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Date : 20230725


Dossier : IMM-174-21

Référence : 2023 CF 1017

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

Oladapo Daniel AJEKIGBE

Oluwaseyi Bolanle AJEKIGBE

Bryan Oluwatamilore AJEKIGBE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Oladapo Daniel Ajekigbe, demandeur principal [le DP], et son épouse sont citoyens du Nigéria, tandis que leur enfant mineur est citoyen des États-Unis. Le DP exploitait une entreprise d’installation de systèmes électroniques résidentiels, tels des systèmes de télévision en circuit fermé (CCTV), d’alarme incendie, de domotique et de cinéma maison, à Lagos, au Nigéria. Peu après avoir commencé un contrat d’installation de cinéma maison qui lui avait été attribué, le DP a reçu des menaces s’intensifiant d’un soumissionnaire dont la proposition pour le travail avait été rejetée. Le DP a passé trois semaines à Abuja dans le but de désamorcer la situation avant de retourner à Lagos. Les menaces qui se poursuivaient ont poussé la famille à fuir Lagos pour aller à Ibadan, où elle est restée pendant trois mois pour des raisons de sécurité avant de quitter définitivement le Nigéria.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs, et la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR a rejeté leur appel. Les deux décisions reposent sur des conclusions quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Abuja ou à Ibadan.

[3] De plus, la SAR a rejeté la demande de réouverture de l’appel présentée par les demandeurs. Ce refus a causé une certaine confusion quant à laquelle des décisions de la SAR était visée par la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs. La Cour a examiné la question avant l’audience relative au contrôle judiciaire, et les parties ont convenu et ont confirmé à la Cour que les demandeurs sollicitaient le contrôle judiciaire uniquement de la décision initiale de la SAR datée du 9 décembre 2019 [la décision] rejetant l’appel interjeté contre la décision de la SPR.

[4] La principale question que doit trancher la Cour est celle de savoir si la décision est raisonnable. Entre d’autres termes, la Cour doit établir si la décision est intelligible, transparente et justifiée, conformément à la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25 et 99.

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, précité au para 100. Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[6] Je ne souscris pas à la position des demandeurs selon laquelle la simple mention par la SAR d’un guide jurisprudentiel révoqué, soit la décision TB7-19851 [le Guide], dans les notes de fin de la décision constitue une erreur susceptible de contrôle : Ganiyu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 296 au para 7; Olagunju c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 110 au para 11; Olusesi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1147, au para 34; Adegbenro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 290 au para 3.

[7] Le Guide est resté en vigueur jusqu’au 6 avril 2020 (c.-à-d. quatre mois après la décision), date à laquelle son statut de guide jurisprudentiel a été révoqué. Le cadre analytique du Guide révoqué, qui comportait le critère juridique pour la désignation d’une PRI viable, a été préservé au moment de la révocation en tant que motifs d’intérêt de la SAR. En pratique, cela signifie que les commissaires de la CISR peuvent toujours utiliser son cadre analytique tant qu’ils prennent en compte les faits de chaque affaire et l’information la plus récente sur le pays d’origine.

[8] J’estime que les motifs donnés par la SAR démontrent que celle-ci a effectué sa propre analyse indépendante du dossier et qu’elle a tiré ses propres conclusions; le Guide n’était pas contraignant ni déterminant eu égard à ces conclusions. Le paragraphe précis du Guide que la SAR a cité mentionne la nécessité de prendre en compte la situation personnelle de l’intéressé, ce que la SAR a bel et bien fait en l’espèce. Les motifs permettent à la Cour de comprendre ce sur quoi s’est fondée la SAR pour rejeter l’appel interjeté par les demandeurs contre la décision de la SPR.

[9] S’agissant de l’analyse de la PRI et du premier volet du critère, les demandeurs, essentiellement, ne sont pas d’accord avec l’examen effectué par la SAR quant à la question de savoir si l’agent de persécution a des liens avec la police. J’estime que la SAR a procédé à une appréciation raisonnable des éléments de preuve. La décision repose sur l’insuffisance des éléments de preuve, et les demandeurs n’ont pas montré en quoi la SAR avait mal interprété ou écarté les éléments de preuve à cet égard : Ullah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1777 aux para 34 et 37.

[10] De plus, une conclusion quant à l’existence d’une PRI viable montre à première vue qu’un demandeur n’est pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution dans la ville désignée comme PRI; le fait que la SAR n’ait pas effectué d’analyse de la protection de l’État dans ces circonstances n’a donc aucune importance : Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 524 au para 35.

[11] Enfin, j’estime que la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs avaient une PRI viable dans l’une ou l’autre des deux villes où ils avaient séjourné précédemment, vu l’absence de preuve qu’ils y aient reçu la moindre menace.

[12] En ce qui concerne le second volet du critère relatif à la PRI, les demandeurs déplorent la longueur de l’analyse de la PRI effectuée par la SAR et le fait qu’elle ne soit pas suffisamment personnalisée, plus particulièrement eu égard au coût de la vie dans les villes désignées comme PRI. Les arguments des demandeurs concernant le degré de précision auquel ils estiment que la SAR aurait dû s’astreindre se rapprochent d’une norme de contrôle fondée sur la décision correcte plutôt que d’un contrôle axé sur la norme de la décision raisonnable. Plus important encore, la Cour d’appel fédérale prône une « barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable », plus particulièrement l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité, ce qui « est bien différent » des épreuves indues que sont la perte d’un emploi ou d’autres facteurs : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164. Je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont franchi cette barre en l’espèce.

[13] Enfin, les demandeurs ont proposé une question aux fins de certification à l’audience de la présente affaire sans avis au défendeur ou à la Cour. La question proposée a trait largement à la capacité de la SPR de soulever la question de la PRI dès le but de l’audition d’une demande d’asile et d’imposer aux demandeurs d’asile le fardeau de la réfuter. Puisque les demandeurs ont omis de donner un avis en bonne et due forme au défendeur (conformément aux directives énoncées dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 aux para 34 à 45), et parce que la question ne tient pas compte de la jurisprudence reconnue sur le sujet (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 58 et Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706), je refuse de la certifier dans les circonstances.

III. Conclusion

[14] Je conclus que les arguments avancés par les demandeurs au sujet de l’analyse du critère relatif à la PRI effectuée par la SAR commandent un degré indu de perfection et, dans l’ensemble, relèvent du désaccord, auxquels s’ajoute une demande d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui est contraire à ce que préconise l’arrêt Vavilov, précité aux para 91 et 125, concernant le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[15] Pour les motifs exposés précédemment, je rejette donc la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs.

[16] Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-174-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Janet M. Fuhrer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-174-21

INTITULÉ :

OLADAPO DANIEL AJEKIGBE, OLUWASEYI BOLANLE AJEKIGBE, BRYAN OLUWATAMILORE AJEKIGBE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Ariel Hollander

POUR LES DEMANDEURS

Samar Musallam

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ariel Hollander

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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