécuté par des membres d’une organisation criminelle. Il a témoigné avoir commis, entre autres, des infractions liées au trafic de cocaïne et de cannabis et à la possession de cocaïne et de cannabis dans le but d’en faire le trafic alors qu’il travaillait en association avec l’organisation criminelle. Il prétend que, lorsque le chef de l’organisation a été libéré d’une prison américaine, il a commencé à recevoir des menaces, ce qui l’a conduit à demander l’asile.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande au motif qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951, RTC 1969/6; 189 RTNU 150 [la Convention], car il y avait de sérieuses raisons de penser que le demandeur avait commis des crimes graves de droit commun avant d’être admis au Canada. Dans sa décision du 26 juillet 2022 [la décision], la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la SPR.

[3] La SAR a rejeté l’argument du demandeur selon lequel la SPR a appliqué les critères de l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara] machinalement sans tenir compte des facteurs atténuants, et elle a conclu que le trafic de drogue et la possession dans le but d’en faire le trafic constituaient des crimes graves au sens de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

[4] Au paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité. Comme la SAR l’a souligné, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont établi, dans les arrêts Jayasekara et Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 [Febles], qu’il existe une présomption de gravité applicable lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada, mais que cette présomption est réfutable et ne doit pas être appliquée « machinalement, sans tenir compte du contexte, ou de manière injuste ».

[5] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans son appréciation des facteurs atténuants en se fondant sur une approche trop simpliste et en ne tenant pas compte de l’incidence que l’enfance difficile du demandeur a eue sur ses choix. Il affirme que la SAR a aussi commis une erreur en omettant de procéder à une analyse plus détaillée au moment d’évaluer l’éventail des peines probables, après avoir reconnu l’applicabilité d’un tel éventail.

[6] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, car aucune des situations qui permettent de renverser la présomption selon laquelle toutes les décisions administratives sont susceptibles de contrôle selon cette norme n’est présente en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17 et 25. Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91-95, 99-100.

[7] En l’espèce, je conviens avec le défendeur que le demandeur n’a pas démontré que la décision était déraisonnable ou que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse de la question de l’exclusion.

[8] La SAR a tenu compte de la situation personnelle du demandeur et de son enfance, mais elle a conclu que, s’il fallait y voir un facteur atténuant pour les crimes commis à l’âge de la minorité, il ne s’agissait pas d’un facteur atténuant convaincant pour les crimes liés à la drogue commis à l’âge adulte. Comme l’a souligné la SAR, rien ne prouvait que le demandeur avait été forcé de commettre ces actes criminels. Le demandeur avait déjà été reconnu coupable de possession de drogues dangereuses et savait que la possession et le trafic de ces drogues étaient illégaux et dangereux. Pourtant, il a choisi de participer à de telles activités en travaillant pour une organisation criminelle. Il a choisi de cesser ce travail en 2010, mais il aurait pu le faire avant. À mon avis, il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion. Le raisonnement de la SAR fait état d’une analyse rationnelle et intelligible. Il n’y a pas lieu d’intervenir. L’argument du demandeur équivaut à demander à la Cour de soupeser à nouveau la preuve dont la SAR disposait.

[9] En outre, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de ne pas avoir procédé à une analyse plus détaillée de l’éventail des peines probables après avoir reconnu l’applicabilité d’un tel éventail. La SAR a souligné que le demandeur s’était livré au trafic de la cocaïne, une drogue dangereuse, en des quantités modérément grandes (entre 1 à 2 kilogrammes par mois), plutôt que petites ou négligeables, et ce, à de multiples occasions au fil des ans et en association avec une organisation criminelle, ce qui témoignait de la gravité des actes. Dans ces circonstances, et compte tenu du fait que le demandeur était un récidiviste qui a été accusé, condamné et puni pour d’autres crimes, la SAR a conclu qu’il serait peu probable que le comportement de celui-ci donne lieu à une peine qui se situe à l’extrémité inférieure de l’éventail de peines applicables. Bien qu’il soit en désaccord avec cette conclusion, le demandeur n’a relevé aucun élément de preuve dont disposait la SAR pour étayer son affirmation selon laquelle il aurait pu être assujetti à une peine moins sévère.

[10] À mon avis, la SAR a fourni des motifs clairs et logiques qui expliquent pourquoi le demandeur ne ferait pas l’objet d’une peine qui se situe à l’extrémité inférieure de l’éventail de peines applicables. Il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle dans cette analyse.

[11] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8190-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8190-22

INTITULÉ :

VALENKENO HAVIN BOWLEG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 juillet 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

DATE DES MOTIFS :

LE 26 juillet 2023

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

Pour le demandeur

Lorne McClenaghan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Wazana

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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